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St Germain l'Auxerrois

 

 

En face du Louvre comme pour s'enticher de faire contre-poids au pouvoir royal, à côté de la mairie du Ie arrondissement qu'on lui adossera au milieu du XIXe pour éviter qu'on ne la détruise comme il en fut maintes fois le projet, c'est une des plus vieilles églises de Paris, paroisse des monarques mais celle aussi des artistes : c'est ici notamment que se maria Molière mais aussi Danton et que furent enterrés Malherbe mais aussi Chardin sans compter d'innombrables hommes de pouvoir. La chronique veut que le signal du massacre de la Saint Barthélémy fut donné par une de ses cloches.

Il n'y a jamais loin décidément entre sabre et goupillon. Jamais assez loin.

Cet après midi-là, peu de monde mais l'air quoique plus frais qu'à l'extérieur, m'étouffa vite - masques obligent.

Pourtant là, où l'on fût plutôt accoutumé d'observer vieilles dames raccornies de pieux préjugés, empesées de plus de regrets que d'espérances, un jeune homme. En prières.

En d'autres époques je m'en fusse amusé comme de ce vélocipédique ecclésiastique qui raviva mes sarcasmes anti-cléricaux ; il se contenta de me déranger. Quelque chose dans l'ostentation du recueillement, sans doute …

Mais toi, quand tu pries, entre dans ta chambre ; et ayant fermé ta porte, prie ton Père qui est là dans le secret ; et ton Père qui voit dans le secret, te le rendra. Mt, 6, 6

D'où tiens-je que la prière que chez les miens on nommait plutôt recueillement - comme s'il s'agissait de rassembler ce qui en soi fût bousculé et éparpillé par les soubresauts quotidiens - dût être solitaire, discrète ; intime ? Je n'ai pas souvenir qu'on me le dît jamais mais d'aussi loin que je me souvienne je me serai toujours écarté des sarabandes mises en scène par les puissants du moment.

D'où tiens-je qu'on n'y demande rien mais rende plutôt grâce - ou le tenter - de qui et de ce qui se présente comme s'il n'était pas d'autre silence à offrir à l'être que ce Sois ! qui nous oblige et emporte ?

Je n'ai pas à juger de ce qui l'entraîne ici à s'agenouiller ; je puis seulement croquer ce qui de la vêture négligée heurte la posture repliée et apparemment humble que seul semble imperceptiblement démentir un regard biaisé déjà bien éloigné des reliques pies. Je puis juste mesurer combien la désinvolture peut autant être affaire de négligence autant que de puissance aimablement hautaine.

Celui-ci, un Alligre, a, certes, la vêture distinguée qu'impose son rang de chancelier, le livre à la main qui le distingue à jamais du vulgum mais aussi cette posture presque lascive qui heurte la ferveur de ce lieu et tranche singulièrement avec la posture de son fils également enterré en ce lieu ; voici marque de cette noblesse qui se croyant tout se piqua souvent de ne respecter rien.

C'est toute la magie des églises d'être ainsi à la fois des livres ouverts, des lieux publics de rencontres et parfois de disputes et des lieux de prières.

Cette magie réussit-elle ? Pas toujours ! parfois pourtant.

Ces lieux enferment, dans leurs pierres autant que par leurs ombres, bien plus dans le silence des chapelles que par les bruissements des orgues ou le flamboyant des ors ou même la mystique poussiéreuse des reliques, un passé qui n'est plus, des hommes qui s'y déchirèrent ou s'unirent ; des idées, des rêves, des désirs consentis ou avoués bien plus empesés d'un autrefois qui y résonne que d'un présent qui peine à se trouver.

Ici l'esprit manque qui y souffle malaisément à moins que je n'y sois sourd … mais non ! le brouhaha des hommes l'aura recouvert depuis longtemps.

Mais c'est une musique quand même, moins quiète que dramatique. Elle a seulement le rythme saccadé et incertain, répétitif jusqu'à la nausée, de nos petites histoires …

Elle ressemble assez bien, pour cela, à l'époque de celui à qui elle fut consacré : ce Germain, contemporain d'Augustin. Au creuset de tous les basculements, à la croisée d'une Antiquité qui ne se ressemble déjà plus et d'un Moyen-Age qui s'ignore. Ce sera la dignité de tous ces hommes, avec toute la raideur scrupuleuse de cette Eglise qu'ils érigèrent à mesure qu'elle les protégeait, d'assurer la transition, d'assumer la transmission.

Nous ne serions rien sans eux - ou tout autres - même si nous nous agaçons parfois de leurs dogmatisme et intransigeance et répugnons à la cruauté qui fut trop souvent leur.