Chronique du quinquennat

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La droite se cherche
des valeurs
Quid des valeurs fondement des valeurs Dérives axiologiques valeurs absolues ? Perspectives

Que dit-on lorsque l'on parle de l'homme comme valeur suprême ?

On énonce d'abord une défaillance : faute de pouvoir dénicher un fondement incontestable qui validât nécessairement notre grille de valeurs, que faire d'autre sinon ériger l'homme lui-même en fin en soi qui donc ne saurait être instrumentalisé sans dommage.

Écrire ceci c'est seulement constater la nature nécessairement axiomatique de nos théories, ce n'est certainement pas ériger une valeur suprême qui constituerait un en soi. Tout l'enjeu réside ici. Au même titre que les grecs avaient pu distinguer axiomes et postulats, les deux étant au fondement d'un système, mais les premiers n'étant jamais démontrés quand les seconds pouvaient l'être éventuellement plus tard par des démonstrations ne le faisant pas intervenir (sous peine de tautologie ou de cercle vicieux) et relever du bon sens ou de ce qui intuitivement paraissait incontestable ; au même titre que l'axiomatique a tendance désormais à négliger cette distinction, constatant simplement qu'il n'est pas de système théorique ne comportant au moins une proposition indémontrable, que depuis Gödell et son théorème d'incomplétude, l'indécidabilité est conséquence de la complexité ; au même titre nous sommes sans doute faute de mieux, condamnés à poser l'homme comme référence ultime sans en tirer d'autre conséquence que logique, en tout cas certainement pas métaphysique.

C'est se placer dans la lignée de Kant et reconnaître en tout cas que nos connaissances jamais ne pourront épuiser la réalité de l'être non plus que se penser comme définitive ; mais c'est poser aussi que la prééminence que nous nous accordons, faute de mieux, n'est pas exclusive, et en particulier pas de celle du monde.

La nature de la question morale

Mais c'est aussi, pour peu que l'on refuse cette part religieuse que Kant ne put pas ne pas attacher à l'impératif ne serait-ce que pour le rendre opératoire, repérer ce qui s'y niche finalement de permanent. Or, pour autant que l'on admette que la valeur se se niche pas au dessus de l'être mais demeure seulement cette proposition qui rend possible toute morale, il faut bien se demander comment se pose la question morale. Or, précisément, la question de la moralité de mon action ne se pose pas en soi, a priori .

Elle réside ici la grande leçon : la question morale n'est ni une évidence ni une nécessité inscrite en mon être. Quand je suis seul, je ne me pose pas la question de la moralité de mon action mais seulement celle de son efficacité. L'interrogation sur la moralité de son action, c'est-à-dire se demander si je dois la commettre, y renoncer ou en tout cas la modifier profondément, c'est-à-dire distinguer le pouvoir du devoir ne peut provenir ni de l'expérience ni de moi : l'acte est tout entier conditionné et justifié par la poursuite d'une fin ; quant à moi, déterminé par cette tendance à persévérer dans mon être qui est le fond commun de ma réalité désirante, je serais plutôt enclin à faire flèche de tout bois.

C'est donc bien dans l'irruption de l'autre qu'il faut aller chercher l'origine de la question morale. Ce n'est que face à l'autre que je me pose la question de la justesse de mon action. De cet autre que je ne connais pas mais qui me pose question sitôt que je reconnais en lui un autre moi-même. C'est ainsi l'humanité de l'autre qui est la source de l'interrogation morale.

Si un Descartes avait pu dénicher dans le solipsisme la certitude de sa propre conscience de substance pensante, en réalité la moralité n'intervient que dans le rapport à l'autre. De ce point de vue d'ailleurs il n'y a pas de différence entre les morales dites hétéronomes ou autonomes : en effet, c'est bien de la confrontation avec un dieu, la nature ou la raison ; ou de la relation à l'autre - que naît la question morale.

Si je était seul, je n'aurait pas de sens disait Feuerbach. Effectivement. Je puis toujours m'assigner des obligations en fonction d'une conception que je puis me faire de mon humanité mais; ici, c'est une simple affaire entre moi et moi-même, entre la représentation que j'ai de moi-même et celle de ce que j'estime devoir être, où la société n'a que faire ; où donc, je suis parfaitement autonome. En revanche, c'est bien dans mon rapport à l'autre et dans la représentation que je m'en fais que se joue la question morale : ou bien je le considère comme un objet quelconque, et la question ne se pose pas ; ou bien je le reconnais comme autre, c'est-à-dire comme un autre moi-même. Dans ce cas-ci je retrouve en l'autre et y reconnais ma propre humanité. Le rapport à l'autre est bien hominisant : je me constitue en tant qu'homme dans et par le regard de l'autre - celui que je porte sur lui et que lui porte sur moi. Aussi conflictuel, ambivalent, difficilement cernable que ce rapport puisse être, il n'empêche qu'il ne vaut que sur fond de réciprocité.

