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C'est la faute à …

Cela faisait bien longtemps qu'on n'avait pas mis les difficultés politiques actuelles du pouvoir sur le dos de la Constitution. Nous nous savons, certes, les champions du changement de régime et tout laisse à imaginer parfois que nos désormais nommés politistes adorent casser leur joujou à la première embardée.

Quoi ? cette constitution n'a-t-elle pas essuyé suffisamment d'épreuves, de crises et de difficultés (guerre d'Algérie, alternance, cohabitations …) pour la croire assez solide pour affronter d'autres tempêtes ? Sa légitimité est incontestable même si elle est critiquable et modifiable. La voici à 65 ans d'âge égaler presque le score de la IIIe : serait-elle usée au nom d'une malédiction qui voulût que passé le demi-siècle des Institutions cesseraient de fonctionner ?

C'est oublier les principes qui régirent sa fondation : la suprématie de l'exécutif sur le législatif dont l'hégémonie maladroite avait prématurément assuré la faillite de la IVe . Il est testable qu'en 58 tant pour des raisons idéologiques que circonstancielles, de Gaulle déplaça le curseur exagérément du côté de l'exécutif ce dont Mendès-France s'était plaint. Il n'empêche qu'à chaque occasion de crises - et il en eut ! - de Gaulle, pour résoudre les différends entre pouvoirs, aura toujours fini par consulter le souverain populaire soit via des législatives suite à censure, soit via référendum. Ce qui permit à de Gaulle de parler de majorité nationale.

Les déboires actuels, évidemment, revêtent une dimension institutionnelle et sont au moins en partie accentués, mais certainement pas créés par le quinquennat et la concomitance des mandats présidentiels et des législatures rendant plus aléatoire encore que d'ordinaire l'exercice de tout contre-pouvoir. Mais ils tiennent surtout à deux circonstances :

Ce n'est, certes, pas la première fois qu'on utilise ainsi le 49.3 - on atteint le chiffre d'une centaine désormais - ni que les élections ne permettent de majorité claire : en 67, elle ne fut que d'une voix et cette législature de dura qu'un an (dissolution de mai 68) ; relative en 1988 - suite à réélection de Mitterrand. C'est dans ces périodes, évidemment, que le recours à l'engagement de responsabilité se fait plus fréquent - Rocard en détient encore aujourd'hui le record (28).

Ce qui tranche avec le passé c'est qu'en usant des contraintes d'un projet de loi de finance, au risque d'ailleurs que le Conseil Constitutionnel ne l'invalide, l'Assemblée Nationale n'aura examiné que deux articles et le Sénat via le 44.3 - procédure dite du vote bloqué - n'aura pu voter que l'ensemble du texte sans examiner les différents amendements … Tant et si bien que le contrôle parlementaire aura été bridé de part en part et le texte après le recours du 49.3 jeudi risque fort d'être adopté sans avoir été réellement examiné, discuté, amendé !

Mis à part l'usage de ce cavalier budgétaire rien ici n'est anticonstitutionnel ; tout est donc légal. Légitime ? sans doute si l'on se souvient que cette réforme avait été annoncée lors de la campagne présidentielle et que, formellement en tout cas, des discussions, négociations eurent lieu avec les parlementaires sociaux même si la culture de négociation de ces technocrates libéraux tient toujours un peu cyniquement du je t'écoute, je te comprends et même ta colère, mais je ne peux en tenir compte !

C'est politiquement que le prix reste lourd à payer qui sans doute pourrira définitivement le second mandat de Macron. Faire adopter aussi chaotiquement un texte sans tenir compte d'aucun rapport de forces ni politique, ni social, c'est accepter d'apparaître, seul contre tous, comme un monarque sourd et méprisant. On le voit mal pouvoir négocier d'autres textes, tout aussi décisifs, tels ceux sur la transition énergétique, une éventuelle réforme constitutionnelle … Qui peut encore l'entendre ? le croire ?

