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Ecrire à la plume

Ce tweet - Qui se souvient d'avoir écrit à la plume ? - orné de cette délicieuse photographie. Un tweet qui en suscitera tellement d'autres, en cascade - pas tous pertinents ; certains franchement stupides.

L'insane éloge du mal parler

Un torrent … de bavardages. Pas même d'échanges - nouveau terme pour désigner le dialogue - à propos on échange quoi contre quoi ? Qui me font douter, décidément, de la pertinence de ces réseaux, qui me paraissent plus souvent des déversoirs d'atrabilaires rancœurs qu'espace de réflexion. Ce que Joffrin nomme la puissance bi-face des réseaux [1] Ça pense décidément bien peu sur ces réseaux : ça maugrée ou peste ; gémit ou invective ; se lamente ou insulte. Mais de pensée que nenni : il faut avouer que la nuance en 280 signes relève de l'improbable ; du miracle.

Il n'est pas faux que l'affaire Mila - si c'en est une - donne à réfléchir : qu'une adolescente exprimant sa rage, justifiée ou non telle n'est pas la question, à l'encontre de ceci ou cela - ici à l'encontre de la religion - puisse ainsi enfler telle une affaire d’État aurait de quoi surprendre. Quoi la parole ne serait plus libre ; quoi l'ironie, la critique acerbe, la dénégation même de mauvaise foi ne serait plus tolérée ? Quoi les excès - verbaux ne l'oublions pas - d'une adolescente seraient subitement punissables de ne pas convenir aux gardiens du dogme ?

Sans doute les propos de la jeune fille eussent moins agité le bocal et les poissons rouges de la piété s'ils étaient restés dans la sphère privée. Sans doute la jeune fille, mais n'est ce pas de son âge d'autant que bien des adultes tombent dans le même piège, sans doute, oui, a-t-elle sous-estimé que son post sitôt publié, se déverserait dans le domaine public et échapperait tant à son auteur d'ailleurs, qu'à ses commentateurs. Virale comme on dit, sa vidéo ? L'adjectif est bien vu : la chose se propage, telle une maladie, telle une calomnie ; telle une rumeur. Tel le fanatisme aussi : est-ce un hasard si c'est la même métaphore dont usa Voltaire pour en désigner les formes, la propagation, mais la lutte si difficile contre ses méfaits ?

Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. (…) Lorsqu’une fois le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. J'ai vu des convulsionnaires qui, en parlant des miracles de saint Pâris, s'échauffaient par degrés malgré eux: leurs yeux s'enflammaient, leurs membres tremblaient, la fureur défigurait leur visage, et ils auraient tué quiconque les eût contredits. (…) Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?
Voltaire Dictionnaire Philosophique, article « Fanatisme », 1764.

Les politiques savent bien qu'une parole, même anodine, peut vite enfler jusqu'à la démesure, surtout si quelque maladresse s'y glisse. On appelle ceci de la communication. Ce qui est surprenant, même si l'attentat contre Charlie et donc la violence exacerbée en terreur exercée à l'encontre de supposés blasphémateurs a laissé des traces, c'est cet engrenage infernal qui d'une colère adolescente fait une injure suprême exigeant que la jeune fille soit mise sous protection ; que de hautes autorités politiques ou religieuses soient contraintes d'intervenir … Il faudrait en rire si ce n'était à pleurer. De honte d'abord ; d'inquiétude ensuite ; de désespoir peut-être.

Cet engrenage on le connait : c'est celui de la calomnie, de la rumeur

La calomnie, Monsieur ? Vous ne savez guère ce que vous dédaignez ; j’ai vu les plus honnêtes gens prêts d’en être accablés. Croyez qu’il n’y a pas de plate méchanceté, pas d’horreurs, pas de conte absurde, qu’on ne fasse adopter aux oisifs d’une grande ville, en s’y prenant bien : et nous avons ici des gens d’une adresse ! ... D’abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l’orage, pianissimo murmure et file, et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano vous le glisse en l’oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le diable ; puis tout à coup, on ne sais comment, vous voyez calomnie se dresser, siffler, s’enfler, grandir à vue d’œil ; elle s’élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient, grâce au Ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait ?
Beaumarchais Le barbier de Séville, II-8

Cet emballement médiatique m'intéresse assez peu : il traduit simplement combien, en fin de course, les médias sont autophages, qui se nourrissent souvent des événements qu'ils contribuent eux-mêmes sinon à créer en tout cas à monter en épingle : combien nos politiques sont désarçonnés devant une parole qui ne leur est plus réservée et qu'ils cessent de maîtriser : combien les armes réglementaires et légales dont nous disposions sont impuissantes à réguler ce déferlement. L'espace moderne n'est plus euclidien depuis longtemps quand nos armes, elles, persévèrent à imaginer que l'ennemi, le fauteur de trouble, le suspect voire le coupable fussent aisément repérables, cernables, qu'il suffirait d'aller quérir pour les appréhender.

