Textes

Montaigne, Essais II, Gallimard, Folio, 1965, pp. 390-391.

De la présomption

[...] La philosophie ne me semble jamais avoir si beau jeu que quand elle combat notre présomption et vanité, quand elle reconnaît de bonne foi son irrésolution, sa faiblesse et son ignorance. Il me semble que la mère nourrice des plus fausses opinions et publiques et particulières, c'est la trop bonne opinion que l'homme a de soi. Ces gens qui se perchent à chevauchons sur l'épicycle de Mercure, qui voient si avant dans le ciel, ils m'arrachent les dents ; car en l'étude que je fais, duquel le sujet, c'est l'homme, trouvant une si extrême variété de jugements, un si profond labyrinthe de difficultés les unes sur les autres, tant de diversité et incertitude en l'école même de la sapience, vous pouvez penser, puisque ces gens-là n'ont pu se résoudre de la connaissance d'eux-mêmes et de leur propre condition, qui est continuellement présente à leurs yeux, qui est dans eux ; puisqu'ils ne savent comment branle [bouge] ce qu'eux-mêmes font branler [bouger], ni comment nous peindre et déchiffrer les ressorts qu'ils tiennent et manient eux-mêmes, comment je les croirais de la cause du mouvement de la huitième sphère, du flux et reflux de la rivière du Nil. La curiosité de connaître les choses a été donnée aux hommes pour fléau, dit la Sainte Parole.