David HUME (1711-1776)
La
philosophie de Hume appartient au courant empiriste du XVIIIe siècle qui
ruine les systèmes métaphysiques classiques caractérisés par le
rationalisme, en attaquant leurs deux notions-clef : la substance
(matérielle et spirituelle) et la causalité. C'est surtout ce dernier point
que vise la critique de Hume, complétant ainsi l'œuvre de Locke et de
Berkeley. Ce faisant, il privilégie le problème de la connaissance et du
sujet connaissant, et ouvre la voie au kantisme et à la phénoménologie.
Né à Edimbourg en 1711, il reçoit une formation essentiellement littéraire.
En 1734, il vient en France, au Collège royal de La Flèche, et y rédige le Traité de la nature humaine qui ne connaît guère de succès lors de sa
parution en 1739. Il décide alors de publier des textes plus courts et plus
aptes à lui assurer une prompte gloire littéraire. En 1741, les Essais
moraux et politiques satisfont cette ambition. N'obtenant pas la chaire de
morale qu'il convoite à Glasgow, il occupe divers postes de diplomate,
bibliothécaire et secrétaire qui lui permettent de voyager à Vienne et Turin
en 1746. Puis, après de nombreuses publications dont deux dissertations sur
la religion et l'esthétique, il part pour Paris en 1763. Il y connaît de
brillants succès mondains, et fréquente les Encyclopédistes. Après quelques
années, c'est le retour à l'Écosse natale. Hume y reprend une vie studieuse
entouré de ses anciens amis. Mais la douceur de cette fin de vie est gâchée
par la maladie, et il meurt en 1776. Les Dialogues sur la religion naturelle
seront publiés de façon posthume.
Hume est, avec Locke et Berkeley, l'un des principaux philosophes du courant
empiriste dont la conception centrale est de subordonner la connaissance à
l'expérience sensible immédiate. La méthode humienne se définit par
l'analyse épistémologique des idées, et s'appuie entièrement sur
l'expérience et la sensation, seule source de nos connaissances. Cette
méthode expérimentale décrit les lois de la nature sans en chercher un
principe métaphysique premier, au-delà du sensible. La raison finie de
l'empiriste se soucie du comment, jamais du pourquoi. Son but est de
comprendre le mécanisme de notre connaissance : quel processus de formation
s'opère dans notre esprit, lorsque nous parlons de relation, de substance,
de causalité ? Et quelle impression est à la source des idées ? Toute idée,
en effet, est la copie d'une impression sensible. Même l'idée de causalité
par laquelle je semble dépasser l'expérience et prévoir, à partir d'une
cause donnée, un effet futur, dépend d'impressions reçues par le sujet.
Seules les expériences antérieures peuvent nous fournir l'idée de relation
causale. On ne saurait, d'un événement isolé et jamais rencontré auparavant,
déduire le moindre effet. La transition par laquelle je passe de la cause à
l'effet présumé n'est possible que si leur connexion a déjà été expérimentée
régulièrement par le passé. C'est l'expérience qui nous montre la constance
de certaines successions, comme celle de l'élévation de la température de
l'eau et de son ébullition ; et c'est l'habitude, principe de la nature
humaine, qui nous incline à attendre pour l'avenir la répétition de la
liaison précédemment observée. La causalité n'est donc pas une propriété
objective des choses. Dans la réalité extérieure, il y a des répétitions que
seul un sujet qui retient, compare et attend peut transformer en causalité.
En renvoyant l'analyse des choses à celle du sujet qui les saisit, la
méthode d'analyse de Hume engage la philosophie dans la voie du criticisme.
Mais le sujet humien n'est pas ce que Kant appellera un "sujet
transcendantal", il est une nature, c'est-à-dire un système de croyances
cimenté par des sentiments. Le problème de la connaissance est donc, en
dernière analyse, celui de la croyance, définie comme une certaine façon
vive de sentir une idée. La croyance est le relief particulier d'une idée,
tel que nous ne pouvons la penser sans y donner notre assentiment. Par
conséquent, il faut bien avouer qu'il n'y a pas de valeur ni de vérité
absolues, pas plus en science qu'en morale ou en esthétique, mais seulement
des opinions généralement admises, constantes en vertu de l'universalité de
la nature humaine. C'est en cela que la pensée de Hume est sceptique : nous
ne pouvons rien affirmer de la réalité des choses, ni de Dieu, ni même de ce
moi qui ne nous est jamais donné dans une impression. Paradoxalement,
l'exercice philosophique de la raison n'est donc plus ici source de sagesse
ou de bonheur, mais de doute infini et de désespoir. Mais ce désespoir reste
théorique et non existentiel : par un optimisme naturaliste, Hume fait
confiance à la vie pour nous délasser et nous distraire du scepticisme.