Bloc-Notes 2018
index précédent suivant

Accueil ->bloc-notes->2015

- >2016

-> 2017

De Deo De ecclesia De fidei

Autour de la lecture du Ce que je crois de Mauriac

De deo

de quoi ne parle-t-on pas ? de quoi parle-t-on ? ce qu'il faut pudiquement taire de la pudeur de la prière de quoi devrait-on parler
la rencontre Nicodème/Jésus la conversion de Paul Mémorial de Pascal Confessions St Augustin    

Toujours à propos - ou à cause - de F Mauriac …

 

de quoi ne parle-t-on pas ?

Bigre ! écrire sur un tel sujet en suis-je seulement capable ? Mais est-ce seulement un sujet ? Si c'en est un alors c'est LE sujet et il n'en est pas d'autre qui importe ! et sans doute le seul qu'on ne puisse esquiver.

Et puis quoi, de quoi parlons-nous ? D'une causalité suprême qui justifierait du monde ? Et donc de λόγος ? ou bien de cette présence que tantôt j'augure tantôt j'égare mais que toujours je devine ? et donc d'être ?

Comment l'entends-je ? parfois comme de ces tonitruantes parousies telle le Wachet und betet mais parfois aussi comme de ces si intimes mélopées avec quoi Bach sait seul m'ébranler ...

Comment le vois-je ? Comme un monarque médiéval à qui l'on devrait tout et d'abord obéissance et soumission, respect et reconnaissance ou comme un aimable vieillard prompt au pardon ? Comme une céleste autorité à la fois pourfendeur de toutes les injustices et protecteur des faibles ou comme une sourcilleuse et parfois colérique puissance ?

Tout ceci serait ridicule si ne versait pas du côté de la seule et angoissante aporie : quand on parle de Dieu en réalité on ne sait jamais de quoi ou de qui on parle ! ou que, plus exactement, entre lui et nous, d'infinies représentations se fussent déjà intercalées qui ne nous le feraient imaginer qu'au travers du doigt pointé de Michel-Ange, ou le corps mortifié de son Fils ! Voici ce qui en hébreu se conçoit bien : YHWH ne se prononce pas et correspond si bien au commandement interdisant de prononcer en vain le nom de Dieu. Au reste comment l'infini, par excellence, pourrait-il entrer dans le fini des mots ? Il est ce qui ne se délimite pas ni donc ne se peut définir. L'inconcevable ; l'indémontrable. Il faudra attendre Kant pour démontrer cette impossibilité-là et ainsi les limites de la raison. Les textes l'avaient suggéré pourtant qui d'emblée soulignait que Dieu ne se pouvait ni voir sans être aveuglé ; ni nommer, lui qui répond par une boutade à la question que Moïse lui pose sur son nom (Rc,3, 14)

En somme, évoquer son nom c'est s'offrir le luxe - ou le danger - de tout et n'importe quoi :

Au fond, la seule dimension intéressante ici est de comprendre ce que signifie pour soi Dieu ; d'y croire ou de le récuser. Tout le reste relève de la philosophie ou de la métaphysique ; pas même des sciences ; de moralité mais souvent douteuse parce que fermée ; d'histoire ou d'anthropologie … Ce n'est pas ici mon propos.

Je veux juste reprendre le propos de Mauriac et tâcher de comprendre, à partir de ce qu'il a bien voulu confesser de son sentiment d'être chrétien et de le vouloir rester, ce que croire en Dieu peut signifier.

C'est assez dire que, dans mon esprit, proclamer sa foi mais persévérer nonobstant dans un mode de vie qui lui resterait étanche, n'aurait pas de sens ; que cette présence de Dieu me semble ne devoir prendre que des couleurs intimes, presque secrètes. C'est pour cela qu'il est si difficile de l'évoquer puisqu'il ne se donne qu'à travers le prime de représentations pluri-séculaires qui nous imprègnent de quelque culture, religion, histoire et passions nos origines s'enracinent.

Retour à Mauriac : de quoi parle-t-on ?

retour

Je trouve à cet égard tout à fait révélateur que, dans ce troisième chapitre du Ce que Je crois, pour y parvenir, pour se prouver à lui-même plus qu'à ses lecteurs, que sa croyance à Dieu n'est pas seulement le fruit d'une habitude infantile ou d'une éducation bien corsetée, Mauriac soit contraint de faire référence à un passage plutôt long, plutôt qu'une citation : l'entretien de Nicodème et du Christ. (Jn, 3, 1-21) Mauriac n'y fait pas seulement référence, il le cite dans sa presque totalité : on ne saurait considérer ceci comme un simple artifice littéraire ou une facilité d'auteur. Le passage mérite donc d'être entendu pas à pas.

Le chapitre s'intitule le mystère accepté et refusé : le mot lui-même est intéressant qui avant de désigner ce qui est caché, renvoie à des cérémonies, des rites secrets réservés à des initiés. Voici toute l'essence des Évangiles, de cette Bonne Nouvelle annoncée : le judaïsme avait inauguré déjà cette démarche, alors insolite, d'un Dieu qui prît l'initiative de la Parole via ses prophètes. Le rituel n'est plus alors une transe, une extase que l'on cherche ou un sacrifice que l'on consent au divin pour obtenir quelque chose de lui ; il devient au contraire une réponse en signe de reconnaissance, la réplique du dialogue en quelque sorte. Ici, la Parole est révélée directement par le Fils. Voici la seconde caractéristique de la révélation : elle n'est pas entendue ; même refusée et cela se traduira, à la fin, par la crucifixion du Messager.

De quoi parle-t-on ? D'un invraisemblable refus ! d'un déni ravageur qui aura représenté pour les grecs comme pour les latins la preuve absolue d'une fausse religion : qu'un dieu puisse être à ce point faible que non seulement il n'est pas écouté, pas obéi mais même, à la fin, assassiné voilà qui ne pouvait que leur être inconcevable.

