Textes

Primo Levi, Si c'est un homme (additif 1976)

C'est dans la pratique routinière des camps d'extermination que la haine et le mépris instillés par la propagande nazie trouvent leur plein accomplissement. Là en effet, il ne s'agit plus seulement de mort, mais d'une foule de détails maniaques et symboliques, visant tous à prouver que les Juifs, les Tziganes et les Slaves ne sont que bétail, boue, ordure. Qu'on pense à l'opération de tatouage d'Auschwitz, par laquelle on marquait les hommes comme des boeufs, au voyage dans des wagons à bestiaux qu'on n'ouvrait jamais afin d'obliger les déportés (hommes, femmes, enfants !) à rester des jours entiers au milieu de leurs propres excréments, au numéro matricule à la place du nom, au fait qu'on ne distribuait pas de cuillère (alors que les entrepôts d'Auschwitz, à la libération, en contenaient des quintaux), les prisonniers étant censés laper leur soupe comme des chiens ; qu'on pense enfin à l'exploitation infâme des cadavres, traités comme une quelconque matière première propre à fournir l'or des dents, les cheveux pour en faire du tissu, les cendres pour servir d'engrais, aux hommes et aux femmes ravalés au rang de cobayes sur lesquels on expérimentait des médicaments avant de les supprimer. ( ... ) On a inventé au cours des siècles des morts plus cruelles, mais aucune n'a jamais été aussi lourde de mépris et de haine.