M'intéresse un peu plus cette étonnante question du blasphème sur laquelle notre inénarrable ministre de la Justice, pourtant magistrate elle-même, a chuté comme on se prend les pieds dans le tapis. Que le terme ait pris très tôt dans l'histoire religieuse le sens de médire de Dieu ou de ses attributs ne doit pas empêcher de se souvenir que c'est précisément comme blasphémateur que le Christ fut condamné. Ici le blasphème consiste non dans le fait de médire du divin mais d'en affirmer l'appartenance. De loin en loin le blasphème engagera tout ce qui touche au religieux, non seulement les prophètes mais aussi les officiants. Blasphémer c'est parler mal de Dieu autant qu'en dire du mal ! C'est même en parler tout court si l'on observe à la lettre le Décalogue.

Ce qui est en jeu ici, évidemment, c'est la liberté d'opinion - ou très exactement d'expression publique de cette opinion.

Comment oublier que blasphème est l'antonyme d'euphémisme ? Le parler du bien, parler en bien quitte à embellir les choses ou atténuer les avanies serait ainsi le contraire absolu, certes, de l'invocation injurieuse du divin, mais, plus généralement, de toute parole invoquant le mal ou y succombant. Mais faire entrer le mal dans la langue n'est-ce pas précisément déjà mal parler ? Si l'euphémisme est figure de style qui adoucit le propos pour le rendre acceptable ou supportable, alors le blasphème, à l'inverse, est une aggravation du propos ; une inévitable caricature, une insoutenable exagération ; une ridicule hyperbole. Comment le comprendre ?

Par ce souci constant des cultures antiques, à rebours de quoi la modernité s'est installée, de respecter la parole et donc de la mesurer. Blasphémer c'est d'abord parler pour ne rien dire ! Au même titre que prononcer en vain le nom de Dieu ! Bien parler, d'abord c'est parler peu et juste. Dis oui dis non tout le reste vient du malin ! Evidemment les récits dessinant le sage comme celui qui parle rarement voire fait vœu de silence encombrent toutes les figures des grandes figures de l'antiquité païenne comme religieuse.

Nous en sommes le contraire ; doublement ! Nous parlons trop ! Si mal.

Notre siècle est bavard et ne peut que faire songer à ce récit invraisemblable de la Tour de Babel où, tout le monde se parlant à tout le monde, à la fin, plus personne ne s'entend. Ni ne se comprend. Ne se comprend ni ne s'écoute. Le bruit de fond envahit tout l'espace. La défaite de la Parole en quelque sorte ! Le blasphème commence dans le rien ou le presque rien - le bavardage - et s'achève à l'autre extrémité dans l'absolu - s'arroger le titre du divin en passant par tous les intermédiaires : critiquer, se moquer ou nier le divin. J'entends encore mes maîtres exiger de leurs jeunes élèves de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler ne serait ce que pour s'assurer de ne pas proférer de sottises. Je me souviens encore de la crainte de parler de peur qu'il n'y entendît la seule vanité de faire l'intéressant !!! Je me souviens de celle qui m'invita à la philosophie, dont le regard s'ombrageait inéluctablement sitôt qu'elle avait eu compris qu'une intervention, tout sauf sincère, n'était qu'une diversion ou un faire-valoir. Elle détestait l'inauthenticité au moins autant que la stupidité. Oh je sais bien qu'écrivant ici, sur mon site, je joue le même jeu ; je présume de la même vanité. Cours le même risque. Ecrire ; parler quoiqu'on en ait, revient toujours à présumer que ce que l'on profère a quelque intérêt. Mais aujourd'hui encore, moi parlant, ou écrivant, je redoute le verdict cinglant. Je ne crois pas que ma main eût jamais cessé de trembler quand même elle entreprît et osât de néanmoins s'exprimer ; sans doute pour ceci même.

La parole est un exhaussement de soi ! De là à l'orgueil il n'y a qu'un pas. De là à l'outrance vaniteuse, qu'un tout petit demi-pas !