Ce Nicodème à qui je devais ressembler dans mon enfance questionneuse, car que de fois me suis-je entendu dire : « Quel Nicodème tu es ! » ce Nicodème, ce nigaud, ce docteur en Israël a pourtant entendu, touchant le Mystère, la réponse qui n'en souffre aucune autre.
Mauriac

Mais écrire ceci revient à engager le versant le plus général, théorique ou si l'on préfère théologique, de la relation homme/Dieu une relation qu'on devrait plutôt transcrire ainsi homme <- Dieu tant elle paraît unilatérale. Vue du côté de Mauriac, la personnalité de Nicodème est symptomatique surtout de l'esprit rétif, rebelle, de l'enfant chagrin, de celui qui ne comprend pas ou fait semblant, pour se faire remarquer ou simplement par crainte de se faire embarquer dans une histoire où il n'aurait qu'à obéir.

Car il est écrit : Je perdrai la sagesse des sages, et j'anéantirai l'intelligence des intelligents.
Où est le sage ? où le scribe ? où le disputeur de ce siècle ? Dieu n'a-t-il pas rendu folle la sagesse du monde ?
Car puisque, dans la sagesse de Dieu, le monde n'a point connu Dieu par la sagesse, il a plu à Dieu de sauver, par la folie de la prédication, les croyants.
Et tandis que les Juifs demandent des signes, et que les Grecs cherchent la sagesse,
nous, nous prêchons Christ crucifié, scandale pour les Juifs, et folie pour les païens ;
mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, ce Christ est la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu.
Parce que la folie de Dieu est plus sage que les hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes.
1,Cor, 20

Il y a bien sûr chez Nicodème ce docteur en Israël, ce savant, ce docte qui s'avère finalement ne rien savoir, ne rien comprendre qui fait écrire à Mauriac, en exergue de son opuscule ce livre ne s’adresse ni aux savants, ni aux philosophes, ni aux théologiens ; qui avait fait écrire j'anéantirai l'intelligence des intelligents. Il y a cette même opposition classique et parfois bien commode entre raison et foi qui fait proclamer credo quia absurdum !

Mais ce n'est pas ceci qui importe mais la triple référence de la Révélation sous la forme de l'éblouissement, de la Lumière qui vous saisit et interpelle : Nicodème ; Paul et enfin Pascal. Cet éblouissement n'est pas le même que celui évoqué par Platon, même si identiquement, il produit d'abord gêne, réticence, doute mais aussi brutale bifurcation : il s'agit ici d'un don, d'une grâce et non d'une configuration de l'être. C'est ce don qui hante Mauriac, que l'infini se penche jusqu'à lui, jusqu'à l'innombrable myriade d'âmes éparpillées et continue de se donner en dépit des rebuffades, dénégations et violence, voici ce qui le confirme en sa foi. D'où l'insistance sur l'Eucharistie ; sur Pâques.

Comment ai-Je pu renaître ? » Oui, comment cela a-t-il pu se faire ? C'est par cette porte qu'un chrétien de mon espèce pénètre dans le mystère de l' Agneau immolé. Nos péchés sont remis parce qu'un autre les assume. Ils auraient pu être remis, certes, sans l'immolation de l' Agneau, car tout est possible à Dieu. Mais saint Jean nous l'atteste : « Dieu est amour » et « Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie », le Seigneur lui-même nous le dit. La croix se dresse au point de rencontre de ces deux paroles.
Mauriac p 58

Je sais que c'est ici que réside l'écart majeur qui me sépare de ce genre de spiritualité : non pas à cause de l'indigente controverse parpaillote sur le est ou représente dans l'expression ceci est (représente) mon sang, mon corps ; pas même pour la part d'absurdité que ceci comporte ; mais pour l'immense orgueil que trahit cette doctrine du Salut, doctrine qui voudrait précisément qu'Etre et Verbe se donnassent en réponse exacte au refus violent qui fut opposé.

Vanité sidérale que d'imaginer que si Dieu il y a, il n'ait pas d'autre souci que de nous complaire, nous aider, nous pardonner ; vanité infecte que d'inverser ainsi la relation au point de concevoir une divinité toute à notre service ; où enfin faute comme culpabilité seraient la seule et nécessaire justification d'un amour-pardon divin.

J'ai l'esprit ainsi fait que je trouve une satisfaction profonde à cet incroyable abaissement de l'Etre infini, à cette absorption du créateur par la créature.
p 36

J'y vois une curieuse complexion de l'âme ; une étonnante inversion de la relation qu'un Hegel avec sa dialectique n'eût certainement pas réprouvée, où insidieusement le Seigneur se mit au service de ses créatures ; pour tout dire une perversion qui me tient définitivement éloigné sinon de l’Être en tout cas de toutes les églises qui parasitent plus qu'elles ne servent. J'y reviendrai !

Ma - naïve ou entêtée - obsession à n'admettre jamais divin qui ne soit à hauteur et dignité et à soupçonner quelque lâcheté ou paresse derrière quiconque se rengorgerait de foi sans l'inscrire jamais dans le dédale de ses actes, de ses pensées et de ses intentions, m' amène à me poser la seule question qui vaille et puisse donner un contenu à cette relation avec le divin : qu'attend-il de moi ?

Maître, quel est le grand commandement dans la loi ? Il lui dit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, et de toute ton âme, et de toute ta pensée. C'est là le grand et le premier commandement. Un second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. 39 40 De ces deux commandements dépend la loi entière, ainsi que les prophètes.
Mt, 22, 36-41

La réponse m'a toujours semblé résider dans la belle page du Sermon sur la Montagne (Mt, 5, 1-17) ou ici qui le synthétise. Comment ne pas voir que tout se résume dans ce seul terme - aimer - pas si aisé à décrypter d'autant qu'il s'agit bien de ἀγαπάω et non de φιλεω. J'ai déjà consacré quelques pages à aimer et notamment à la différence entre ces deux termes - même si j'admets qu'il est cuistre de se citer soi-même. Il y a dans l'agapè quelque chose de plus, qui dépasse la simple inclination que l'on peut avoir pour l'autre ; quelque chose qui relève de la générosité assurément, du don qui n'appelle pas spécialement de renvoi même s'il n'est pas de relation qui se puisse tenir sans réciprocité - sauf peut-être dans le cas de Dieu - mais c'est alors mettre l'accent où la plaie bée le plus : le chrétien semblant attendre tout de Dieu sans vouloir ou pouvoir lui rendre grand chose d'autre que sa culpabilité à étancher.

