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Entre stéréotype, préjugé et vulgarité
A la sauvette 12

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Ne jouons pas à l'innocence échappant par miracle aux souillures de la bêtise ! Sans doute, au cours de mon existence, dus-je bien avoir été surpris les doigts dans le pot de confiture ! Quand même j'eusse toujours éprouvé, j'en suis sincèrement persuadé, un profond respect - même si parfois au sens d'une mise à distance - et quelque chose qui s'apparente d'assez près à de la vénération à l'égard non de la femme - j'ignore de quoi l'on parle - mais des femmes, oui, vraisemblablement j'ai bien du - on n'échappe jamais ni à son temps ni toujours à la sottise - sacrifier à la vanne sexiste - que ne fis-je pas autrefois pour le plaisir d'un bon mot qui d'ailleurs ne l'était pas - ou profiter, sans le vouloir expressément, de ces avantages que la société concède aux hommes.

J'eus la chance d'être élevé par une mère qui tant pour des raisons personnelles qu'idéologiques - je veux dire spirituelles - se refusa toujours à considérer ses fils comme de petits princes tyranniques en dépit de la profonde fierté qu'elle en eût. Elle m'enseigna cela, chevillé à l'âme, l'égard dû à la féminité - que pour autant je ne sus jamais définir. D'avoir eu trois filles m'en aura renforcé l'inclination.

Les ai-je compris pour autant ? Sûrement non ! j'ai beau savoir ce qu'affirme le biologiste qui voit dans la sexualité la plus belle invention de la vie parce que la garantie assurée de la différence ; j'ai beau avoir compris depuis longtemps que cette différence fut sans doute ce qui, de notre entourage immédiat, aura très tôt suscité l'éveil de la pensée, il n'empêche! cette foutue raison impropre à saisir autre chose que le même aura été incapable de lever le mystère. Je devine, là devant moi, non pas façon d'être mais conformation d'âme à la fois si proche et pourtant tellement distante. Je sais émotion, désir et sentiment se nourrir de cette ambivalence mais entre eux et la connaissance … un continent d'ignorance.

On m'a dit parfois misogyne mais jamais macho - je crois que c'était un compliment ! - ce n'est peut-être même pas exact. J'ai tenté de n'être jamais vulgaire et crois y être parvenu ; je crois surtout être demeuré, quoique fasciné, un tantinet apeuré par une façon d'être où je présumais étonnante grandeur mais ombres sourdes. J'avoue être agacé parfois par certains propos et postures de plus en plus fréquentes de féministes où je devine agressivité et parfois dogmatisme qu'un lourd passé d'exploitation, d'inégalités et de violences explique assurément mais qui ne me semblent pas réponse meilleures que les affronts subis. Mais je suis tellement mal placé …

Je me surprends pourtant, au gré de mes promenades, d'être agacé par des comportements qu'autrefois je n'aurais peut-être pas repérés qui aujourd'hui me laissent à croire qu'effectivement les préjugés de genre ont vie tenace.

Passent encore ces poses suggérées par des photographes loués pour l'occasion par de jeunes couples de touristes avides de souvenirs mais dont le sens esthétique et l'imagination ne dépassent guère les rares saillies de l'encéphalogramme d'une limace anémiée ; moins déjà ces mises en scène affligeantes, dignes des plus mauvais mélodrames des années quarante, reproduites par des professionnels de l'abus de niaiserie dominante où le jeune homme, à genoux, implore la main de son aimée à côté de quelques pétales de roses étonnamment égarées là et de coupes de champagne respirant la franche spontanéité des pires acteurs du muet. Il faut bien sacrifier aux clichés - jamais le mot n'aura mieux valu qu'ici : ces pseudo-professionnels, parasites d'un romantisme de pacotille ne sont-ils pas - mal -payés pour faire se lever la brume de ces illusions là ?

