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Temps d'écran

Un amusant - quoique étonnant article - dans Le Monde intitulé « Papa, il est la moitié du temps sur son téléphone » se demandant si par hasard les adultes ne donnaient pas le mauvais exemple.

Il est certain en tout cas - je le réalise à la mesure de mes promenades, photographies et portraits que je puis prendre - que le smartphone puisque c'est ainsi qu'on nomme la chose aura envahi en un peu plus de vingt ans non seulement notre espace mais également notre temps.

Je n'aurais pas de mal à dénicher spectacle paradoxal de supposée convivialité où personne ne se regarde ni ne se parle tout rivés que demeurent les protagonistes sur leurs écrans respectifs.

Mais n'est-ce pas se tromper - et risquer de tout confondre - que de ne pas distinguer écran consulté pour vérifier ses messages, son actualité sur un quelconque réseau social, un plan pour s'orienter, voire une musique que l'on choisit d'entendre ? Même si, dans tous les cas de figure, il s'agira identiquement de rompre une relation physique, un dialogue ou de s'en prémunir et isoler.

Comment être certain, pour autant, de ne pas sombrer dans ces acrimonieuses rengaines de vieux ronchons cédant paresseusement au c'était mieux avant ? Comment ne pas tomber dans ce même type d'erreurs que celle d'un Socrate condamnant l'écriture pour ce qu'elle fût pensée morte, manufacturée, impropre à se défendre ou dialoguer …? Reproches pas si éloignés de ce qu'on aura en son temps fustigé dans les productions informatiques …

Cessons en tout cas de nous en prendre au facteur pour les mauvaises nouvelles qu'il nous porte ; de nous tromper de cible : l'écran n'est qu'un outil qui se contente de pointer nos paresses, nos indisponibilités ; nos peurs sans doute.

Il m'arrive de songer qu'en sus nous nous trompons aussi de diagnostic : nous sommes peut-être moins dans une civilisation de l'image que dans une culture bavarde jusqu'à l'épuisement. Qui n'a pas observé - et ce parfois dès pôtron minet - nos voisins de métro, de bus ou seulement les passants tout en marchant, engager conversations passionnée pour indiquer à leur interlocuteur où ils sont, vont, donner d'ultimes consignes aux enfants, mentir voire rompre avec son conjoint …

Que votre parole soit oui, oui, non, non; ce qu'on y ajoute vient du malin. (Mt 5, 37 ) S'en tiendrait-on à ce seul verset, le diable serait omniprésent mais après tout ne dit-on pas qu'il se niche dans les détails ?

Je lisais autrefois - et la chose m'avait alors vivement impressionné que si l'on se plaçait à bonne distance - celle prescrite par la vitesse de la lumière - l'on pourrait assister en direct à la naissance du Christ. L'idée que l'on puisse ainsi, en jouant sur l'espace, remonter le temps était en elle-même fascinante ; tout autant est troublante celle amenant à penser que cet espace n'était peut-être pas si opaque que cela quand même continuerait-on à le voir tellement sombre qu'on conçoit mal qu'aucune lumière l'eût jamais traversé.

Mais peut-être nous trompons-nous encore ! Imaginons nous parler à bonne distance, celle prescrite par la vitesse du son ; imaginons nous parvenir à nous hisser à cette distance même incommensurable où pourrait se jucher un dieu, que percevrions-nous alors sinon un brouhaha immense, celui, infini, cosmique; de nos bavardages incessants autant que de nos rares dialogues.

Je comprends l'effroi de Pascal devant les espaces infinis mais diantre qu'il s'est trompé : de silence éternel il n'y eut jamais ! Je comprends mieux que fût arasée la tour de Babel et dispersée cette humanité.