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Insane

Une polémique parce que Y Moix, que j'ai du entr'apercevoir un jour à la TV, que je n'ai jamais lu, qui s'affiche comme écrivain, a exhibé ses préférences sexuelles - amoureuses ? - dans la presse. Ce qui a suscité polémique évidemment à quoi il répond lamentablement dans une tribune à Libération. Pan sur le bec comme eût écrit autrefois le Canard : bien fait ! pensais-je incontinent ! quel besoin eut donc ce triste sire d'étaler ses inclinations sur la place publique. C'est la seule chose que je lui reconnais : après tout qu'il préfère les jeunes - il n'est pas le seul - et les asiates, bon, après tout tant que ce sont des relations librement consenties … qu'aurions-nous à en dire ? à y redire ?

Mais quoi ? pourquoi ainsi nous prendre à témoin de ce qui me paraît outre une inutile confession, une bien triste impudeur ? On ne me fera jamais croire que ceci pût intéresser jamais autre que lui-même ni aider en rien à comprendre encore moins à aimer la prose du quidam. Ce n'est plus de la littérature mais simplement l'indigne dégradation dans la rubrique people où cet habitué des trétaux médiatiques - saurait-il y avoir un hasard ? - traîne son -mauvais - esprit.

Alors, le sourcilleux, pris au piège de ses propres impudeurs, de se récrier être victime d'une cabale, avec tout l'aplomb que la sincérité offensée peut mimer dans la provocation ou, pire encore, victime d'une époque qui ne sachant ou ne voulant plus lire, se vautrerait dans la litière de la calomnie, dans les remugles de l'indignation facile …Et d'en accuser l'époque qui n'aimerait pas l'individu.

Las le satire mondain des magazines se pique d'être philosophe mais confond la question de l'être avec ses petites frénésies intimes et ses toquades incontrôlables avec de grandes tragédies métaphysiques. Et le voici se jouant de différents traumatismes dont il fût victime … la belle affaire ! Que ce sbire connût comme tout un chacun son lot de malheurs et de bonheurs, d'échecs et de réussites, soit mais n'est-ce pas ici le lot de chacun ? Que tel ou tel échec amoureux, ou récit d'enfance orientât ses préférences amoureuses ou plutût sexuelles, c'est possible, et sans doute une affaire d'inconscient à résoudre avec son psychanalyste s'il en souffre ; dans le silence de sa bibliothèque sinon. Mais pourquoi diantre nous en rendre à témoin. Il y a un côté victime que ce bougre revêt assez spontanément qui relève, à peine, d'une psychologie de cour de récréation - c'est pas moi, m'sieur ! - qui est autant déplorable que ridicule. Je suis comme ça mais j'en souffre qui ne convainc personne !

Ce n'est pas tout-à-fait tout : il y a dans cet éloge de la jeunesse et dans les réactions hurlant à la discrimination quelque chose sinon d'hypoccrite en tout cas de totalement irréfléchi. Tout, depuis longtemps, pousse dans ce sens. De notre consumérisme qui incite à toujours trouver le nouveau plus efficace, robuste et désirable que l'ancien, aux jeunes femmes exhibées dans les publicités - qui ne sont souvent que des jeunes filles habilement photoshopées - comme on dit. Tout nous y incite et cela fait depuis plus de deux siècles déjà que nous apprîmes à rechercher l'âge d'or devant nous plutôt que dans quelque paradis perdu dès les origines. Nulle plus que cette génération, qui fut pléthorique, ne joua de cette corde ; qu'elle s'angoisse un tantinet, la vieillesse ou la mort approchant, quoi d'étonnant ? Serions-nous pour autant une société immature vantant l'empire de la jeunesse au delà de toute mesure ?

Ce me semble en tout cas bien lâche de se payer ainsi sur la bête ! Que notre avenir soit incertain devrait nous inciter en tout cas à agir et prendre nos responsabilités plutôt que de pleurnicher en se réfugiant dans des bras juvéniles et criant n'y être pour rien.