 

Non je pense à des scènes bien plus anodines ; bien plus pesantes

 

Promenade dominicale le long des berges - c'est l'heure des familles et de ces nouveaux bourgeois obsédés de santé, de corps svelte, de forme et de jeunesse qui ne sont qu'autres parangons de cette performance qui les hantent ou qu'ils ne savent esquiver. Les touristes sont en-haut : ils ne descendent que pour leurs croisières sur le fleuve.

Ils marchaient devant moi ; famille on ne peut plus classique : deux enfants, un garçon, une fille. Sensiblement du même âge.

Le père, sentencieux, expliquait à son fils, qui n'en demandait peut-être pas tant, les différents états de la matière, causes et effets de la dilatation. Sa fille était de l'autre côté ; ne pouvait entendre. N'avait pas droit à la grande leçon dominicale.

Pourquoi l'ai-je alors remarqué ? pourquoi ceci m'a-t-il attristé ?

Peut-être seulement pour cette discrimination, pas même volontaire, sûrement pas consciente, distribuant depuis toujours les rôles qu'un père, pas nécessairement malintentionné, reproduit.

Ne peut-on vraiment pas échapper au moins à ces lourdeurs-ci ?

Foire aux vanités ! Mais pas seulement …

Que les berges, le fleuve et la tour en arrière-plan fassent l'objet de belles photos, assurément. De beaux souvenirs, sans conteste. De quelques arnaques à touristes, je l'ai dit.

Mais là !

Un mignon petit couple dans le fond, passant son après-midi le long de l'eau à parler, rêver et se taire : on a tant de choses à dire, taire et rêver quand les choses se découvrent et s'élance la vie.

Sur le côté gauche, une femme, en robe de mariée, prenant ou cherchant en tout cas la pose. Séance photo : elle est la reine du jour et les traces qu'elle marque aujourd'hui l'accompagneront longtemps : dans l'album qu'elle montrera plus tard à ses enfants ; qu'elle regardera parfois avec sourde nostalgie ou cette brume de larmes furtivement essuyées quand la distance, les épreuves ou seulement l'habitude auront tout froissé.

A l'avant plan, un homme, appareil-photo à la main et sa compagne, sans doute, chevauchant moto tapageuse étroitement moulée de cuir révélant des formes depuis longtemps concédées à une jeunesse égarée, chaussures noires à talons aiguilles pour contrefaire définitivement cette caricature d'érotisme que je croyais sottement surannée depuis Gainsbourg et Bardot !

Je ne m'étais donc pas trompé : il s'agissait bien de la saisir dans une position lascive, vautrée sur l'engin de fer.

Voici donc version sordide de la loi des trois états : d'abord, la rencontre d'êtres qui s'effleurent et approchent d'abord avec la fièvre timide de se reconnaître ; ensuite, la fierté sordide du mâle exhibant sa conquête avec avide fatuité comme chasseur sa proie car, déjà, élégance de la robe et grâce féminine ne lui sont déjà plus que faire-valoir. Enfin, le pire : la libido masculine s'est déplacée vers les seuls engrenages maîtrisables, la femme réduite à un décor, ni mieux ni moins que la Tour, c'est la moto qui a pris toute la place. Le bourgeois de la Belle Époque marquait sa position par les jeunes beautés qu'il cueillait dans les foyers de l'Opéra. Le cuistre moderne se contente d'exhiber ses sordides dilections.

La rencontre de l'autre n'a pas eu lieu ou s'est épuisée. On la somme juste de se draper dans le rôle qu'on a écrit pour elle. On la consomme. Est-il vulgarité plus obscène ?

Mais qu'on ne s'y trompe pas : il suffit d'élargir la photo pour le comprendre. Tout fut minutieusement orchestré : l'accessoiriste arrange la robe pendant que le compagnon, habit et nœud papillon quand même, patiente, accroupi tout en pianotant sur son smartphone ; que le photographe de service ajuste ses réglages et que les autres sortent du fourgon les derniers ustensiles du mirage.