Mais - plus que d'autres ? - notre époque se caractérise aussi par une très grande liberté prise par rapport à la parole, au sens des mots d'abord. Cette liberté pourrait tout aussi bien se considérer comme ferment de l'inventivité si caractéristique de toutes les langues vivantes, ce qu'elle est bien aussi, après tout. Mais se voir également comme le fruit d'un laxisme coupable, voire d'une paresse intellectuelle. Très présente dans les milieux professionnels hantés par les nouvelles technologies, où problématiques, thématiques ont sitôt fait de supplanter problèmes et thèmes ; où les conséquences ne s'entendent qu'énormes sous l'aune des impacts, où se mesure l'attrition sans qu'on sache seulement qu'elle est une version altérée de la contrition … Usage de la langue où domine l'à peu près ; la négligence ou la paresse. Le rapport entre mot et chose est déjà suffisamment complexe, nous le savons tous ; ainsi que celui du langage et de la pensée. Je ne suis absolument pas certain que ce délitement généralisé favorise en rien la rencontre de l'autre ; encore moins la rigueur de la pensée. J'y devine, et le crains, bien plutôt un défouloir au profil sadique-anal ne visant qu'à la préservation de soi ou à toute autre forme de narcissisme. Que les sciences en se formant aient eu besoin d'un langage formel, précis, univoque, maîtrisé et qu'elles le trouvassent dans les mathématiques montre bien qu'il n'est pas de savoir rigoureux sans un langage maîtrisé et assumé. Ce qui est vrai ici, l'est également ailleurs. Nous laissons le fossé s'élargir démesurément entre le trivial du quotidien et le réel scientifique ; entre le savoir des scientifiques et la doxa du grand nombre. Rien n'est plus dangereux. Mais nous l'amplifions en conférant quelque apparente légitimité à cet usage affaissé de la langue.

A ce titre-ci nous sommes tous blasphémateurs : l'usage fautif de la langue est toujours défaillance. De la pensée d'abord ; du rapport à l'autre. C'est déjà mentir que de ne se soucier pas du lien si ténu qui relie mot et chose.

 

Parler, écrire n'est assurément pas geste anodin ; encore moins innocent. Je puis bien deviner, sous ces torrents de messages laissés sur les réseaux un incroyable besoin de communiquer, un désir d'être reconnu manifestement non satisfait - pour ne pas écrire frustré. Ce pourrait être le versant ensoleillé des réseaux que d'y saisir manière aisée de laisser trace et de rencontrer l'autre ; encore mieux s'il s'agissait, contrairement aux idées reçues, d'une victoire de l'écrit ; de la parole sur l'image.

Ce le pourrait ; ce ne l'est point. Ou si rarement. Un peu comme si l'on avait mis entre des mains très maladroites un outil trop exigeant ; tellement impérieux. Einstein remarquait que la science avait fait des hommes des dieux avant qu'ils ne devinssent des hommes. Il en va de même ici : l'impression terrifiante d'avoir confié outil trop puissant entre des mains immatures et inexpertes. Et la chose, comme toujours quand il s'agit de violences, de guerres ou de haines, court à l'extrême et nous échappe.

Tourner sept fois sa langue … oui ce serait reposant !

L'humanité commence au dialogue affirmait Rousseau. Elle s'épuise donc avec sa dégradation. On ne gagne rien en confondant dialogue et échange. Ceci va bien au-delà d'une question de terme. Là la reconnaissance de l'autre est un préalable - tant de son identité que de son altérité ; ici, dans ce pseudo-échange, l'autre n'est qu'objet sur quoi l'on verse, renverse ou déverse torrents de mots, de colères, d'injures ou de mépris. Rarement de raison. L'échange est troc où chacun escompte trouver son compte ; son intérêt. Le dialogue est fin en soi - presque un art ; et quand il ne l'est pas, qu'il est truchement c'est uniquement pour favoriser la rencontre de l'autre.

Le sens de la discussion, le dialogue, s'apprenait autrefois. Le XVIIIe avait même inventé des salons pour ce faire. Et je ne tiens pas pour rien que la philosophie commençât avec les dialogues (Platon) ni que les grands du XVIIe fussent d'abord de grands épistoliers.

Je ne sais si, comme le suggérait Serres dans son ultime interview, la bataille de la langue était déjà perdue ; mais je suis certain, quelque soit la langue que nous parlions demain, devrions-nous même tout céder à l'anglais, l'exigence de rigueur et de précision restera la même sans quoi il n'est que langue fautive et pensée paresseuse. Une langue unique serait indéniablement un appauvrissement du paysage humain car derrière toute langue il y a une métaphysique implicite, une expérience inédite de notre présence au monde … mais quand bien même ceci devait-il advenir qu'encore cette langue universelle imposerait de nous ployer à ses normes ; exigerait de nous ces trésors d'ingéniosité pour y instiller nos désirs, passions, émotions et fulgurances … cette ingéniosité sans laquelle il n'est nulle inventivité, nul art ; nulle humanité.

Nostalgie ?

Restent - qui n'ont rien à voir mais peut-être tout nonobstant - restent oui ces souvenirs qui remontent à l'occasion de cette photo : je fais partie de cette toute dernière génération qui apprit à écrire avec plume sergent major, encrier en porcelaine qui se logeait dans le pupitre en bois ; qui apprit à y tremper la plume, mais surtout pas trop, et à laisser couler le trop plein d'encre contre la paroi de l'encrier de peur de la grosse tache ne gâchât le travail déjà entrepris et suscitât l'œil réprobateur du maître. Le gaucher que je suis peina à trouver la bonne position : ma main, invariablement du mauvais côté passait sur les mots fraîchement tracés et faisait baver le tout ! Au risque de devoir tout recommencer.

