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Saint Jean Chrysostome
Commentaire sur la 2ème lettre  de saint Paul aux Corinthiens (2)

.COMMENTAIRE SUR LA DEUXIÈME ÉPITRE AUX CORINTHIENS.
Tome X p. 1-185

 

 

 

 

 

COMMENTAIRE SUR LA DEUXIÈME ÉPITRE AUX CORINTHIENS. *

HOMÉLIE XVI. C'EST POURQUOI NOUS SOMMES CONSOLÉS DE VOTRE CONSOLATION; MAIS NOUS NOUS SOMMES RÉJOUIS PLUS SURABONDAMMENT ENCORE DE LA JOIE DE TITE, PARCE QUE SON ESPRIT S'EST REPOSÉ, GRACE A VOUS TOUS. (VII, 13, JUSQU'A VIII, 6.) *

HOMÉLIE XVII. MAIS AFIN QUE VOUS EXCELLIEZ EN TOUT, PAR VOTRE FOI ET PAR VOTRE PAROLE, ET PAR VOTRE SCIENCE, ET PAR TOUTE *

ESPÈCE DE ZÈLE. (VIII, 7, JUSQU'A 15.) *

HOMÉLIE XVIII. ET GRACES SOIENT RENDUES A DIEU QUI A MIS LE MÊME ZÈLE POUR VOUS DANS LE COEUR DE TITE. (VIII, 16, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.) *

HOMÉLIE XIX. CAR A L'ÉGARD DES SERVICES QUE L'ON REND AUX SAINTS, IL EST SUPERFLU QUE JE VOUS ÉCRIVE. (IX, 1; JUSQU'À 10.) *

HOMÉLIE XX. DIEU QUI DONNE LA SEMENCE A CELUI QUI SÈME, VOUS DONNERA DU PAIN DONT VOUS AVEZ BESOIN POUR VIVRE, ET MULTIPLIERA CE QUE VOUS AUREZ SEMÉ, ET FERA CROÎTRE, DE PLUS EN PLUS, LES FRUITS DE VOTRE JUSTICE. ( IX, 10, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE.) *

HOMÉLIE XXI. MAIS MOI, PAUL, MOI-MÊME QUI VOUS PARLE, JE VOUS CONJURE, PAR LA DOUCEUR ET LA MODESTIE DE JÉSUS-CHRIST, MOI QUI, ÉTANT PRÉSENT, PARAIS BAS PARMI VOUS ; AU LIEU QU'ÉTANT ABSENT, J'AGIS . ENVERS TOUS AVEC HARDIESSE; JE VOUS PRIE QUE, QUAND JE SERAI PRÉSENT, JE NE SOIS POINT OBLIGÉ D'USER AVEC CONFIANCE DE CETTE HARDIESSE QU'ON M'ATTRIBUE, ENVERS QUELQUES-UNS QUI S'IMAGINENT QUE NOUS NOUS CONDUISONS SELON LA CHAIR. (X, 1, JUSQU'A 6.) *

HOMÉLIE XXII. EST-CE QUE VOUS NE CONSIDÉREZ QUE LE DEHORS? SI QUELQU'UN SE PERSUADE EN LUI-MÊME QU'IL EST A JÉSUS-CHRIST, IL DOIT AUSSI CONSIDÉRER EN LUI-MÊME QUE, COMME IL EST A JÉSUS- *

CHRIST, NOUS SOMMES AUSSI A JÉSUS-CHRIST. (JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.) *

HOMÉLIE XXIII. PLUT A DIEU QUE VOUS VOULUSSIEZ UN PEU SUPPORTER MON IMPRUDENCE ! ET SUPPORTEZ-LA, JE VOUS PRIE. (XI, 1, JUSQU'A 12.) *

HOMÉLIE XXIV. CAR CE SONT DE FAUX APÔTRES, DES OUVRIERS TROMPEURS, QUI SE TRANSFORMENT EN APÔTRES DE JÉSUS-CHRIST. (XI, 13, JUSQU'À 20.) *

HOMÉLIE XXV. MAIS, PUISQU'IL Y EN A QUI SONT SI HARDIS A PARLER D'EUX-MÊMES, JE VEUX BIEN FAIRE UNE IMPRUDENCE, EN ÉTANT AUSSI HARDI QU'EUX. (XI, 21, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.) *

HOMÉLIE XXVI. IL NE M'EST PAS AVANTAGEUX DE ME GLORIFIER, CEPENDANT JE VIENDRAI MAINTENANT AUX VISIONS ET AUX RÉVÉLATIONS DU SEIGNEUR. (XII , 1, JUSQU'À 10.) *

