Elysées 2012

Campagne

Ce que les sondages semblent indiquer depuis quelques temps, ce que les médias commencent à percevoir, c'est bien ceci quelque chose de terriblement contradictoire, qui marque le fléchissement de l'intérêt que l'électorat manifesterait à l'égard de la campagne. Perception sinon paradoxale en tout cas ambivalente dans la mesure où, à la fois se révèle impatience et parfois colère, mais en même temps un manque d'enthousiasme qui tranche singulièrement avec celui réel de 2007 ; une déception sinon une certaine défiance à l'endroit des politique qui ne se traduit en tout cas pas (encore ? ) par de l'indifférence ni une menace d'abstention forte. Pour autant, aucun thème de campagne ne semble véritablement prendre le pas sur les autres, comme s'il n'y avait aucune ligne directrice.

Et l'impression, vaille que vaille que cette campagne esquive plutôt que n'aborde les problèmes essentiels au point que ne surnagent, dans les commentaires de la presse en tout cas, que les questions de stratégie - mais pas de politique. C'est bien en tout cas le sens de l'article de Sinclair - Morne plaine - sur le Huffington Post

D'où cet ennui que, de manière drôle et provocante,

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Cohn Bendit a dénoncé sur Europe 1 en suggérant que les grands thèmes qui font les problèmes de notre société n'auront pas été abordés, en regrettant que le PS n'adopte qu'une posture tactique et pas idéologique, en dénonçant comme Duflot que la seule position idéologique ne relève à gauche que de la nostalgie.

Comment expliquer cela ?

- la gravité de la crise, sans doute, qui ne prête ni aux grandes envolées ni à l'espérance de matins qui chantent. Les candidats principaux ne parlent que de ceinture à serrer ... pas de quoi véritablement susciter l'enthousiasme.

- une campagne trop longue : pour un Hollande, une Joly, un Bayrou elle a commencé il y a plus d'un an. Même si Sarkozy s'est déclaré tard, même dans son camp les positionnements ont débuté tôt. La lassitude ne peut pas ne pas finir par l'emporter d'autant que les sondages, depuis un an, ne laissent pas véritablement présager de surprise qui donnent tous Hollande gagnant, même avec des écarts se réduisant.

- un sentiment diffus d'impuissance qui laisse à voir que les politiques subissent plus la crise qu'ils n'en sont résolument les acteurs et que, de ce point de vue qui pourtant affecte directement l'électeur, les jeux seraient déjà faits. D'où un intérêt pour la campagne qui se délite en fin de période alors que traditionnellement il y augmente.

Paradoxes

Pourtant ce qui se joue est d'importance :

- l'éventuelle non réélection du sortant qui n'est pas rien et qui ne s'est pourtant produite qu'une seule fois en 74. Or ce n'est évidemment pas la même chose de voter pour l'un ou l'autre quand le président sortant ne se représente pas (1969, 1974, 1995) ou de ne pas réélire ce dernier (1981) ce qui prend invariablement une sanction de mandat achevé. Dans de tel cas, le choix se double invariablement d'un refus, d'une sanction, d'un désaveu qui devraient logiquement susciter mobilisation de l'électorat. Or tout a l'air de se passer comme si le principe du désaveu de Sarkozy une fois entériné, on passait ... non pas à autre chose, mais à rien !

- la fin d'un cycle économique où autant l'Europe, l'euro que la mondialisation avaient pu être présentés comme un rempart mais aussi le moyen d'un essor économique formidable mais qui se révèlent être désormais des problèmes grevant l'avenir d'autant de récession que de perte d'autonomie. Des choix seront à faire qui sont lourds de conséquence, des crises sont encore à venir qui menaceront et donne l'impression d'une fatalité aussi forte qu'en 29 et dont on peut imaginer qu'elles pourraient susciter des tentations protestataires fortes et dangereuses mais aussi des colères puissantes qui ne sauraient ne pas se traduire dans les suffrages. Comment oublier que 1929 produisit à la fois Janvier 33 à Berlin ; 36 à Madrid et à Paris ? Je ne m'étonne pas de la lecture ultra-libérale de The Economist qui y voit un déni de la réalité : on peut aussi l'interpréter comme la seule manière que l'électorat adopte d'agir sur le réel qui reste à sa portée. L'international, l'Europe, la finance nous échappent désormais ; reste le domaine propre où peut s'exprimer demain aussi bien la colère que l'indifférence ... Ce que la France va dire demain c'est son acceptation, plus soumise qu'enthousiaste, à cette société dominée par la finance ou, au contraire, son refus, plus ou moins tranché et son voeu empreint d'indignation et de colère, d'une société plus juste et plus humaine ; plus démocratique aussi.

