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Voltaire en représentation

Sortie ce mardi dans un lieu que je ne connaissais pas ; plutôt bien agencé où la chaleur réverbérée par ce mur de briques répondait avec grâce à l'enrobé de tables de bistrots où s'attardait comme en terrasse une cohorte improbable de connaisseurs ou d'apprentis experts qu'enchantait l'idée de se rincer le gosier autour d'un verre de rouge tout en entendant parler de philosophie ce qui était joindre l'agréable à l'impérieuse utilité de parader en cultureux de service.

L'idée ne me déplaisait pas même si ce n'est pas la figure de Voltaire qui m'y attira. Pourquoi me fis-je à l'idée d'une lecture de textes avec éventuellement quelques commentaires ? sans doute à cause de la figure de Lucchini qui dans touts ses derniers spectacles avait fait de la lecture de grands auteurs comme une symphonie concertante dont il battait la mesure avec la maestria d'un esthète accompli.

Ceci commença plutôt bien par la présence d'une pianiste qui ponctua chacune des interventions par un morceau, souvent improvisé, qui mit à la rugosité voltairienne une rondeur certes pas inutile.

Je n'aime rien tant que voir ces mains enroulées autour des touches noires et blanches se reflétant dans le brillant discret de l'instrument. J'y soupçonne une des traces si précieuses, en même temps si humbles de la création qui, affectant de se réduire à un simple tour de main, travestit le grand secret sans lequel l'œuvre n’advient pas.

Las, dès que s'acheva le premier morceau, et que débutèrent les propos de ce grison de la philosophie qui s'attacha surtout à contrefaire en indéniable paltoquet que sa posture trahissait le cuistre pédant déversant sur un public pleutre autant que niais une connaissance contrefaite, de pacotille autant que de verroterie.

Conférence, intitula-t-il la chose, ce qui était bien grand mot pour le babil généraliste, asséné sur un ton faussement patelin mais trop abusivement cauteleuse pour ne pas cacher orgueil démesuré : ai rarement entendu emperlement d'autant de banalités, empiècement d'autant de généralités, mosaïque pas même ingénieuse d'autant de truismes. Le sbire se perdait dans les détails insignifiants avec une délectation qui ne devait rien au hasard. Une conférence est supposée être « un discours, un exposé didactique qui s'adresse à un public cultivé et traite en principe d'un sujet de la spécialité de l'orateur.» … foin de didactique ; une apparence vite éventée de spécialisation et une simagrée de dialogue à la fin.

Bref, on l'aura compris, le zélote indolent des soirées ténébreuses m'aura agacé. On ne se produit pas impunément en ce qui se donne comme un spectacle : l'indigent n'avait rien à offrir, peu à présenter sinon sa suffisante dilection pour la pacotille. Allant même jusqu'à oublier, ce qui pourtant le marque pour la postérité, la ferveur que Voltaire mit ici et là à défendre d'autres causes que sa propre gloire : l'engagement qui fut le sien - notamment lors de l'Affaire Calas - est tout à l'honneur de l'homme et préfigure pourtant assez bien ceux qu'un peu plus tard on nommera intellectuels

Soirée ratée pour autant ? Non ! mais envie de mordre l'infatué, sûrement oui ! Ce qu'il reste de Voltaire ? un fatras de pièces de théâtre et de vers que plus personne n'écoute ou ne lit ; des mots d'une causticité incroyable dont tout le monde se souvient - la morgue a bien plus d'écho que la bienveillance !

L'œuvre ? si peu ! le traité sur la tolérance sans doute mais si mal compris - le traité - et si mal comprise - la tolérance … Le personnage ? haut en couleur sans doute, génial et acrimonieux ; généreux mais cruel ; fidèle mais surtout à sa propre gloire.

On se complaît parfois à réduire l'auteur à son œuvre ; parfois à l'inverse à l'en disjoindre. Lirait-on Céline si n'était que le poisseux sue-la-haine qu'il fut ? Heidegger s'il se réduisait au pontifiant raciste englué dans sa culture de cul-terreux souabe ? Regarderait-on les films de Polansky si on ne voyait plus en lui que l'homme à la maladive sexualité mal assumée ?

Peu échapperaient à cet amalgame ! pas même Mozart …

Alors quoi ? Comment parler d'eux ?

Un enseignant eût tenté de l'expliquer ! celui-ci voulut en faire un spectacle : il eût fallu le lire et s'effacer derrière les textes. Celui-ci n'en eut ni le talent ni la modestie.

Dommage