Considérations morales

 

Préambule Livre 1 : Sur la ligne Livre II: Introduction Trois leçons Trois questions rapport au monde le monde perdu révolution scientifique révolution technique

Lecture dialectique

Du rapport au monde

A Comte y a vu la loi qui gouverne l’évolution de l’esprit humain – la loi des trois états – on peut aussi se contenter d’y observer une simple cohérence logique ; on pourra toujours y  considérer un phénomène anthropologique. On peut même à l’instar de Spinoza considérer que la tendance fétichiste à tout considérer d’après sa nature propre amène l’homme à envisager le monde comme gouverné par des volontés et à chercher des causes finales à tout ce qu’il ne comprend pas :


les hommes supposent communément que toutes les choses de la nature agissent, comme eux-mêmes, en vue d'une fin, et vont jusqu'à tenir pour certain que Dieu lui-même dirige tout vers une certaine fin ; ils disent, en effet, que Dieu a tout fait en vue de l'homme et qu'il a fait l'homme pour que l'homme lui rendît un culte. 1


Qu’importe finalement tant ces différentes approches reviennent pour ce qui nous concerne au même : le monde, c’est l’autre, ce en face de quoi je suis et devant quoi je ne puis que me soumettre à moins que je ne parvienne à le soumettre.

Le monde c’est à la fois l’ouverture, la porte de la ville et l’étranger pur : l’obstacle, le problème. Ce qui jaillit devant moi mais qui me protège sitôt que j’avance vers lui ou le revêt. Ce qui perd, ce qui sauve.

Remarquons ensuite que le divin est la forme que revêt notre relation au monde. Sans qu’il faille nécessairement y voir un fait historique, encore moins une quelconque loi de l’histoire, quelque chose se passe néanmoins avec ce que Jaspers appelle la période axiale : bien sûr l’avènement du monothéisme porte en son sein l’universalisme et notamment celui de l’humanité elle-même ; bien sûr le créationnisme porte en son sein l’idée même d’une histoire dont la cohérence résiderait dans l’acte créateur lui-même ; mais surtout, pour la question qui nous concerne ici, la transcendance du divin porte un nouveau rapport au monde.

Tant que les objets du monde étaient divinisés ou que les dieux étaient dans le monde et côtoyaient les hommes, ces derniers ne pouvaient agir qu’en prenant des égards préalables.  Agir sur le monde, le transformer, se saisir des objets et les consommer ou détruire passait nécessairement par une transaction d’avec le divin où le sacrifice avait sa part, mais la mesure également. Sitôt que les dieux auront commencé de délaisser le monde, c'est-à-dire dès le polythéisme grec, où les dieux séjournent à l’écart du monde et n’y font plus que des incursions, le monde semble abandonné aux hommes, au libre cours de leur action. L’église chrétienne ne s’y était pas trompée qui d’emblée vit dans le développement des sciences mais surtout des techniques une offense faite à Dieu : le rapport est effectivement antagoniste 2. Tout à l’air de se passer comme si l’emprise de l’homme sur le monde dût se payer de l’exil des dieux.

On peut appeler ceci le désenchantement du monde mais ce serait manquer l’essentiel. Il ne s’agit évidemment pas de dire que le déploiement de l’homme dans le monde se paya de l’éviction des dieux, encore moins d’affirmer que celle-ci eut lieu pour que celle-là fût possible : ce serait absurde et de toute façon invérifiable. Mais on peut au moins affirmer que le monde est trop petit pour contenir à la fois les hommes et les dieux.

De la soumission à la négation

Il est de notoriété que la morale antique, trop consciente de la faiblesse de l’homme face à l’immensité du monde préconise plutôt de s’y soumettre. Plutôt changer ses désirs que l’ordre du monde, énonce encore Descartes en guise de morale provisoire, avant de tout bousculer par un désormais possible devenir comme maître et possesseur de la nature que rendraient possible méthode et science. La morale, au fond, ne semble d’abord être que l’état des mœurs, paraît ne se résumer qu’à la tradition transmise à quoi il faudrait se conformer. Cujus regio ejus religio, à chaque territoire, sa loi, ses mythes, ses mœurs à quoi il est bienséant d’obéir. Du Rendre à César ce qui est à César, au se conformer aux lois de son pays dit Descartes tout semble se passer comme si moralité se conjuguait nécessairement à soumission et que ce fût la tradition ou, à défaut, l’avis des sages, qui dût résoudre la question morale c'est-à-dire l’incertitude où je pourrais être.


