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4 - Impacter

J'aime ces temps d'apocalypses molles qui ne cessent de flirter avec l'hyperbole tout en contrefaisant la rigueur. Le temps est aux managers qui tissent des réseaux, aux gestionnaires qui tentent d'anticiper à coups de ratios divers et variés, aux comptables qui comptent. On se pique évidemment de science puisque nulle vérité ne saurait plus subsister hors ce temple-ci ! Quitte à plonger sans coup férir dans le déterminisme le plus métaphysique qui soit !

Trois signes évocateurs :

  1. le futur simple est systématiquement remplacé par la construction en aller plus infinitif comme si es conséquences que l'on augure ne pouvaient manquer de se produire.
  2. toutes les stratégies choisies sont des applications parfois serviles de modèles prêts à penser
  3. la substitution d'impacter à avoir pour conséquence

 

Le dictionnaire est pourtant précis qui coïncide avec mes souvenirs autant que mon intuition : l'impact désigne la collision brutale entre deux corps et même temps que les traces laissées par cette collision.

Deux idées en une - soit dit en passant. On se pique de process, de systémique et autre dynamique mais on n'hésite pas à utiliser un des rares termes - avec harmonie - de la langue française qui assimile une causalité avec le résultat de cette dernière. Serait ce à dire que la vérité de l’acte résiderait dans sa finalité ; qu'il n'y eût pas de différence entre le processus et la fin ? C'est bien le cas dans la logique technique. Impacter traduit un indécrottable finalisme bien à l'encontre de ses prétentions scientifiques. On continue à jouer sur la corde de l'énorme, du gros quand tout nous aura appris que les phénomènes sociaux se trament dans l'infime, dans l'intrication souvent discrète des réseaux, dans l'entrelacs confus des causalités.

A l'encontre de Leibniz, nous voici entrés dans la logique des grosses perceptions !

Ce n'est pas l'usage de métaphore qui agace ici que son manque de précision, que cette endémique paresse à se contenter d'un sens tout juste frôlé - bien à l'encontre de la prudence et de la rigueur revendiquées du comptable. J'ai écrit ailleurs ce que cette fatuité de l'énorme pouvait instiller de régression mentale, je n'avais pas souligné ce qu'elle supposait à la fois d'imprécision et de certitudes fates.

Il y a bien pourtant cette propriété de l'action humaine, individuelle déjà mais plus encore quand elle se fait collective, de comporter invariablement des conséquences imprévisibles. Toujours, à moins d'être malhonnête, nous devons bien avouer ne pas véritablement savoir ce que nous faisons. De l'habitude à l'expérience, des sciences au savoir-faire, nous mobilisons plus ou moins savamment de quoi réduire la part d'aléatoire mais il faut beaucoup de naïveté et pas mal de mauvaise foi pour prétendre jamais savoir ce que nous faisons. Tout dans les sciences dit pourtant combien il n'est d'information si minuscule soit-elle qui ne se paie d'incertitude ailleurs, et d'une incroyable énergie.

L'impact prétend le contraire. Il est la forme moderne de l'incontournable bruissement d'aile d'un papillon si cher à Laplace ...

Nous voici revenus aux illusions scientistes d'il y a bientôt trois siècles ...

Sommes-nous si ballottés par le temps, si faibles et si mal assortis aux turbulences au point de nous calfeutrer en ces certitudes ?

Me laisse rêveur cet écart désormais vertigineux entre l'avancée des sciences et la misérable vulgate commune. Jamais on n'invoqua tant les sciences ; jamais on en sut si peu.

Jamais nous ne sûmes autant ; jamais la jeunesse ne s'est tant précipitée dans les temples du savoir ; jamais celui-ci n'aura été aussi peu, aussi mal partagé. Il faut dire que la technolâtrie est passée par là !

Il n'est pourtant de vie supportable, de savoir fécond, d'humanité généreuse que par les incertitudes.