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1 - Tout est affaire de décor

Peut-être même pas.

J'adore les bancs. Pour la multitude des choses qu'on y peut faire ou ne pas faire. Ils sont partout et souvent se ressemblent, de quartier en quartier.

Mais ils sont partout. A la campagne, à la montagne ; sur le chemin que peu empruntent et parfois seulement le berger avec son troupeau ou ce retraité désœuvré, les hommes toujours se sont ménagé, en tout lieu, des ilôts de suspens, de rêve et de séduction. Les bancs sont comme ligne de partage, séparant autant que reliant labeur et repos et même, parfois, méditation essoufflée de philosophe solitaire. Leur ponctuation : tantôt virgule, parfois seulement tiret ; quelquefois points de suspension mais jamais point final.

Mobilier urbain disent les managers toujours avides de vocabulaire profanateur : évidemment non ! Ils sont comme ces étoiles apparemment rivées au ciel autour de quoi pourtant tout s'enroule et se dessine l'espace.

Ces deux-là se tournent le dos, semblent s'opposer et pourtant non. Certes, il est au téléphone comme presque tout le monde ; elle écrit, sacrifie peut-être à cet étrange rituel, bientôt désuet, des vœux mais n'allons pas imaginer qu'elle n'eût pas un portable sagement rangé dans son sac ; ou qu'à l'inverse, lui n'eût jamais écrit. Ils sont simplement en train, chacun à sa manière de déjouer les invectives usuelles d'une époque dont les ustensiles eussent tué la communication. Lui s'adresse à un ailleurs ; elle à un plus tard. Ce qu'ils font ici aurait sans doute pu attendre mais pourquoi donc ?

Le parisien sature le décor de sa présence et l'invente ce faisant ; de ses trépidations surtout et l'agite ce faisant. On dit Paris bruyant : évidemment non, ce sont les parisiens qui le traversent ; qui courent moins après leur bus qu'après une sveltesse juvénile qui les trahira bientôt néanmoins ; moins après le temps - ils n'en ont jamais eu - qu'à fuir la vacuité. Ils ne prennent pas de pause à midi mais font quelques emplettes, mangent rapidement un indescriptible sandwich ou, derechef, courent avant de rejoindre un bureau impavide qui achèvera de les nier.

La ville est son terrain de jeu et il s'y déploie comme autrefois ceux où enfant on l'emmenait prendre l'air, où désormais il entraîne sa propre progéniture. La ville n'existe que de n'être pas. Le sérieux, la gravité, la compétence et la performance est toujours ailleurs ; dedans. Dehors ? ce qui reste et que l'on arrache à la vie. Des bancs encore où, le soir tombant, même si on ne prie plus espérant n'être plus séparé de l'être, ou un petit peu moins, on trouve encore le génie de se retrouver pour réinventer la tendresse.

Tout au long de nos parcours qu'ils ponctuent depuis toujours mais au bout de chaque chemin il y aura toujours un banc comme à l'horizon de ce sentier de mon enfance, où je ne vis pourtant jamais personne s'asseoir ; où pourtant quelque chose m'y résonnait comme une promesse.

Mais je me trompe peut-être : ils ne scandent ni l'espace ni notre entêtement à l'abreuver de nos affairements impatients. Celui-ci était déjà vermoulu quand mon enfance le découvrit. Il était là longtemps avant moi et me survivra bien sûr.

Les bancs, d'être ces témoins qui nous regardent passer sans même nous interpeller, comme un délicat tic-tac laissent entendre cet étrange bruissement qu'ils perpétuent, le lointain écho des origines, le temps … simplement.