Bloc-Notes 2018
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Ignominies et pardon

 

Rebatet dans les Décombres : « L’homme à l’habit vert, le bourgeois riche, avec sa torve gueule de faux Greco, ses décoctions de Paul Bourget macérées dans le foutre rance et l’eau bénite, ses oscillations entre l’eucharistie et le bordel à pédérastes qui forme l’unique drame de sa prose comme de sa conscience, est l’un des plus obscènes coquins qui aient poussé dans les fumiers chrétiens de notre époque. »
Mauriac « Un polémiste-né est presque toujours un homme qui a échoué dans le roman ou au théâtre... Une existence consacrée à l’invective, comme celle de Léon Daudet, prend toujours sa source dans un cimetière d’oeuvres avortées. »

“Le 14 janvier 1933,
Monsieur, Vous venez de si loin pour me tendre la main qu’il faudrait être bien sauvage pour ne pas être ému par votre lettre. Que je vous exprime d’abord toute ma gratitude un peu émerveillée par un tel témoignage de bienveillance et de spirituelle sympathie. Rien cependant ne nous rapproche, rien ne peut nous rapprocher ; vous appartenez à une autre espèce, vous voyez d’autres gens, vous entendez d’autres voix. Pour moi, simplet, Dieu c’est un truc pour penser mieux à soi-même et pour ne pas penser aux hommes, pour déserter en somme superbement. Vous voyez combien je suis argileux et vulgaire !
Je suis écrasé par la vie, je veux qu’on le sache avant d’en crever, le reste je m’en fous, je n’ai que l’ambition d’une mort peu douloureuse mais bien lucide et tout le reste c’est du yoyo.
Bien sincèrement je vous prie, Destouches Céline”

En lisant Mauriac toujours …………

Il y a de nombreuses pages écrites par lui sur Brasillach, Drieu la Rochelle et tant d'autres pour lesquels à la Libération il s'est battu - cherchant à obtenir pour eux pardon, compassion … oubli. Lui qui pourtant essuya plus souvent qu'à son tour, invectives, injures ; menaces. Mais quoi, on ne se refait pas ! Sans doute, fut-il catholique d'une trempe qu'on a oubliée.

Pourtant de lignes consacrées à Céline, dont parait-il il vanta les mérites en privé, je n'en trouve pas. Celui-ci était-il allé plus loin que les autres encore ? En revanche, et ce dès le début, Céline afficha avec violence le mépris que Mauriac lui inspira.

Deux remarques, presque identiques en tout cas dans les lignes consacrées successivement à Drieu et à Brasillach. La solitude de leur fin et les rencontres furtives ou ratées aux terrasses parisiennes. Il fait référence à une rencontre avec Drieu en 41 pour dire : La dispute fut longue et âpre, et sans remède ; et ajouter quelques lignes plus bas Durant les dernières semaines avant la Libération je me sentais anxieux à cause de lui, comme à cause de Brasillach; j'observais, impuissant, ces deux solitudes traquées. * Comédie du pouvoir, petit manège des importants, refrain acide des courtisans. Qui, si peu que ce soit, à un moment donné, détient un quelconque pouvoir, fût-il seulement d'influence comme ce fut le cas pour ces écrivains, se laisse prendre au piège et imagine qu'on le sollicite non pour sa place mais pour lui-même, est un sot, un fat et prendra de pleine face le fouet de la tempête contraire. On reconnaît sans doute les grands à cci qu'ils se méprennent peu sur les vanités du pouvoir, encore moins sur ses illusions. C'est vrai, il y a quelque tristesse à contempler la désolation d'un prince détrôné : encore faut-il qu'il n'ai pas démérité. Les illusions tombent d'elles-mêmes. Les statues se déboulonnent. Rarement avec élégance.

le crime, payé de leur jeune vie, fut d'avoir suivi la politique officielle du pouvoir légal.
ibid

L'argument de Mauriac sera toujours le même : ceux-là ont suivi la ligne d'un gouvernement qui aura été le gouvernement légal de la France. Ils doivent assurément être sanctionnés pour les crimes commis quand il y en eut mais avec cette circonstance atténuante-ci. Argument faible me semble-t-il : s'il est exact qu'il faille faire la différence entre des paroles honteuses voire seulement maladroites et des actes odieux, on ne peut pas tenir pour rien la responsabilité de celui qui écrit. Comme l'eût écrit H Arendt, on n'était pas en plus obligé de hurler avec les loups. La trahison de cette élite-là aura souvent été patente, lourde de conséquences ; sa veulerie aussi.

Je peux comprendre l'effroi du chrétien qu'est Mauriac et ses manœuvres pour sauver celui-ci ou celui-là ont quelque chose du Mon Dieu protégez-moi de mes amis ; mes ennemis je m'en charge de Voltaire !