J'en garde la certitude que l'écriture n'est pas seulement un acte intellectuel mais d'abord - surtout ? - ce geste manuel, si fin et pour cette raison si difficile à maîtriser qui sollicite tout le corps. Beaucoup d'écrivains le suggèrent d'autant qu'il s'agit de le contraindre en des postures loin d'être naturelles qui donnent à tropes, torsions et contorsions tout leur sens. Qui trouve, celui-là d'abord tort - c'est le même mot : je n'irai pas jusqu'à écrire que le corps doive céder et souffrir pour que l'éclat de la pensée puisse enfin jaillir mais il faut bien convenir que l'épaisse pesanteur de la matière obscurcit plutôt que ne facilite l'éclosion de la pensée. Le latin put bien rêver d'équilibre - mens sana in corpore sano - il n'y parvint pas plus ni mieux que le grec. Je ne connais pas de configuration où le déploiement de l'un ne se payât de l'anémie de l'autre. Il n'a jamais été facile d'être un homme et, sans doute, une grande part de l'apprentissage - que l'on nomme éducation - a-t-elle d'abord consisté en la maîtrise de ce corps initialement si gourd, si contrefait ; si malhabile. Combien lui faut-il de patience, d'essais et de troubles pour que le petit d'homme parvienne seulement à diriger sa main, à ajuster prise de ses doigts encore boudinés. Sans doute, de sa pince, s'exerce-t-il pareillement à attraper et à penser : concept ne signifie-t-il pas saisir ; appréhender. Mais il lui faut tout apprendre : de la modulation des sons d'où un jour naîtra le premier mot à peu près compréhensible à l'arabesque des gestes qui offriront à la page ces pleins et déliés qui faisaient la gloire des écoles d'autrefois.

Il y fallait du temps ! Ce temps-ci est celui de la pensée qui se retient, s'ajuste et nuance ; se module et parfois se nie ; de cette pensée qui se refuse à la brutalité des armes.

Je revois ces visages d'enfant mi fascinés mi atterrés ; ces têtes aux regards écarquillés dépassant de si peu la hauteur de la table, mentons posés presque à même le livre ; jetés ici à hauteur des textes comme s'ils les devaient avaler avant que de les voir ; ou même seulement lire. Ils sont l'avenir autant que l'essence de l'humain : ce qui à chaque génération se joue et manque de se perdre : le pari insensé de la transmission.

La voix des enfants qui étudient la Torah; c'est grâce à eux que le monde est sauvé. Zohar

Les paroles s'envolent ; les écrits restent ! Je les regarde : déjà ils tentent, sans toujours le comprendre encore, d'échapper à la pesanteur des choses ; à la lourdeur des corps ; à la noirceur de la matière. Ils recopient encore ; ils récitent déjà … pour le moment ils ne sont que de malhabiles imitateurs. Mais bientôt par le miracle de l'être et la grâce de la pensée, ils moduleront et de la lassante répétition, ils tireront mélodie que jamais on n'entendit.

Dans ce geste qui s'essaie à être précis, dans cette main que l'enfant apprend à finement diriger, en ce trait qui se cisèle et modèle de répétition en répétition, je vois l'effort continu où l'homme s'astreint pour enfin s'ériger à hauteur de l'humain. Nous le savons tous même si des idéologies paresseuses nous incitent à l'oublier : l'homme s'invente à chaque instant, en chaque individu ; à chaque génération. Les racines sont un leurre : un repère peut-être mais un repère n'a de sens qu'immobile. Avons-nous perdu quelque chose à ne plus écrire à la plume, mais bientôt avec un stylo ; puis seulement un stylo-bille puis plus du tout en apprenant l'art du clavier à quoi l'ordinateur nous invite ?

Nous ne modulons plus nos phrases mais tapons des textes. Soit ! je ne voudrais pourtant pas tomber dans la complainte facile du c'était mieux avant. Certes, la plume glissait bien plus lentement le long des lignes laissant la pensée s'affiner au gré des courbures des mots mais ce contretemps de la pensée et de l'écriture subsiste, même différent; avec le texte tapé. La seule perte irrécusable est celle des étapes successives d'un manuscrit que bientôt les spécialistes ne pourront plus analyser chez les écrivains modernes : rares étant ceux qui utilisent la fonction révision ! Pour y avoir moi-même succombé, au point de ne plus savoir revenir en arrière, je devine bien à concevoir mes textes directement sur un clavier l'économie d'une étape - celle dernière de transcrire son texte - mais pas celle des corrections successives … car, non ! un texte n'est jamais achevé qui ne se publierait jamais si l'on ne décidait péremptoirement, de passer à autre chose, l'abandonnant en quelque sorte à son imperfection fatale.