HOMÉLIE XXVII. J'AI ÉTÉ IMPRUDENT EN ME GLORIFIANT; C'EST VOUS QUI M'Y AVEZ CONTRAINT, CAR C'ÉTAIT A VOUS DE PARLER AVANTAGEUSEMENT DE MOI. (XII, 11, JUSQU'A 16.) *

HOMÉLIE XXVIII. SOIT, JE NE VOUS AI POINT ÉTÉ A CHARGE MOI-MÊME, MAIS ÉTANT ARTIFICIEUX, J'AI USÉ D'ADRESSE POUR VOUS SURPRENDRE. MAIS ME SUIS-JE SERVI DE CEUX QUE JE VOUS AI ENVOYÉS POUR BÉNÉFICIER SUR VOUS? J'AI PRIÉ TITE DE VOUS ALLER TROUVER, ET J'AI ENVOYÉ AVEC LUI UN DE NOS FRÈRES. TITE S'EST-IL ENRICHI A VOS DÉPENS ? N'AVONS-NOUS PAS SUIVI LIT MÈNE ESPRIT? N'AVONS-NOUS PAS MARCHÉ SUR LES MÊMES TRACES? (XII, 16, 17, 18, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.) *

HOMÉLIE XXIX. VOICI LA TROISIÈME FOIS QUE JE ME DISPOSE A VOUS *

ALLER VOIR. TOUT SE JUGERA SUR LE TÉMOIGNAGE DE DEUX OU TROIS TÉMOINS. ( XIII, 1, JUSQU'À XIII, 9.) *

HOMÉLIE XXX. JE VOUS ÉCRIS CECI, ÉTANT ABSENT, AFIN DE N'AVOIR PAS LIEU, LORSQUE JE SERAI PRÉSENT, D'USER AVEC RIGUEUR DE LA PUISSANCE QUE LE SEIGNEUR M'A DONNÉE POUR ÉDIFIER ET NON POUR DÉTRUIRE. (XIII, 10.) *
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XVI. C'EST POURQUOI NOUS SOMMES CONSOLÉS DE VOTRE CONSOLATION; MAIS NOUS NOUS SOMMES RÉJOUIS PLUS SURABONDAMMENT ENCORE DE LA JOIE DE TITE, PARCE QUE SON ESPRIT S'EST REPOSÉ, GRACE A VOUS TOUS. (VII, 13, JUSQU'A VIII, 6.)
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Analyse.

1. L'apôtre se réjouit de la charité qui anime les fidèles de Corinthe. — Il les a trouvés louables dans toute leur conduite, et il espère tout d'eux.

2. Il leur cite pour les exciter l'exemple des Macédoniens , dont la joie a été grande au milieu des tribulations, et dont les aumônes ont été abondantes.

3. Les Macédoniens ont été en même temps pleins de docilité; saint Paul envoie Tite aux Corinthiens pour que ceux-ci ne le cèdent en rien aux Macédoniens. — Eloge de Tite.

4. L'aumône est une bonne couvre plus méritoire que le rappel des. morts à la vie. — Pour être véritablement l'aumône, elle doit être désintéressée.

1. Voyez encore une fois comme il exalte leurs louanges, et comme il montre leur charité. Après avoir dit qu'il a été joyeux que sa lettre ait produit un si grand résultat, et qu'ils en aient tiré tant de profit : " Je me réjouis, non pas de ce que vous avez été affligés, mais de ce que cette affliction vous a conduits à la pénitence (9) " ; après avoir montré son affection pour eux : " Et si je vous ai écrit ", dit-il, " ce n'est pas à cause de l’auteur de l’injure, ni à cause de celui qui l'a reçue, mais c'est afin de manifester à vos yeux notre zèle pour vous (12) " ; il ajoute un autre signe de leurs bonnes dispositions qui leur fait beaucoup d'honneur, et qui montre combien leur charité est sincère : " Dans votre consolation ", dit-il, " nous nous sommes réjouis plus surabondamment encore de la joie de Tite (13) ". Pourtant, ce n'est pas le fait d'un homme qui les aime beaucoup, de se réjouir de ce qui arrive à Tite, plutôt que de ce qui leur arrive. Si fait, nous dit l'apôtre; car je ne m'en suis pas tant réjoui pour lui que pour vous. Et c'est pourquoi il en donne ensuite la causé en ces termes : " Parce que son coeur s'est reposé, grâce à vous tous ". Il n'a pas dit : Lui, mais : " Son coeur ", c'est-à-dire, sa charité pour vous: Et comment s'est-il reposé? " Grâce à vous tous ". Et en effet, c'est encore là un fort grand éloge. " Car si je me suis glorifié de vous en quelque chose auprès de à lui (14) ". Grand éloge pour les disciples que leur maître se glorifie d'eux ! " Je n'ai pas ""'en ", dit-il, " à en rougir {14) ". Je me suis réjoui, veut-il dire, de ce que vous êtes devenus meilleurs, et cte ce que vous avez confirmé mes paroles par vos oeuvras. De sorte que c'est pour moi un double honneur, puisque vous avez fait des progrès, et que moi, on a vu que je ne m'écartais pas de la vérité. " Mais de même que nous vous avons toujours parlé avec vérité, ainsi quand nous nous sommes glorifié de vous auprès de Tite, cela s'est trouvé conforme à la vérité (44) ". Ici, l'apôtre nous donne encore autre chose à entendre; de même que tout ce que nous vous avons dit a été selon la vérité, car il est naturel qu'il leur ait fait aussi beaucoup d'éloges ale Tite, ainsi les choses que nous avons dites à Tite sur votre compte, ont été trouvées vraies. " Et ses entrailles ressentent pour vous une tendresse bien plus vive (15) ". Ces paroles sont d'un homme qui leur recommande Tite comme ayant pour eux une ardente charité, et leur. étant extrêmement attaché. Et il n'a pas dit : Sa charité, mais : " Ses entrailles ". Puis, (102)