On peut évidemment y lire la propension conservatrice de toute morale ainsi que sa réticence à toute innovation où il n’est alors pas difficile à l’instar de Nietzsche de lire soit l’abêtissement de toute morale soit sa servilité :

Les mœurs représentent l’expérience acquise par l’humanité antérieure sur ce qu’elle estimait utile ou nuisible – mais le sentiment des mœurs (moralité) ne se rapporte pas à cette expérience en tant que telle, mais à l’antiquité, la sainteté et l’indiscutabilité des mœurs. Ainsi, ce sentiment s’oppose à la naissance de meurs nouvelles et meilleures : elle abêtit. 3


 Mais c’est oublier que les fondateurs sont tous des exilés. Rome est fille lointaine de Troie ; Jérusalem est fille de Thèbes. Nos fondateurs sont de nulle part, n’ont d’autre solution que de tout recommencer. Sauf à considérer que le commencement absolu n’est pas possible et que la fondation semble bien la reprise, lointaine de ce qui fut perdu. Le fondateur n’a pas de monde : bien obligé qu’il est désormais de l’inventer. Derrière Romulus, Hercule un autre exilé. Derrière Hercule, Jupiter ou Mars ?

Allons plus avant encore : Jupiter lui-même  est un exilé qui ne doit sa survie qu’à la complicité de sa mère puis sa victoire qu’à l’élimination de son père Saturne. Un Saturne que l’on retrouvera exilé dans le latium où il participe lointainement, via l’ascendance de Lavinia, épouse d’Enée, à la généalogie de Rome.

Exil que l’on retrouve dans la tradition biblique, évidemment : derrière Moïse, c’est Adam lui même et par lui toute l’humanité que l’on pense comme le grand exilé. Quelque sens que l’on donne à cette expulsion, sanction méritée du péché originel, ou posture ontologique qui empêcherait que l’on puisse se déployer dans la proximité même de Dieu, on observera ainsi que toute fondation suppose exil, se réduit à la perte du monde, de son monde, à l’obsession de le retrouver.

Toute fondation est répétition en même temps que perte. Celui qui fonde, toujours, semble ne pouvoir que réinventer un continent perdu. Toute fondation parce que répétition s’avère être une perte, un doublon nécessairement affaibli de l’original. Une déréliction.

Cette perte du monde peut être lue comme la simple conséquence de la conscience de soi. C’est bien ce qu’entend Hegel, c’est aussi ce que suggère le texte de la Genèse. L’insistance que met le texte biblique à mentionner à propos d’Adam et Eve qu’ils ne se savaient pas être nus et qu’après le péché, ils virent qu’ils étaient nus, suggère bien que cette connaissance du bien et du mal ne vise rien d’autre que la conscience que l’homme a pris de lui-même. Or cette conscience de soi semble totalement incompatible avec la proximité de dieu, de l’origine, de l’être.

Hegel ne dit pas autre chose : sitôt qu’il prend conscience de lui-même l’homme se sent étranger au monde. Il n’est plus seulement du monde, mais devant. Cette conscience, d’emblée, est une conscience malheureuse. Car il ne se peut définir que face à ce monde, comme un sujet face à un objet, comme ce qui est jeté et soumis face à ce qui se présente comme un obstacle, un objet. Autant dire qu’il ne peut s’affirmer face au monde qui le nie, qu’en niant le monde. Relation dialectique dira-t-on, relation polémique d’abord, entièrement gouvernée par Mars. L’homme, ainsi que le suggérait G Bataille ne saurait être qu’un être de la négation : négation double d’ailleurs puisqu’il est contraint de nier en lui l’animalité aussi bien que le monde. Que éducation, morale, religion naissent de la première, technique, travail de la seconde est éloquent. 4

Ce que suggère Bataille c’est que l’humanité de l’homme se joue dans cette  double négation. La fondation de l’homme est négation. Substitution à la nature d’un monde humain qui fait que sous l’objet, qui peut donner lieu à représentation, il y a l’activité humaine. C’est tout le sujet de la 1e thèse sur Feuerbach 5, c’est tout l’enjeu de ce que l’on appellera avec les marxistes le matérialisme historique. L’homme s’affirme en s’appropriant le monde : il se le rend propre. Il le marque. Avec l’homme, le monde rentre dans l’histoire. Mais est-ce bien encore le monde ? Ce chemin emprunté est un long détour qui l’entraîne sans doute vers la connaissance de ce monde au travail mais l’éloigne de lui-même en l’amenant invariablement à se nier lui-même. Le prix à payer de la maîtrise du monde semble bien être la méconnaissance de soi.