Ce grain de bêtise, ou d'insouciance, ou encore d'inconscience à quoi A Compagnon fait allusion, si nécessaire selon lui pour pouvoir écrire, tient d'abord dans cette ingénuité si nécessaire qui nous fait considérer anodine l'écriture quand en réalité elle enchevêtre tous les échos du monde. Derrière la pensée qui s'incarne, sous l'émotion qui s'incruste dans le labyrinthe des mots, je sens s'empresser et gonfler des lignes de forces, des marées d'énergie, des océans insoupçonnables où s'invente et réinvente inlassablement l'être.

Sans doute de nos ordinateurs n'écrirons-nous plus tout à fait de la même manière. Voire ! Car ce sera toujours même rigueur que d'ainsi courber ce grand corps et le contraindre, avec la plus grande régularité, aux caprices d'une feuille qui ne se laisse pas emplir si aisément qu'on l'imaginerait, pour y instiller ce qui n'y aura jamais place toute préparée : ces émotions, sensations, sentiments que la langue répugne à cerner. Pourtant ce sera toujours la même obsession que de poser là, devant soi, comme s'il se fût agi d'une chose indépendante de soi, comme on l'eût fait d'un objet, roide et froid, ce paysage intérieur, cette musique intime qui est la seule partition que nous saurons jamais offrir.

Mais décidément il y a sans doute quelque grandeur en tout cas une réelle politesse à pratiquer la retenue : qui évite au moins la vulgarité.

 


1) Laurent Joffrin La lettre politique, Libération

Une nouvelle fois, on mesure combien les sociétés contemporaines se sont laissées déborder par la puissance biface des réseaux sociaux. Instrument fascinant de culture et de communication, la Toile reste aussi un monstre sans limites.

le texte entier

Mila et le maelström

On a beau s’habituer à tout, la chose laisse tout de même pantois. Ainsi, pour avoir posté sur la Toile une vidéo provo­catrice envers l’islam –  insultante même  – dans le feu d’une embrouille entre jeunes comme il en existe des milliers en ligne, la jeune Mila doit vivre sous protection policière, quitter son lycée et retrouver péniblement une place dans un ­autre établissement, chassée par un déferlement de haine et de menaces de mort. Tout cela se passant dans la République française laïque, au sein d’une école dont la première vertu est d’assurer l’éducation des jeunes générations dans un climat de sereine tolérance.

Personne ou presque ne recommandera l’usage d’invectives vulgaires dans la légitime critique de telle ou telle religion. Dans une société civilisée, on évite autant que possible d’injurier les convictions religieuses de ses voisins. Mais au pays de la satire anticléricale, du surréalisme transgressif, de la traditionnelle moquerie envers les religions impérieuses, on mesure la régression que ces lynchages en ligne risquent d’entraîner pour la liberté d’expression. Au rebours de l’insigne maladresse démontrée par la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, dans sa première réaction, le blasphème est licite en France, comme dans la grande majorité des démocraties. La loi est sur ce point d’une clarté cristalline. Ce qui nous conduit à tirer quelques leçons de cette affaire au départ microscopique, changée en polémique nationale par la violence verbale des contempteurs de la jeune Mila.

1) Une nouvelle fois, on mesure combien les sociétés contemporaines se sont laissées déborder par la puissance biface des réseaux sociaux. Instrument fascinant de culture et de communication, la Toile reste aussi un monstre sans limites. Des millions d’utilisateurs n’ont pas compris que ce qu’on poste sur les réseaux échappe à la première seconde au champ de la vie privée ou des cercles de proches pour devenir une déclaration publique susceptible, dans les cas majeurs, de faire le tour de la Terre. Dans une société policée, apaisée, ce qu’on dit dans l’intimité n’a pas vocation à devenir parole publique. L’abolition de cette barrière par Internet transforme le débat public, déjà passablement violent, en foire d’empoigne permanente qui laisse libre cours à toutes les pulsions, y compris les plus ­blessantes ou les plus mortifères. Faute d’un mode d’emploi reconnu, selon le langage de la ­psychanalyse, le «ça» et le «moi» emportent le «surmoi» dans un maelström d’affects grossiers. Il serait peut-être temps d’y réfléchir collectivement, pour retrouver, à l’expérience, les règles élémentaires de la communication civilisée.

2) Avant et après sa vidéo, Mila a été victime d’agressions en ligne sexistes et homophobes (c’est d’ailleurs ce qui a déclenché sa diatribe sur l’islam). Les réactions des associations féministes ou LGBT ont été variables, allant du soutien clair et immédiat à la défense gênée. Elles sont globalement restées inaudibles, alors même que ces associations ont pour habitude de professer haut et fort une vigilance de tous les instants. Pourquoi ? Parce les agresseurs sont –  ou semblent être  – des musulmans. Voilà le résultat d’idéologies certes bien intentionnées, mais qui sont handicapées par un essentialisme pervers. On juge les agresseurs pour ce qu’ils sont, et non pour ce qu’ils font. Selon qu’ils appartiennent ­à tel groupe, pour les mêmes faits, ils seront plus ou moins condamnables. Du coup, on introduit une hiérarchie des victimes et des coupables propice à toutes les dérives racialistes. Alors que dans ce domaine, comme dans tant d’autres, le bon vieil universalisme est la seule boussole légitime.

