Bloc-Notes 2017
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Retour sur le 21 avril

 

Jospin en 2006 à l'université d'été des Jeunes socialistes

 

 

Chirac dans ses mémoires


Au fil des minutes, l'atmosphère devient étrange et irréelle, comme si nous nous obstinions à parler d'une situation déjà révolue pour mieux occulter celle qui désormais nous semble de plus en plus vraisemblable. Le choc est rude pour moi, comme pour la plupart d'entre nous.

Quand je suis finalement contraint de me rendre à l'évidence, c'est un profond sentiment de malaise qui m'envahit, où l'effarement se mêle à la tristesse et à l'incompréhension. Si je suis triste, c'est d'abord pour la France, pour ce qu'elle est, pour ce qu'ellereprésente. Même s'il ne subsiste plus guère de doute sur mes chances d'être réélu, je n'ai pas le coeur à m'en réjouir. À mes yeux, ce n'est pas seulement le candidat socialiste qui vient d'être sanctionné, mais la classe politique tout entière. J'ai probablement ma part de responsabilité dans le désarroi et l'exaspération qui ont conduit une partie de nos compatriotes à rejeter les partis traditionnels, confondus dans la même réprobation après cinq années de cohabitation.

Après tout, bien que je sois arrivé en tête, mon propre score, avec moins de 20 % des suffrages exprimés, n'a rien de satisfaisant. Pour toutes ces raisons, je refuserai de sabrer le champagne ce soir-là, comme on m'y invitait.


(...)


Pourquoi n'ai-je pas aussitôt envisagé la formation, au lendemain de ma très probable réélection, d'un gouvernement d'union nationale ? Beaucoup ont été déçus, je le sais, que je paraisse fermer les bras au lieu de les ouvrir, comme il leur paraissait logique et souhaitable que je le fasse. Je me dis aujourd'hui, en y repensant, que j'aurais sans doute dû tout mettre en oeuvre pour parvenir à constituer une équipe dirigeante plus représentative des 82 % d'électeurs qui m'ont apporté leurs suffrages le 4 mai 2002. Je ne l'ai pas fait et ce fut probablement une erreur au regard de l'unité nationale dont j'étais le garant.

Si un autre choix m'a paru préférable à ce moment-là, non sans avoir proposé des responsabilités ministérielles à des personnalités de gauche indépendants comme Nicole Notat et Nicolas Hulot – mais sans succès –, ce fut d'abord par souci de retrouver, au terme d'une longue cohabitation, plus de clarté et d'efficacité dans l'action gouvernementale.

Un nouveau compromis politique entre des dirigeants d'opinions divergentes sur la plupart des grands sujets eût probablement abouti à ces mêmes impasses que les résultats du 21 avril avaient, d'une certaine manière, sanctionnées.

Il comportait, en outre, un danger évident pour notre démocratie : celui de faire apparaître durablement le Front national comme la seule force d'alternance face à une coalition des partis traditionnels que plus rien ou presque ne distinguerait aux yeux de l'opinion.

Le Monde