Le principe de réciprocité, la reconnaissance de la valeur de l’autre, est un principe ontologique, en tant que si deux êtres initiaux ayant des génomes d’homo sapiens n’avaient reconnu la dépendance qu’ils avaient l’un de l’autre, l’humanité n’aurait pas émergé. En ce sens, la réciprocité est la condition nécessaire pour qu’un être, biologiquement homo sapiens soit humainement une femme ou un homme. 1

Ses marqueurs : la réciprocité et l'interdit de la violence

Ici est sans doute la première marque essentielle de cette valeur humaniste que nous cherchions. Ontologique en ce qu'elle conditionne l'humanité de l'homme mais c'est en même temps dire que la valeur n'est pas un en soi, elle est un préalable que l'on peut vraisemblablement tirer des lois de l'évolution. Si l'on faisait de l'idée de Bien une idée première, alors oui, il faudrait bien admettre un absolu transcendant : en réalité, le bien passe par la sympathie, l’empathie, l’entraide, tout ce qui contribue à la vie en collectivité. Mais on rencontre cela chez les animaux sociaux , y compris les insectes, sans qu’il soit facile de parler de morale de la fourmi ! Toutes les attitudes d’entraide peuvent être des comportements adaptatifs imposé par la sélection et les mécanismes de l’évolution.

En revanche l’attitude inverse de qui la jouissance proviendrait de la détresse qu’il produit chez autrui, du mal qu’il fait, qui le fait jouir, dont il ne tire aucun avantage, si ce n’est cette jouissance du malheur de l’autre, ce mal absolu doit être considéré comme le propre de l'humain car ne saurait être imposé par l’évolution. Effectivement,

ce qui est le plus spécifiquement humain, est ce que l’évolution en elle-même ne peut expliquer, et qui est un produit dérivé d’un être issu de l’évolution. 1

A ce titre le mal est vraisemblablement premier - en tout cas spécifiquement humain. Le bien n'est-il peut-être que la conséquence, en tant que facteur adaptatif, de la capacité humaine de concevoir et faire le mal.

Ce qui est certain c'est que cette capacité qu'a l'homme de dire non, relevée par Bataille constitue la condition de possibilité tant du bien que du mal, et donc celle de l'interrogation morale. Dire non revient effectivement à être capable de substituer aux déterminismes de son environnement interne comme externe une représentation qui lui donne la capacité de les interpréter, refuser ou moduler. En soi, cette capacité de dire non, c'est-à-dire cette capacité à se faire de soi et de son environnement une représentation ne saurait être l'origine ni du mal ni, plus généralement, du sens moral ; elle est en revanche la forme que prend la liberté de qui est capable de n'être pas seulement agi mais au contraire est susceptible d'agir, de choisir, c'est-à-dire d'être autonome.

De la sorte on peut avancer que la moralité est intimement liée à l'humanité de l'homme, et celle-ci du rapport qu'il entretient avec l'autre. On peut ajouter que le mal, de ce point de vue, c'est précisément l'inhumanité c'est-à-dire la non-reconnaissance en l'autre de son humanité et donc la capacité que l'on aurait de le faire souffrir, de jouir de la souffrance provoquée et donc de la capacité que l'on aurait de réduire l'autre à une chose que l'on pût instrumentaliser.

La valeur, en conséquence, norme de notre action, ne saurait être considérée, dans cette perspective, comme un absolu transcendant, qui précède et viendrait normer notre être au monde ; elle est au contraire la conséquence de notre socialité, de notre capacité de reconnaître en l'autre un autre nous-même. Comme si notre humanité n'était que le fruit de notre socialité. Et notre moralité, itou.

En deçà de la réciprocité, en quelque sorte comme sa conséquence, le refus de la violence forme le second point de convergence de la valeur morale. A la notable exception de Nietzsche, qui y voit la forme même de la vie, on remarquera que la forme que prend la reconnaissance de l'humanité de l'autre est toujours l'interdit de la violence, en tout cas au moins la délégitimation de son exercice - ce dont le Décalogue qui ne fait que résumer les dix formes possibles de la violence, porte témoignage. 3

 

 

Que dit-on quand on parle de la désagrégation du monde ?

Quand Heidegger évoque le risque que cette autoproduction ne s'achève en autodestruction qui ne concerne pas que l'homme mais le monde aussi, il annonce non pas l'écologie en tant que telle mais ses préoccupations en tout cas dont la certitude que l'homme serait en train de scier la branche sur quoi il est assis.

