SAINTS DENIS, RUSTIQUE ET ÉLEUTHtRE 571

découvrant ainsi la volonté du ciel, s'empressa d'aller au monastère pour ouvrir la cell11le de la pénitente. Mais celle-ci le suppliait de la laisser enfermée. Et il lui dit:

· « Sors de là, car Dieu t'a remis tes péchés. Il te les a remis non seulement à caµse de ta pénitence, mais parce que tu as toujours gardé sa crainte au fond de ton âme ! » Elle vécut encore quinze jours, et s'endormit en paix.

Un autre solitaire nommé Ephrem, voulut convertir

dEl la même façon une autre co11rtisane. Comme celle-ci

. essayait impudemment de l'inciter au péché, il lui dit:

« Suis-moi!» Après quoi il la conduisit dans un l eu où se · trouvait unegrande fo11le, et il lui dit : « Couche-toi, pour que je m'unisse à toi! » Et elle: « Comment pourrais-je faire cela, quand toute cette foule me regarde? » Et Ephrem: « Si tu rougis d'être vue par des hommes, ne devrais-tu pas rougir .bien plus encore devant ton Créa­ teul,', dont le regard pénètre jusqu'au plus profond des ténèbres? » Alors la courtisane, toute confuse, s'enfuit.


image


CLI

SAINTS DENIS

RUSTIQUE E1' ÉLEUTHÈRE, MARTYRS

(9 octobre)


I. Denis l'Aréopagite fut converti à la foi du Christ par l'apôtre saint Paul. Son surnom <l'Aréopagite lui venait du 110m d'un faubourg d'Athènes où il demeurait, et qui s'appelait Aréopage, c'est-à-dire faubourg deMars,.parce qu'on y voyait untempledu dieu Mars. Dans ce faubourg, qui était la demeure favorite des savants, Denis se livrait à l'étude de la philosophie; et on l'appelait aussi le Théo­ sophe, c'est-à-dire l'!tomme versé dans la science de Die11. Et il avait avec lui un compagnon d'études nommé Apollophane. Or, le jour de la passion du Christ, la ville d'Atl1ènes, de même que le monde entier, fut soudain'

31

image LA LÉGENDE DORillE

remplie d'une épaisse ténèbre ; et les savants d'Athènes ne parvenaieni pas à découvrir la cause naturelle de ce fait étrange, tout à fait différent des éclipses ordinaires.. Ajoutons, à ce propos, que de nombreux témoignages attestent l'universalité de la soudaine ténèbre qui suivit la mort du Seigneur. Elle fut constatée en Grèce comme à Rome, et dans l'Asie· Mineure. Et l'on raconte que Denis, en présence de ce phénomène, aurait dit à ses compatriotes· : « Cette nuit nouvelle présage le prochain avènement d'une lumière nouvelle, dont le monde entier sera illuminé. » Sur quoi les Athéniens élevèrent un autel où ils mirent cette inscription : Au Dieu inconnu.

Et lorsque saint Paul vint à Athènes, il vit cet autel et s'écria: « Ce Dieu ql1e vous adorez sans le connaître, je suis venu v_ous le révéler!» Puis,s'adressant àDenis comme au plus savant des philosophes, il lui.demanda qui était ce Dieu inconnu. Et Denis: « C'est le seul vrai Dieu, mai:;, il se cache à nous· et nous est inconnu. » Et saint Paul :

« Ce Dieu estcelui que je viensvous révéler, celui qui a créé le ciel et la terre, et qui a revêtu la forme humaine, et a subi la m9rt, et est ressuscité le troisième jour. » Et, comme Denis continuait à discuter avec Paul, un aveugle vint à passer près d'eux. Alors Denis dit à Paul: « Si, au nom de ton Dieu, tu dis à cet aveugle de recouvrer la vue, et s'il la recouvre, je me convertirai aussitôt à ta foi. Mais afin que tu ne puisses pas employer de formure magique, je te dicterai moi-même la formule que tu devras em­ ployer pour guérir cet aveugle au nom de ton maître Jésus! » Alors Paul, pour écarter tout soupçon, dit à Denis de prononcer lui-même les paroles qu'il voulait lui dicter, et qui étaient celles-ci: « Au nom de Jésus­ Christ, né d'une vierge, puis crucifié, puis ressuscité des morts et monté au ciel, recouvre la vue! » Et dès que Denis e11t prononcé ces paroles, aussitôt l'aveugle fut guéri de sa cécité. Alors Denis reçut le baptême, avec sa femme Damaris, et toute sa maison. Saint Paul l'instruisit ensuite, pendant trois ans, des vérités de la la foi;. et il finit par l'ordonner évêque d'Athènes. Et Denis, par l'ardeur de sa prédication, convertit à la foi

SAINTS DENIS, llUS'i'IQUfi: l:T ÉLEUTBÈRE 57g

chrétienne sa ville natalé, ainsi que la plus grande partie de la région environnante.