pour qu'on ne pense pas qu'il le flatte, il ajoute partout les motifs de cette affection, afin, comme je viens de le dire, d'échapper au soupçon de flatterie, et afin de les exhorter encore mieux, en faisant retomber l'éloge sur eux ; et en leur montrant que ce sont eux qui ont fait naître en lui le principe et le motif d'une telle charité. Car, après avoir dit " Ses entrailles ressentent pour, vous une tendresse bien plus vive ", il ajoute: " Car il se souvient de votre docilité à tous ".

Ce langage nous montre aussi Tite reconnaissant envers ses bienfaiteurs, puisqu'il est revenu les portant tous dans son coeur, qu'il se souvient continuellement d'eux, et qu'ils sont perpétuellement à sa bouche et dans sa pensée. Il fait aussi aux Corinthiens un mérite encore plus grand de ce que, lorsqu'ils laissèrent Tite partir, ils se l'étaient ainsi gagné. Ensuite, il parle aussi de leur docilité pour accroître leur zèle; c'est pour cela qu'il ajoute : " De la crainte, et du tremblement avec lesquels vous l'avez reçu (15) ". Non pas avec charité seulement, mais aussi avec un extrême respect. Vous le voyez, il rend témoignage de deux mérites en eux : -de ce qu'ils l'aimaient comme un père, et de ce qu'ils le craignaient comme un supérieur, sans que cette crainte affaiblît leur affection, sans que cette affection détruisît leur crainte. C'est ce qu'il avait déjà dit plus haut : " Cette tristesse selon Dieu que vous avez eue, quelle vigilance n'a-t-elle pas produite en vous , et aussi quelle crainte et quels soupirs (11) ? Je me réjouis donc, parce que j'ai en tout confiance en vous (16) ". Voyez-vous que c'est en eux qu'il se réjouit surtout? C'est, veut-il dire, parce que vous n'avez été en aucune circonstance la honte de votre maître; et que vous ne vous montrez pas indignes du mon témoignage. Ainsi, il ne se réjouissait pas tant à propos de Tite, de ce que celui-ci avait été l'objet d'un si grand respect, qu'à propos des Corinthiens, de ce qu'ils avaient fait preuve d'une si grande reconnaissance. Car afin qu'on ne crût pas qu'il se réjouissait plus à cause de lui qu'à cause d'eux , voyez comme il en donne encore ici le motif. De même qu'il a dit plus haut : " Car si je me suis glorifié de vous en quelque chose auprès de lui, je n'ai pas eu à en rougir " ; de même. ici encore : " Parce que j'ai eu toute confiance en vous ". Ai-je à vous réprimander? Je ne crains pas de votre part une rupture avec moi ; ai-je à me glorifier de vous ? Je n'ai pas à redouter d'être convaincu d'avoir tort; en un mot, que j'aie à louer en vous soit l'obéissance, soit la charité, soit le zèle, j'ai confiance en vous. Je vous ai dit de couper, et vous avez coupé; je vous ai dit d'accueillir, et vous avez accueilli; j'ai dit en présence de Tite que vous êtes magnanimes et admirables; que vous savez respecter vos maîtres ; et par votre conduite vous avez prouvé que cela est vrai. Bien plus, ce n'est pas tant de moi que de vous-mêmes que Tite a pu l'apprendre. Aussi est-il revenu rempli pour vous d'un amour enthousiaste, car vous avez offert à ses yeux plus encore que mes paroles n'avaient annoncé. " Or, je vais vous faire connaître, mes frères, la grâce de Dieu qui a été donnée dans les églises de Macédoine ". (VIII, 1.)