Autre fondement d'une morale, serait sans doute de rappeler qu'en tant qu'organisme vivant, l'homme est déterminé en ses relations tant avec un milieu intérieur qu'extérieur. Que désormais nous sachions que notre activité ne laisse pas cet environnement indifférent et que même les effets que nous y produisons s'enclenchent désormais en une spirale vertigineuse montre bien que la dichotomie classique nature/culture, si elle eut jamais un sens, en tout cas désormais n'en a plus du tout. M Serres n'a pas tort de proclamer que pour la première fois la nature est entrée dans l'histoire et Girard non plus en soulignant que ce qui passait pour la preuve absolue de l'incongruité des prophéties apocalyptiques (une nature se vengeant sur l'homme de sa malignité) était désormais devenu une évidence.

Ici aussi, pourrait-on sans doute faire prévaloir la réciprocité : la violence exercée par l'homme sur la nature s'entend en terme de prédation ou de parasitage. Celui qui prend et ne donne rien, vit à califourchon sur une relation qu'insensiblement il bloque. Comme si la violence exercée sur la nature, en fin de compte s'achevait en violence exercée sur lui-même. La non-reconnaissance de l'altérité du monde, ce que parfois dans le champ scientifique, on a nommé désenchantement du monde, qui revient à une réification absolue et à ce que Heidegger appela Gestell, est sans doute la marque là encore, mais cette fois a contrario, de ce que suppose la valeur morale.

Où l'on comprend que l'humanité de l'homme ne se joue pas seulement dans la reconnaissance de l'humanité de l'autre mais plus généralement dans la reconnaissance, hors de soi, de sa conscience et de ses représentations, d'une réalité qui lui échappe mais qui le conditionne.

Dans toutes les déterminations de l'être, et dans les scissions nommées, il y a une chose à ne pas perdre de vue : si l'être s'expose lui-même comme ειδοσ et ιδεα, c'est parce qu'il est initialement ϕυσισ, perdominance décelant et s'épanouissant. L'exposé <de l'être> ne réside jamais exclusivement ni au premier chef dans <son> interprétation par la philosophie. 4

J'aime assez, je l'avoue, ce point-ci où Heidegger rejoint Kant : en même temps que celui-ci échoue à pouvoir donner à la morale une référence absolue et mesure avec exactitude les limites de l'entendement qui lui interdisent à jamais de produire de la certitude, celui-là rappelle que l'être de l'étant est toujours déjà ce qui fuit, s'échappe et nous échappe. Ce qui à sa manière est vivant de croître, s'épanouir et se révéler, ce qui jamais ne se laisse enfermer dans une quelconque représentation. Sans pour autant cesser de distinguer l'humain de la nature, on peut au moins constater cette commune exigence de réciprocité ; ce point commun par quoi l'un comme l'autre échappe toujours un peu à nos représentations.

D'où l'on peut tirer deux conséquences :

- si les valeurs prétendent fonder nos comportements et leur tracer un horizon, elles ne sauraient être hors sol. Elles tirent leur puissance, certes de la réciprocité, mais du coup aussi, de notre présence au monde. Il n'est pas de valeur morale qui tienne qui fasse l'économie de notre rapport au monde pour n'envisager que notre rapport à l'autre. En sorte qu'a un sens, l'appel à un contrat naturel après le contrat social.

- si un discours sur les valeurs peut effectivement fonctionner comme point de repère pour définir une éthique - et nous envisagions au début l'éthique politique - il ne peut être réellement discriminant qu'à la double condition de fonder la double prééminence de l'homme et du monde, sans que ni l'un ni l'autre ne puisse prendre le pas sur l'autre.

Au bilan

Tout a l'air de fonctionner comme en un cercle : nos politique se cherchent des valeurs mais ces mêmes valeurs ne peuvent se fonder que par le parti pris résolu de l'humanité de l'homme et de la réciprocité ; que sur nos propres pratiques.

Autant dire que c'est en son sein, dans la libre détermination de son projet que le politique trouvera ses valeurs qu'il croira en retour justifier la pertinence de son action. Il n'est de saine politique qu'autonome. Derrière le projet, de gauche ou de droite, il y a, oui, une représentation de l'homme, surtout une représentation de l'homme au monde.

Heidegger n'a pas tort : sitôt l'homme pensé comme un sujet, la question fondatrice, restera toujours celle de son rapport à l'autre, autre comme individu ou comme société. Coincé entre l'appel de l'individu autonome et la nécessité d'être, en face de l'autre, il devra bien choisir l'autonomie ou l'enracinement et je crois bien que c'est ce choix qui fonde la distinction d'entre droite et gauche.

 


1) Axel Kahn ds une ITV à nous accordée

2) G Bataille

3) autour de R Girard :

2 textes

Achever Clausewitz

Conférence sur Clausewitz (audio)

Violence et mimétisme (ITV vidéo)

Ce soir ou jamais : Apocalypse (ITV vidéo)

4) Heidegger, Introduction à la métaphysique

 


 

 

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