Lettre d'Adieu

 

Avant de quitter la vie de mon plein gré et dans mon bon sens, je suis poussé à remplir une dernière obligation : remercier de tout cœur cette merveilleuse terre du Brésil qui m’a procuré à moi et à mon travail un repos si aimable et si hospitalier. Mon amour pour le pays augmentait de jour en jour, et nulle part ailleurs je n’aurais préféré construire une nouvelle existence, le monde de ma propre langue ayant disparu pour moi et mon foyer spirituel, l’Europe, s’étant détruit.

Mais après une soixantième année, des forces inhabituelles sont nécessaires pour refaire un tout nouveau départ. Celles que je possède ont été épuisées par de longues années d’errance. Je pense donc qu’il vaut mieux conclure en temps utile et en portant une vie où le travail intellectuel signifie la joie la plus pure et la liberté personnelle le plus grand bien de la terre.

Je salue tous mes amis ! Qu’il leur soit accordé de voir l’aube après cette longue nuit ! Moi, trop impatient, les précède.

Stefan Zweig
Petrópolis 22 II 1942