Aimer Dieu, si je suis ce texte, ce qui engage cœur, âme et pensée, et donc la totalité de notre être doit bien être une tension authentique qui emporte l'âme entière et nos préoccupations. Non qu'il y ait une morale grincheuse et tatillonne là-dessous ; que simplement qu'il ne saurait y avoir d'amour au sens de l'agapè qui n'engage en même temps l'autre.

C'est ici, encore, que l'on peut mesurer la distance, celle du temps assurément, mais celle aussi d'un catholicisme peut-être disparu ailleurs que dans les rêves revanchards de quelques extrémistes. Mauriac parle d'exigence de pureté mais il ne peut s'empêcher immédiatement de l'entendre par rapport à une sexualité et un corps qui constituent pour le chrétien de cette trempe l'essence même de la tentation ; le péril majeur.

J'avoue ne guère apprécier pureté à quoi je préfère infiniment authenticité : dans pureté il y a la répugnance au mélange, le déni du devenir ; le regret du devenir. C'est oublier ce que Freud avait vu et que nos plus belles dispositions ont sans doute d'assez peu ragoutantes sources ; que la tension vers l'être réside assurément dans cette sublimation qui met nos pulsions - ce qui nous appelle - au service de l'autre ; de l'être.

Ce déni du corps - quand il ne s'agit pas de haine - vient de loin : de Paul qui associe mal et chair et inflige au corps la responsabilité du mal qu'il ne voudrait pas faire et commet néanmoins ; de ce bien qu'il ne parvient pas à réaliser quand bien même il l'eût si fortement désiré ; de ce dualisme métaphysique si étanche qu'il plonge l'humain dans une chausse-trappe dont il ne peut sortir qu'en se mortifiant plus encore. Si Montaigne avait pu écrire qu'un honnête homme est un homme mêlé ; un chrétien, quant à lui, est nécessairement un homme déchiré au point que le salut ne pût pas même s'obtenir par les œuvres.

Je veux bien attester des limites de la raison ; je veux bien accepter que dans la Révélation il y ait autant de lumières que d'ombres maintenues et de mystères indéchiffrables ! Pourtant cette approche d'une humanité à ce point embourbée dans une matière qui l'arrime irrémédiablement au mal a quelque chose de désespérant et paradoxal tant heurte l'idée d'un Dieu miséricordieux !

Le catholique aime trop les chairs mutilées, les plaies béantes, les cadavres sur les champs de bataille ; trop peu le corps qui exulte pour n'avoir pas quelque honteuse forfaiture à avouer …

 

Ce qu'il faudrait - pudiquement - taire

retour

De quoi, ou de qui, tiens-je cette dilection à plutôt taire, disons à suggérer, ce qui me tient le plus à cœur ou à l'être plutôt que d'en faire sinon ostentation ? de quelque injonction éducative ? de ce vieux fond germanique où le protestantisme a évidemment joué sa part ?

J'ai toujours su qu'on reconnaissait les arbres à leurs fruits et que ce qui m'importait, où je voyais le dessein de mon existence, devait plutôt se réaliser que se proclamer. Ai toujours eu le sentiment que s'il fallait dire tensions, aspirations, croyances ou volontés c'est qu'elles n'étaient ni assez visibles ni assez puissantes pour produire quelque effet et atteindre leur destinataire.

de la pudeur

Dans ces lignes qui précèdent immédiatement la présentation du Notre Père, la prière des prières, on retrouve cette invite à la discrétion, à la mesure. J'y vois plus qu'un hasard ou le réquisit du rien de trop grec !

Mais toi, quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite,
afin que ton aumône soit faite dans le secret ; et ton Père qui voit dans le secret, te le rendra [ouvertement].
Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites, car ils aiment à prier en se tenant debout dans les synagogues et aux coins des rues, afin qu'ils soient vus des hommes. En vérité, je vous le dis, ils ont déjà leur récompense.
Mais toi, quand tu pries, entre dans ta chambre ; et ayant fermé ta porte, prie ton Père qui est là dans le secret ; et ton Père qui voit dans le secret, te le rendra.
Or, quand vous priez, n'usez pas de vaines redites, comme les païens, car ils pensent qu'avec beaucoup de paroles, ils seront exaucés.
Ne leur ressemblez donc pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.
Mt, 6, 3-7

Au plus intérieur - puisque c'est après tout ceci que signifie intime - où se jouent engagement mais aussi liberté. Notion voisine d'honneur mais aussi d'humilité, pudeur ne prend - même dans la tradition hébraïque - sa référence à la sexualité et à la nudité que dans un second temps avec les effets très vite dévastateurs sur la condition des femmes. Ce qui importe c'est en tout cas l'insistance sur ces pensées impures dont il faut se prémunir, qui érige les pensées en véritables actes. Réaliser, faire, ce n'est pas seulement transposer dans un objet, un projet, une idée ou un besoin ; c'est déjà penser et, a fortiori, transmettre, partager cette pensée c'est encore agir.

