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Etrange

Oui, vraiment étrange cette polémique autour de Delon à l'occasion de la palme d'Honneur qu'il doit recevoir à Cannes. Qui laisse à penser que l'offensive morale n'en est encore qu'à ses tout débuts. L'offensive ici vient des USA - où le recul du droit à l'avortement sous la pression de la droite religieuse vient l'illustrer. A l'origine, un groupe de femmes dénonçant les positions de Delon sur le droit à l'adoption des gays ou sur le sort des immigrés. A priori rien à voir avec la droite radicale.

On peut n'y voir que le goût obsessionnel de la polémique et se dire que c'est l'acteur que l'on va célébrer à qui l'on n'a rien à reprocher ; aucun acte ; jusque quelques paroles ou prises de position politiques peu dans l'air aseptisé de l'époque. Que le festival de Cannes, espace médiatique et people par excellence, est ainsi le lieu idéal pour ce type de polémiques.

Quel rapport entre ces indignations de bon ton et ces remugles ultra-conservatrices ? Aucun, vraiment ?

Et pourtant !

La même pulsion à donner des leçons ; à dire ce qui est bienséant de penser ; correct de faire.

Combien peu de temps sépare la résurgence de la question morale de ce moralisme sourcilleux, acariâtre, inquisitorial ?

Rien n'est plus justifié que la question de ce que vaut - pèse - ce que nous faisons et pensons. Question d'autant plus légitime qu'il n'est pas de pensée affirmée qui ne sous-entende en même temps ce que je dis ou écris je pense que c'est vrai ! Il n'est pas de geste non plus qui ne sous-entende une évaluation préalable, souvent implicite, parfois explicitée. Autant dire que nous n'échappons pas au jugement et, sans doute, importe-t-il d'en être acteur conscient et volontaire. Mais alors pourquoi cette gêne ?

Il y va de la morale comme du jugement dont celle-là n'est jamais qu'une forme possible. Incontournable et pourtant si vite insupportable.

Nietzsche n'avait sans doute pas tort d'y voir un symptôme de faible cherchant dans les valeurs de quoi se consoler d'un monde trop contradictoire, de quoi imposer à l'autre sa propre représentation. La moralité est affaire intérieure pour ne pas dire intime : elle est orientation sinon conversion de l'âme. N'a en conséquence nul besoin d'un code rigide imposé de l'extérieur. Le faible, oui, pour contenir des pulsions contraires. Freud, à sa façon, ne dit rien d'autre : bien sûr, le surmoi est une intériorisation des interdits extérieurs. D'où, au reste, les normes pourraient-elles provenir d'autre ? Mais cette moralité est affaire intérieure. Cesse-t-elle de l'être que sonne déjà la défaite. Le criminel tient eut compte de la loi qui lui interdit de tuer ; l'homme vertueux n'en a pas besoin.

C'est bien ainsi qu'il faut entendre ces ligues de vertu, diverses et variées, qui ne font, finalement, que prendre la succession des rigides officines bien pensantes d'autrefois ! La moralité publique que l'on cherche à défendre, tôt ou tard, s'érige en contrôle des âmes. Depuis le gouvernement de Broglie, aux tout débuts de la IIIe, en passant par Vichy, et, il y a cinquante ans, la ridicule candidature de Royer qui se sera laissé enfermé dans sa lutte contre le porno et les grandes surfaces, on sait de quoi il retourne quand le politique se saisit de la morale. Mais il ne vaut guère mieux quand la morale tente l'effraction en politique.

On aura beau, en philosophie, vouloir traiter ensemble philosophie morale et politique ; on a raison de penser qu'il ne saurait y avoir de projet politique d'envergure qui ne comportât de conception de l'homme et donc de morale autant que de métaphysique, on ne fera pas que la politique puisse être autre chose que le gouvernement des choses. Qu'elle ne s'aventure pas à vouloir gouverner les âmes : c'est à ce moment précis que commence les tyrannies, les dictatures ; les totalitarismes.

 

Pour ma part, je n'ai jamais eu pour cet acteur de prédilection particulière : il y avait assurément chez lui dans cette virilité tapageuse et fatale quelque chose de répétitif et d'orgueilleux qui me lassait. J'eus à certains moments l'impression même qu'il fût mauvais acteur de jouer toujours le même rôle : il faut dire qu'aux détours des années 70 et 80 il se sera surtout partager entre le flic acariâtre et le voyou ombrageux. Deux films m'en firent raviser : M Klein où il joue à merveille l’ambiguïté de ce pilleur de biens juifs pris soudainement au piège de son nom et Un amour de Swann où en baron de Charlus, il contrefait avec élégance la vieille folle sophistiquée : je garde le souvenir épaté de cette scène où, montant les escaliers de la duchesse de Guermantes il ausculte avec plaisir matois les allures éphèbes des laquais en livrée. Oui cet homme est un grand acteur.

Alors, oui, il agace. Oui, il entre à ce point dans la stature de la diva qu'il en épouse toutes les afféteries - notamment de parler de lui à la troisième personne. Mais ce qu'il dit du métier d'acteur, notamment dans cet ITV de 84 est juste. Oui, ses positions peuvent heurter ! mais quoi c'est l'acteur qui nous concerne ; pas l'homme privé. Ses opinions, pour détestables qu'elles puissent paraître n'engagent que lui d'autant qu'elles ne se soldent d'aucun acte répréhensible ; d'autant qu'elles relèvent de la provocation.

Alors que se taisent ces dames patronnesses de la pensée !