Les apprentis sorciers du clivage gauche/droite ont achevé de rendre le paysage confus. Les institutions, le suffrage majoritaire à deux tours surtout, avait un sens dans un horizon binaire, un espace bi-partisan ! Le tripartisme ne réussit à personne : la IVe (SFIO-PC-MRP) ne s'en remit pas qui ne parvint jamais à dégager majorité claire ; la Ve vécut plutôt bien avant l'irruption tout sauf anecdotique de l'extrême-droite. Les contempteurs de la pensée unique en étaient pourtant les meilleurs thuriféraires : de ne voir ici qu'affaire technique, recette d'habiletés et de compétences acquises, ces technolâtres, au nom d'un libéralisme fichtrement mal compris, ont participé plus qu'à leur tour à la démonétisation du politique et en sont peut-être même à l'origine …

La logique voudrait, si l'on suit ce que dit de Gaulle ou ce qu'en avait dit Debré en 1958, voudrait que l'on fasse appel au peuple par le biais d'élections ! Qui en prendra le risque voyant l'habileté pleutre du RN à ne pas prendre parti et attendre le moment opportun ou les outrances verbales des uns et des autres, ou bien encore les stratégies alambiquées de ceux qui attendent patiemment 2027 ? Mais qui peut croire que ceci puisse durer encore quatre ans ?

L'histoire montre que les crises profondes ( 1789; 1870 ; 1958 en furent ) sont souvent occasion de rebattre les cartes. En sommes-nous là ? Je le crains au moins en ceci qu'il y a crise chaque fois qu'un système se révèle incapable de résoudre tant les problèmes qui lui sont propres que ceux, externes, politique étrangère, sociale, énergétique, environnementale, qui s'imposent à tous. On en est là !

Non décidément, jouer au jeu stupide du c'est pas moi, M'sieur, à peine digne des cours de récréation, n'a aucun intérêt.

Debré a raison de préciser que la politique est affaire de luttes, de conflits et qu'un bon texte constitutionnel doit pouvoir inventer multiples manières d'en sortir. Mais ce qui demeure, fondamentalement républicain, bien plus encore que démocratique, la vigueur nécessaire d'un processus de décision collectif ; surtout pas individuel.

Les césarismes finissent toujours mal.

 

 




« Macron se retrouve en difficulté car nos institutions n’arrivent plus à générer suffisamment de consensus et de force politique »

Le Monde du 07 mars 2023

Solenn de Royer

La Constitution de 1958 se voit aujourd’hui présentée comme génératrice de tous les maux (abstention, fatigue démocratique, impuissance publique), constate dans sa chronique Solenn de Royer, journaliste au service politique du « Monde ».

 

A chaque crise, une réponse censée redonner de la « souveraineté » au « peuple ». Pour sortir de celle des « gilets jaunes », Emmanuel Macron avait lancé le grand débat. Pour dépasser celle des retraites – qui laissera des traces –, il vient de relancer le périlleux chantier des institutions, la réforme actuellement au Sénat illustrant un certain nombre de dysfonctionnements.

Contestée par une majorité de Français, notamment ceux qui disent avoir voté Macron pour barrer la route au Rassemblement national et non pour son projet, celle-ci est jugée parfaitement légitime par le chef de l’Etat, qui rappelle avoir été élu en ayant promis de relever l’âge de départ. Ce conflit de légitimité, doublé d’un mouvement social qui devait bloquer le pays mardi 7 mars et de multiples débordements à l’Assemblée nationale, conduit certains à reposer la sempiternelle question : la France est-elle encore gouvernable ?

La politiste Chloé Morin tente d’y répondre dans un livre, On aura tout essayé… (Fayard, 400 pages, 20,90 euros). Selon l’experte associée à la Fondation Jean Jaurès, nos institutions n’arrivent plus à générer suffisamment de consensus et de force politique pour le chef de l’Etat, qui se retrouve en grande difficulté, quelques mois à peine après avoir été réélu. Président aux pieds d’argile, derrière le masque jupitérien.

Chloé Morin dissèque les ressorts de la crise de l’action et de la décision publiques : soit les gouvernants décident, et « personne n’est content », soit ils renoncent à décider, pour ne pas brusquer. « Nous sommes dotés d’institutions qui permettent de faire la guerre, mais quand il s’agit de prendre une décision (sur le changement climatique, par exemple), de créer du consensus et de l’adhésion, ces mêmes institutions sont à la peine, souligne-t-elle. Elles ne savent plus générer de décisions audacieuses, encore moins de consentement. »

Pratique verticale du pouvoir

Jadis vantée pour sa solidité et sa souplesse, la Constitution de 1958 se voit aujourd’hui présentée comme génératrice de tous les maux (abstention, fatigue démocratique, impuissance publique). Nos institutions, qui en découlent, ne seraient plus adaptées pour gouverner. Elles vont « péter », prédit même Edouard Philippe dans le livre de Chloé Morin.