On ne peut pas comprendre autrement ce parallèle fait entre l'aumône que l'on accorde et la prière qui identiquement doivent se faire en toute discrétion ; ou encore le souci de ne pas trop parler : Que votre parole soit oui, oui, non, non; ce qu'on y ajoute vient du malin. (Mt, 5, 37)

 

Si impératif de pureté il y a, il ne peut s'entendre que comme impératif de sincérité, d'authenticité ; qu'ainsi rien d'extérieur ne vienne troubler la relation comme le ricochet d'un caillou viendrait troubler la limpidité de la surface d'un lac ! La pudeur n'a rien à voir avec la honte que produirait l'exhibition de quelques tendances que la décence sociale eût prohibées ou l'aveu de quelque acte voire seulement de quelque intention. Ne jamais confondre pudeur avec gêne, encore moins avec honte même s'il est vrai que le latin pudeo signifie avant tout avoir honte !

Comment, en effet, ne pas voir que l'affirmation de l'individualité à quoi exhorte toute la pensée chrétienne, l'invitation à assumer ses responsabilité et donc à prendre le chemin de son propre salut, que cette affirmation, dis-je, a un pendant : la négation de l'autre et le risque de la mégalomanie. Celui de se prendre pour la mesure de toute chose et la seule valeur qui pèse. Voici tout le dilemme de l'individu ; tout le dilemme de la pudeur !

Depuis Freud, mais ne le sentions pas auparavant, vraiment ? - nous savons immense le continent de notre moi intérieur dont nous ignorons pourtant à peu près tout hormis les clapotis divers qui nous traduisent et trahissent. Terra incognita, ou presque, qu'à la fois nous défendons avec armes et soucis contre tout empiétement intempestif et rêvons pourtant d'offrir à l'hôte qui s'en montrerait digne : citadelle tant de fois assiégée dont pourtant nous ouvrons parfois les portes à ceux que nous aimons, à la mesure même de l'amour que nous portons et que pour cette raison nous nommons nos intimes. Nulle frontière donc, ou s'il devait en exister une, elle serait ouverte, flottante, à la mesure de nos dilections, de nos craintes, de nos ambitions. S'il devait en exister une, elle aurait cette triple caractéristique d'à la fois défendre, protéger, favoriser la circulation. Entre le dehors, le réel et l'autre et le dedans, cet intime, il y a bien un espace où circulent, s'échangent et se donnent informations, gestes, sentiments …

Alors non ! la pudeur n'est pas honte ; encore moins gêne : mais la forme que prend cette oscillation, qui est dialogue, entre ce qui se protège et se donne. Le signe d'une conscience qui se construit dans son rapport à l'autre en levant, ici, les barrières ou, là, clôturant les narthex. Comment pourrait-on ne pas vouloir pour l'être aimé, si proche qu'il semble pouvoir vous accompagner, a fortiori pour Dieu, comment ne pas vouloir ménager pour ce dialogue espace paisible, serein, à l'abri de tout empiétement, de toute ambition ?

Il est décidément des gestes qui ne souffrent aucun spectacle ; aucun témoin ! Quand se donne l'être ; ou sussure le Verbe !

de la prière

Voici aussi tout le sens de la prière - en n'oubliant pas que oro, en latin, avant de signifier demander, implorer, veut dire d'abord parler ! L'oraison n'est pas exclusivement une demande, une sollicitation : elle peut aussi être l'expression même de l'être qui se cherche ; s'affirme tout en demeurant soucieux de ne rien détruire, ni personne ; de trouver cet improbable juste milieu entre l'homme qui se pose et l'humble qui s'efface. C'est bien l'idée de la boucle entre pesanteur et grâce où l'un et l'autre, alternativement, viendrait compenser ce que l'autre pourrait avoir d'exclusif, d'unilatéral, de dangereux même.

La prière c'est un dialogue que l'on tient avec l’Être - ou avec soi-même, qu'importe finalement le nom que l'on concède à cette part de soi où se joue notre individualité, notre petite musique intérieure, notre différence - St Augustin n'eut pas tort de le situer comme la part plus intérieure à soi que soi-même ! Le vrai c'est toujours ce qu'au aurait du voir ou comprendre qui était là devant soi mais que justement on ne voit pas, perturbés que nous sommes par le bruit de fond du monde. Le vrai s'avance comme sur des pattes de colombe mais ne s'entend pas ; la lumière est bien là mais qui aveugle à raison de nous y accoutumer. Thalès l'a compris, tombant dans son puits : subitement, l'ombre projetée du puits lui fit voir ce que la lumière lui avait caché. La chambre où se retirer n’est autre que le puits de Thalès. La servante de Thrace aura beau s'esclaffer ; les pharisiens maugréer et en appeler au blasphème, la vérité s'indique elle-même, Spinoza avait raison, mais il lui faut pour cela silence, raison et ombre …

Il est sans doute exact qu'il ne soit rien de plus émouvant qu'une assemblée fervente entonnant un Wachet auf ruft uns die Stimme ou même un ach, schlague doch bald mais il n'est pas grand chose à espérer et même beaucoup à craindre de la force entraînante de la foule, de ses fureurs comme de ses passions. C'est cette foule qui hurlera demain Barrabas qui hier s'agglutinait autour du Christ entrant à Jérusalem. Le vent souffle où il veut : c'est bien ce que le Christ dit à Nicodème … un vent que de toute manière on n'entend ni ne comprend.

Qui n'a éprouvé cette sensation ? qui n'a au moins une fois dans sa vie douté de tout au point de soupçonner que tout ce qu'il a cru et prétendu, affirmé et professé ne fût que poudre aux yeux mais que ce que la doxa porte, et ce dont la parole dominante argue ne valût pas mieux ? qui n'a jamais eu la tentation de se retirer ; de tout mettre à plat ; de rentrer en sa librairie ou son poêle ; de rentrer en soi ? Oui, philosophie et spiritualité puisent aux mêmes sources ; aux mêmes doutes !

