μεταφυσικά
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L'amour comme acte

 

Aimer Confessions
l'amour comme engagement Les quatre mots de l'amour
l'amour comme acte de la haine
l'amour comme religion  
Intimité & pudeur  

 

Car ce qui vous a été annoncé et ce que vous avez entendu dès le commencement, c'est que nous devons nous aimer les uns les autres,
et ne pas ressembler à Caïn, qui était du malin, et qui tua son frère. Et pourquoi le tua-t-il? parce que ses oeuvres étaient mauvaises, et que celles de son frère étaient justes.
Ne vous étonnez pas, frères, si le monde vous hait.
Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons les frères. Celui qui n'aime pas demeure dans la mort.
Quiconque hait son frère est un meurtrier, et vous savez qu'aucun meurtrier n'a la vie éternelle demeurant en lui.
Nous avons connu l'amour, en ce qu'il a donné sa vie pour nous; nous aussi, nous devons donner notre vie pour les frères.
Si quelqu'un possède les biens du monde, et que, voyant son frère dans le besoin, il lui ferme ses entrailles, comment l'amour de Dieu demeure-t-il en lui?
Petits enfants, n'aimons pas en paroles et avec la langue, mais en actions et avec vérité.
Par là nous connaîtrons que nous sommes de la vérité, et nous rassurerons nos coeurs devant lui;
1Jn,3, 11

Τεκνία μου, μὴ ἀγαπῶμεν λόγῳ μηδὲ τῇ γλώσσῃ, ἀλλ’ ἐν ἔργῳ καὶ ἀληθείᾳ.

Qu'il faille aller jusqu'au bout de la logique de l'engagement et que ceci impliquât agir semble assez évident. On se trouve ici dans la lignée classique des grandes sagesses, à ceci près qu'elle s'adresse à tous : non pas une simple connaissance si raffinée soit-elle mais une sagesse.

Mais que peut vouloir dire aimer en acte ?

C'est déjà se contenter de ne pas seulement le proclamer . Ce qu'on peut lire dans ce verset de la lettre de Jean qui oppose parole et langue à actions. Mais une opposition que l'on retrouve tout au long de la longue harangue du Christ contre les pharisiens (Mt, 23) : εργον, c'est effectivement l'acte par opposition à la parole, à l'oeuvre, à la réalisation. Les pharisiens seront qualifiés en 23,13 d'hypocrites- ὑποκριταί - pour cette raison même. (160). Or, υποκριτης désigne l'interprète d'un songe ou d'une vision et, partant, un acteur, un comédien. Ce n'est que dans un second temps que le terme prend la valeur de dissimulateur. Il est, étymologiquement, υποκρινοω, celui qui sépare, trie ou distingue et par suite choisit, décide ou juge. Sauf à le considérer qu'il le fait par en dessous (υπο).

L'opposition tourne ainsi autour du couple sincérité/dissimulation : entre qui est pur, non corrompu et qui cache, simule, fait semblant et donc n'est pas pur ni transparent. Or, l'acteur du théâtre grec comme on le sait portait un masque : l'ironie de la langue veut qu'il soit acteur précisément en ceci qu'il se dissimule. Il l'est en tout cas en ceci qu'il donne vie à un texte. L'acteur joue, un rôle, un personnage qu'il n'est pas mais le fait de manière explicite : son masque a aussi ce rôle de rappeler qu'on demeure ici dans le registre de la représentation, de l'imaginaire. Théâtre, théorie et divinité sont trop proches pour que ce soit anodin : dans tous les cas, ce que l'on regarde, contemple ou prie ; ce devant quoi l'on se met et juge.

La crise c'est cela d'abord et donc la critique : ce qui en séparant tel que le ferait un tamis, le bon grain de l'ivraie, le vrai du faux, la réalité de l'apparence ; l'innocent du coupable. Quelque chose qui va bien au delà de vérité et erreur, qui engage vérité et mensonge.

