Textes

Traité théologico-politique, XVI,
pp. 267-268 .

 

On pense [ ... ] que l'esclave est celui qui agit par commandement et l'homme libre celui qui agit selon son bon plaisir. Cela cependant n'est pas absolument vrai, car en réalité être captif de son plaisir et incapable de rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c'est le pire esclavage, et la liberté n'est qu'à celui qui de son entier consentement vit sous la seule conduite de la Raison. Quant à l'action par commandement, c'est-à-dire à l'obéissance, elle ôte bien en quelque manière la liberté, elle ne fait cependant pas sur-le-champ un esclave, c'est la raison déterminante de l'action qui le fait. Si la fin de l'action n'est pas l'utilité de l'agent luimême, mais de celui qui la commande, alors l'agent est un esclave, inutile à lui-même; au contraire, dans un État et sous un commandement pour lesquels la loi suprême est le salut de tout le peuple, non de celui qui commande, celui qui obéit en tout au souverain ne doit pas être dit un esclave inutile à lui-même, mais un sujet. Ainsi cet État est le plus libre, dont les lois sont fondées en droite Raison, car dans cet État chacun, dès qu'il le veut, peut être libre, c'est-à-dire vivre de son entier consentement sous la conduite de la Raison. De même encore les enfants, bien que tenus d'obéir aux commandements de leurs parents, ne sont cependant pas des esclaves; car les commandements des parents ont très grandement égard à l'utilité des enfants. Nous reconnaissons donc une grande différence entre un esclave, un fils et un sujet, qui se définissent ainsi: est esclave qui est tenu d'obéir à des commandements n'ayant égard qu'à l'utilité du maître commandant ; fils, qui fait ce qui lui est utile par le commandement de ses parents; sujet enfin, qui fait par le commandement du souverain ce qui est utile au bien commun et par conséquent aussi à lui-même. Par ce qui précède je pense avoir assez montré les fondements de l'État démocratique, duquel j'ai parlé de préférence à tous les autres, parce qu'il semblait le plus naturel et celui qui est le moins éloigné de la liberté que la Nature reconnaît à chacun. Dans cet État en effet nul ne transfère son droit naturel à un autre de telle sorte qu'il n'ait plus ensuite à être consulté, il le transfère à la majorité de la Société dont lui-même fait partie; et dans ces conditions, tous demeurent égaux, comme ils l'étaient auparavant dans l'état de nature.» •