Oui, la pensée est dialogue intérieur ! où la Parole se réverbère et le Verbe tonitrue … Non, entrer en soi, jamais ce n'est être seul - juste suffisamment à l'écart pour que le bruit de fond s'efface ! c'est se retrouver, confronté à sa propre conscience, ce que Socrate nommait son démon ou d'autre sa conscience morale … ou, si j'en crois Augustin, plus intérieur à moi que moi-même … Dieu.

Qu'importe ! Vraiment ! Cette voix me conforte qui m'atteste ! m'égare qui balaie toutes les certitudes mais jamais ne ment ni ne (se) trompe !

Pourvu qu'on sache demeurer à l'écart de la meute qui hurle mais offrir nonobstant à qui passe cette main qui rassure, ce geste qui indique, cette voix qui rassure …

Croire c'est se demander toujours de quel acte cette prière est l'aiguillon

De quoi devrait-on parler ?

retour

D'ἀγαπάω, assurément,

Je ne puis tenir pour anodin que ce soit le même terme qui glorifie la relation avec le divin et celle que nous devrions pouvoir nouer avec l'autre que les Evangiles n'appellent pas pour rien le prochain.

Celui qui s'approche ! Ce visage qui m'interpelle, me constitue autant que me nie, me conforte autant que me menace.

De présence : puisque c'est ainsi que l'on peut nommer l'intuition que l'on a de l'existence de Dieu. prae en latin dit ce qui est au-devant, en sorte que la présence n'est autre que cet étant qui s'avance par opposition à celui qui s'éloigne, s'écarte (absence). Rien d'étonnant à ce que le latin entende par ce terme puissance, efficacité et que le latin ecclésiastique utilise ce terme pour manifester celle de Dieu - la parousie !

De cette démarche où tour à tour l'on perd puis croit avoir compris ; s'égare puis retrouve quelque indice du chemin à suivre ; où l'on se surprend aux plus odieuses faiblesses et s'affaire à d'étonnantes mais humbles grandeurs ! Je l'ai écrit et assume : quelle valeur pourrait contenir un credo qui n'exhausserait rien d'une vie ! rien de l'autre ?

Mais quoi ? qu'attend-on de moi ?

Et me surprendre de penser parfois que ce n'est pas si compliqué que cela ! souvent que j'en suis à mille coudées désespérantes ! toujours que le mystère réside dans cet aller-retour qui requiert ce qui dans la foi est le plus étrange : la confiance.