être authentique : l'hypocrisie est mensonge en action

Aimer en actions et avec vérité dit Jean ce qui sous-entend qu'on puisse aimer de manière fausse et de manière purement virtuelle. Les textes nous offrent ainsi deux configurations très différentes du mal aimer selon qu'elle soit présentée par le Christ lui-même ou au contraire par Paul, selon qu'il s'agisse du contre-exemple (les pharisiens) de ceux qui contrefont l'amour, ou au contraire de la difficulté à vivre selon la Parole. (161)

C'est effectivement la version négative du précepte : l'interdiction du mensonge. Pour autant que mentir soit un acte volontaire - sinon dire le faux reviendrait simplement à se tromper - il y a ici acte visant à égarer, à entraîner sur des voies erronées. Mentir de mentior qui lui-même vient de mens - μενος - l'âme comme principe de volonté - signifie à la fois dire le faux mais aussi contrefaire, imiter.

Le mensonge revient toujours à dire le faux sachant que c'est faux ou le laisse croire à l'autre. L'hypocrite, lui, est un menteur par omission ou par induction qui fait de l'autre l'acteur involontaire de son erreur. L'hypocrisie est ici, s'agissant des pharisiens, un mensonge en acte consistant dans la contradiction entre parole et geste ; dans l'observance formelle de la loi pervertie en moyen pour s'assurer places et honneurs, en une pratique contrefaite qui laisse les autres croire avoir devant eux des êtres pieux et fidèles. Celle que l'on observerait dans un rapport inter-personnel reviendrait au même, à considérer l'autre comme un moyen pour atteindre de objectif personnels.

A l'inverse, être authentique revient à être garantie inattaquable, irréfragable : c'est en effet ici toute la question de la sagesse qui est posée. Nier une théorie c'est toujours y trouver contradiction, incohérence. Nier un acte, à l'identique, revient toujours à trouver une contradiction ou incohérence entre le projet poursuivi, la volonté donc, et le résultat obtenu : soit que l'action fût maladroitement menée ratée donc - à savoir que l'acte ne corespondît pas à la volonté ; soit à l'inverse que la volonté fût fallacieuse - à savoir qu'elle poursuivît un objectif caché qui ne répondît pas à l'acte. Étymologiquement cohérence est affaire de lien, de fixation : qui est incohérent laisse filer d'un côté sa pensée, de l'autre son action à moins de ne le faire intentionnellement.

Lier donc ; toujours.

Qu'il y soit fait appel ici, de manière absolue montre assez qu'il s'agit ici de morale et non pas simplement d'éthique. De ces principes, absolus qui signent l'humanité de l'homme.

On se souvient notamment comment Kant avait dénié en son temps toute légitimité au mensonge fût ce pour de bonnes raisons : il en va de même ici et l'on peut considérer que le mensonge est l'une des formes de la violence. Ce n'est pas tant ici que l'on voilerait quoique ce soit

Vous les reconnaîtrez à leurs fruits, soit ! sauf à considérer que l'acte puisse dans ce cas-ci démentir l'intention quand bien même on en puisse dénoncer la stérilité.

Ce qu'en définitive le Christ reproche aux pharisiens c'est à la fois de se contenter de respecter la loi de manière purement formelle et, d'autre part, circonstance aggravante, de ne le faire qu'en vue d'intérêts particuliers. La lettre tue, on le sait, quand l'esprit vivifie (162) c'est ainsi tout le rapport à l'observance de la loi qui est mis en question - et donc celui d'une sincérité intérieure, par définition insaisissable.

On pourrait ici reprendre l'heureuse expression d'H Arendt : la découverte de l'homme intérieur. Non pas qu'il n'y en eût pas auparavant, évidemment, mais plutôt qu'il se découvrît et devînt ici l'enjeu principal. L'idée en elle-même n'est pas nouvelle et avait, pour le moins, été suggérée par le seul des dix commandements qui vise l'intention et non pas seulement l'acte (163) . Autre façon de dire que la faute ne réside pas seulement dans l'acte mais déjà dans la pensée, le désir, l'intention qui en est à l'origine. Écrire ceci que l'on retrouve aussi par exemple en Rm, 2, 29 c'est ouvrir toute l'épaisseur de l'âme ou si l'on préfère de la vie intérieure. L'accomplissement de la loi, aimer donc, ne consiste pas seulement en une série de gestes pieux ou généreux mais résulte d'un mouvement intérieur, d'une bonté d'âme, dont seul Dieu - et éventuellement soi-même - peut être juge, dont en tout cas seul soi-même peut-être comptable. Porter les habits rituels, surtout pour être vu est ainsi plutôt mauvais signe. Mais le reproche adressé réside aussi dans le fait, par leur exemple, d'entraîner les autres dans la faute. Où l'on retrouve cette idée très chrétienne de l'exemplarité : aimer l'autre ne consiste pas seulement dans la sincérité généreuse qu'on lui voue c'est être aussi responsable du chemin où on l'entraine.