Ce que semble suggérer l’épisode de Cacus est bien que ce chemin soit désormais sans retour. Au boustrophédon que dessine la ruse de Cacus se substitue le sens d’Evandre ; aux mugissements croisés des bêtes qui se reconnaissent et s’appellent se substitue la parole d’Evandre ; au cri tumultueux de la foule, le signe de reconnaissance de la dignité d’Hercule. Aux cris de vengeance de la foule, la consécration. Partout la substitution : nous n’avons plus affaire à l’objet, mais à la chose ; bientôt à la marchandise.


Mais dans l’affaire l’homme s’est perdu autant que le monde.

De la négation à la violence

Toute la question reste de savoir si cet antagonisme est violence ou seulement le prix ontologique à payer à l’affirmation de soi.

Telle que la tradition philosophique la pense, la violence est perçue soit comme un fait ontologique, comme la forme même que revêt l’être de l’humain,  soit comme un produit de la présence de l’homme au monde : autre façon de reproduire la tension classique entre les interprétations naturalistes ou historiques.

Remarquons cette répétition de l’exil ; remarquons cette répétition du face à face.

La tradition judaïque s’est attachée à l’empêcher : dieu est à la fois celui qui ne se nomme pas et celui qu’on ne peut voir ni représenter. Il est, il est l’être ! l’ombilic au delà de quoi l’on ne peut remonter, le fondement qu’on ne peut non plus penser. Il y a toujours un tiers exclu : dans le face à face originel entre dieu et Adam, le monde est absent. Le prix à payer de ce face à face c’est l’exil dans le monde. L’homme, face au monde, Dieu se tait ou ne parle que par intermédiaire, sibyllin. Et quand il parle, il est rejeté. La thématique du péché dans la tradition chrétienne donne peut-être un sens à la Passion : elle n’en révèle pas moins une motion de rejet. Le seul moment où Dieu, homme et monde furent présents ensemble se solde par l’éviction du divin. Pour autant que nous avons souligné que le divin renvoyait à notre rapport au monde, l’éviction du divin revient à l’éviction du monde.


Du point de vue de dieu il n’y a qu’une alternative : ou le monde ou l’homme !

Du point de vue de l’homme : ou dieu ou le monde

Du point de vue du monde : ou l’homme ou dieu !


Toute la question reste de savoir si et quand ce qui est négation devient violence. Tous nos modèles théoriques finalement disent la même chose : que l’homme ne peut s’affirmer dans le monde qu’en s’en assurant la suprématie, la domination et que toute la question de la cité, et partant, de la civilisation, est de pouvoir dominer cette négation au moins dans le sens qu’elle soit constructive et non pas destructrice, c'est-à-dire justement pas violente.


Toute la question reste de savoir, comme nous nous sommes complus à le croire, si de cette négation peut sortir quelque chose de positif. La philosophie du progrès la théorie du mal nécessaire en sont des illustrations. Pourtant ! Force est de constater que cette négation est sans frein


Comprenons bien ce que nous sommes en train de faire ici : nous pourrions parfaitement nous contenter d’ajuster quelque modèle managérial mais ce serait en rester à l’espace clos d’une théorie sociale de l’action. Ce serait rater notre cible. Il ne s’agit pas de faire rentrer la morale dans le management au risque d’en faire une triviale technique non plus que d’asséner au management quelque gourmand rappel à l’ordre moral.


Il importe au contraire de se tenir sur la ligne de ce et qui rassemble, ouverts, les deux espaces de la gestion et de la morale. Sans doute G Bataille avait-il raison : l’être de l’homme réside dans la négation : du monde et de lui-même. Il va nous falloir inventer des modèles où cette négation ne soit destructrice ni du monde, ni de nous-même ; où l’affirmation de l’un n’équivaille à la destruction ni de l’un ni de l’autre.

