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Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage

 

Les cieux racontent des histoires ; en tout cas toutes proviennent de cet espace étonnant qui ne paraît bleu que de ne l'être pas et contrefait si souvent la colère qu'on ne sut imaginer meilleur attribut que la foudre pour incarner les puissances célestes. Pas un mythe, pas une légende qui n'en fasse son champ de bataille ou d'effort.

C'est pourtant vers le même espace que nous levons les yeux en signe d'espoir ou d'attente quitte alors à le rêver bleu plutôt que gris perturbé de bourrasques. Il est pourtant les deux simultanément ou aucun car sa voûte qui nous surplombe, nous enserre ou écrase ne vaut que pour nos âmes.

Que ce soit nos poèmes ou nos prières, nos plaintes ou nos complaintes, en réalité tout ce qui signe notre humanité tient en cet entre-deux d'avec la terre ou les profondeurs. Nous n'avons jamais cessé de bâtir des cathédrales pour qu'elles s'élancent toujours plus haut et approchent enfin le divin. Nous n'avons cessé de rehausser cette tour de Babel arasée dès les origines. Que ce fussent leurs flèches autrefois, ou nos tours de bureaucrates désormais, nous n'avons jamais cessé de vouloir tutoyer les étoiles. Ni de nous y consumer.

Il n'est pas de projet, manigance ou tournemain ; il ne saurait être d'idée, de théorie ou de science ; mais pire encore, non plus de symphonie ou même de cantate, ni de poème ou d'ample ballade épique qui à la fin n'offense les dieux au lieu même où ils s'imaginaient pourtant le célébrer.

Il n'est pas plus d'échappatoire ici que dans les enfers : inéluctablement nous demeurons seuls, face à nous-mêmes et nos œuvres … ou ce que nous croyons tels.

Il n'est pas de meilleure illustration de la mort car sans doute est-ce ceci que crient les oies sauvages fendant le ciel : tout en nos mains, invariablement, s'effrite et disparaît même cela que nous conçûmes sottement pour qu'il nous survivre. Même si le pire demeure la mort que nous répandons avec une joyeuse inconscience autour de nous.

J’aurais tant aimé cependant Gagner pour vous pour moi perdant Avoir été peut-être utile écrira plus tard le même Aragon. Mais le meilleur de nous ressemble à un misérable soupir quand ce n'est pas gémissement acide.

C'est ceci sans doute errer : se voir les ciels condamnés par nos pulsions guerrières et nos terres gorgés du sang de nos identités revêches.

C'est ceci rêver, incontestablement : deviner un ailleurs inaccessible vraisemblablement mais ingrédient indispensable à nous rendre le réel seulement supportable. Regardez ; écoutez les mots : tous, ils sont ceux de ces jeux enfantins s'entichant à deviner dans les nuées formes ogresses ou splendeurs féeriques. Le bon sens, le sérieux des adultes, la sentencieuse componction bourgeoise auront tôt fait de n'y considérer que futiles divagations ou paresseuses rêveries ; ce sont elles pourtant qui nous attachent au monde. Même absurdité ou identique acharnement à pousser notre rocher et à nous réjouir qu'à la fin, sempiternellement, il redévale la pente. Car c'est cela exister : poursuivre obstinément le sens mais se laisser écraser par son insolente absence. Et reprendre l'ascension, nonobstant.

C'est bien ainsi que les hommes vivent …