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Quand s'entrouvrent les portiques …

Et se donnent à voir les piliers de la création. C'est, bien entendu à cette photo prise par Hubble que je songeais. Les cieux parfois laissent entrevoir ce que nul ne saurait même imaginer. Parfois ils nous appellent et c'est bien ce genre d'apothéose qui fit subitement Romulus disparaître à jamais de l'étang aux chèvres laissant enfin se commencer la fabuleuse histoire de Rome. Tantôt ils laissent, d'entre les trouées de bleuités grisâtres, filtrer un espoir, que sais-je, une parole, ou seulement la force de persévérer. Je n'imagine pas que ces lentes traînées d'or et de sang mordorées se puissent attarder seulement par négligence ou paresse.

Dans l'interstice qu'elles dessinent, parfois, pour qui sait tendre l'oreille, se murmure la parole de l’Être.

Je n'ai pas, pour les couchers de soleil, les soupirs romantiques que les poètes y glissent, ou les rêveurs attristés. Non plus que les préventions que nourrissaient les anciens pour ce qu'ils signifiaient de sinistre ou de mort. Mais il faut bien admettre qu'aux soirs tombants et quelques fois aussi aux aurores prometteuses, les ciels racontent d'étranges histoires, dessinent d'invraisemblables figures ; conçoivent d'inquiétants tableaux.

Je ne saurais oublier que, d'entre tous, le ciel est le premier temple : espace découpé - τεμνεῖν signifie couper - dans le ciel par le bâton des augures où se présentent les signes à interpréter au même titre que dans les entrailles des poulets. Espace séparé, le temple a partie liée avec le temps comme avec l'atome. Il faut être un physicien ou un géomètre pour ne voir dans le ciel qu'un espace homogène et isotrope et sans doute ont-ils raison de l'approcher ainsi - seule condition pour produire un savoir vérifiable et transmissible - pour autant c'est rendre médiocre justice au portique de l’Être. On peut s'amuser de ce que les parpaillots choisirent temple qui suggère la séparation où les catholiques préférèrent église qui souligne le rassemblement mais, soyons honnêtes, la contradiction est superficielle. Ni foule, ni cohue, ni place publique ne sont propices à la rencontre de l'être qui s'opère dans le silence de sa chambre, les hauteurs montagneuses bien sûr.

Ce pauvre simulacre de statue de la Liberté n'éclaire plus rien : tout semble là filer vers le Ponant, comme aspiré par un souffle irrésistible. Ça y est, c'en est bientôt fini ; dans quelques secondes quelque écho rosâtre laissera au jour l'illusion d'une rémission pourtant improbable.

Pourtant, inlassablement, même perclus d'inquiétude, nous ne cessons de croire aux lendemains, aux aurores que nous espérons avec entêtement même si nous les savons souvent piégeuses.

Nous ne savons pas regarder les ciels autrement qu'avec espoir.

Je le sais, je le sens : il ne se peut pas que les cieux ne s’entrouvrent à intervalles réguliers pour laisser fuser la parole et l'énergie de persévérer. Je sens des ciels discrètement descendre et s'épandre cette force sans laquelle tout finirait par s'étioler.

Oui, je devine la création être continue et les cieux être le chemin par où s'instille la résurrection de l'être. Tikkoun Olam disent les kabbalistes : oui, le monde sans cesse a besoin d'être réparé, régénéré qui sans cela finirait par s'éparpiller en un monstrueux chaos. Je n'imagine pas l’Être lui devenir à ce point indifférent qu'il le regarderait se dépenailler sans intervenir.

C'est ceci que j'entends dans les cieux - que ce soit prière ou silence m'indiffère : en tout homme qui lève les yeux au ciel et réalise qu'y demeure tellement plus grand et noble que lui, il y a humilité qui se réinvente et espoir qui peut enfin renaître.

Les anciens savaient lire les ciels : nous le devrions réapprendre car les dieux les ont parsemés de signes. Ils sont livres à lire, manuels à décrypter.

Chorals à entonner …