S'il fallait paraphraser Montaigne on écrirait volontiers qu'un honnête homme est un homme déchiré : tant on réalise, à lire Paul, combien le conflit est ardu qui rarement mène du vouloir au pouvoir.

A lire les Évangiles, pourtant, il semble bien que vivre selon la loi de l'amour ne soit pas si difficile que cela - ce pourquoi nous nous étions demandé si l'on pouvait parler de la banalité du bien : à ses disciples lui demandant comment faire, le Christ répond à peu près toujours de la même manière : Imitez-moi ! Sauf à considérer que l'appel à l'amour de l'autre, on l'a vu, va bien au-delà du conseil, négatif, de ne pas faire à autrui ce que l'on n'aimerait pas qu'on vous fasse, pour aller jusqu'à plutôt faire à autrui ce que l'on aimerait qu'il vous fasse ce qui revient à décentrer totalement l'effort vers l'autre : donner plutôt que recevoir ou attendre.

Aller chercher l'autre plutôt que simplement l'accueillir quand il vient. (Lc, 6,31).

Chez Paul, au contraire, le conflit semble sévère, dont il déclare ne pas pouvoir se sortir sans grâce et miséricorde divine. Parce qu'à la fois être de chair et d'esprit, il se sent tenaillé comme si la loi, par l'interdit même qu'elle édictait, était une provocation supplémentaire à pécher. Cet homme intérieur à quoi Paul fait référence est un homme troublé, faible à qui même le secours de la foi et l'étai de la sincérité sont insuffisants. Avec lui, le centre de gravité est résolument du côté de cette intériorité conflictuelle et si peu lisible : la loi impliquait que l'on obéît, mais qu'on le fît sans plus d'autres atermoiements ; désormais c'est notre consentement qui est requis ; la volonté entre en jeu comme acteur principal. Non pas obéissance aveugle mais soumission volontaire, voici ce qui est requis désormais ; et s'ouvre ainsi l'infini espace du débat, ou du conflit intérieur. Qui en fait tout l'engagement mais aussi un processus jamais achevé, jamais assuré non plus.

Pour que cet homme intérieur se déchire de scrupules, de doutes et de tensions, encore fallait-il que naisse préalablement l'individu. Il est ici, avec toute son épaisseur intime, toute sa besogneuse noirceur, qui se confie et révèle.

être authentique - révéler

C'est assurément le second axe, en quelque sorte le positif photographique du précédent. Rien n'est plus surprenant lorsque l'on baguenaude dans les textes bibliques, plus particulièrement évangéliques, que de constater la prolifération des métaphores et paraboles autour du voilé, caché et finalement révélé. L'acte même de la révélation est évidemment consubstantiel de la lumière mise sur la connaissance ; pour autant tout n'est pas dit ni à tout le monde.

C'est à vous qu'a été donné le mystère du royaume de Dieu; mais pour ceux qui sont dehors tout se passe en paraboles,
afin qu'en voyant ils voient et n'aperçoivent point, et qu'en entendant ils entendent et ne comprennent point, de peur qu'ils ne se convertissent, et que les péchés ne leur soient pardonnés.
(Luc,4,11)

Jésus dit à la foule toutes ces choses en paraboles, et il ne lui parlait point sans parabole, 13.35 afin que s'accomplît ce qui avait été annoncé par le prophète: J'ouvrirai ma bouche en paraboles, Je publierai des choses cachées depuis la création du monde.
(Mt, 13,35)

ὅπως πληρωθῇ τὸ ῥηθὲν διὰ τοῦ προφήτου, λέγοντος, Ἀνοίξω ἐν παραβολαῖς τὸ στόμα μου, ἐρεύξομαι κεκρυμμένα ἀπὸ καταβολῆς κόσμου.