3) L’affaire, aussi bien, démontre la virulence de la pression intégriste, qui tend à rétablir de fait, et contre l’esprit des lois, l’interdiction du blasphème. Autre régression déplorable, justiciable d’une résistance et d’une lutte sans complexes, ni faiblesse.

4) On remarquera, enfin, que la principale autorité musulmane du pays, le CFCM, par la voix de son président, Mohammed Moussaoui, ne dit pas autre chose : «Nous devons accepter que l’islam soit critiqué y compris dans ses principes et fondements. […] La liberté d’expression est fondamentale. Elle est source d’enrichissement et de progrès par la diffusion d’idées et d’opinions qu’elle permet. Elle est le fondement de notre démocratie et le rempart contre toutes les formes d’alié­nation.» On ne saurait mieux dire. Comme quoi, tout n’est pas perdu.

 

2) ENTRETIEN

Antoine Compagnon : « Accepter sa bêtise, c’est indispensable pour écrire, et peut-être aussi pour vivre »

Professeur, chercheur, essayiste, romancier, Antoine Compagnon a commencé, en janvier, son dernier cycle de conférences au Collège de France, où il occupe depuis 2006 la chaire de Littérature française moderne et contemporaine. Ce cours, intitulé « Fins de la littérature », entre en résonance avec sa propre vie. À l’aube de sa soixante-dixième année, ce spécialiste de Montaigne, de Proust, de Roland Barthes, dont il fut l’ami, garde pourtant son appétit pour la recherche et l’écriture, et publiera au printemps Un été avec Pascal.

Je ne serais pas arrivé là si…

Si je n’avais pas eu beaucoup de chance. Vous connaissez la phrase de Pascal : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé. » J’ai toujours eu cette foi-là, tout en ayant perdu l’autre. Je disais aux étudiants qui se lançaient dans une thèse qu’ils ne réussiraient pas sans croire en leur grâce. La chance, c’est le nom que je donne à la foi du chercheur, et nous sommes tous des chercheurs. Il faut y croire pour donner sa vie à la recherche, pour vivre.

Votre mère vous apprend à lire, un été. « Puisque je pouvais transformer des traits nus en réalité vivante, j’étais tout-puissant. Je savais lire »,écrit Alberto Manguel dans « Une histoire de la lecture » (Actes Sud, 2000). Et vous, quel souvenir gardez-vous de ce moment ? 

Ce n’est pas seulement ma mère qui m’a appris à lire. Je me souviens très bien de cette saison merveilleuse, entre le printemps et l’été 1955. J’ai commencé, vers quatre ans et demi, à Paris, avec une tante de mon père, institutrice. Pour la naissance de mon frère, on m’a envoyé à Bruxelles – ma mère était belge – durant quelques semaines, et là j’ai poursuivi avec la gouvernante qui avait déjà appris à lire à ma mère. Puis nous avons passé l’été dans une propriété familiale du Berry et ma mère a pris le relais. Nous partions tous en Tunisie à la rentrée, où mon père, militaire, était affecté. Voilà bien un moment inoubliable : l’être qui vous guide dans la découverte des livres est toujours essentiel. Pour moi, ce fut ma mère.

Quand je repense à ces scènes d’apprentissage, me revient l’émotion d’une grande proximité avec elle. Il est rare dans une famille nombreuse — nous étions six enfants — d’avoir sa mère pour soi, surtout lorsqu’il y a un nouveau-né. Me sont restées aussi des difficultés avec le « G », le « Ge » et le « Gu » ! Le livre de lecture s’appelait Marlaguette et le loup et je lisais « Marlajuette ». J’ai longtemps buté sur cette consonne dans les mots nouveaux.

 

Cette mère, qui disparaît lorsque vous avez 14 ans, vous en imitez l’écriture, vous admirez son art du récit. C’est son legs ?

Ma mère lisait beaucoup de littérature anglaise et américaine. Elle avait été élevée en partie en anglais et elle nous racontait souvent des histoires. Entre 8 et 10 ans, je me rappelle certains de ses récits, que j’ai plus tard retrouvés chez Henry James. J’ai toujours son exemplaire de Moby Dick, d’Herman Melville. Durant mon enfance, mon père était souvent absent, en raison de la guerre d’Algérie. Nous vivions seuls avec ma mère, nous écoutions la radio et nous lisions des histoires. Elle est morte à 43 ans, d’un cancer que l’on guérirait probablement aujourd’hui.