2. Quand il les a élevés par ses. éloges, il en, vient à l'exhortation. Et s'il a mêlé les louanges aux reproches, c'est de peur, en passant du reproche à l'exhortation, de rendre ses paroles difficiles à accepter; -il veut, en commençant par flatter leurs oreilles, frayer la route à ses exhortations. Il se propose de parler sur l'aumône : aussi a-t-il la précaution de dire : " Je me réjouis de ce qu'en tout j'ai confiance en vous " ; faisant servir leurs mérites précédents à augmenter leur bonne volonté pour la circonstance présente. Il ne dit pas immédiatement : Faites donc l'aumône; mais voyez sa prudence; voyez comme il prépare de loin son discours, comme il le prend de haut : " Je vais vous faire connaître ", dit-il, " la grâce de Dieu qui a été donnée dans les églises de Macédoine ". De peur qu'ils ne s'enorgueillissent, il appelle cela une grâce, et racontant les oeuvres des autres, il se sert des éloges qu'il donne à ceux-là pour rendre. plus grand le zèle de ses auditeurs. Et-il loue les Macédoniens pour deux motifs, pour trois même parce qu'ils supportent courageusement les épreuves, parce qu'ils savent exercer la miséricorde, et parce que, tout pauvres qu'ils sont, ils ont montré de la libéralité dans leur aumône; ils étaient pauvres, car on leur avait enlevé leurs biens. C'est ce qu'il nous apprend lorsqu'il leur écrit dans une de ses lettres : " Car vous êtes devenus les imitateurs des églises de Dieu qui sont en Judée, parce que vous avez aussi souffert les mêmes traitements de:la part de vos compatriotes, que (103) les fidèles de Judée de la part des Juifs ". (I Thess. II, 14.) Ecoutez ce qu'il dit plus tard en écrivant aux Hébreux : " Car vous avez a accepté avec joie l'enlèvement de vos biens ". (Hébr. X, 34.) Il appelle donc cela une grâce, non-seulement afin de réprimer leur orgueil, mais afin de les stimuler, et d'enlever à ce qu'il va dire tout ce qui pourrait causer leur jalousie. C'est encore pour cela qu'il ajoute l'appellation de frères, c'est afin de détruire tout sentiment jaloux : car il se prépare à donner aux Macédoniens d'insignes éloges. Ecoutez-les, ces éloges. Il vient de dire : " Je vais a vous faire connaître la grâce de Dieu ", il n'ajoute pas : qui a été donnée dans telle et telle ville, mais il loue la nation tout entière en ces termes : " Dans les églises de Macédoine ".

Puis il expose quelle est cette grâce. " C'est que leur joie a été extrême dans de nombreuses épreuves de tribulation (2) ". Voyez-vous quelle prudence? Il ne commence pas par ce qui est le but de son discours; il dit d'abord autre chose, pour ne pas avoir l'air d'aborder exprès son sujet, mais y paraître amené par la suite d'autres idées : " Dans de nombreuses épreuves de tribulation ". C’est ce qu'il avait dit aux Macédoniens eux-mêmes, lorsqu'il leur écrivait ceci : " Vous êtes devenus les imitateurs du. Seigneur, ayant reçu la parole au milieu de nombreuses tribulations, avec la joie de l'Esprit-Saint " (I Thess. I, 6); et un peu plus loin : " La parole du Seigneur a rejailli de chez vous, non-seulement dans la Macédoine et dans l'Achaïe, mais votre foi en Dieu est même parvenue en tout lieu ". (Ibid. 8) Or que signifie : " Leur joie a été extrême dans de nombreuses épreuves de tribulation? " Ils ont eu, veut-il dire, les deux choses au plus haut degré : la tribulation et la joie. Aussi était-ce grande merveille devoir. une telle abondance de joie jaillir en eux de la tribulation même. Car non-seulement cette tribulation n'engendra point chez eux le chagrin, mais elle leur devint un sujet de contentement : et elle était grande pourtant ! Il parlait donc ainsi pour préparer les Corinthiens à se montrer courageux et inébranlables dans les épreuves. Car les Macédoniens n'avaient pas supporté la tribulation d'une manière ordinaire, mais de telle sorte qu'ils s'étaient illustrés parleur patience : bien mieux, l'apôtre ne parle pas de leur patience, mais, ce qui est plus encore, de leur joie; et non pas simplement,de leur joie, mais d'une joie extrême . oui, elle surgissait en eux, immense, ineffable. " Et que leur profonde pauvreté a été surabondante pour la richesse de leur simplicité ". Encore ici les deux choses au plus haut degré. Car de même qu'une grande tribulation a produit une grande joie, une joie extrême; de même une grande pauvreté a produit une grande richesse d'aumône. Car c'est ce qu'il a voulu exprimer par ces mots : " A été surabondante pour la richesse; de leur simplicité ". Car ce n'est pas à la quantité des choses données, mais à l'intention de ceux qui donnent que se mesure la libéralité. Aussi ne parle-t-il pas de la richesse des dons, mais il dit: " La richesse de leur simplicité ". Ce qui revient à ceci :.Non-seulement la pauvreté ne fut pas pour eux un obstacle à la libéralité, mais elle leur devint un motif de donner largement, comme la tribulation devint le motif de leur joie. Car plus ils étaient pauvres, plus ils montraient de libéralité, et donnaient de bon coeur. Aussi les admire-t-il beaucoup, de ce qu'avec tant de pauvreté ils montrèrent une libéralité si grande. Car " leur profonde pauvreté ", c'est-à-dire leur extrême pauvreté, qui dépassait toute expression, fit voir leur simplicité. II ne dit pas : Fit voir, mais : " A été surabondante " ; il ne dit pas leur simplicité, mais : " La richesse de leur simplicité " , c'est-à-dire, une richesse en rapport avec la grandeur de leur pauvreté; que dis-je, l'extrême libéralité dont ils firent preuve alla beaucoup au-delà de cette mesure. Il explique ensuite la même chose encore plus clairement, en ces termes : " Car, je l'atteste ", (et certes le témoin est digne de foi) " ils ont agi selon leurs moyens, et même au-delà de leurs moyens (3) " ; ce qui revient au même que : " A été surabondante pour la richesse de leur simplicité ". Que dis-je?. ceci n'est pas la seule explication : tout ce qui suit éclaircit encore cette même pensée : " De leur propre mouvement " , dit-il. C'est là un second titre d'excellence. " Avec beaucoup d'instances (4) " ; en voilà un troisième; puis un quatrième : " Nous demandant". Puis un cinquième : Quoiqu'étant dans la tribulation, et dans la pauvreté, ce qui en fait un sixième; enfin en voici un septième : c'est qu'ils ont donné considérablement.

