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Manifs …

Rien n'est plus étrange, décidément, que ces tuyaux à information continue dont la TV nous abreuve. Au point de se demander, vieille question néanmoins, qui des manifestations ou des chaînes crée effectivement l'événement.

Sur le pont dès le matin, prompts à saisir les premières images un tant soit peu spectaculaires autour d'une tablée d'experts en tout genre (politologue surtout mais aussi expert en force de l'ordre - ah bon ça existe ? et autres fanfarons de la connaissance) les chaînes de l'Info en direct déversent en boucle images, interventions de reporters qui ne voient rien ou se contentent de décrire ce que nous voyons aussi à grand renfort d'hyperboles aussi stupides que révélatrices de l'inculture ambiante - scènes de guerre ; guérilla urbaine et autres émeutes - et plateau d'intellectuels sagaces aux gestes d'autant plus lents et apaisés qu'ils visent à faire contrechamp aux agitations irréfléchies de la populace.

c’est fou ce qu’il peut y avoir de monde qui rampe sur le paillasson
un tas de gens connus des gens qui sont quelqu’un des journalistes des hommes de main
des valets de pied des écrivains des banquiers des académiciens le veilleur de nuit les écoute
ils parlent… ils parlent du nez… de la pluie et du beau temps mais ils parlent surtout argent
il y en a qui sont avec leur femme monsieur Déchet avec madame Déchet monsieur Gésier avec madame Chaisière monsieur Pierre Benoit madame Antinéa madame Léon Bailby monsieur Antinoüs monsieur Leprince-Ringuet et la princesse
monsieur Salmigondis madame Cora Laparcerie monsieur Deibler et sa veuve
grand-papa Doumergue et ses petits-enfants et le petit monsieur tout seul
Quenelle de Jouvenel Bertrand
monsieur Claude Führer le grand pétopiomane et puis des Léon Vautel… des Clément Daudet… des Brioche la Rochelle des Jab de la Bretelle… des Maurras et des Vorace de Carbuccia des Gallus des Henribérot des Gugusses des compères Doriot des de mes deux Kérilis des Pol Morand des Chiappe des Henri Lavedan et voilà le lieutenant colonoque de la rondelle aux flambeaux
et les Schneider les de Wendel tous les vieux débris du Creusot tous les édentés carnivores
tous les vieux marcheurs de la mort et ces dames
leurs dames
comme elles sont belles à voir quand on pense à autre chose et qu’on ferme les yeux les propos qu’elles tiennent sont tout à fait savoureux
elles parlent du pape
et quand elles parlent elles font avec la bouche le même bruit désagréable que lorsqu’elles remuent leur prie-Dieu le jour de la grand-messe des morts à Saint-Laurent pied de porc… Et le pape m’a dit ceci et le pape m’a dit cela et papati et papata…
et ces messieurs s’en mêlent
Comme je le disais au Saint-Père dit Pol Morand à la douairière Debout les morts et à la douche nous voulons des cadavres propres… oh monsieur Morand
vous êtes le roi des cormorans et toujours tellement garnement et la douairière se chatouille le fessier
elle voudrait bien se le faire dédicacer
Prévert

Aurait-on voulu mieux illustrer le cynisme ambiant qu'on ne l' aurait pu. Ici, mise en obscène évidence du mépris sidéral que la bourgeoisie porte au bas-peuple. On se pique de tout comprendre, de tout rationaliser bref de mettre du sens là où la populace met du désordre. Le sens de l'histoire ne saurait décidément se nicher à la base : Marx avait raison ! L'idéologie dominant est bien toujours celle de la classe dominante. Et les uns, d'une moue dégoutée, d'y scruter les remugles d'extrême-droite ; les autres d'y dénoncer toutes les ambiguïtés du populisme ; et un troisième d'y deviner les prodromes d'un soulèvement populaire. Tout ce joli petit monde joue à se faire peur ! tout ce petit monde semble en jouir. Comment ne pas songer à la faute patientant dans l'antichambre papale de la Crosse en l'air de Prévert !

Et tout cet atroce aréopage de suffisance de pérorer à l'infini sur l'impression désagréable que de telles images produisent dans la presse internationale escamotant avec un incroyable cynisme le fait que c'est ici pourtant que se produisent ces images.

Il m'arrive de songer que tout ambivalent que fût Diogène, le cynisme grec qu'il incarna avait quand même une autre classe : il était là pour signifier aux puissants de ce monde qu'ils n'était ni seuls ni vraiment déterminants ; que bien sûr en face il y avait le philosophe qui tentait de n'être pas dupe des apparences ; que surtout, ils faisaient écran, toujours, d'avec le soleil.

Alors qu'ici …! ici, une cohorte de pleutres et de courtisans caquetant à loisir dans l'attente de la parole du maître ; de l'habileté du prince. Il fallait entendre ces sous-ministricules, ces théories de députés de la majorité n'osant avancer un quelconque point de vue ; allant même jusqu'à avancer que ce n'était pas à lui de dire ce qu'il fallait faire ; que ceci revenait au gouvernement !

Ah bon ? mais alors quoi, garçon, cela veut dire quoi d'être représentant de la Nation ; cela fait quoi un député ? cela hurle avec les loups.

Des heures de direct, des flots de paroles, des kilomètres de pellicule … pour rien.

L'effervescence du vide écrivait N Grimaldi.

Entre le réel et le politique, comme leur nom l'indiquent, les médias. A l'intersection, ils traduisent ou trahissent. Un terrible bruit de fond qui semble ne jamais devoir s'arrêter.

Qui le devrait pourtant.

Je n'ai pas la science infuse ; moins que tout autre. Je sais seulement que rien n'est plus dangereux que cette vitrine opaque qui se dresse entre la base et le sommet ; que rien n'est plus insupportable - et d'ailleurs moins insupporté - que ce mépris pas même feint.

Tout le monde ici se trompe : les gouvernants de ne pas savoir entamer la transition énergétique et écologique ; les partis d'en revenir toujours aux mêmes discours lénifiants ; la base de ne pas trouver moyen de contraindre le sommet à les entendre.

Tout le monde s'est fait prendre au piège de la communication. Comme si tout n'était affaire ici que de discours ; d'habileté ou de mise en scène. Il y a bien des moments où les faux-semblants craquellent et où, en dessous, surgit la vérité, laide, insupportable ; atroce. Car il n'est décidément pas vrai que la vérité surgisse du puits, jeune, belle et nue.

Il serait temps que l'on cessât de confondre communication et démagogie !

Tout ce joli monde aura indéfiniment disserté depuis trente années sur la vacuité de la notion de classes sociales et, évidemment, sur la pernicieuse lutte des classes qui nous eût empêchés d'avancer.

O ministres intègres, vous avez devant-vous la rançon, le tout petit début de la rançon, de votre mépris de classe : cela se nomme haine de classe ! Et ce n'est pas beaucoup plus joli.

 

Restent ces images ! qui disent deux choses :

Les anciens se méfiaient des images pour les croire pauvres. Ils se trompaient : elles sont riches … de tout ce qu'on veut bien y mettre. Ils leur préféraient la parole du sage et le discours du politique. Ils se trompèrent aussi un peu : à écouter ces sycophantes prompts à toutes les génuflexions et à toutes les trahisons pour enrichir leur superbe ridicule, il vous prend une envie de silence.