Ou encore

Mais je vous dis, à vous qui m'écoutez: Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent,
bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous maltraitent.
Si quelqu'un te frappe sur une joue, présente-lui aussi l'autre. Si quelqu'un prend ton manteau, ne l'empêche pas de prendre encore ta tunique.…
Lc 6, 27-29

On peut comprendre son souci devant les ravages de cette guerre civile se poursuivant avec les iniquités inévitables de l'épuration mais de là à s'attendrir, à cause de sa fille, sur un Laval qui n'eût commis d'autre crime que de proclamer Je souhaite la victoire de l'Allemagne ! il y a un gouffre ou une licence qui n'a rien de poétique.

Je n'oublierai jamais l'admirable fille de Pierre Laval, venant un soir chez moi, comme si j'eusse pu sauver son père ... Hélas ! S'il y eut jamais cas désespéré, c'était bien celui-là, Pierre Laval ayant en quelque sorte assumé toutes les haines, y compris celles des partisans du maréchal. Jamais bouc émissaire ne fut plus honni - moins à cause de ce qu'il avait fait qu'à cause de ce qu'il avait dit (« Je souhaite la victoire de l'Allemagne»).
Préface

Je veux bien entendre ce que ces procès purent avoir de sacrifice expiatoire autour de quoi la nation pût se reformer, mais quoi ?, Laval n'est innocent de rien : l'analyse de la victime émissaire ne tient qu'à moitié ; certainement pas pour le disculper. Certes, l'époque était terrible ; mais les choix décisifs. A la victoire du nazisme, rien n'obligeait d'ajouter ni la collaboration, ni le zèle. Cette histoire a été cent fois écrite ; elle le sera encore ! Je devine ce qu'elle a pu avoir d'incompréhensible car elle doublait l'horreur inconcevable d'ignominie impardonnable. Elle dit assurément quelque chose sur la trahison des clercs, même si ce n'est pas dans le sens qu'entendait Benda ! D'aucuns aujourd'hui se réjouissent de la fin des intellectuels engagés : c'est vrai ils se sont tellement trompés.

Et pourtant ! Quand je lis le nom des collaborateurs du 1e numéro de l'Humanité, ce 18 avril 1905 … on peut comprendre les quolibets de ceux qui préférèrent qu'on appelât ce journal Les Humanités ; oui, mais la liste fait rêver. A France, J Renard, Tristan Bernard, Blum, Zevacco et même Marcel Mauss. Que s'est-il passé pour qu'en moins de trente ans les intellectuels se tussent ou trahissent ? On pourrait écrire de même aujourd'hui : regarder la liste des collaborateurs d'un Express des années 50 et 60, d'un Nouvel Obs des années 70 et s'inquiéter. Mais où sont-ils ? que disent-ils désormais sinon ronronner dans le sens du poil - même plus hurler - et entonner comme un mauvais refrain d'été la même litanie libérale sur la flexibilité, la responsabilité comme si l'impératif économique leur avait sucé toute dignité, tout honneur, toute espérance humaniste !

Alors, finalement, même si m'agace parfois telle ou telle remarque qui laisse fuser un quel vieux con de droite ! qu'on retient à peine - à lire par exemple cet article de B Franck dans le premier numéro du Nouvel Obs de 1964 - il n'empêche celui-ci, quitte à hérisser tout le monde, et à prendre parti contre son camp présumé, celui-là a su tout au long de sa vie prendre parti quand il l'estimait nécessaire tout en cherchant simultanément à vivre sa foi !

Où l'on comprend que la question n'est finalement pas celle du pardon ! La culpabilité demeure de toute manière une question individuelle, surtout si on l'entend de manière morale ou métaphysique - ce que Jaspers avait très bien compris. Qui n'engage que ceux qui ont encore des oreilles pour entendre ! La question repose tout entière en la personne qui pardonne.

« Pour dire encore un mot du fait d’enseigner comment le monde doit être, la philosophie au reste vient toujours trop tard pour cela. En tant que pensée du monde, elle n’apparaît qu’à l’époque où la réalité effective a achevé son processus de formation et en a fini avec lui. Ce qu’enseigne le concept, l’histoire le montre aussi nécessairement, à savoir que c’est seulement dans la maturité de la réalité effective que l’idéal apparaît en face du réel, et qu’il conçoit pour lui-même le même monde, dans sa substance, et l’édifie dans la figure d’un royaume intellectuel. Quand la philosophie peint son gris sur gris, c’est qu’une figure de la vie est devenue vieille, et on ne peut la rajeunir avec du gris sur gris, mais on peut seulement la connaître ; la chouette de Minerve ne prend son vol qu’à la tombée du crépuscule. »
Hegel,  Principes de la philosophie du droit, trad. J.L Vieillard-Baron, GF-Flammarion, p.76

J'ai appris de longtemps, avec des gens comme Hegel ou Marx, que c'est l'histoire qui fait l'homme et que donc à période troublée, hommes exceptionnels ; à temps calme, hommes médiocres, trop souvent. On peut y rajouter ceci : à temps de tempête, hommes courageux capables de pardonner ou, au moins, de ne pas juger. A temps calmes, des censeurs, éthiciens et pourfendeurs d'ancien monde.

Reviendra le temps des drames, des heurts ; des choix et des errances parce que l'histoire est ainsi. Viendra alors le temps de la pensée car l'oiseau de Minerve ne s'élève qu'au crépuscule !