3. Et comme son principal objet, c'est (103) d'obtenir des Corinthiens qu'ils donnent de bon coeur. il insiste principalement là-dessus, et il dit : " Avec beaucoup d'instances ", et: " Nous demandant ". Ce n'est pas nous qui leur avons fait une demande, ce sont eux qui nous en ont fait une. Et que nous ont-ils demandé? " La grâce et la communication des services "rendus aux saints (4) ". Voyez-vous comme il relève encore leur action, en lui donnant des noms honorables ? Parce qu'ils avaient du zèle pour les âmes, il appelle cela une grâce, afin que les Corinthiens y courent; puis il l'appelle une communication, pour que les Corinthiens sachent que ce n'est pas là seulement donner, mais en même temps recevoir. Ce dont ils nous priaient, dit l'apôtre, c'était donc de nous charger d'un tel service. " Et ce ne fut pas comme nous nous y attendions " (5) ". Il fait ici allusion, et à la quantité de ce qu'ils donnèrent, et à leurs tribulations. Il veut dire : Car nous ne nous sérions pas attendus qu'étant dans une si grande tribulation et dans une si grande pauvreté,ils nous eussent pressés, et nous eussent si instamment priés. Il nous a fait aussi connaître la régularité du reste de leur vie, en ajoutant : " Mais ils se sont donnés d'abord au Seigneur, et à nous par la volonté de Dieu (5) ". Car en toutes choses ils furent plus dociles que nous ne l'avions attendu; et, parce qu'ils exerçaient la miséricorde, ils ne négligeaient pas pour cela les autres vertus, ruais ils se donnèrent d'abord au Seigneur. Et que signifie: " Ils se sont donnés au Seigneur? " C'est-à-dire : Ils se consacrèrent à lui, ils s'illustrèrent par leur foi, ils se montrèrent d'un grand courage dans les tentations, ils firent preuve de beaucoup de modération, de douceur, de charité, d'ardeur et de zèle dans la pratique de toutes les mitres vertus. Et ces mots. " Et à nous? " C'est-à-dire, ils ont été dociles à notre égard, ils ont pratiqué la charité et l’obéissance, en ce qu'ils ont accompli les lois de Dieu, et que par la charité ils nous sont demeurés unis. Considérez comme il montre aussi leur zèle, en disant : " Ils se sont donnés au Seigneur ". Ils n'ont pas obéi à Dieu pour certaines choses, et au monde l four d'autres, ils ont obéi -à Dieu en tout, et se sont donnés tout entiers à lui. Ainsi parce qu'ils faisaient l'aumône, ils n'en ont point conçu nu fol orgueil, mais c'est tout en montrant beaucoup d'humilité , beaucoup d'obéissance, beaucoup de respect, beaucoup de grandeur d'âme, qu'ils ont exercé aussi la miséricorde. Et pourquoi ces mots : " Par la volonté de Dieu? " C'est qu'ayant dit : " Ils se sont donnés à nous ", il veut faire entendre que ce n'est pas humainement parlant, mais qu'en cela même ils ont agi suivant l'intention divine. " De sorte que nous avons prié Tite d'achever cette grâce en vous comme il l'a commencée (6) ".