Comme toutes les métaphores, même si elle a en plus une fonction édificatrice et de signifier un discours inspiré, la parabole a cette caractéristique de contraindre pour ainsi dire le lecteur au l'auditeur à faire lui-même le travail de traduction. Parabole - qui au passage donnera parole en français - a le même suffixe que symbole, diable - jeter : est-ce un hasard ? Tel un prisme, la parole christique semble ainsi avoir deux faces : l'une pour les élus ; l'autre pour le commun. On peut l'interpréter comme Girard (164) et supposer que cette parole jetée est une façon de se protéger contre la malignité de la foule, c'est au reste ce que laisse entendre le verset ci-dessus. On peut tout aussi bien y considérer cette part de création laissée à l'autre l'autorisant à s'approprier le message à l'identique d'une oeuvre d'art qui ne saurait être vivante qu'à cette condition.

Harry Baur Les Misérables 1934

Parce que la vie intérieure, d'être ainsi conflictuelle, prend une certaine densité elle revêt en même temps une réelle épaisseur voire une bien dangereuse opacité pour les pouvoirs en place qui chercheront à la sonder ou maîtriser, en tout cas repérer. Longtemps, durant toute la période médiévale en tout cas, Église et Etat en train de se constituer, se distribueront surveillance et mainmise sur âme et corps dessinant pour longtemps voire toujours le grand rêve d'une transparence comme condition même du pouvoir. Bien plus tard la psychanalyse tentera de jeter quelques lueurs sur cette âme trouble après que prêtres et moralistes y eurent jeté leur dévolu : opaque à soi-même, plus encore l'est-elle à l'autre en dépit des simulacres de confessionnal.

Il faudra bientôt pour chacun protester sinon de son innocence au moins de sa sincérité.

Mais, avec la révélation c'est assurément tout l'équilibre antique qui se trouve bouleversé : pour un Platon, un Aristote même, il ne s'agissait encore que de dénicher d'entre tous, les meilleurs, ceux qui seront capables, en se détournant des apparences sensibles, des contraintes matérielles et des appétits divers de se mettre assez au service du vrai pour mériter demain de diriger la cité quitte à créer pour cela une aristocratie - mais après tout ne s'agissait-il pas de cela ? Platon comme Aristote étaient contemporains d'une démocratie depuis longtemps défaite mais il leur restait cette répartition pour nous encore si étrange d'entre vie privée et vie publique. Parce que vivre, pour un grec, ne saurait qu'être catastrophe, au sens le plus étroit du terme, celui d'une chute dont on ne peut que tenter de parer provisoirement les coups les plus violents, que surtout il n'est qu'une réalité - la nécessité Ἀνάγκη - et que le risque le plus fort serait encore de verser dans la démesure, on ne trouvera jamais aucune valorisation positive de ce qui est nécessaire à la vie, ni plus matérielle que sociale : ni le travail, laissé au soin des esclaves ; ni les relations humaines proprement dit abandonnées à la sphère de la vie privée, familiale où règne tout sauf la démocratie mais plutôt, au contraire, l'autorité absolue du chef. La vie publique grecque, évidemment réservée au citoyen libre, s'est en réalité construite contre le domaine privé de la nécessité et non pas à partir de lui, s'en est voulue un échappatoire et un antidote mais certainement pas un prolongement ou une organisation généralisée. Rien n'est à cet égard plus étranger à la pensée grecque que cette idée qu'une société fût l'organisation d'unités indivisibles que seraient les familles.(165) Le grec se libère sur l'espace public de l'agora par la parole et l'action. Le chrétien dans l'acte, certes, mais dans l'espace clos du confessionnal, aussi.

Pour un grec l'essentiel - et le plus noble - se joue dans l'espace public ; pour un chrétien, au contraire, dans la conscience intime.

A l'inverse ici, le salut de tous ne se joue plus dans la conversion d'un seul ; au contraire le salut de chacun se joue désormais dans ce double rapport à l'autre et à un devenir autre. Quelque chose dans le rapport désormais entretenu au monde devra bien percer, se révéler, qui atteste de cette conversion intime. Le rapport subjectivité/vérité s'inverse. C'est bien dans son quotidien, dans ses gestes, son corps que le fidèle doit manifester sa foi : que le terme grec désignant le témoin - μάρτυς- soit celui qui donnera martyr, ne saurait être un hasard et toutes les manifestations doloristes en découlent logiquement. Le corps devient livre ouvert sur l'âme : la fidélité, la foi en tant qu'engagement, a signature physique.

