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Janine Niepce

J'avoue ne l'avoir découverte qu'incidemment. Elle appartient pourtant à ce courant de la photo dite humaniste à côté de grands noms comme Doisneau, Brassaï etc. Est-ce un hasard, la seule femme ! Elle a accompagné pourtant cette France d'après-guerre dans tous soubresauts, toutes ses mutations, toutes ses révoltes avec un regard attentif sur sa Bourgogne natale, sur l'évolution de la paysannerie comme de la classe ouvrière, sur les luttes des femmes.

Son nom n'est pas inconnu puisqu'elle est de lointaine parenté avec Nicéphore, l'inventeur de la photographie … on peut regretter pourtant cette discrétion tant, parmi les photo que j'ai pu voir, toutes témoignent de ce regard acéré qui fait le grand photographe, de cette bienveillance qui fait le grand artiste. Elle aime - ceci se voit et se sent - ces femmes et ces hommes qu'elle photographie soucieuse moins de laisser trace, souvenir ou de susciter nostalgie que d'attirer l'attention sur eux ; de susciter comme une solidarité.

Pas de message implicite ici ; ni d'engagement au sens où autrefois on parlait d'intellectuel engagé ! Si message il y a il est évident et fuse de l'image comme éclair fendant la nuit noire.

Évident comme ici où ses fils et père fusent d'un même plaisir partagé à la lecture d'un album d'Hergé : nul doute qu'ils s'enthousiasmèrent de l'apparition de ce vieux bougon mais si drôle Haddock au moins autant que de cet Orient un peu trop caricatural encore où d'odieux trafiquants en tout genre, heureusement, perdent toujours à la fin, et l'alcoolique se dévoile ami fidèle.

Cette photo dit une forme d'éternité : celle de la transmission. Je ne connais pas de plus heureuse réussite que cette retrouvaille d'entre générations et crois bien que c'est œuvre précisément que d'ainsi parvenir à enjamber générations et temps.

Elle est aussi la preuve péremptoire que la photo ne se résume pas à croquer un instant ou a susciter quelque nostalgie pour un temps déjà enfui. Changez l'album et la vêture des deux protagonistes et vous aurez image d'une modernité incroyable. Parce qu'éternelle.

Entre partage et transmission ; plaisir et apprentissage : voici artiste qui croque le plein accomplissement de l'art. Réunir d'un seul tenant être, sens et tendresse ; montrer ce moment magique où chacun s'augmente les êtres de l'œuvre et l'œuvre des êtres : chapeau ! C'est du grand art !

Que l'on retrouve là en ce regard autant ému qu'attentif d'une grand-mère devant l'enfant gouttant sa confiture. Nous avons tous été ces enfants traînant dans la cuisine de nos grand-mères à l'affût de douceurs à chiper ou à goûter.

J'aime l'art quand il exauce ce qui en nous demeure de meilleur.