Et comment ces paroles viennent-elles après les autres? Avec beaucoup de suite ; et se rattachant étroitement à ce qui précède. En. effet, voici le sens : Comme nous avons vu les Macédoniens pleins d'énergie et d'ardeur en toutes choses, dans les tentations, dans l'aumône, dans leur charité envers nous, dans la pureté de leur. vie pour tout le reste; afin que vous les égaliez, nous avons envoyé Tite vers vous. Il ne le dit pas, mais il le fait comprendre. Voyez son extrême tendresse ! Lorsque nous vîmes, veut-il dire; les Macédoniens nous supplier ainsi et réclamer de nous ces services, nous avons eu souci de vos intérêts, dans la crainte que vous ne leur fussiez inférieurs. Aussi avons-nous envoyé Tite, pour qu'il vous réveillât en vous rappelant leur exemple, et qu'alors vous devinssiez les rivaux des .Macédoniens. Car Tite se trouvait là quand cette lettre fut écrite. Et l'apôtre nous le représente comme ayant déjà commencé l’oeuvre avant les exhortations que lui-même donne maintenant : " Comme il l'a commencée ", dit-il. Ainsi, il lui accorde de grands éloges, d'abord vers le commencement Ile l'épître, lorsqu'il dit: " N'ayant point rencontré Tite, mon frère, je n'ai pas trouvé de repos pour mon esprit " (II Cor. II, 13); et ensuite, dans tout ce qu'il vient de dire ici, et dans le passage même où nous en sommes; car ce n'est pas un faible titre aux éloges, même de n'avoir encore que commencé l'oeuvre : c'est le fait d'une âme fervente, d'un zèle ardent. Aussi, entre autres motifs, l'apôtre a-t-il envoyé un tel homme aux Corinthiens, afin de fournir, dans la présence même de lite, le plus grand stimulant à leur libéralité. Il a encore autre chose en vue, en l'exaltant par ses louanges : il veut l'établir plus solidement dans l'amitié des Corinthiens. Car un des grands points pour nous persuader, c'est que l'homme qui nous conseille soit notre ami. Ce n’est pas avec moins de raison qu'ayant à parler de l'aumône, non pas une (105) fois, mais à deux et trois reprises différentes, il l'appelle une grâce. La première fois, il dit: " Je vais vous faire connaître, mes frères, la grâce de Dieu qui â été donnée dans les églises de Macédoine " ; un peu plus loin : " De leur propre mouvement, avec beaucoup d'instances nous demandant la grâce et la communication " ; et enfin : " D'achever cette grâce en vous comme il l'a. commencée ".

4. En effet, l'aumône est un grand bien, un grand présent de Dieu , et quand nous la pratiquons, elle nous rend semblables à Dieu autant que cela est possible : car c'est elle surtout qui fait l'homme. Aussi le Sage, dans une peinture qu'il a faite de l'homme, a mis ce trait : " C'est une grande chose que l'homme, et c'est une chose de prix qu'un homme miséricordieux (1) ". (Prov. XX, 6.) L'aumône est une grâce plus grande que de ressusciter des morts. En effet, quelque chose de bien plus excellent que da rappeler, au nom de Jésus, les morts à la vie, c'est de nourrir le Christ lorsqu'il a faim; car c'est vous qui faites alors du bien à Jésus-Christ-, et dans le premier cas, c'est lui qui vous en fait. Or la récompense se gagne à faire le bien,, et non pas à le recevoir. Dans le premier cas, je veux dire lorsque vous faites des miracles, c'est vous qui êtes redevable à Dieu; et quand vous faites l'aumône, c'est Dieu qui est votre débiteur. Or il y a aumône, lorsqu'elle est faite de bon coeur, avec libéralité ,' lorsqu'on ne croit pas donner, mais recevoir, lorsqu'en la faisant, on se regarde soi-même comme favorisé d'un bienfait, comme. y gagnant et non pas comme y perdant, car dans ce dernier cas, cela ne pourrait même s'appeler une grâce. Quand on exerce la miséricorde, on doit être joyeux, et non mécontent. Quelle absurdité n'y aurait-il pas, lorsque vous faites cesser la tristesse d'autrui, à tomber vous-même dans la tristesse? Vous êtes cause. alors. que ce n'est plus une aumône. Car si vous êtes triste pour avoir délivré un autre de sa tristesse, vous faites preuve de la dernière cruauté, de la plus grande inhumanité; il vaudrait mieux ne point, lui ôter sa peine, que la lui ôter ainsi. Mais au bout du compte, qu'est-ce qui vous attriste? Est-ce de voir diminuer votre or? Alors, si telle est votre disposition,