11 nous donne à entendre lui-même, dans ses livres, que c'est à lui que saint Paul a révélé ce qu'il a vt1 lorsque, dans son ravissement, il a été transporté au troi­ sième ciel. Et le fait est que Denis nous a décrit, avec une clarté et une abondance parfaites, la hiérarchie des anges, leurs ordres, dispositions et offices. Il nous parle de tout cela comme si, au lieu- de l'avoir appris d'une autre bouche, lui-même avait été ravi au troisième ciel. Et il eut aussi le don de prophétie, ainsi que nous le voyons par la lettre qu'iJt écrivit à l'évangéliste Jean, exilé dans l'île de Pathmos. Il lui disait, dans· cette lettre:

« Réjouis-toi, frère bien-aimé, car tu seras délivré de ton exil de Pathmos, et tu retourneras sur la terre d'.-\.sie, et tu y laisseras à ceux qui viendront après toi le sou- • venir de la façon dont tu: auras imité l'exemple du Christ!»_ Et it nous apprend aussi, dans son livre sur les noms divins, qu'il fut un de ceux qui assistèrent au dernier sommeil de la sainté Vierge.

Lorsqu'il apprit que saint Pierre et saint Paul étaient tenus en prison à Rome, sous Néron, il nomma un autre évêque à sa place et se mit en route· pour aller voir les deux saints. Et lorsque ceux-ci eurent rendu leurs âmes à Dieu, le pape Clément envoya Denis en France, lui donnant pour compagnons Rustique et Eleu­ thère.

Denis se rendit afors à Paris où il fit de nombreuses conversions, éleva plusieurs églises et ordonna bon

·nombre de prêtres. Et telle était la grâce céleste qui· brillait en lui que, souvent, comme le peuple s'élançait vers lui pour l'attaquer, à I1' instig ation des prêtres des idoles, les assaillants sentaient toute· leur fureur s'éva­ nouir dès qu'ils se trouvaient en présence de lui-. Les uns St, prosternaient à ses pieds; les· autres, effrayés,. prenaient la fuite. Mais le diable, furieux de voir son culte diminuer de jour en jour; inspira à l'empereur Domitien la pensée inhumaine d'ordonner que quiconque découvrirait un chrétien serait tenu. d'e l'e faire sacrifier·

t\80 LA LÉGENDE DORtE

at1x idoles, sous peine d'être lui-mên1e sévèrement ,puni.

Et uo préfet nommé Fescennius fut envoyé de Rome

contre les chrétiens de Paris. Ce préfet, ayant trouvé Denis occupé à prêcl1er devant le peuple, ordonna de l'arrêter, de le garrotter avec une grosse corde et de l'amener à son prétoire, en compag11ie des deux saints Rustique et Eleuthère.

Pendant que les trois saints, en présence du préfet, pro­ clamaient courageusement leur foi, arriva: certaine dame noble qui affirma que son mari avait été séduit par les trois imposteurs, Le préfet manda a11ssitôt ce mari, qui, persévérant dans sa foi, fut mis à mort s11r-le-champ. Quant aux trois saints, ils furent flagellés par do11z,e soldats, chargés de chaînes et jetés en prison. Le len­ demain, Denis fut étendu, nu, sur un gril enflammé. Et lui, au milieu de ses souffrances, rendait grâce à Dieu. Il ft1t ensuite donné en pâture à. des bêtes féroces, do11t on avait excité la faim par un jeûne prolongé. lVIais, au moment où ces animaux s'élançaient sui· lui, il fit sur eux le signe de la croix; et eux, tout de suite, l'entou­ rèrent doucement, comme des agneaux. Le préfet le fit alors mettre en croix, puis, après l'avoir longtemps tort11ré, le fit reconduire en prison avec d'autres chré­ tiens. Et là, pendant que Denis célébrait la messe, Jésus lui apparut, entouré d'une immense lumière, et lui dit, en lui offrant un pain : « Prends ceci, mon fils, en tén1oignage de la reconnaissance qui t'est due!» Le lendemain, après d'autres supplices, les trois saints eurent la tête tranchée à coups de hache, devant l'idole du dieu Mercure. Mais aussitôt le corps de saint Denis se redressa, prit dans ses mains sa tête coupée, et, sous la concluite d'un ange, marcha pendant de11x milles, depuis la colline de Montmartre, c'est-à-dire mont _des martyrs,jusqu'au lieu où reposent aujourd'l111i ses restes par le fait de son propre choix et de la providence divine.