Le christianisme a incontestablement poussé jusqu'à l'extrême cette culpabilité, consubstantielle de l'humain : être, assurément c'est aimer l'autre, mais il ne saurait y avoir pourtant d'approche de cet autre sans préalable preuve tangible et aveu de sa propre faiblesse ou défaillance.(166) Avant d'être émotion ou sentiment, parce qu'engagement total de l'être, l'amour se révèle d'abord une épreuve qui vous révèle à vous-même ainsi qu'aux autres.

 

être sage : faire faire, pousser inciter

Agir - αγω - dit un peu plus que εργον : qui agit, conduit, mène, emmène au sens où le pâtre conduit ses brebis. Autant dire passer à l'acte au moins autant qu'inciter à passer à l'acte. Car c'est cela d'abord la σοφια : l'habileté manuelle, la sagesse pratique. C'est sans doute pour cela qu'il m'arrive de songer qu'il n'est pas de plus beau mot que philosophie qui réunit précisément amour et savoir, action et pensée, ce souci de cohérence même si l'esprit chagrin y préfère voir vains verbiages ...

M Conche y voit plutôt trois temps :

- agir c'est-à-dire, par solidarité, oeuvrer pour plus d'égalité donc lutter contre l'exploitation, la pauvreté, la violence ; faciliter l'accès à la connaissance ... Autant dire faire entrer l'amour où il n'eut jamais sa place : dans l'espace public ; le sortir du champ où on le retrancha toujours : la sphère sentimentale de l'intimité.

- ne pas agir : jouer de la dialectique de la faiblesse qui incite les autres à agir, être à sa façon moteur immobile. Ce qui revient à mettre en avant ce qu'il y a de dialogue dans l'amour : si à l'instar du désir, il est ce qui pousse à établir un rapport avec le monde, une relation avec l'autre, comment oublier que la réciproque est tout aussi vraie et que l'autre, parce que destinataire de cette tension, de cette ouverture ou de cette générosité est appelé à en faire de même.

- créer : au delà de la quête du beau pour ce qu'elle peut avoir de digne en sollicitant ce qui de l'homme est noble, la création artistique est en même temps éveil à ce qui est gratuit, à soi-même sa propre fin, ce qui échappe donc à la nécessité utilitariste du quotidien...

 

Que ce soit dans la relation à Dieu ou à l'autre, puisque nous avons tenté ici d'en dresser le parallèle, je vois, oui, quelque chose comme un point commun, s'agissant de la penser comme action : il tient d'une part au fond commun des principes moraux ( réciprocité ; solidarité et grâce) ; d'autre part, et plus spécifiquement s'agissant de l'amour entendu comme ἀγάπη, dans cette capacité à susciter un dépassement de soi. Au même titre que pour l'art, s'invente à mesure une oeuvre qui ne se résume jamais au projet qu'on en eut nourri, toujours moins ou autre que ce qu'on en concevait, espérait ou préparait.

Mais où, rien de ce qui est humain ne demeure plus jamais étranger.

Où j'entrevois la grande originalité, potentiellement dangereuse, mais riche en même temps d'un rapport au monde totalement réinventé : originale non pas l'idée que le propre du sage fût d'inscrire dans ses actes le sens de ce qu'il enseigne, non plus certes que ce souci de cohérence que toute culture a d'emblée en tête qui vraisemblablement participe de ce que Jacob définissait comme l'exigence fondamentale de l'esprit humain. Mais originale plutôt, cette substitution à l'antique et étanche séparation entre domaine public et privé, d'une continuité, d'une harmonie à nouer d'entre l'autre, le monde et dieu qui fait de l'humanité de l'être non seulement une tension incessante mais peut-être surtout l'ultime hypostase de l'être dont elle se devrait prolonger la parole originaire comme un lointain écho, pour n'en être finalement que le lointain ressac ou la parabole inachevée.

