René DESCARTES (1596-1650)
Méditations .
...
La principale différence qui est entre les plaisirs du corps et ceux de
l'esprit, consiste en ce que, le corps étant sujet à un changement
perpétuel, et même sa conservation et son bien-être dépendant de ce
changement, tous les plaisirs qui le regardent ne durent guère ; car ils ne
procèdent que de l'acquisition de quelque chose qui est utile au corps, au
moment qu'on les reçoit ; et sitôt qu'elle cesse de lui être utile, ils
cessent aussi, au lieu que ceux de l'âme peuvent être immortels comme elle,
pourvu qu'ils aient un fondement si solide que ni la connaissance de la
vérité ni aucune fausse persuasion ne le détruisent.
Au reste, le vrai usage de notre raison pour la conduite de la vie ne
consiste qu'à examiner et considérer sans passion la valeur de toutes les
perfections, tant du corps que de l'esprit, qui peuvent être acquises par
notre conduite, afin qu'étant ordinairement obligés de nous priver de
quelques-unes, pour avoir les autres, nous choisissions toujours les
meilleures. Et parce que celles du corps sont les moindres, on peut dire
généralement que, sans elles, il y a moyen de se rendre heureux.