retour

Ἦν δὲ ἄνθρωπος ἐκ τῶν Φαρισαίων, Νικόδημος ὄνομα αὐτῷ, ἄρχων τῶν Ἰουδαίων: Or il y avait un homme d'entre les pharisiens, nommé Nicodème, qui était un chef des Juifs. 1
2 οὗτος ἦλθεν πρὸς αὐτὸν (Β αὐτὸν → τὸν Ἰησοῦν) νυκτός, καὶ εἶπεν αὐτῷ, Ῥαββί, οἴδαμεν ὅτι ἀπὸ θεοῦ ἐλήλυθας διδάσκαλος: οὐδεὶς γὰρ ταῦτα (N ταῦτα τὰ σημεῖα δύναται → δύναται ταῦτα τὰ σημεῖα) τὰ σημεῖα δύναται ποιεῖν ἃ σὺ ποιεῖς, ἐὰν μὴ ᾖ ὁ θεὸς μετ’ αὐτοῦ Il vint vers Jésus de nuit, et lui dit : Rabbi, nous savons que tu es un docteur venu de la part de Dieu ; car personne ne peut faire ces miracles que tu fais, si Dieu n'est avec lui. 2
3 Ἀπεκρίθη ὁ (N ὁ → –) Ἰησοῦς καὶ εἶπεν αὐτῷ, Ἀμὴν ἀμὴν λέγω σοι, ἐὰν μή τις γεννηθῇ ἄνωθεν, οὐ δύναται ἰδεῖν τὴν βασιλείαν τοῦ θεοῦ Jésus répondit et lui dit : En vérité, en vérité je te le dis, si quelqu'un ne naît d'en haut, il ne peut voir le royaume de Dieu. 3
4 Λέγει πρὸς αὐτὸν ὁ (N ὁ → [ὁ]) Νικόδημος, Πῶς δύναται ἄνθρωπος γεννηθῆναι γέρων ὤν; Μὴ δύναται εἰς τὴν κοιλίαν τῆς μητρὸς αὐτοῦ δεύτερον εἰσελθεῖν καὶ γεννηθῆναι; Nicodème lui dit : Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître ? 4
5 Ἀπεκρίθη Ἰησοῦς, Ἀμὴν ἀμὴν λέγω σοι, ἐὰν μή τις γεννηθῇ ἐξ ὕδατος καὶ πνεύματος, οὐ δύναται εἰσελθεῖν εἰς τὴν βασιλείαν τοῦ θεοῦ. Jésus répondit : En vérité, en vérité je te le dis, si quelqu'un ne naît d'eau et d'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. 5
6 Τὸ γεγεννημένον ἐκ τῆς σαρκὸς σάρξ ἐστιν: καὶ τὸ γεγεννημένον ἐκ τοῦ πνεύματος πνεῦμά ἐστιν. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est esprit. 6
7 Μὴ θαυμάσῃς ὅτι εἶπόν σοι, Δεῖ ὑμᾶς γεννηθῆναι ἄνωθεν. Ne t'étonne point de ce que je t'ai dit : Il vous faut naître d'en haut. 7
8 Τὸ πνεῦμα ὅπου θέλει πνεῖ, καὶ τὴν φωνὴν αὐτοῦ ἀκούεις, ἀλλ’ οὐκ οἶδας πόθεν ἔρχεται καὶ ποῦ ὑπάγει: οὕτως ἐστὶν πᾶς ὁ γεγεννημένος ἐκ τοῦ πνεύματος. . . Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit ; mais tu ne sais d'où il vient, ni où il va. Il en est de même de quiconque est né de l'Esprit. 8
9 Ἀπεκρίθη Νικόδημος καὶ εἶπεν αὐτῷ, Πῶς δύναται ταῦτα γενέσθαι; Nicodème répondit et lui dit : Comment ces choses peuvent-elles se faire ? 9
10 Ἀπεκρίθη Ἰησοῦς καὶ εἶπεν αὐτῷ, Σὺ εἶ ὁ διδάσκαλος τοῦ Ἰσραήλ, καὶ ταῦτα οὐ γινώσκεις; Jésus répondit et lui dit : Tu es le docteur d'Israël, et tu ne connais pas ces choses ! 10
11 Ἀμὴν ἀμὴν λέγω σοι ὅτι ὃ οἴδαμεν λαλοῦμεν, καὶ ὃ ἑωράκαμεν μαρτυροῦμεν: καὶ τὴν μαρτυρίαν ἡμῶν οὐ λαμβάνετε. En vérité, en vérité, je te dis que ce que nous savons, nous le disons ; et ce que nous avons vu, nous en rendons témoignage ; et vous ne recevez point notre témoignage. 11
12 Εἰ τὰ ἐπίγεια εἶπον ὑμῖν καὶ οὐ πιστεύετε, πῶς, ἐὰν εἴπω ὑμῖν τὰ ἐπουράνια, πιστεύσετε; Si je vous ai parlé des choses terrestres, et que vous ne croyiez pas, comment croirez-vous, si je vous parle des choses célestes ? 12
13 Καὶ οὐδεὶς ἀναβέβηκεν εἰς τὸν οὐρανόν, εἰ μὴ ὁ ἐκ τοῦ οὐρανοῦ καταβάς, ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου ὁ (N ὁ ὢν ἐν τῷ οὐρανῷ → –) ὢν ἐν τῷ οὐρανῷ. Et personne n'est monté au ciel, si ce n'est Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est dans le ciel. 13
14 Καὶ καθὼς Μωσῆς (N Μωσῆς → Μωϋσῆς) ὕψωσεν τὸν ὄφιν ἐν τῇ ἐρήμῳ, οὕτως ὑψωθῆναι δεῖ τὸν υἱὸν τοῦ ἀνθρώπου: Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, de même il faut que le Fils de l'homme soit élevé ; 14
15 ἵνα πᾶς ὁ πιστεύων εἰς (N εἰς αὐτὸν → ἐν αὐτῷ) αὐτὸν μὴ (N μὴ ἀπόληται ἀλλ’ → –) ἀπόληται, ἀλλ’ ἔχῃ ζωὴν αἰώνιον. afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. 15
16 (Π) Οὕτως γὰρ ἠγάπησεν ὁ θεὸς τὸν κόσμον, ὥστε τὸν υἱὸν αὐτοῦ (N αὐτοῦ → –) τὸν μονογενῆ ἔδωκεν, ἵνα πᾶς ὁ πιστεύων εἰς αὐτὸν μὴ ἀπόληται, ἀλλ’ ἔχῃ ζωὴν αἰώνιον. Car Dieu a tellement aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. 16
17 Οὐ γὰρ ἀπέστειλεν ὁ θεὸς τὸν υἱὸν αὐτοῦ (N αὐτοῦ εἰς → εἰς) εἰς τὸν κόσμον ἵνα κρίνῃ τὸν κόσμον, ἀλλ’ ἵνα σωθῇ ὁ κόσμος δι’ αὐτοῦ. Car Dieu n'a point envoyé son Fils dans le monde pour qu'il juge le monde ; mais pour que le monde soit sauvé par lui. 17
18 Ὁ πιστεύων εἰς αὐτὸν οὐ κρίνεται: ὁ δὲ μὴ πιστεύων ἤδη κέκριται, ὅτι μὴ πεπίστευκεν εἰς τὸ ὄνομα τοῦ μονογενοῦς υἱοῦ τοῦ θεοῦ. Celui qui croit en lui n'est point jugé ; mais celui qui ne croit point, est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. 18
19 Αὕτη δέ ἐστιν ἡ κρίσις, ὅτι τὸ φῶς ἐλήλυθεν εἰς τὸν κόσμον, καὶ ἠγάπησαν οἱ ἄνθρωποι μᾶλλον τὸ σκότος ἢ τὸ φῶς: ἦν γὰρ πονηρὰ (N πονηρὰ αὐτῶν → αὐτῶν πονηρὰ) αὐτῶν τὰ ἔργα. Or voici le jugement : c'est que la lumière est venue dans le monde, et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière ; car leurs œuvres étaient mauvaises. 19
20 Πᾶς γὰρ ὁ φαῦλα πράσσων μισεῖ τὸ φῶς, καὶ οὐκ ἔρχεται πρὸς τὸ φῶς, ἵνα μὴ ἐλεγχθῇ τὰ ἔργα αὐτοῦ. Car quiconque fait le mal, hait la lumière et ne vient point à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient reprises. 20
21 Ὁ δὲ ποιῶν τὴν ἀλήθειαν ἔρχεται πρὸς τὸ φῶς, ἵνα φανερωθῇ αὐτοῦ τὰ ἔργα, ὅτι ἐν θεῷ ἐστιν εἰργασμένα Mais celui qui pratique la vérité, vient à la lumière, afin que ses œuvres soient manifestées, parce qu'elles sont faites en Dieu.
   