Et aussitôt s'éleva dans ce lieu 11.ne musique d'anges si harmonieuse que, parmi la foule de ceux qui l'enten­ dirent, la femme du préfet Lisbius, nommée Laertia, se

SAlNTS DENIS, RUSTIQUE ET ÉLEUTI:IÈI\E 581

proclama cl1rétienne, ce qui lui valut d'être décap_itée, et de recevoir ainsi le baptême du sang. Le fils de cette femme, nommé Vibius, après avoir servi à Rome sous trois empereurs, se fit baptiser en revenant à Paris et adopta la vie religieuse.

Les infidèles, craignant <1ue les chrétiens n'enseve­ lisse11t les corps des saints Rustique et Elet1tl1ère, enjoi­ gnirent qu'ils fussent jetés dans la Seine. l\1ais u11e t'en1me noble invita à sa table les porteurs des deux corps; pu_is, pendant qu'ils mangeaient, elle leur déroba les corps et les fit ensevelir secrètement dans so11 champ, où ils restèrent jusqu'à ce que, la persécution ayant cessé, on

})Ùt les réunir au corps de saint Denis. Les trois saints subirent le martyre sous le règne de Domitien, en l'an dtt Seigneur 96. Saint Denis était alors âgé de quatre­ ving·t-dix ans.

Il. Sous le règne de Louis, fils de Charlemagne, des

envoyés de l'empereur de Constantinople, Michel, appor­ tèrent à la cour de France, entre autres présents, un.e traduction latine du livre de saint Denis sur la Hiérar­ chie; et, la nuit suivante, dix-neuf malades se trouvèrent guéris dans l'église du saint.

III. Un jour que l'évêque d'Arles, saint Rieul, célébrait

la messe dans sa cathédrale, il joignit aux noms des apôtres ceux « des bienl1eureux martyrs Denis, l{us­ tique et Eleuthère ii. Ap1·ès quoi lui-même et les assis­ tants furent très étonnés de ce qu'il avait dit, car per­ sonne ne connaissait encore le martyre des trois saints. Et voilà que trois colombes descendirent sur la croix de l'autel, qui portaient écrits sur leurs poitrines, en lettres de sang, les noms des trois saints. Et ainsi tous com­ prirent que les âmes des saints s'étaient enfuies de leurs corps.

Iy. En l'anduSeigneur644,leroi de FranceDagobert, qui avait dès l'enfance une grande vénératior1 pour saint

Denis, mourut. Et un saint homme vit alors, dans un

rêve, que l'âme du roi était emportée au ciel pour être

jugée, et que bon nombre de saints lui reprochaient les

maux causés par lui à leurs églises. Et comme déjà les

582 LA LÉGENDE DORSE

mauvais anges s'apprêtaient à me°'er l'âme en enfer, survint .saint Denis, qui intercéda pour elle et obtint sa libération. On ajoute même . que l'âme de Dagobert serait alors rentrée dans son corps afin de pouvoir faire pénitence. Au contraire le roi Clovis, ayant ouvert irres­ pectueusement le cercueil du saint, et lui ayant brisé un os du bras, ne tarda pas à mourir dans un accès de démence.

V. Enfin nous devons signaler que Hincmar, évêque

de Reims, et aussi Jean S.Cot, dans leurs lettres à Char- . lemagne, attestent tous deux que saint Denis, l'apôtre des Gaules, était bien le même homme que Denis l'Aréo­ pagite : c'est donc à tort que d'aucuns l'ont nié, se fondant sur une prétendue contradiction des dates.


image


CLII


SAINT CALIX1'E, PAPE ET MARTYR

(l.4 octobre)


Le pape Calixte souffrit le martyre en l'an du Sei­ gneur 222, sous l'empereur Alexandre. Cette année-là, la partie la plus élevée de Rome fut détruite par t1n in­ cendie, et la main gauche d'une grande statue de Jupiter fut trouvée fondue. Alors tous les prêtres païens vinrent demander à l'empereur Alexandre qu'il ordonnât des sacrifices pour apaiser la colère des dieux. Et pendant qu'on célébrait ces sacrifices, le matin du jour de la semaine consacrée à Jupiter, la foudre, tombant soudain, tua quatre des prêtres, et l'autel de Jupiter fut brûlé, et le soleil s'obscurcit à tel point que le peuple, effrayé, s'enfuit hors de là ville.· Sur quoi le consul Palmace demanda à l'empereur la destruction complète de's chré­ tiens, qu'il rendait responsables de ces calamités. _Et, l'empereur ayant agréé sa dema11de, il se mit en route