- l'importance de l'extrême droite : c'est tout le travail entrepris par Mélenchon, surtout. Que Le Pen soit derrière et ce serait toute une période commencée en 82 à Dreux qui s'achèverait - celle d'une extrême-droite qui plombe le débat intérieur et fausse invariablement les comportements autant que les résultats électoraux. Qui redonnerait aux suffrages une lisibilité bien plus grande et pourrait marquer - au moins un Europe - un signal fort indiquant qu'il n'y a aucune fatalité à la montée de l'extrême-droite.

- une recomposition du paysage politique : c'est la loi du genre désormais, surtout depuis la synchronisation du calendrier politique (législatives dans la foulée des présidentielles ) que de voir la présidentielle rebattre les cartes pour une période donnée. Or à gauche comme à droite ceci inévitablement se produira. A droite la création de l'UMP, la tentation d'un grand parti unique de la droite avait traduit en 2002 le souhait certes de l'unité mais plus profondément de parvenir à un système hérité du modèle américain et britannique où dominerait le bipartisme. Au lieu d'une gauche composée d'un parti girondin et d'un second plus jacobin et d'une droite composée d'un camp césarien, en tout cas légitimiste et d'un camp plus orléaniste, libéral, nous avons effectivement vécu depuis 2002 une vie politique dominée par l'antagonisme entre un PS hégémonique à gauche, et une UMP peu gênée par la subsistance d'une aile centriste peu à même de s'y tailler une place. C'est cette combinatoire qui risque fort de voler en éclat demain ! La résurgence à la gauche du PS d'une éventuelle force, radicale, et non pas seulement protestataire changera la donne avec quoi invariablement il faudra composer ; à droite, il n'est pas certain que l'UMP résiste, en tout cas dans sa forme actuelle, à une éventuelle défaite : machine à gagner, et conçue comme telle, l'UMP pourrait fort bien éclater à se révéler machine à perdre - ce que les craquements et antagonismes larvaires camouflent mal.

- l'exigence démocratique : maintes fois soulignée, la régression démocratique renforcée à la fois par la prédominance de la finance internationale, la délégation conséquente de souveraineté à une Europe dont on perçoit mal la dimension démocratique et la logique libérale qui pousse au plus fort à l'affaissement de l'Etat et sa réclusion en ses seules prérogatives régaliennes, oui, cette régression démocratique heurte de front la tradition politique française. Cette exigence se sera manifestée au moins deux fois depuis quinze ans : en 97, quand l'électorat renvoya la majorité chiraquienne qui lui intimait la nécessité de se soumettre à une mondialisation inéluctable ; le référendum de 2005, évidemment. Que la négociation du traité de Lisbonne ait abouti au contournement de la volonté populaire n'a manifestement pas été oublié, qui illustre trop parfaitement cette logique libérale qui répète à satiété qu'il n'y a pas d'autre solution. Et ce n'est certainement pas un hasard si Mélenchon rappelle dans chacun de ses meetings le précédent de 2005 qui est effectivement un cas d'école. La reprise en main par le peuple de son propre destin, l'exigence d'une souveraineté restaurée est tellement au creux de notre tradition républicaine que je ne la vois pas ne pas se manifester demain. A ce titre encore, et il n'est pas anodin, que Le Pen passe derrière Mélenchon demain, serait un signe politique fort qui non seulement disqualifierait le vote fasciste mais aussi manifesterait cette exigence démocratique plutôt que simplement un vote protestataire. Que d'ailleurs, assez cyniquement du reste, Sarkozy surfe avec sa menace de sortir de Schengen, sur la même vague est révélateur d'un mouvement de fond : a-t-on assez remarqué d'ailleurs que celui qui jusqu'en janvier s'adossait sur Merckel, subitement l'escamote au risque d'encourir son ire ?

- l'impératif écologique étonnamment absent de cette campagne, qui me semble en traduire le grand raté. Moins le fait d'E Joly qui n'y peut mais, même si des erreurs stratégiques ont vraisemblablement été commises que celui de la chape de plomb de la crise financière qui l'aura escamotée durablement au même titre d'ailleurs que le duel trop attendu entre Hollande et Sarkozy, l'incapacité même des candidats à placer l'exigence environnementale au coeur de leurs programmes révèle une incapacité à penser l'urgence et à ne pas retraduire classiquement les problèmes dans des logiciels définitivement dépassés par l'urgence des périls. Il suffit de se souvenir comment en 2007 les candidats se furent empressés, non sans quelque hypocrisie, à signer le pacte de Hulot et de comparer ceci au silence sidéral de cette campagne pour mesurer la régression ... Or le problème reste entier qui ne manquera pas demain de nous éclater à la figure.