1. N'oublions pas que saint Chrysostome cite toujours les Septante.

ne donnez absolument rien; si -vous n'avez pas la confiance que vos richesses se multiplient dans le ciel, ne faites point d'aumône. Mais peut-être, vous voudriez une récompense ici-bas. Et pourquoi? Laissez donc l'aumône être l'aumône, n'en faites pas un trafic.

Bien des gens sans doute ont reçu une récompense même ici-bas; mais ce n'est pas avec le privilège de l'emporter un jour sur ceux qui n'auront rien reçu en ce monde quelques-uns d'entre eux au contraire ne l'ont reçue qu'en raison. de leur plus grande faiblesse, parce qu'ils n'étaient guère attirés par les biens de l'autre vie. Ils ressemblent à ces gens gloutons? mal appris et esclaves de leur ventre, qui, invités à un festin splendide, n'attendent pas le moment convenable, mais, comme les petits enfants, compromettent leurs jouissances mêmes en les anticipant, et en se gorgeant. d'aliments de qualité inférieure. Ainsi les gens qui, dès ce monde, cherchent et reçoivent leur récompense, diminuent pour eux celle de la vie à venir. Quand vous prêtez de l'argent, vous désirez ne rentrer dans le capital qu'au bout de longtemps, peut-être même ne pas y rentrer du tout, afin d'accroître les intérêts par cet ajournement : et lorsqu'il s'agit d'aumône, vous réclamez votre dédommagement tout de suite, et cela, quand vous ne devez pas rester en ce monde, que vous devez être pour toujours dans l'autre ; quand ce n'est point ici-bas que vous serez jugé, quand c'est là-haut que vous devez rendre vos comptes? Si l'on vous préparait une demeure où vous ne dussiez pas rester, vous regarderiez cela comme une dépense perdue : eh quoi ! vous voulez vous enrichir en ce monde, d'où il vous faudra partir, peut-être avant ce soir? Ne savez-vous pas que nous sommes ici à l'étranger, comme des hôtes, comme des voyageurs ? ne savez-vous pas que le sort des étrangers, c'est d'être chassés au moment où ils ne s'y attendent et n'y songent point? Eh bien ! c'est là notre condition. En conséquence; tout ce que nous avons amassé ici, nous l'y laissons.

Le souverain Maître ne permet pas que nous emportions rien avec nous, soit que nous ayons construit des maisons, soit que nous ayons acheté des terres, ou des esclaves, ou des meubles, ou autres choses semblables, Et non-seulement il ne laisse rien emporter, mais il ne vous donne pour cela aucun (106) dédommagement: il vous a prévenus de ne rien bâtir, de ne faire aucune dépense avec des ressources étrangères , mais d'y employer les vôtres. Pourquoi donc, laissant là ce qui vous appartient, mettez-vous en œuvre et dépensez-vous des biens étrangers, de manière à perdre à la fois et votre peine et votre salaire , et à subir les derniers châtiments? Qu'il n'en. soit pas ainsi , je vous en conjure, mais puisque nous sommes par notre condition étrangers en ce monde, soyons-le aussi par nos dispositions, afin de ne pas être là-haut chassés avec mépris comme étrangers. Car si nous avons voulu devenir citoyens de ce monde , nous ne serons citoyens ni de ce monde, ni de l'autre ; si au contraire nous restons ici-bas comme étrangers, si notas nous y conduisons comme des étrangers doivent le faire, nous obtiendrons les franchises du citoyen , et dans ce monde et en l'autre vie. Car l'homme juste, ne possédât-il rien, vivra ici même au milieu des biens de tous, comme si ces biens étaient à lui, et quand il sera parvenu au ciel, il y verra ses propres tabernacles éternels; même en ce monde il n'aura rien eu à souffrir d'humiliant ; car nul n'aura pu considérer comme étranger celui qui aura eu pour cité la terre entière ; et une fois en possession de sa véritable patrie, il y recevra les véritables richesses. Afin donc de gagner à la fois et les biens de ce monde et ceux de l'autre , usons comme il faut de ce que nous possédons. Car de cette manière nous serons citoyens des cieux, et nous y jouirons d'un grand crédit auprès de Dieu ; puissions-nous tous obtenir cette faveur, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance, honneur au Père, ainsi qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

HOMÉLIE XVII. MAIS AFIN QUE VOUS EXCELLIEZ EN TOUT, PAR VOTRE FOI ET PAR VOTRE PAROLE, ET PAR VOTRE SCIENCE, ET PAR TOUTE ESPÈCE DE ZÈLE. (VIII, 7, JUSQU'A 15.)
Analyse.