Nos modèles, souvent dialectiques, ont cette foi de croire que le travail du négatif autorise toujours un dépassement : ce n’est sans doute pas un hasard si le concept de violence est de compréhension aussi nulle que celui de valeur, puisqu’ils se recoupent. Tous nos modèles, de Hobbes à Hegel en passant par Hume, Rousseau, voire Marx et Freud, tentent malaisément de tracer cette trajectoire ténue d’une captation de la violence où se jouerait l’avenir de l’homme mais aussi celui de la cité. Mais ce dépassement qui prend des allures de sublimation passe par la ritualisation de la violence, par le monopole de son exercice, certainement pas par sa suppression. Tous nos mythes enterrent des cadavres qu’ils camouflent mal : la violence est partout même si nous l’avons déplacée. En dignes fils des Lumières nous avons appris à croire que de ce travail du négatif devait bien résulter une réconciliation finale. C’est cela qui ne marche pas, ou en quoi nous pouvons nourrir quelques légitimes doutes. Je ne sais pas s’il faut enterrer la dialectique, je sais en tout cas qu’il ne suffira plus de rappeler les fondamentaux de notre humanisme pour nous sortir de notre crise parce qu’elle est métaphysique. Se tenir sur la ligne, c’est traquer cette zone grise, où se rejoignent sciences dures et molles, et qu’à l’instar de la biologie qui ne saurait envisager le vivant hors du milieu où il se déploie,  nous ne saurions envisager à notre tour l’humanisme hors de l’éco-système qui le rend possible. Mais c’est en même temps tenir ce lieu où démocratie, économie, management et philosophie s’enchevêtrent.

Nous n’avons fait que déplacer les champs d’application de la violence et je crains qu’elle ne connaisse un développement sans fin que nulle synthèse ne vienne jamais résoudre : nos guerres balaient les champs de bataille et s’offrent sans règle ni limite les oripeaux terroristes qui ne sont jamais que la forme politique de la mondialisation ; nos guerres se veulent économiques et inventent identiquement l’effacement des fronts et des armées pour fantasmer la victoire finale d’un Léviathan abstrait qui ne parvient pas tout à fait à faire oublier la défaite civile.


Enfant des Lumières nous avons peut-être oublié que nous sommes aussi les enfants d’Hiroshima et d’Auschwitz, de cette infernale montée aux extrêmes qui balaie tout sur son passage, vaincus et vainqueurs, champ de bataille et cités.


Je veux former ici un pari, plus pascalien que dialectique : que la montée des périls est une chance, celle d’une refondation.  Comprenons bien que la notion de devoir moral s’oppose résolument à celle de l’adaptation. De ce point de vue rien n’est plus catastrophique que la tendance actuelle à la soumission aux lois du marché, que ce discours pseudo-désidéologisé que ce réalisme en réalité fataliste. Sur la ligne de ce et il y a à la fois rébellion et ouverture.

Du pouvoir

Elle s’en suit tant il n’est pas de différence essentielle entre le pouvoir que l’on a sur soi ou celui que l’on conquiert sur l’autre. Les mots le disent : tout est affaire de maîtrise. Le maître c’est celui qui fixe la règle chez lui – domus. Dominer c’est en réalité domestiquer qui concerne autant les bêtes que les femmes : δαμαρ désigne la femme mariée, celle que l’on a soumise au joug du mariage. Il y a donc bien deux espaces antiques : celui intime qui vous définit, où il faut s’enraciner, qui ne supporte aucun mélange et donc à quoi il faut se soumettre parce qu’il ne support aucune intrusion ; et celui du dehors, étranger, sauvage dont il faut se méfier et qui ne devient acceptable que pour autant qu’on aura placé préalablement des contreforts pour s’en protéger, que pour autant qu’on aura réussi à le conquérir. Il y a un passage qui mène au monde, étroit et dangereux : Mundus était le nom de la porte de Rome, espace profane par quoi on pouvait passer, espace précisément où se tenait Hermès.

Le dominé d’abord c’est celui qui n’a pas de domus, pas d’identité, pas d’enracinement. Ce pourquoi il est esclave. C’est ceci qu’il faut comprendre du monde grec et qui change vraisemblablement tout : loin de l’esprit de conquête latin, et en ceci il se rapproche plutôt du monde juif, le grec ne cherche pas son identité dans un quelconque rapport de force avec le monde mais au contraire de sa proximité d’avec lui, de son enracinement. Ce n’est pas par nature qu’il est fort ou faible, ni d’avoir vaincu ou de l’avoir été, mais simplement d’être de quelque part, une fois entendu que sa domination est limitée à l’espace intime de son foyer.