Le jour de sa mort, vous perdez la foi… Vous écrirez plus tard : « Que le deuil d’une mère soit inaccessible rend à jamais mélancolique »…

Ma foi devait être déjà en perdition. J’ai été élevé dans la religion catholique, j’ai servi la messe avec assez de zèle. Je me souviens de cette fin de matinée, le jour de la mort de ma mère. Je me suis dit qu’il n’y avait aucune raison de croire à un autre monde, à une autre vie.

La mélancolie n’est pas un mauvais état. Elle rend actif. Montaigne, sans doute un grand mélancolique, reste très modeste devant elle. Il fait tout pour ne pas la revendiquer, car elle était considérée par les Anciens comme le mal des créateurs. S’en réclamer, ce serait de l’outrecuidance, de la prétention.

« La Classe de rhéto » (Gallimard, 2012) décrit votre année de première au Prytanée national militaire de La Flèche (Sarthe), « comme au XIXe siècle ». Quelle empreinte cette formation a-t-elle laissée sur vous ?

Un internat comme celui-là vers 1965, c’est inconcevable aujourd’hui. De telles institutions ont été profondément réformées depuis ce temps-là. On y restait enfermés des mois durant, sans contact avec l’extérieur. C’était loin, on était entre soi, totalement isolés, peut-être même d’une manière plus radicale qu’au XIXe siècle. Notre existence était quasi monacale, ou carcérale. Nous vivions séparés du monde, mais c’était aussi une initiation parfaite au monde dans sa réalité. Dans ce microcosme communautaire où régnaient la discipline, l’autorité, l’arbitraire, si l’on se tenait à la bonne distance, si l’on observait, il n’y avait pas de meilleur apprentissage de la société et du pouvoir. Les rapports de force, la rébellion, la solidarité, l’amitié, nous expérimentions tout cela en accéléré, en concentré. Tous les ressorts humains étaient à nu.

J’ai sans doute aussi retenu de cet âge une discipline de travail. J’ai conservé les mêmes horaires, levé tôt et couché de même, sauf exception.

Polytechnicien à 20 ans, vous devenez le disciple et l’ami de Roland Barthes, puis docteur ès lettres à 27 ans. Est-ce un acte de rébellion, par exemple eu égard à la carrière militaire que votre père, général et grand-croix de la Légion d’honneur, eût voulu vous voir embrasser ?

Non, mon père n’a jamais voulu que je devienne officier comme lui. Et je n’ai pas vécu cette conversion comme une rébellion, mais plutôt comme un glissement progressif. En France, on accorde beaucoup trop d’importance à la formation initiale, et je ne crois pas à la contradiction des deux cultures, scientifique et littéraire. J’ai fait une licence de lettres par pur plaisir. Les années 1970 s’y prêtaient, tout était très ouvert dans ce quartier même du Collège de France. Avant Vigipirate, on entrait partout comme dans un moulin, si l’on avait un peu de curiosité. De Polytechnique à Jussieu, de Jussieu à la Sorbonne, de la Sorbonne au Collège de France. On se formait soi-même en rôdant dans les établissements du quartier en quête de savoir. En littérature, en philosophie, là où le goût me portait, mais sans du tout avoir l’idée d’en faire un métier.

« En quarante-cinq ans d’enseignement, je ne me suis jamais ennuyé »

On a du mal à imaginer aujourd’hui que nous n’avions pas entendu parler du chômage et que nous ne pensions jamais à la retraite. L’inquiétude des trentenaires de 2020 est légitime. Mais pour nous qui avions tout juste échappé à la guerre, qui étions les premiers à ne pas devoir la faire, ni la première, ni la seconde, ni l’Indochine, ni l’Algérie, l’âge pivot était un moindre souci. N’idéalisons pas le passé, mais c’étaient des années fastes, de paix, de croissance, excitantes intellectuellement, sans inquiétude pour l’avenir. Changer de carrière ne paraissait pas un drame. Si le mot de vocation n’est pas inconvenant, j’avais sans doute celle de l’enseignement. J’ai été heureux comme professeur, et surtout comme professeur de littérature.

C’est ma quarante-cinquième année d’enseignement et je ne me suis jamais ennuyé. J’ai eu la chance d’enseigner dans plusieurs pays, dans diverses universités, puis au Collège de France, et c’est une activité qui m’a comblé d’un bout à l’autre.