Originale oui cette configuration qui nous fait inverser la question : non plus celle de se demander en quoi aimer serait agir, mais en quoi agir serait aimer et en quoi les deux, ensemble, se doivent être strictement équivalents à être et nouer.

suite


160) on pourrait à cet égard citer la totalité du chapitre 23 de l'évangile de Matthieu qui, apostrophant les pharisiens, les met devant leurs contradictions.

Faites donc et observez tout ce qu'ils vous disent; mais n'agissez pas selon leurs oeuvres. Car ils disent, et ne font pas.
Mt, 23,3

πάντα οὖν ὅσα ἐὰν εἴπωσιν ὑμῖν τηρεῖν, τηρεῖτε καὶ ποιεῖτε: κατὰ δὲ τὰ ἔργα αὐτῶν μὴ ποιεῖτε, λέγουσιν γὰρ καὶ οὐ ποιοῦσιν.

161) les deux passages sur quoi nous nous appuyons sont : d'un côté Mt, 23 et, de l'autre ce passage du chapitre 7 de l'Epître aux Romains Rm, 7, 6-24

 

7.6 Mais maintenant, nous avons été dégagés de la loi, étant morts à cette loi sous laquelle nous étions retenus, de sorte que nous servons dans un esprit nouveau, et non selon la lettre qui a vieilli.
7.7 Que dirons-nous donc? La loi est-elle péché? Loin de là! Mais je n'ai connu le péché que par la loi. Car je n'aurais pas connu la convoitise, si la loi n'eût dit: Tu ne convoiteras point.
7.8 Et le péché, saisissant l'occasion, produisit en moi par le commandement toutes sortes de convoitises; car sans loi le péché est mort.
7.9 Pour moi, étant autrefois sans loi, je vivais; mais quand le commandement vint, le péché reprit vie, et moi je mourus.
7.10 Ainsi, le commandement qui conduit à la vie se trouva pour moi conduire à la mort.
7.11 Car le péché saisissant l'occasion, me séduisit par le commandement, et par lui me fit mourir.
7.12 La loi donc est sainte, et le commandement est saint, juste et bon.
7.13 Ce qui est bon a-t-il donc été pour moi une cause de mort? Loin de là ! Mais c'est le péché, afin qu'il se manifestât comme péché en me donnant la mort par ce qui est bon, et que, par le commandement, il devînt condamnable au plus haut point.
7.14 Nous savons, en effet, que la loi est spirituelle; mais moi, je suis charnel, vendu au péché.
7.15 Car je ne sais pas ce que je fais: je ne fais point ce que je veux, et je fais ce que je hais.
7.16 Or, si je fais ce que je ne veux pas, je reconnais par là que la loi est bonne.
7.17 Et maintenant ce n'est plus moi qui le fais, mais c'est le péché qui habite en moi.
7.18 Ce qui est bon, je le sais, n'habite pas en moi, c'est-à-dire dans ma chair: j'ai la volonté, mais non le pouvoir de faire le bien.
7.19 Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas.
7.20 Et si je fais ce que je ne veux pas, ce n'est plus moi qui le fais, c'est le péché qui habite en moi.
7.21 Je trouve donc en moi cette loi: quand je veux faire le bien, le mal est attaché à moi.
7.22 Car je prends plaisir à la loi de Dieu, selon l'homme intérieur;
7.23 mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon entendement, et qui me rend captif de la loi du péché, qui est dans mes membres.
7.24 Misérable que je suis! Qui me délivrera du corps de cette mort?...

162 )

Il nous a aussi rendus capables d'être ministres d'une nouvelle alliance, non de la lettre, mais de l'esprit; car la lettre tue, mais l'esprit vivifie.
2Cor, 3,6

163) Ex,20,17

 

164) R Girard Le bouc émissaire p 170

paraballo signifie jeter quelque chose en pâture à la foule pour apaiser son appétit de violence, de préférence une victime, un condamné à mort; c'est ainsi qu'on se tire soi-même d'une situation épineuse, de toute évidence. C'est pour empêcher la foule de se retourner contre l'orateur que celui-ci recourt à la parabole, c'est-à-dire à la métaphore

165) lire à cet égard H Arendt

les premières pages de H Arendt Vita activa L'humaine condition

et celles-ci encore (ibid) sur l'émergence du social et la distribution du public et du privé chez les grecs

166) la confession vient de confiteor : fateor signifiant avouer, concéder