μεταφυσικά
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Métaphysique

Un projet fou, présomptueux mais en même temps une suite presque logique à cette morale que je viens d'achever. Au hasard d'une conversation amicale, cette idée suggérée qui désormais s'impose à moi avec une force dirimante à quoi je cède non sans un secret plaisir. Car, après tout, c'est le même chemin qui me fit chercher ce qui, à la racine des préceptes moraux, se jouait de principe, d'axiome, et qui fait aujourd'hui m' interroger le sens de l'être.

J'ai acquis depuis longtemps la certitude que c'était Comte qui avait eu raison contre Marx : non l'humanité ne se pose pas les seules questions qu'elle peut résoudre ! c'est tout le contraire. Elle est sans cesse, poussée par les contraintes de l'acte qu'exige sa survie, conduite à donner des réponses avant même de pouvoir seulement se poser des questions. La servante de Thrace peut bien se gausser : son rire même est déjà une théorie. Bien sûr le philosophe est maladroit ; bien sûr il est un luxe que peu se peuvent payer : pour autant ses ratiocinations ne sont jamais que le lointain et vain écho de la philosophie spontanée du commun. Elle doit bien le savoir un peu, la servante, que la métaphysicienne, c'est elle !

Une folie, cependant que de retenter un tel chemin : non certes tant pour les doutes que je nourris sur mes propres capacités à le parcourir savamment - il est vrai pourtant que je doute en posséder les connaissances, les capacités ou même seulement l'endurance ; non tant pour redouter qu'il ne mène nulle part - ceci a tellement peu d'importance ; non tant pour la mégalomanie de faire oeuvre où tant de grands présidèrent qui laissent peu de chance d'y laisser quelque trace pertinente ; non ! une folie parce que je ne suis pas certain du tout qu'on puisse raison garder à poser des questions aussi simples que labyrinthiques.

Qu'est-ce que l'être ? Quel sens lui donner ? Pourquoi y a-t-il de l'être plutôt que rien ? Oui, décidément de drôles de questions !

Qui plus que Nietzsche aura dit le bien et le mal, lui qui se vantait de parler Par delà le bien et le mal ? Qui plus que Heidegger aura dit la métaphysique, lui qui en cru proclamer la fin ?

Non décidément Heidegger s'est trompé - ou nous a trompé : il ne s'agit pas d'un chemin forestier - Holzwege - mais bien plutôt d'un labyrinthe - λαβύρινθος - où la sinuosité du parcours interdit même l'espoir d'en sortir, à supposer même qu'il y en eût une sortie. Nul n'entre ici s'il n'est géomètre, proclamait Platon : mais en sort-on jamais ?

Je ne puis poser la question de l'être, sans me poser moi-même comme un être questionnant ; mais ce n'est pas le plus grave car après tout l'illusion de l'être peut bien se payer sur l'illusion de la question. Non, surtout, ce qui n'est pas une impasse - car après tout d'une impasse on peut s'en retourner en faisant machine arrière - mais un entrelacs de noeuds, de rizomes qui rend illusoire tout détour ou retour. On ne peut pas ne pas poser la question de l'être ; on ne peut non plus véritablement la poser. Car elle est l'être même de la question.

Si je n'avais peur des grands mots, je dirais volontiers que quelque chose de tragique se joue ici : le cri de l'animal sacrifié, n'est-ce pas ce qui subrepticement sourd de ce maelstrom de mots qui me sépare de cet être que pourtant je voulais saisir ? Qu'il fuie ou demeure immobile, invariablement il m'échappe ; à moins qu'il ne gise, à l'instar de ces cadavres originaires que Rome enfouit pour mieux se fonder, dans un invraisemblable sarcophage où nos lettres décrypteront demain le Testament.

 

Ils sont là, tous les deux, penchés sur leur tablette, tentant pour l'un de décrypter dans les nombres l'harmonie secrète et musicale du monde ; oeuvrant, pour l'autre, à faire le tour de la connaissance et y réussissant tellement pour de longs siècles qu'on y put lire longtemps l'état indépassable de la connaissance ; ils sont là, tous les deux, parmi tant d'autres mais avec cette voussure triomphante que la modestie prête au mythe : Pythagore et Aristote, qui ouvrent l'huis de ce labyrinthe qu'incontinent pèlerin ou simple visiteur foulera sans même s'en rendre compte.

Vieille ruse que la mystique emprunte au mythe : au jour du solstice d'été, un rai de lumière qu'un vitrail laisse percer, pointe à midi, au centre même du labyrinthe : le pèlerin, éreinté de ses contorsions, ivre de parousie, rêve de parvenir au centre à ce moment précis et de participer au grand oeuvre ! Vieille lune d'une morale méritante qui exige théorie d'efforts, de souffrances et de renoncement pour accueillir enfin, peut-être la récompense de la grâce.

Je crois peu aux vérités ultimes non plus qu'au sens profond mais si la métaphysique me fait penser à ceci c'est bien pour les invariables détours où elle oblige, contorsions et confusions où elle entraîne : sans doute n'y a-t-il pas de point d'arrivée mais ce que je sais c'est combien nous ne pouvons nous passer de sens.

L'absurde, non plus ne se peut regarder en face !

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