Conversion de Paul

retour

. « Comme il était en route et approchait de Damas, une lumière venant du ciel l'enveloppa soudain de sa clarté. Il tomba par terre, et il entendit une voix qui lui disait : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? ». Il répondit : « Qui es-tu, Seigneur ? — Je suis Jésus, celui que tu persécutes. Relève-toi et entre dans la ville : on te dira ce que tu dois faire ». Ses compagnons de route s'étaient arrêtés, muets de stupeur : ils entendaient la voix, mais ils ne voyaient personne. Saul se releva et, bien qu'il eût les yeux ouverts, il ne voyait rien. Ils le prirent par la main pour le faire entrer à Damas. Pendant trois jours, il fut privé de la vue et il resta sans manger ni boire. Or, il y avait à Damas un disciple nommé Ananie. Dans une vision, le Seigneur l'appela : « Ananie ! ». Il répondit : « Me voici, Seigneur ». Le Seigneur reprit : « Lève-toi, va dans la rue Droite, chez Jude : tu demanderas un homme appelé Saul, de Tarse. Il est en prière, et il a eu cette vision : un homme, du nom d'Ananie, entrait et lui imposait les mains pour lui rendre la vue ». Ananie répondit : « Seigneur, j'ai beaucoup entendu parler de cet homme, et de tout le mal qu'il a fait à tes fidèles de Jérusalem. S'il est ici, c'est que les chefs des prêtres lui ont donné le pouvoir d'arrêter tous ceux qui invoquent ton Nom ». Mais le Seigneur lui dit : « Va ! cet homme est l'instrument que j'ai choisi pour faire parvenir mon Nom auprès des nations païennes, auprès des rois et des fils d'lsraël. Et moi, je lui ferai découvrir tout ce qu'il lui faudra souffrir pour mon Nom ». Ananie partit donc et entra dans la maison. Il imposa les mains à Saul, en disant : « Saul, mon frère, celui qui m'a envoyé, c'est le Seigneur, c'est Jésus, celui qui s'est montré à toi sur le chemin que tu suivais pour venir ici. Ainsi, tu vas retrouver la vue, et tu seras rempli d'Esprit Saint ». Aussitôt tombèrent de ses yeux comme des écailles, et il retrouva la vue. Il se leva et il reçut le baptême. Puis il prit de la nourriture et les forces lui revinrent. »
— Ac 9, 3-19
« C'est ainsi que je me rendis à Damas avec pleins pouvoirs et mission des grands prêtres. En chemin, vers midi, je vis, ô roi, venant du ciel et plus éclatante que le soleil, une lumière qui resplendit autour de moi et de ceux qui m'accompagnaient. Tous nous tombâmes à terre, et j'entendis une voix qui me disait en langue hébraïque : Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu ? Il est dur pour toi de regimber contre l'aiguillon. Je répondis : Qui es-tu, Seigneur ? Le Seigneur dit : Je suis Jésus, que tu persécutes. Mais relève-toi et tiens-toi debout. Car voici pourquoi je te suis apparu : pour t'établir serviteur et témoin de la vision dans laquelle tu viens de me voir et de celles où je me montrerai encore à toi. C'est pour cela que je te délivrerai du peuple et des nations païennes, vers lesquelles je t'envoie, moi, pour leur ouvrir les yeux, afin qu'elles reviennent des ténèbres à la lumière et de l'empire de Satan à Dieu, et qu'elles obtiennent, par la foi en moi, la rémission de leurs péchés et une part d'héritage avec les sanctifiés." Dès lors, roi Agrippa, je n'ai pas été rebelle à la vision céleste. »
— Ac 26, 12-19

Mémorial de Pascal

retour

Pascal, Mémorial
+
L’an de grâce 1654.
Lundi 23 novembre, jour de saint Clément pape et martyr et autres au martyrologe.
Veille de saint Chrysogone martyr et autres.
Depuis environ dix heures et demi du soir jusques environ minuit et demi.
Feu
Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob,
non des philosophes et des savants.
Certitude, certitude, sentiment, joie, paix.
Dieu de Jésus‑Christ.
Deum meum et Deum vestrum.
Ton Dieu sera mon Dieu.
Oubli du monde et de tout hormis Dieu.
Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l’Évangile.
Grandeur de l’âme humaine.
Père juste, le monde ne t’a point connu, mais je t’ai connu.
Joie, joie, joie, pleurs de joie.
Je m’en suis séparé. ------------------------------------------------------
Dereliquerunt me fontem aquae vivae.
Mon Dieu, me quitterez‑vous -------------------------------------------
que je n’en sois pas séparé éternellement.
----------------------------------------------------------------------------------
Cette est la vie éternelle, qu’ils te connaissent seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé J.-C.
Jésus-Christ. --------------------------------------------------------
Jésus-Christ. ----------------------------------------------------
je l’ai fui, renoncé, crucifié
Je m’en suis séparé, ----------------------------------------------------
Que je n’en sois jamais séparé ! -------------------------------------
Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l’Évangile.
Renonciation totale et douce.
Etc.

retour

Saint Augustin Confessions

Bien tard je t’ai aimée,
ô beauté si ancienne et si nouvelle,
bien tard je t’ai aimée !
Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors
et c’est là que je te cherchais,
et sur la grâce de ces choses que tu as faites,
pauvre disgracié, je me ruais !
Tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi ;
elles me retenaient loin de toi, ces choses qui pourtant,
si elles n’existaient pas en toi, n’existeraient pas !

Tu as appelé, tu as crié et tu as brisé ma surdité ;
tu as brillé, tu as resplendi et tu as dissipé ma cécité ;
tu as embaumé, j’ai respiré et haletant j’aspire à toi ;
j’ai goûté, et j’ai faim et j’ai soif ;
tu m’as touché et je me suis enflammé pour ta paix.

Quand j’aurai adhéré à toi de tout moi-même,
nulle part il n’y aura pour moi douleur et labeur,
et vivante sera ma vie toute pleine de toi.
Mais maintenant, puisque tu allèges celui que tu remplis,
n’étant pas rempli de toi je suis un poids pour moi.
Il y a lutte entre mes joies dignes de larmes
et les tristesses dignes de joie ;
et de quel côté se tient la victoire, je ne sais.
Il y a lutte entre mes tristesses mauvaises
et les bonnes joies ;
et de quel côté se tient la victoire, je ne sais. 