Deux thèses coexistent parmi les personnalités politiques que la politiste a interrogées. Les uns, à l’instar de l’ancien premier ministre, estiment que nos institutions, plombées par les procédures et les normes, les contre-pouvoirs et des autorités indépendantes, se sont « ossifiées » et qu’il devient difficile pour l’exécutif, même avec les meilleures intentions, d’impulser un élan, tant le système est empêché. D’autres jugent, à l’inverse, que le président de la République concentre trop de pouvoirs et qu’un rééquilibrage doit s’opérer en faveur du Parlement ou du peuple.

M. Macron, qui veut éviter de voir Mme Le Pen lui succéder, dresse, lui aussi, le constat d’une « démocratie bloquée », qu’il s’agit de « protéger de la tentation des extrêmes ». D’où les pistes de réforme qu’il suggère : désynchronisation des mandats présidentiel et législatif, proportionnelle, simplification du millefeuille territorial, réduction du nombre de parlementaires et, pourquoi pas, retour au septennat, afin de permettre au président de renouer avec le temps long. Lui qui s’est vu reprocher sa pratique verticale du pouvoir entend renforcer la « souveraineté populaire ».

Incapacité à débattre

Verticalité versus horizontalité : un affrontement binaire que certains appellent à dépasser. « L’approche institutionnelle classique reste attachée à la question de savoir qui prend la décision ou qui fait la loi, avance ainsi l’ancien député Les Républicains François Cornut-Gentille. On peut préférer plutôt l’exécutif ou le législatif, ou introduire plus de participatif. Mais tout cela est hors sujet. Le problème d’aujourd’hui n’est pas la décision, mais la préparation de la décision, qui est insuffisante, voire inexistante. »

Dans son livre Savoir pour pouvoir. Sortir de l’impuissance démocratique (Gallimard, 2021), M. Cornut-Gentille constate que les structures de l’Etat ne sont plus adaptées à l’évolution des enjeux contemporains, faute d’outils pour traiter les problèmes mais aussi (et surtout) les identifier. L’impuissance démocratique ne viendrait pas seulement d’un Etat inefficace mais serait le produit de notre incapacité à débattre dans un contexte d’accélération et de fragmentation du temps politico-médiatique.

Or, faute d’un vrai débat, il est à la fois impossible d’observer le monde tel qu’il est et de se mettre d’accord sur quoi que ce soit, observe l’auteur, les partis de gouvernement proposant des ajustements techniques qui ne sont pas à la hauteur, tandis que les populistes s’en tiennent à des injonctions irréalistes.

Examiner le réel dans sa complexité

Dans ce contexte, il ne servirait à rien de bouger les curseurs dans un sens ou dans l’autre (nombre d’élus, durée des mandats, plus de verticalité ou d’horizontalité, plus ou moins de proportionnelle…), relève M. Cornut-Gentille, estimant que seul un travail nouveau de « diagnostic », effectué en amont de la loi, pourrait revivifier un débat politique qui « tourne à vide et nous enfonce dans l’impuissance publique ». Ce « diagnostic », précise-t-il, ne vise pas à supprimer les clivages mais, au contraire, à leur redonner un sens en dépassant le stade des postures : « La réinvention de la souveraineté passe par là. »

Ce travail pourrait être investi par le Parlement dans un premier temps, poursuit l’ancien député, qui propose ensuite de supprimer le Conseil économique, social et environnemental pour le remplacer par une assemblée élue au suffrage universel, exclusivement dévolue à cette mission : examiner le réel dans sa complexité et dresser un cahier des charges des difficultés que le pays doit affronter. Préalable indispensable, selon lui, pour sortir de l’impuissance démocratique. Et, « en exprimant des préoccupations communes », « refonder la dimension collective qui nous fait aujourd’hui défaut ». Car « la politique, ajoute-t-il, ce n’est pas simplement faire des propositions, c’est aussi aider les gens à savoir où nous en sommes ». Indispensable, le débat ne fait que commencer.

Solenn de Royer

 

Recours au 49.3 depuis 59 (Assemblée Nationale)

De Gaulle sur les institutions et la majorité nationale en septembre 1965, quelques mois avant la 1e élection au SU


 

M Debré sur le même sujet en 1958