Lzmentable ! vraiment !

 


 

Tribune. Je suis au cœur d’une polémique lamentable. Mais cette polémique a le mérite de nous éclairer sur l’époque, à la façon de la mer qui, se retirant, permet de voir ce que dissimulaient les flots. Dans un récent entretien à Marie Claire, j’ai fait part de ma préférence pour les femmes jeunes. J’avouais aussi, en la matière, un tropisme asiatique. Et l’hallali, mondial, commença.

L’époque est folle : dès qu’une parole, singulière, individuelle, intime s’exprime, celle-ci s’expose aux foudres d’une meute aveugle rassemblée pour l’occasion. Cette meute se compose de plusieurs éléments : d’une part, ceux et celles qui ont toutes les raisons apparentes de prendre mal les propos en question ; d’autre part, ceux qui (attirés par l’odeur du sang) choisissent de les prendre mal, bien que parfaitement conscients que la situation, que la réflexion, que les déclarations sont plus complexes que la caricature qu’ils tiennent à en faire.

Oui, l’époque prend tout mal ou choisit de tout prendre mal : ce qui compte, c’est l’émergence d’une parole à condamner, indépendamment de son contexte, de ses nuances, de sa complexité, de sa particularité. Cette parole, ce propos, se voient déconnectés de la pensée de son auteur et servent à fabriquer un coupable idéal, imaginé, façonné, fabriqué, inventé spécialement pour incarner le tabou à circonscrire, et le réduire au silence par une camisole d’injures, d’intimidations, de menaces. On cherche, perpétuellement, matière à se scandaliser.

 

L’époque ne sait pas lire, ne veut pas lire, n’a pas le temps de lire : ainsi, le propos tenu, les mots prononcés voyagent-ils, simplifiés à l’extrême, de tweet en tweet, de site en site, rebondissant ; on croit sur parole l’écume qui reste d’un entretien, dans lequel un homme seul essayait, honnêtement, sans cynisme ni masque, de déployer une vérité sur plusieurs heures, sur plusieurs pages. L’hémorragie commence ; le phénomène, ensuite, propagé à la vitesse de la rage, est exponentiel. Du Brésil en passant par l’Italie, de la Corée en passant par la Croatie ou la Turquie : on vous traite de tous les noms, on vous vilipende, on vous assassine. Le but est d’obtenir votre mort sociale. Tout s’emballe et la raison est vaincue.

Expliquant pourquoi, suite à différents traumatismes, je ne pouvais avoir accès à l’univers des femmes de 50 ans, je suis devenu, instantanément, par le truchement d’une fureur empressée d’en finir avec moi, celui qui les trouvait indignes de désir et d’intérêt. J’avais livré, humblement (j’étais abattu par une rupture), les clés psychanalytiques de mon blocage : on fit de moi un prédateur à jeunesses. Je n’ai jamais crâné, jouant les séducteurs, me vantant d’avoir à mes bras des créatures «non périmées» (lexicographie qui me dégoûte). Cela serait grotesque. J’évoquais une malédiction de ne pouvoir être adulte ; pas une compétition navrante de mâle blanc. Je ne disais pas «tout haut ce que tout le monde pense tout haut» ;au contraire, en tant qu’écrivain (je suis en promotion de mon dernier roman, Rompre) je disais, assez bas, ce que j’étais le seul à penser tout haut.

