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Je ne serais pas arrivée là si…
… Si ma mère m’avait aimée

 

Incroyable histoire que celle racontée par Irène Frain dans cette excellente série d'articles du Monde.

Où l'on voit un parcours devenu possible quand tout semblait l'interdire : les conditions sociales plus que précaires de cette agriculture bretonne de l'immédiat avant puis après-guerre mais la cruauté encore d'une famille dysfonctionnelle.

Série de rencontres, de hasards, d'aides et de reconnaissances qui firent, de cette petite fille reléguée dans son grenier où elle devait ne surtout pas faire de bruit mais où elle apprit aussi à rêver et se perdre et trouver dans ses lectures, une brillante lycéenne partie pour Paris réussir l'agrégation et où , par chance ou par destin, elle fut encouragée à écrire ce que par talent et vocation puisée au noir de l'enfance, elle réussit.

D'ordinaire - et c'est en ceci que sa parole détonne et épate - ceux qui témoignent le font en reconnaissance d'une enfance réussie ou bien au contraire, comme en creux, en pointant l'absence d'une mère ou d'un père, ou pire encore, leur indifférence. Non pour s'en plaindre mais pour comprendre et souffrir de n'y parvenir jamais vraiment.

Ici, non !

Il y a du Folcoche en cette mère qui ne parvient pas à aimer sa fille. Elle ne semble pourtant ni lui en vouloir ni le lui reprocher : Ma mère ne m’aimait pas et c’était son droit, déclare-t-elle. Ni en souffrir exagérément ! en tout cas elle s'interdit ici de l'écrire.

Comment se construire à partir du rejet des siens ? Peut-on exister quand tout et tous semblent vous en contester la possibilité. Apparemment oui ! Cette jeune enfant semble appliquer à la lettre la leçon dialectique de Hegel en niant toute épaisseur à cette réalité qui la nie.

Je n'ai pas à juger ; je ne le saurais jamais moi qui vécus une enfance qui sut m'accueillir. Je l'ai écrit à mon tour, tout ce que je dois à mes parents, la puissance de leur regard bienveillant et la certitude qu'ils ne jugeraient jamais. Je peux seulement deviner, pour le voir autour de moi, ce que la défaillance d'une mère peut susciter d'épreuves, de douleurs ; de désastres.

Embellit-elle un peu son récit ? J'imagine que par générosité elle aura su taire les noirceurs les plus épaisses ; par pudeur, les errances les plus douloureuses.

Elle ne reproche rien à sa mère ; l'évoque comme on le ferait d'une étrangère et semble ainsi vouloir en rester aux faits. A la froide objectivité à distance de quoi elle se maintient. Je devine l'extrême tension qui lui fut nécessaire pour y parvenir. Ce qu'elle appelle curieusement fictionner, cet étrange doublon qu'est la re-présentation - qu'elle soit théorique, scientifique ou artistique - ce que Duras nomme une autre vision du réel fut sans conteste sa manière de s'échapper ; sa façon de se trouver

J'aime pourtant que l'art, ici l'écriture, la fiction, y aient leur part.

Car Nietzsche se trompe : jamais l'écriture ou la pensée ne sont des facilités que par paresse l'on s'accorderait, ou des fuites à quoi par faiblesse l'on consent. Mais un chemin escarpé.

Mais un chemin de vie.