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La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j'y tenais mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien

 

Est-il plus curieux commerce que celui entretenu avec cette réalité dont nous nous vantons aisément d'être les pragmatiques desservants ? Pourtant, il me suffit d'un doudou oublié sur table de bistrot pour entendre les gémissements désespérés d'un petit et l'agacement embarrassé d'une mère … Les objets ne sont jamais neutres : qui se targue d'objectivité se leurre lui-même. Il aura fallu aux scientifiques se réfugier derrière l'épais rempart d'une langue aussi formelle que froide pour espérer s'en approcher sans être certains pourtant qu'ils ne la dévitalisaient pas d'un même tenant.

Nous aimons les histoires, les images et les spectacles ; en remplissons nos rêves autant que nos loisirs : l’icône n'est pas seulement le grand interdit refoulé de nos croyances antiques ; elle est la forme même que revêtent nos exutoires.

Et si tout ça n'était que vaste comédie ? que mauvais rêve ?

Même Descartes se piqua d'en poser l'hypothèse pour l'écarter immédiatement, certes ! C'est qu'elle n'est pas si idiote que cela rien ne nous permettant jamais de nous extirper de notre entendement pour en vérifier la teneur.

Nous, le monde, les circonstances, notre propre entourage nous y font tenir un rôle. Pour Aragon, ce fut celui d'un soldat d'armée d'occupation à l'issue d'un conflit qu'on nomma grand ; qui fut seulement absurde à la mesure de son horreur.

Encore tout spectacle dispose-t-il le plus souvent l'espace en frontières claires : un public passif qui regarde et écoute, en léger contre-bas, des acteurs gesticulant et pérorant sur la scène en ce délicieux compromis tacite où chacun fait semblant - joue - les uns d'y croire, les autres d'y paraître. Il m'est arrivé, de rares fois, d'y assister à la transgression de cette frontière : l'effet n'en est que plus prenant. L'une était le Neveu de Rameau à la Cartoucherie de Vincennes - l'acteur se promenait entre les tables où le public contrefaisait celui du café de la Régence - l'autre cette étonnante scène de l'Avare jouée par Podalydès …

J'aime que l'on nomme acteur celui qui, en somme, est plutôt mû que moteur : c'est qu'il faut dose presque magique d'art - technique comme inspiration - pour contrefaire aussi bien le naturel et le spontané qu'on vous croirait auteur d'une geste que l'on vous a cependant seulement demandé d'interpréter. Tel est bien le sens d'authentique : qui agit de sa propre main ceci dût-il concerner un meurtre …

Piège à touristes assurément, celui ou celle-ci mimait paradoxalement l'inertie sur le pont d'Iéna, revêtu d'une tenue d'or toute de broderies, chamarrures et passementeries surchargée comme pour rendre plus implacablement impossible tout mouvement. Qui jouait ici le mieux son rôle : lui, benoîtement planté devant son escarcelle, ou le touriste jetant un œil comme en passant et jetant - parfois - la pièce tant convoitée ? Jamais plus qu'en cet instant, ne fut juste l'expression se regarder en chien de faïence ! Qui regardait qui ? Qui l'acteur ? qui le spectateur ?

Prendre la main, interpréter reviendrait sans doute à descendre de la scène et haranguer la salle.

Vivre ? oui : descendre dans l'arène !

Encore une affaire d'action … Etre acteur autrement ? Reprendre la main et écrire soi-même le texte ! Mais, quoiqu'on en ait, le risque n'est-il pas, infâme rituel pour lequel parfois nous nous surprenons d'allumer ici ou là cierge et de rêver devant la flamme virevoltant, que ceci, à la fin, ne revienne au même tant nos récits demeurent pleins de bruit et de fureur et nos existences enlaidies de cette pesanteur obscène à force d'être entêtante.

Saurions-nous seulement échapper à l'idiotie du narrateur ?

Ne surtout pas ôter pour ceci nos masques : la fièvre du récit ne tient qu'à cela ; et notre présence au monde s'y joue.

In girum imus nocte et consumimur igni
Nous errons dans la nuit et nous voilà consumés par le feu
Virgile

C'est exactement ce que Shakespeare ne dit pas : non le récit ne se résume pas à du bruit, non plus qu'aux trois coups qui l' font se dérouler, encore mois aux cris, colères et tirades merveilleusement bien ourlées, quand bien même certains, dont Molière, les incrustèrent de ballets et chants, comme cette tenue tellement chargée. Non le récit est tout autant de lumières et d'ombres grevé qui effacent nos traces et bouchent l'horizon. Et nous font nous brûler à la lumière et nous réconforter dans l'obscurité quand, pourtant, ce devrait être le contraire ; ce le devait.

J'aime tout autant que la formule soit de surcroît un palindrome.

 

J'en reviens à la guerre qui renverse tout. Tout s'y lit dans un sens comme dans l'autre et l'absurdité l'emporte par quelque bout qu'on la considère. Aragon n'y est pour rien : il n'est ni plus mauvais acteur que poète reconnu (c'est d'ailleurs le même mot). Tant il n'est rien à y comprendre. Non plus à en désespérer que s'en réjouir.

Jamais.

 

 

 


 


 

 

SEYTON.

The queen, my lord, is dead.

MACBETH. She should have died hereafter ;

There would have been a time for such a word.—

To-morrow, and to-morrow, and to-morrow,

Creeps in this petty pace from day to day,

To the last syllable of recorded time ;

And all our yesterdays have lighted fools

The way to dusty death. Out, out, brief candle !

Life's but a walking shadow ; a poor player,

That struts and frets his hour upon the stage,

And then is heard no more : it is a tale

Told by an idiot, full of sound and fury,

Signifying nothing.

 

SEYTON

La reine, monseigneur, est morte.

MACBETH

Elle aurait dû attendre pour mourir ;

Le moment serait toujours venu de prononcer ces mots.

Demain, et puis demain, et puis demain, Glissent à petits pas d’un jour à l’autre

Jusqu’à la dernière syllabe du registre des temps ;

Et tous nos hiers n’ont fait qu’éclairer pour des fous

La route de la mort poussiéreuse.

Eteins-toi, éteins-toi, brève chandelle !

La vie n’est qu’une ombre errante ; un pauvre acteur

Qui se pavane et s’agite une heure sur la scène

Et qu’ensuite on n’entend plus ; c’est une histoire

Racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur,

Et qui ne signifie rien.