Elections à surprises ?

Nous l'avons écrit très tôt : ces élections pourraient fort bien se révéler surprenantes. Il faut désormais poser les quelques données qui mériteront au soir du 22 avril d'être scrutées à la loupe.

- le taux d'abstention : il devrait pouvoir révéler, selon les cas, la dose de révolte ou de lassitude. Les commentateurs s'attendent à une participation qui se situerait entre celle, faible, de 2002 et celle, plutôt forte, de 2007. Plus la participation sera forte mieux elle marquera l'exigence de radicalité ou en tout cas la conscience d'enjeux cruciaux à venir. Moins elle le sera et plus ce serait une victoire, par défaut, du fatalisme qui nourrit si souvent les colères à venir mais en même temps les régressions démocratiques.

- l'étiage du vote Front de Gauche : il semble bien - tous les récents sondages l'attestent - qu'il a le vent en poupe. Tout ce qui sera au-delà de 13% marquera, par rapport aux élections précédentes, une progression, de l'exigence radicale. En deçà ce ne sera que le regroupement des voix classiques du PC et de l'extrême-gauche. Tout le monde s'accorde encore pour souligner que ce pays est conservateur même s'il est capable de nourrir quelque prurit révolutionnaire dans ses grands moments de colère (relire encore une fois ces pages éclairantes d'Attali à propos de 81). L'analyse relève peut-être du cliché. Beaucoup s'accordent à trouver dans l'envolée du Front de gauche quelque chose de ce conservatisme pour ce qu'il serait la nostalgique resucée des années 70 ! J'y vois au contraire bien autre chose, d'ambivalent, assurément, mais pas conservateur voire réactionnaire : la seule conscience de lourdes transformations à venir qu'il faudra bien entreprendre, prévoir et préparer et que presque rien dans les programmes ne l'annonce ou ne s'y prête ; quelque chose comme le désir de préparer un avenir qui n'insulte pas notre passé et notamment pas nos racines républicaines et ce vieux rêve d'égalité.

- l'étiage du vote Front National : il dira, ou non, la conscience politique des périls et l'engagement résolu dans la refonte de nos sociétés. Outre la menace démocratique qu'un fort score de l'extrême-droite fait toujours peser, c'est bien plutôt ici qu'il faudrait y voir, dans la réaction passive, protestataire et négative qu'il implique, la résurgence folle d'un conservatisme étriqué. L'histoire ne se répète jamais, c'est vrai, mais quand même : n'oublier jamais que quatre années seulement après 36, ce fut Vichy et la si désagréable morgue d'une droite veule, revancharde.

La France est un vieux pays démocratique et la maturité de son peuple est réelle qui a toujours su, dans les périodes récentes, moduler le message qu'elle avait à transmettre. Se souvenir, par exemple, que l'ample victoire de de Gaulle en 65 n'empêcha pas la si courte victoire un an après, en mars 67 ( une seule voix de majorité ; qu'après la réélection de Mitterrand en 88, il ne lui donna pas la majorité absolue à la Chambre, comme pour mieux signaler que 88 n'était pas 81. Que les législatives de 2007 ont certes donné une majorité à Sarkozy fraîchement élu, mais n'ont pas laminé pour autant la gauche ... Je ne serais pas étonné que, quelque soit l'issue du 6 mai, les législatives qui suivront marqueront d'autres modulations sinon surprises.


voir notamment LH2 mais aussi CSA mais encore Harris

voir séance de clôture du Forum de Rennes

1) qu'une L Parisot voie en Mélenchon l'héritier d'une forme de terreur a de ce point de vue quelque chose de réjouissant : que les classes possédantes et dirigeantes commencent à s'inquiéter n'est qu'un juste retour des choses dont elle devront bien demain tenir compte car ne pas le faire, mais c'est aussi vrai pour le PS, serait non seulement une erreur mais surtout une faute politique.

Le programme de Jean-Luc Mélenchon est un programme qui installerait une modalité de contrôle de l'économie et pas seulement de l'économie, peut-être comme on n'en a jamais vu (...) l y a aussi des phases dans les révolutions qui sont terribles. Je trouve que Mélenchon est beaucoup plus l'héritier d'une forme de Terreur que l'héritier des plus belles valeurs de la Révolution (...) Il y a des moments où la démagogie flatte des choses tout-à-fait détestables et c'est comme ça que les choses deviennent ensuite incontrôlables, non maîtrisables