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On finira bien par le réinventer cet obscurantisme médiéval, non ?

Je regarde les chiffres quotidiens du nombre de malades et de décès provoqué par le virus du moment au nom imprononçable ! Je repère surtout les réactions des uns et des autres. Celles des politiques qui tentent d'en faire une arme électorale : Trump ou bien encore le Rassemblement National ; celles qui, insidieusement, au milieu des craintes ordinaires, revoient leur politiques de migration - comme les allemands ; ceux qui rêvent de murailles fussent-elles commerciales pour s'en croire mieux protégés tel l'inénarrable B Johnson … Et puis tous les autres, ces femmes et hommes ordinaires qui commencent de se regarder avec méfiance voire crainte ; suspicieux de toute contagion a fortiori si l’impétrant voisin a le malheur de venir de Chine … ou de l'Oise… ou simplement d'éternuer dans le métro. Cette époque a tout l'air, décidément, de se mettre en ordre de bataille pour une psychose de légende !

A-t-on jamais songé que toujours se délitent les sociétés où, plutôt qu'une main tendue, on considère d'abord en l'autre la menace, la maladie ou la mort ? où l'on cesse de voir en l'autre un visage. Les cités dominées par la peur se donnent telles de vieilles cocottes décrépites au premier tyranneau venu ! Ce dernier eût-il l'uniforme d'un vieillard altier ou d'un clown triste !

J'entends les haines recuites ; les remarques odieuses ; j'entends gronder les vagues insanes. Les xénophobies désormais avouées ; d'autant plus dangereuses.

 

Je repense à Rostand :

Beaucoup d'auteurs ont supposé que les adjonctions successives qui constituent le progrès de la civilisation dans l'ordre intellectuel et moral, avaient pu retentir à la longue sur la substance même de l'homme. Quelque chose de l'acquis serait devenu inné. L'hérédité sociale se serait convertie en hérédité organique. (…) Mais il faut bien rabattre d'un tel optimisme.(…) Il faut donc renoncer à l'idée que l'état de civilisation ait pu par le passé modifier la substance humaine, et qu'il soit appelé à le modifier encore dans l'avenir. Tout ce que l'homme s'ajoute par le savoir, la réflexion ou la discipline, lui reste extérieur et superficiel. Ses gènes n'en reçoivent rien et donc, rien ne s'en inscrit dans l'espèce.

Il n'y a peut-être pas d'histoire ou bien, tout agitée soit-elle, elle n'affecterait pas même la surface de nos âmes ; à peine celle des choses. Demain, imaginons-le, on fermera les portes de nos cités, et laissera les populations livrées à elles-mêmes, promptes bientôt à toutes les turpitudes, à tous les débordements où ce ne sera même pas la vérité de l'être qui se révélera - seulement les feulements de la bête !

Combien peu il faut pour que craquelle le vernis de prétendue civilisation ? Nous le savons parfaitement ! Combien même, ni foi sincère, ni éducation policée, encore moins sagesse philosophique ne nous épargnent dérives, dérapages. Ni odieux télescopages. Rousseau comme Socrate en appelèrent à la voix intérieure. Illusion ? Auto-suggestion ? En tout cas, elle est vite couverte par les cris de la foule, les gémissements des vieillards ; les tremblements suspects des malades.

Les récits qui nous demeurent des populations cloîtrées durant les crises pesteuses en disent long. Je vois ceci d'abord qui m'inquiète beaucoup plus que les leçons que Foucault en pouvait tirer sur les stratégies de pouvoir.

L'incroyable fragilité de l'humain. Comme si rien ni de l'histoire dont nous ne tirons jamais aucune leçon, ni de nos petites expériences que nous nommons destinées mais que nous traitons comme fortuites billevesées, ne nous était jamais utile en rien. Comme s'il fallait, à chaque génération, tout recommencer ; retenter à chaque fois la grande bataille de la transmission et craindre, invariablement, que l'essentiel ne s'y perde. Qu'il faudra reconstruire ; toujours plus malaisément …

Il faut en rabattre sur cet optimisme, écrit Rostand : ce n'est pas le progrès qui est en cause mais l'inchoatif de civilisation. Il y a civilité ou non : nulle n'est plus avancée qu'une autre ni nécessairement moins violente que l'état naturel supposé la précéder.