 

Mais l’époque n’accepte pas l’individu : il s’agit, aujourd’hui, dans ces déclarations, non pas tant de plaire à tous, mais de ne déplaire à personne. Il s’agit d’épouser un discours générique, incarné par une foule invisible qui représenterait, de manière immanente, la doxa du temps présent. Aimer ceci équivaut à détester cela. La binarité a gagné. Préférer les uns, c’est exclure les autres. Mais je ne parlais, dans Marie Claire, que de moi ; qu’à partir de moi. Mes mots, comme mes goûts, n’ont pas valeur de modèle universel. Ces goûts, ces inclinations, ces penchants, qui sont miens, je n’ai pas à en répondre. Je ne sache pas qu’il existe un tribunal du goût. Je n’ai pas, comme écrivain, à me lover dans un discours générique, à me confondre dans une attitude lissée par la morale ambiante. Si j’aimais les fillettes, la loi me punirait ; aimer les femmes de 25 ans, comme aimer les hommes, ou les femmes de 70 ans, n’est puni par aucune législation.

Mais l’époque est incohérente : ce qui est apparu comme insupportable, dans ces propos, c’est qu’un homme de 50 ans confesse qu’à ses yeux, les femmes de 50 ans, c’est-à-dire de son âge, étaient «invisibles». C’est donc le même, le strict même procès en âge que l’on me fait. De même, lorsque les femmes, vexées, blessées par mes dires, m’envoient, par centaines, des photos de leurs seins, de leurs fesses, pour démontrer qu’elles sont encore «comestibles» (je reprends une expression que j’ai pu lire), elles s’humilient, ne voyant pas que, ce faisant, ce sont elles qui se résument à leur anatomie. Je précise enfin qu’on peut aimer les femmes de 25 ans et les respecter. La seule chose qui compte, en la matière, c’est le sentiment amoureux et l’attitude face à l’être aimé.

L’époque est hypocrite : car si j’ai dit sortir, souvent, avec des femmes plus jeunes que moi, je n’ai jamais prétendu qu’elles fussent belles. Précisément, nombre de mes compagnes ont pu, au cours des années, se sentir disgracieuses en comparant leur aspect physique aux corps parfaits des déesses exhibées à la une de magazines féminins. Combien de fois une de mes compagnes s’est-elle exclamée : «Je me trouve moche !» après avoir comparé son visage, sa plastique, à ceux d’un modèle de Elle ou de Marie Claire. Les femmes, parfois, feraient bien - je le dis avec un infini respect avant de redéclencher un tsunami - de balayer devant leur porte avant de chercher des boucs émissaires. Enfonçons ce triste clou : les femmes de 50 ans qui font la une de la presse féminine ne sont-elles pas, le plus souvent, «photoshopées», retouchées, trafiquées ? Les dossiers sur les quinquagénaires ne s’intitulent-ils pas «Comment être encore belle à 50 ans ?» ou «Comment plaire à 50 ans ?» Suis-je, en outre, l’inventeur des titres Jeune et Jolie ou 20 Ans que des générations de femmes ont appréciés ? Ces magazines ne s’intitulaient pas «Vieille et Laide» ni «50 Ans», que je sache. Ce n’est pas de mon fait si le temps passe. Et il passe pour et sur tout le monde.

Mais l’époque a peur de la mort : le transhumanisme, cette crétinerie, prétend abolir la mort, devenue insupportable à l’être humain. Nous n’acceptons plus de mourir ; or le vieillissement est le bras armé de la mort. A 50 ans, la mort n’est plus une abstraction. Le dire, dire que les corps, masculins ou féminins qu’importe, traduisent le passage des années n’est pas acceptable. Je l’ai dit, et le redis. Doit-on marcher sur des œufs pour affirmer que l’homme est mortel ?

Pour finir, lorsque je sors avec une femme jeune, cela ne gêne personne ; nul, homme ou femme, dans la vie courante, ne s’en est jamais offusqué. Si je dis pourquoi, en revanche, c’est la curée. Il faut s’interroger sur ces réalités qui sont mais qui n’ont pas le droit d’être exprimées par des mots. Les femmes, c’est une banalité que de l’écrire, sont belles à tout âge. Que, par une malédiction intime, par une paralysie qui m’est propre, je n’aie pour le moment pas accès à leur cosmos ne doit en rien les blesser, c’est moi qui suis à plaindre, enfermé dans mes misérables chimères d’enfant vieilli.