Rien n’est plus étranger au monde grec que la notion de faute et par voie de conséquence celle de culpabilité : le grec a sa part à charge pour lui de s’en contenter. L’hybris est ainsi la faute à ne pas commettre, celle qui consiste à ne pas se contenter de la part de destin qui vous échoit, d’en vouloir toujours plus. La norme est donc dans la mesure, moira, la part de chacun. De la sorte, revient comme en boomerang, la sanction (Némésis) à qui aurait la tentation d’exagérer. νείμειν  signifie donner la part due mais pour autant la némésis revient à rétablir l’ordre naturel des choses, le juste partage.


On remarquera néanmoins, ici encore, combien nous avons affaire aux relations entre les hommes et non avec le monde : cette relation doit être tempérée, soit, mais elle concerne le politique. D’où ce souci géométrique de la distribution ; d’où le rééquilibrage. Pour autant la relation avec le monde n’est pas envisagée : c’est du côté de Diogène le cynique qu’il faut aller voir.


Voyant un jour un petit garçon qui buvait dans sa main, il prit l’écuelle qu’il avait dans sa besace, et la jeta en disant : « Je suis battu, cet enfant vit plus simplement que moi[13] . » Il jeta de même une autre fois son assiette pour avoir vu de la même façon un jeune garçon qui avait cassé la sienne faire un trou dans son pain pour y mettre ses lentilles.


Il est ici le véritable sens du récit trop connu d’un Diogène demandant à Alexandre de s’écarter de son soleil. Il tient au sens même que revêt l’objet et le rapport que nous entretenons avec lui.


L’objet, dès lors qu’il se met à circuler, s’échange et devient marchandise. Du même coup il traduit la cité. D’une certaine manière, c’est l’objet circulant qui crée l’espace politique. L’objet brut, lui, reste objet de connaissance, de sagesse. (à développer)


Casser son écuelle revient à privilégier la connaissance sur la puissance, la morale sur le politique et c’est bien ainsi que la tradition aura entendu ce récit sitôt qu’on lui aura adjoint le passage sur Alexandre. Ce n’est pas tant qu’il s’agisse ici du conflit classique entre le qualitatif et le quantitatif, entre l’avoir et l’être que du rapport précis à la socialité.


Diogène, qui signifie quand même engendré par dieu, est à l’écart de la cité, chien parmi les chiens mais en même temps n’oublions pas que le chien est le premier animal à avoir été domestiqué. Par un certain côté, compagnon, par un autre parasite car il vit bien des subsides que les passants lui octroient.


1) Spinoza Ethique, Livre I Appendice trad Appuhn GF

2) [La forme antagonie est composée du gr. άντα « face à face, contre (idée d'hostilité) » et ἀγωνία « lutte »

3) Nietzsche, Aurore, § 19

4)

Je pose en principe un fait peu contestable: que l'homme est l'animal qui n'accepte pas simplement le donné naturel, qui le nie. Il change ainsi le monde extérieur naturel, il en tire des outils et des objets fabriqués qui composent un monde nouveau, le monde humain. L'homme parallèlement se nie lui-même, il s'éduque, il refuse par exemple de donner à la satisfaction de ses besoins animaux ce cours libre, auquel l'animal n'apporte pas de réserve. Il est nécessaire encore d'accorder que les deux négations que, d'une part, l'homme fait du monde donné et, d'autre part, de sa propre animalité, sont liées. Il ne nous appartient pas de donner une priorité à l'une ou à l'autre, de chercher si l'éducation (qui apparaît sous la forme des interdits religieux) est la conséquence du travail, ou le travail la conséquence d'une mutation morale. Mais en tant qu'il y a homme, il y a d'une part travail et de l'autre négation par interdits de l'animalité de l'homme.

5)

Le principal défaut, jusqu'ici, du matérialisme de tous les philosophes – y compris celui de Feuerbach est que l'objet, la réalité, le monde sensible n'y sont saisis que sous la forme d'objet ou d'intuition, mais non en tant qu'activité humaine concrète, en tant que pratique, de façon non subjective. C'est ce qui explique pourquoi l'aspect actif fut développé par l'idéalisme, en opposition au matérialisme, — mais seulement abstraitement, car l'idéalisme ne connaît naturellement pas l'activité réelle, concrète, comme telle. Feuerbach veut des objets concrets, réellement distincts des objets de la pensée; mais il ne considère pas l'activité humaine elle-même en tant qu'activité objective. C'est pourquoi dans l'Essence du christianisme, il ne considère comme authentiquement humaine que l'activité théorique, tandis que la pratique n'est saisie et fixée par lui que dans sa manifestation juive sordide. C'est pourquoi il ne comprend pas l'importance de l'activité "révolutionnaire", de l'activité "pratique-critique".