Nous l'avons appris avec Lévi-Strauss.

Le progrès en la matière est une vaste fumisterie. Qui engage au mieux nos savoirs et savoir-faire. Ni nos âmes ni nos arts ; pas même nos idéaux. Rien qui soit essentiel. Rien qui soit humain !

La violence qui monte en réponse à l'angoisse ; les cris de vengeance ; les hurlements en appel au sacrifice. Girard avait raison : la violence est en embuscade derrière tous les aspects de notre socialité. Qu'on cherche à sublimer mais qui resurgit à la moindre petite crise comme si son dévoiement n'était jamais que temporaire et que les cris de haine dussent toujours prendre le pas sur le regard vers l'autre.

Redevenir comme des enfants parce que le reste est bien pire.

Chacun semble jouer avec le feu quand il ne fait que retrouver de vieux réflexes malaisément contenus. Faire de la peur une arme politique ; fermer les frontières ; jeter le discrédit sur tout ou partie de la population ! Vieilles rengaines.

Qu'en sera-t-il lorsque, demain, les effets climatiques impliqueront des mesures urgentes et extrêmes ? Que restera-t-il de la solidarité ? de la générosité ? de notre humanité ?

Je ne parle même pas de nos démocraties !

J'aimerais avoir l'optimisme calculé d'un E Morin.

 

Le Massacre de la Saint Valentin 14 février 1349

La peste rôdait en Alsace comme un peu partout en Europe en ces années-là. La rumeur colportait l'idée que les juifs en étaient moins atteints que les autres. Était-ce parce qu'ils limitaient les relations avec les chrétiens, enfermés qu'il étaient dans leurs quartiers ou du fait de pratiques morales plus rigoureuses ? toujours est-il qu'il y avait ici raison suffisante pour attiser le courroux populaire qui n'en demandait pas tant ; en quête toujours d'explication à ses malheurs !

La peste en était le couronnement macabre.

On trouva aisément des juifs avouant, après torture, avoir empoisonné sources, fontaines et citernes. Le bouc-émissaire ainsi désigné il n'était plus qu'à passer aux actes.

A Strasbourg les autorités de la ville - en l'occurrence Sturm et Kuntz de Winterthur, les deux Stettmeister, et l'Ammeister (chef de corporations de métiers) Pierre Schwarber, passaient pour juste et protecteurs des juifs. Qu'à cela ne tienne, la populace ivre de colère les destitua. Entre le 10 et le 13 février, voulant se donner des allures de respectabilité, installèrent de nouvelles autorités dont le boucher Betschold, connu pour être l'ennemi juré des Juifs. Bouchers et tanneurs étaient les adversaires les plus acharnés des Juifs ayant contracté des dettes considérables.

La mécanique est toujours la même qui d'un intérêt particulier fait un élan salvateur. Qui agrège intérêts communs, craintes ordinaires et espérances et les exalte en un grand moment purificateur. La bassesse aime la pureté et la santé.

Le désir mimétique y est toujours à son affaire. Qui ne résout rien ; canalise au mieux ; jusqu'au recommencement de l'engrenage infernal.

La catastrophe n'allait pas tarder : un témoin raconte :

 

"Dès l'aube, un vacarme indescriptible remplissait les rues de Strasbourg : c'était le bruit des troupes en marche, avançant au rythme de chants sauvages, accompagnés des cris de femmes déchaînées. Lorsqu'elle eut brisé les barrières qui fermaient l'entrée du quartier juif, la foule se précipita dans le ghetto. Hommes et femmes, enfants et vieillards furent égorgés sans pitié. Dans les maisons incendiées, des familles entières disparurent sans laisser trace."

Ceux des juifs qui survécurent au massacre - on évoque plusieurs milliers - furent tous rassemblés et traînés au cimetière juif. Là s'élevait un grand bûcher auquel on mit le feu. La foule s'acharna avec prédilection sur les petits enfants juifs qui reçurent le baptême avant d'être jetés au bûcher. Les chroniqueurs relèvent avec admiration la noble attitude des femmes juives : elles arrachaient leurs enfants aux mains des baptiseurs pour les jeter sur le bûcher où elles les suivaient aussitôt.