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Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Comme des soleils révolus

 

Savons-nous encore la différence qui grève le charme d'un coucher de soleil de l'incroyable nostalgie qui nous empèse devant ceux-là qui sont révolus ? Qui nous ramènent à nos soupirs, désarrois autant qu'à nos sentiments prompts à éclater.

Nous ne jurons ainsi que par nos amours embellies et poursuivies tels des rêves où s'attarder pesamment de peur qu'ils ne s'achèvent mal. Qui pourtant, le plus souvent s'épuisent avant même que nous ne le percevions mais que nous consentons si maladroitement à conclure qu'à la fin, elles ressemblent à nos plus impardonnables échecs. Nous supportons cette sphère rougeâtre qui se joue de l'horizon parce que nous savons que demain elle réapparaîtra, fidèle aux prévisions, là-bas, de l'autre côté. Ce qui tourne ainsi sempiternellement peut, à l'occasion, nous angoisser mais recèle pourtant des trésors de consolations.

D'entre ces deux écueils, nous nous insinuons, ballottés, manquant cent fois de chuter mais nous relevant, de plus en plus mal pourtant, avant de ne le même plus désirer. Les anciens avaient imaginé ce détroit où d'entre Charibde et Scylla, il nous faudrait cheminer sans plus être engloutis par l'une que pourfendus par les cris de l'autre : tels nous sommes, déchirés entre l'impossible ascension d'une paroi lisse d'autant plus fièrement dressée qu'elle n'offre aucune aspérité d'où la saisir, et la spirale vertigineuse et fatale qui aspire dans le gouffre épais et noir.

Nos révolutions racontent la même histoire, qui se piquent d'être des ruptures quand en réalité elles se contentent de refermer l'orbe et regagner leur point de départ. Serait-il seulement un de nos chemins qui n'hésiterait pas d'entre la ligne et la courbe en prenant l'une pour l'autre, en contrefaisant l'autre croyant emprunter l'une ? Il n'est pas vrai que vivre avilisse : tout au plus est-ce nous qui, souvent, dérogeons plutôt à la dignité de l'existence. Mais même de ceci je ne suis pas certain. Sachant à peine d'où nous venons, ignorant totalement où nous nous rendons, comment se pourrait-il être pour nous souillure ou exhaussement ? Les grandes histoires débutent souvent dans le désert et l'errance du désert, et je gage qu'à l'instar du prophète, l'entrée nous en demeure interdite. Nous n'en avons pas fini encore avec notre préhistoire.

Sénèque n'avait pas tort de suggérer qu'il ne soit pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va. Il serait ridicule de nous rengorger de fierté, absurde de nous mortifier.

C'est bien ainsi que nous vivons : comme des pèlerins, épuisés, perclus et hagards gardant l'obsession pourtant d'un scintillement, là-bas du côté de l'horizon.

A tort ?