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A la sauvette 3

 

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Peut-être m'en lasserai-je bientôt - il se dit qu'on se lasse de tout - peut-être non … Des clichés qui s'enchaînent que sur le moment je crus évocateurs … puis finalement non ! et puis d'autres … Il n'est pas facile de juger, en rien ; particulièrement ce que l'on réalise soi-même. Je ne m'y essaie même plus passant du grand désespoir à l'indifférence ; n'atteignant jamais à la satisfaction.

Le jugement, sans doute est chose funeste. Qu'il touche aux choses de la justice ou seulement à l'œuvre de l'entendement qui estime, trie ; sépare le bon grain de l'ivraie.

J'aimerais évidemment avoir l'œil comme d'autres ont l'oreille absolue ; mais il ne se peut : il ne verrait jamais que d'après la conformation de mon esprit, de mon histoire, de mes préjugés.

Peut-être faut-il prendre le point de vue de ces mascarons qui trônent au-dessus des portes et portiques de nombreux immeubles parisiens - mais ailleurs aussi évidemment. Fort à la mode au XVIIIe conçus à des fins purement ornementales mais parfois aussi pour faire fuir les mauvais esprits ou encore se moquer d'un propriétaire en lui prêtant allure grotesque. Eux aussi nous regardent et, tellement habitués à leur présence, ou distraits comme souvent par nos troubles affairements, nous avons désappris de les regarder.

Je me suis promis, et m'y tiens, d'écarter tout cliché qui rabaisserait, ridiculiserait ou se piquerait de juger, précisément. A mesure que je vieillis, le négatif m'épuise et me lasse la critique. Je tiens à souligner ce qui exhausse ; ce qui augmente …

 

 

 

A la recherche ce dimanche-là d'une figure, d'une scène, d'une représentation de la sagesse pour un texte que j'étais en train d'écrire … Je m'attendais à trouver tête de vieillard chenu mais, outre que ce matin-là je n'en vis point qui m'inspirât, je voulais esquiver aussi les stéréotypes.

Représenter une idée est plus ardu qu'il y paraît. Platon y fut habile ; les évangiles aussi. D'allégorie en parabole, il s'agit toujours de laisser l'auditeur faire une partie du chemin …

La petite demoiselle surgit dans son incroyable accoutrement multicolore de matinée encore bien frisquette suivie péniblement par un père qui manifestement n'arrivait pas à la faire trottiner où il eût aimé. Elle me dit bonjour, suggéra à son père d'en faire autant - il faut être poli tu sais papa - et me gratifia d'un sourire qui ce jour-là m'émut.

Tout y était, une évidente joie de vivre, un plaisir d'être là, une confiance à l'égard du monde peut-être candide mais touchante ; une incapacité à se méfier ou à avoir peur.

A songer à ces visages renfrognés de vieillards mornes promenant acrimonie et angoisse comme on promène son chien, par habitude lasse ; à ces visages fermés d'adolescents claudiquant d'ennui et de frustrations, m'est venue comme un éclair l'idée qu'il y avait peut-être plus de sagesse dans ce sourire que dans toutes les pages tristounettes de Sénèque.

Qui se promène dans la journée, en a le temps, certes, et s'en va pour quelques emplettes sinon les retraités ? Il ne me semble parfois ne voir plus qu'eux, est-ce hasard ?

Celui-ci, loin devant, attira mon regard par le blanc éclatant de sa pilosité. et aurait sans doute pu faire figure de sage n'étaient ces lunettes sur le haut du front trahissant afféterie à plaire encore.

Celle-là, avec réel sens pratique ou malice incroyable entremêle impotence et intelligence. Se servant d'une chaise roulante dont elle n'a manifestement pas encore besoin - fut ce celle de son défunt époux ? - à la fois comme point d'appui et comme chariot pour ses courses, lentement mais avec réelle détermination, elle s'en va son chemin et traverse la rue.

Il m'a toujours semblé que la ruse tenait en cette capacité de subvertir l'utilité des choses.

J'aime décidément les bancs je crois l'avoir écrit à de multiples reprises. Je crois l'inventeur des bancs mériter la reconnaissance de l'humanité !

Je les aime pour la multiplicité de ce qu'on y peut faire - rêver, aimer, lire, attendre tout simplement …

Moment étonnant où quoique, dehors, on est ailleurs - ou partout - où, en tout cas, on cesse d'être importuné par le monde, par les autres …

Sorte de triangle fantastique qui subrepticement vous ferait non pas disparaître mais passer … de l'autre côté. Que cherchons-nous donc ainsi à nous attarder dehors quand nous n'y voulons rien regarder sinon nous-mêmes ?

Entre alpha et oméga ; entre les petits gestes d'amours essayées, tout de timidité, de peur et d'audaces entremêlés et, plus tard, beaucoup plus tard, ces regards d'une tendresse sans fard.

Décidément, à quelque âge, cette chose étonnante qu'on nomme amour et qu'il est si difficile de qualifier sans être ou cuistre ou banal ou vulgaire - et parfois les trois en même temps - oui, amour est synonyme d'abord de regard.

Même nécessaire, la coupe d'un arbre m'attriste. Sottement mais infiniment. Moins pour le passé qui s'y engloutit que pour l'avenir qui n'aura plus lieu. Un rêve qu'on ne fera plus …

Il n'est pas d'existence qui ne soit jalonnée d'arbres …