Georg Wilhelm Friedrich HEGEL (1770-1831)
Philosophie de l'esprit
Nous n'avons conscience de nos pensées, nous n'avons des
pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme
objective, que nous les différencions de notre intériorité, et que par suite
nous les marquons de la forme externe, mais d'une forme qui contient aussi
le caractère de l'activité interne la plus haute. C'est le son articulé, le
mot, qui seul nous offre une existence où l'externe et l'interne sont si
intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c'est une
tentative insensée. Mesmer en fit l'essai, et, de son propre aveu, il en
faillit perdre la raison. Et il est également absurde de considérer comme un
désavantage et comme un défaut de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci
au mot. On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu'il y a de plus haut
c'est l'ineffable...
Mais c'est là une opinion superficielle et sans fondement ; car en réalité
l'ineffable c'est la pensée obscure, la pensée à l'état de fermentation, et
qui ne devient claire que lorsqu'elle trouve le mot. Ainsi, le mot donne à
la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. Sans doute on peut
se perdre dans un flux de mots sans saisir la chose. Mais la faute en est à
la pensée imparfaite, indéterminée et vide, elle n'en est pas au mot. Si la
vraie pensée est la chose même, le mot l'est aussi lorsqu'il est employé par
la vraie pensée. Par conséquent, l'intelligence, en se remplissant de mots,
se remplit aussi de la nature des choses.