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Mémorial

Me promenant le long des berges et, tantôt, sur le quai j'aperçus, et entrepris de le regarder de près, ce mémorial de la guerre d'Algérie, quai Branly. J'en connaissais vaguement l'existence et ne m'y étais jamais véritablement intéressé.

Cette inscription :

« À la mémoire des combattants morts pour la France lors de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, et à celle de tous les membres des forces supplétives, tués après le cessez-le-feu en Algérie, dont beaucoup n'ont pas été identifiés ».

Des monuments aux morts, il y en eut beaucoup : quelques très rares après 1870, énormément après 18 souvent renseignés des morts de la seconde guerre ; des mémorials, beaucoup également mais sur une guerre qui n'a longtemps pas avoué son nom …

Qu'il doit être dur de combattre ! difficile et ingrat surtout de combattre pour une mauvaise cause ! que parfois lon sait être mauvaise.

J'ai, sans conteste, tout le respect du monde pour ceux qui, en 40, surent dire non et en tirer risques et conséquences. Comme le dit Malraux, il y a une voix qui reste à explorer, qui mérite en tout cas égard et parfois admiration pour ceux qui surent, les mains nues, se dresser et combattre.

Aurais-je eu en de tels cas un tel courage ou, au contraire, comme tant d'intellectuels souvent un peu trop pleutres, n'aurais-je pas inventé tous les arguments plausibles pour justifier mon inertie ou mon silence complice ? comment savoir, même si mes origines vraisemblablement m'en eussent dissuadé ?

Au même titre je n'arrive pas tout-à-fait à condamner cette forme de pacifisme intégral qui, de Giono à Conche, poussa à condamner la guerre quelle qu'elle fût, à renoncer à faire de la lutte contre le fascisme et le nazisme un cas d'exception en dépit du chemin étroit et difficile qui poussa certains - ne serait ce que Déat après son Mourir pour Dantzig - à verser benoîtement dans la collaboration. Ma répulsion pour la violence, chevillée à l'âme, ne laisse de me rendre sensible à l'argument.

Pourtant, là, devant ce mémorial pour ceux qui combattirent durant la guerre d'Algérie mais aussi durant les combats du Maroc et de Tunisie, je ne pus m'empêcher de songer à ce que comporte d'odieux de combattre pour une mauvaise cause qui vous emêche seulement d'être fier du courage qu'on eut, vous interdit de seulement l'évoquer par crainte de la réprobation sourde ou par honte. La Nation est bien ingrate, parfois, qui se détourne bien vite de ceux qu'elle adora un temps et parfois oublie sans vergogne ceux qui la défendirent en dépit de tout - je pense à la coupable indifférence du pouvoir gaulliste à l'égard des harkis qu'un tel mémorial n'effacera pas.

Singulière époque en tout cas qui vit en vingt ans à peine, la France se déchirer au point le plus proche de verser dans la guerre civile et qui crut longtemps pouvoir avancer en jetant un voile pudique sur son passé troublé !

On ne fera pas, en tout cas, que l'exception radicale que représenta le nazisme conféra une évidente légitimité à tous ceux qui l'affrontèrent - à quelque rang et places qu'ils se situassent - et l'opprobre définitive à tous ceux qui s'y soumirent. D'où la place si particulière qu'occupe la seconde guerre mondiale dans nos représentation et mémoire. Mais ce serait oublier la - parfois ironique - boucle de rétroaction qui fait la fin rejaillir sur la production même du début : les allemands eussent-ils définitivement gagné, la Pologne fût restée cet odieux pays provocateur qui déclencha la guerre ; la France eût-elle réussi à écraser les velléités d'indépendance dans le Magreb - comme elle le fit le 8 mai 45 à Sétif - les combattants du FLN seraient demeurés d'infâmes terroristes à l'instar des résistants et des gaullistes dans le discours de l'occupant allemant. Le discours de l'après, le discours de la mémoire demeure en dépit qu'on en ait, le discours du vainqueur. Le temps de l'objectivité vient tard - s'il advient jamais - c'est celui de l'histoire parfois ; de la Nation plus rarement. Et l'on ne pourra jamais faire que le présent ne réécrive son passé en raison de ses préoccupations, projets ou préjugés.

D'aucuns jouent sur le mémoriel pour y instiller cette once de culpabilité qui rendrait légitime à jamais leur discours : qui de jouer sur l'infamie - incontestable - de la colonisation ; qui de notre passé esclavagiste … C'est toujours une faute, morale autant que politique, que de jouer de la mémoire comme instrument politique. Que l'on ait, ici ou là, à s'identifier à un passé douloureux est certes compréhensible ; je ne crois pourtant pas que les atrocités passés, les morts d'autrefois et les victimes de l'histoire donnent quelque droit que ce soit à des générations qui n'ont, de surcroît, qu'une connaissance souvent superficielle d'un passé qu'elles n'invoquent que pour s'en servir.

L'histoire ne devrait jamais être affaire politique

Alors passons devant ce mémorial et pensons avec respect à ces morts qui crurent bien faire et peut-être même firent quelquefois bien ; à ces morts qui auraient pu être évités sans doute si la Nation ne s'était entêtée dans un combat d'arrière-garde, perdu d'avance et n'avait oublié ses promesses …