A propos d’enseignement, vous avez créé la polémique, en 2014, en déclarant au « Figaro » que la féminisation massive du métier d’enseignant avait « achevé de le déclasser »…

Non, cette présentation – après un entretien téléphonique – a l’air d’introduire une causalité. Je ne faisais que rapporter un constat banal, établi, regrettable, et quantifié par les sociologues, sur la dévalorisation, ne serait-ce qu’en termes de rémunération relative, des activités professionnelles qui se féminisent. On en est encore là en 2020, malheureusement, et cette tendance, qui concerne bien d’autres activités que l’enseignement, doit être combattue. L’observer ne revient nullement à suggérer que la féminisation serait la cause du déclassement. Mais ce qui me semble devoir être évité, c’est qu’une profession devienne toute féminine ou toute masculine. Par exemple, il vaudrait mieux qu’il y ait encore des hommes pour enseigner à l’école primaire, et aussi des femmes parmi les tradeurs.

Nous évoquions Barthes. Vous avez écrit, dans « L’âge des lettres » (Gallimard, 2015), qu’il « manquait à Roland ce grain de bêtise pour imaginer des romans ». Ce grain de bêtise, vraiment ?

Flaubert disait qu’il fallait être un peu bête pour faire un roman, et surtout pour le publier. Écrire un roman, cela suppose un brin d’innocence ou d’inconscience. Sans cela, si l’on n’accepte pas de renoncer à l’intelligence, c’est impossible. Voyez Paul Valéry. Comme beaucoup de modernes, il était trop intelligent pour s’abandonner à un genre littéraire dans lequel il n’aurait pas tout contrôlé. La littérature se définit par la pluralité des sens, et Barthes, un intellectuel, voulait contrôler le sens. À la fin de sa vie, son projet de Vita Nova, interrompu par un accident, l’aurait peut-être conduit dans une voie différente.

Vous avez écrit deux romans, « Le deuil antérieur » (Seuil, 1979) et Ferragosto (Flammarion, 1985), baptisé récit. On n’y voit pas le moindre grain de bêtise…

Sont-ce vraiment des romans ? Et n’y a-t-il pas tout de même un peu de bêtise dans ces pages ? La sagesse voudrait qu’on s’abstienne. Accepter sa bêtise, c’est indispensable pour écrire, et peut-être aussi pour vivre.

Quand on a 230 000 lecteurs, manifestement heureux, pour « Un été avec Montaigne » (France Inter/Equateurs, 2013), ce serait tout de même dommage, non ?

C’est pour cela qu’on renonce à la sagesse… Pour écrire, pour publier, il faut non seulement un grain de bêtise, mais aussi un soupçon d’amour du monde. Les livres sans amour sont illisibles. Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit ne seraient pas ces chefs-d’œuvre si Céline, malgré tout, peut-être malgré lui, n’y avait pas mis aussi de l’amour. Un peu de bêtise, un peu d’amour, ou d’amitié, c’est la recette de la littérature. On ne fait pas de livres avec de la haine.

Considérez-vous toujours que les livres déjà faits ne donnent aucune assurance pour le suivant ? Que l’on se trouve toujours « démuni et vulnérable » ?

Oui, rien n’a changé. Je fais un cours nouveau chaque année, et je me sens toujours aussi démuni devant la tâche à accomplir. J’éprouverai jusqu’au bout le même sentiment de doute et de vulnérabilité. C’est pareil avec les livres, et c’est bien ce risque qui rend ces deux activités, écrire et enseigner, aussi enivrantes.

Votre cycle de cours au Collège de France, « Fins de la littérature », commencé le 7 janvier, sera justement le dernier. Cesserez-vous pour autant d’écrire ?

C’est bien la question qui se pose. Quand cesser ? Comment choisir le bon moment ? Dans un cours, on ne parle pas de soi. Mais si je ne me suis jamais ennuyé, c’est que tout cours a une portée existentielle. Tous m’auront concerné en quelque manière. Dans celui de cette année, c’est d’autant plus manifeste.

La question porte sur cette décision : faut-il ou non cesser l’écriture et la recherche ? On ne parle plus aujourd’hui de la retraite que comme de la fin de la souffrance au travail. Mais si l’on n’a pas souffert au travail, que fait-on ? Je n’ai pas de réponse. Je voudrais faire encore quelques livres. J’en ai plusieurs dans mes tiroirs, c’est-à-dire dans mon ordinateur, ou là-haut dans les nuages.

Du moins vous publiez au printemps un autre « été avec »… Pascal en l’occurrence, écrit dans des circonstances particulières, douloureuses.

Ce sont les émissions diffusées à l’été 2019 sur France Inter, comme je l’avais fait pour Montaigne et Baudelaire. J’ai écrit ces pages à l’hôpital, au printemps dernier. J’en dis quelques mots à l’ouverture du livre, car j’étais en train de perdre ma compagne, Patrizia Lombardo [professeure de littérature française et de littérature comparée], d’un cancer. Ce fut ma seule activité durant ses derniers mois. Elle a lu ces textes au fur et à mesure que je les écrivais auprès d’elle. Les derniers, je les lui ai lus moi-même. Nos dernières conversations ont porté sur le cœur et la raison, sur la beauté, sur la grâce. La bêtise et l’amour, je vous disais.