Ah ! malheureux ! Seigneur, aie pitié de moi.
Ah ! malheureux ! voici mes blessures, je ne les cache pas :
tu es médecin, je suis malade ;
tu es miséricorde, je suis misère.
N’est-elle pas une épreuve, la vie humaine sur la terre ? […]
Et mon espérance est tout entière uniquement
dans la grandeur immense de ta miséricorde.
Donne ce que tu commandes et commande ce que tu veux. […]
Ô amour qui toujours brûles et jamais ne t’éteins,
ô charité, mon Dieu, embrase-moi !

Confessions, X, 27, 38-29, 40
BA 14, p. 209-213.

Confessions III, 6, 11

Chapitre VI. Il tombe dans l’erreur des manichéens.

10. Aussi, je rencontrai des hommes, au superbe délire, charnels et parleurs; leur bouche recélait un piége diabolique, une glu composée du mélange des syllabes de votre nom, et des noms de Notre-Seigneur Jésus-Christ et du Paraclet notre consolateur, l’Esprit-Saint. Ces noms résidaient toujours sur leurs lèvres, mais ce n’était qu’un son vainement articulé; leur coeur était vide du vrai. Et ils disaient: Vérité, vérité; ils me la nommaient sans cesse, et jamais elle n’était en eux. Ils débitaient l’erreur, non-seulement sur vous, qui êtes vraiment la vérité, mais sur ce monde élémentaire, votre ouvrage, où, par delà les vérités mêmes connues des philosophes j’ai dû m’élancer, grâce (381) à votre amour, ô mon Père, ô bonté souveraine, beauté de toutes les beautés!

Vérité, vérité, combien alors même, et du plus profond de mon âme, je soupirais pour vous, quand, si souvent, et de mille manières, et de vive voix, ces hommes faisaient autour de moi bruire votre nom dans leurs nombreux et longs ouvrages! Et les mets qu’ils servaient à mon appétit de vérité, c’étaient, au lieu de vous, « la lune, le soleil,» chefs-d’oeuvre de vos mains, mais votre oeuvre, et non pas vous, ni même votre oeuvre suprême; car vos créatures spirituelles sont encore plus excellentes que ces corps éclatants de lumière et roulant dans les cieux.

Et ce n’était pas de ces créatures excellentes, c’était de vous seule, ô vérité sans changement et sans ombre (Jacq. I,17), que j’avais faim et soif; et l’on ne présentait à ma table que de splendides fantômes. Et mieux eût valu attacher mon amour à ce soleil, vrai du moins pour les yeux, qu’à ces mensonges, qui, par les yeux, trompent l’esprit. Et toutefois je les prenais pour vous, et je m’en nourrissais, mais sans avidité, car mon palais ne me rendait pas la saveur de votre réalité; et vous n’étiez rien de toutes ces vaines fictions, où je trouvais moins aliment qu’épuisement. La nourriture imaginaire de nos songes est semblable à la nourriture de nos veilles; et elle laisse notre sommeil à jeun. Mais ces vanités ne vous ressemblaient en rien, comme depuis votre parole me l’a fait connaître; ce n’étaient que rêves insensés, corps fantastiques, bien éloignés de la certitude de ces corps réels, soit célestes, soit terrestres, que nous voyons de l’oeil charnel, de l’oeil des brutes et des oiseaux; corps plus vrais néanmoins dans leur réalité que dans notre imagination; mais combien notre imagination est plus vraie que cette induction chimérique qui se plaît à en soupçonner d’immenses, d’infinis, pur néant, dont alors je me repaissais à vide!

Mais vous, mon amour, en qui je me meurs pour être fort, vous n’êtes ni ces corps que nous voyons dans les cieux, ni ceux que nous ne pouvons voir de si bas; car ils ne sont que vos créatures, et même ne résident pas au faîte de votre création. Combien donc êtes-vous loin de ces folles conceptions, de ces chimères de corps qui n’ont aucun être, qui ont moins de certitude que les images mêmes des corps réels, entités plus certaines que ces images, et qui ne sont pas vous: vous n’êtes pas même l’âme qui est leur vie, cette vie des corps meilleure et plus certaine que les corps; mais vous êtes la vie des âmes, la vie des vies, indépendante et immuable vie, ô vie de mon âme!

11. Où étiez-vous alors, à quelle distance de moi ? Et je voyageais loin de vous, sevré même du gland dont je paissais les pourceaux (Luc, XV, 16) . Combien les fables des grammairiens et des poètes sont préférables à ces mensonges! Ces vers, cette poésie, cette Médée qui s’envole, sont encore plus utiles que les cinq éléments, bizarrement travestis pour correspondre aux cinq cavernes de ténèbres, néant qui tue l’âme crédule. La poésie, l’art des vers sont encore des aliments de vérité. Et je déclamais le vol de Médée, sans l’affirmer; je l’entendais déclamer, sans y croire; mais ces autres folies, je les ai crues.

Malheur! malheur! Par quels degrés ai-je roulé au fond de l’abîme ? O mon Dieu, je vous confesse mon erreur, à vous qui avez eu pitié de moi, quand je ne vous la confessais pas encore; je vous cherchais, dans une laborieuse et haletante pénurie de vérité; je vous cherchais non par l’intelligence raisonnable qui m’élève au-dessus des animaux, mais par le sens charnel; et vous étiez intérieur à l’intimité, supérieur aux sommités de mon âme. Je rencontrai l’énigme de Salomon, cette femme hardie, pauvre en sagesse, assise devant sa porte, où elle crie: « Mangez avec plaisir le pain caché ; buvez avec délices les eaux dérobées (prov. IX, 17)» Cette femme me séduisit, parce qu’elle me trouva tout au dehors habitant l’oeil de ma chair, et ruminant en moi tout ce qu’il m’avait donné à dévorer.

 

Tertullien avait très exactement affirmé :

Crucifixus est Dei filius ; non pudet quia pudendum est. Et mortuus est Dei filius ; CREDIBILE EST QUIA INEPTUM EST. Et sepultus resurrexit; certum est quia impossibile