1. Saint Paul évite tout ce qui pourrait ressembler à de l'importunité à l'égard des Corinthiens r il leur a cité l'exemple des Macédoniens, non pour rendre les Corinthiens jaloux, mais pour les engager à imiter les Macédoniens ; il stimule ensuite les Corinthiens par leur propre exemple. — Il commence par leur demander de faire l'aumône sans aller jusqu'à se gêner.

2. Leur aumône rétablira l'égalité, tant des biens temporels que des biens spirituels. — C'est le fait de l'orgueil, de ne vouloir avoir besoin de personne. — Utilité des pauvres en ce monde.

3. Les riches ont bien plus besoin d'autrui que les pauvres. — Ce besoin où nous sommes les uns des autres est un effet de la sagesse divine. — Il ne faut jamais se lasser de faire l'aumône.. — Faire aux autres ce que nous voulons qu'ils nous fassent, telle est la règle de conduite à suivre à l'égard du prochain.

1. Voyez encore comme avec des éloges il les excite à en mériter de plus grands. Il n'a pas dit : Afin que vous donniez; mais : " Afin que vous excelliez par votre foi dans les dons de la grâce, par votre parole" pleine de sagesse, " par votre science " des dogmes, " par toute espèce de zèle " pour les autres vertus, " et par votre charité ", cette charité dont j'ai déjà parlé, et dont j'ai donné la preuve. " Qu'ainsi vous excelliez également en cette dernière grâce (7) ". Vous le voyez, s'il commence par les louer sur les premiers (107) points, c'est afin de les entraîner, par la suite de son discours, à se montrer tout aussi zélés sous ce dernier rapport. " Je ne vous dis pas cela par manière de commandement (8) ". Voyez quelle complaisance il a sans cessa pour eux, comme il s'abstient d'être importun, et d'employer là violence ou la contrainte ; que dis-je? ce double caractère est ici dans les paroles même: absence d'importunité et absence de contrainte. En effet, comme il les a continuellement exhortés, qu'il a beaucoup loué les Macédoniens, de peur que cela ne ressemble à de la contrainte, voici comment il s'exprime : " Je ne vous dis pas cela par manière de commandement , mais voulant, par le zèle des autres , éprouver aussi votre fonds sincère de charité (8) ". Non pas qu'il en, doute : car tel n'est pas ici-le sens;. mais il veut mettre cette vertu en lumière, la prouver, et en même temps la fortifier. Si je vous parle ainsi , veut-il dire, c'est afin de vous exciter à la même ardeur; et en faisant mention de leur zèle, je donne de l'éclat ; du lustre, un stimulant, à vos propres dispositions. Puis, de ce motif , il en vient à un plus puissant : car il ne néglige aucune manière de présenter son conseil: il met tout en oeuvre, il emploie toutes les ressources du langage; il les a d'abord exhortés en louant les autres: " Vous connaissez la grâce de Dieu qui a été adonnée dans les églises de Macédoine (1) "; il les exhorte ensuite en les louant eux-mêmes : " Mais afin que vous excelliez en a tout, par votre parole et par votre science (7) ". En effet, il peut être plus cuisant d'être surpassé par soi-même que par autrui.

Il arrive ensuite à l'argument capital et définitif de son conseil : " Car vous connaissez i la grâce de Notre-Seigneur, par laquelle il " s'est appauvri pour nous, lui qui était riche, "afin que nous nous enrichissions par sa a pauvreté (9) ". Pensez , leur veut-il dire, à cette faveur divine, réfléchissez-y, méditez-la; ne la laissez point passer comme inaperçue, mais considérez-en la grandeur, l'importance et la dignité , et alors vous ne ménagerez rien de ce qui vous appartient. Notre-Seigneur s'est dépouillé de sa gloire, pour que vous vous enrichissiez, non par sa- richesse, mais par sa pauvreté. Si vous ne croyez point que la pauvreté produise la richesse, pensez à vôtre Maître, et vous n'aurez plus de doute. Car s'il n'était pas devenu pauvre, vous ne seriez pas devenu riche. Chose étonnante pourtant, que la pauvreté ait enrichi la richesse ! C'est qu'ici, par le mot richesse, l'Ecriture entend la science de la piété, la purification de nos péchés, la justice, la sanctification, et les biens innombrables que Dieu nous a procurés, et qu'il nous procurera plus tard. Or, tout cela nous est venu de sa. pauvreté. Et en quoi consista cette pauvreté ? A se revêtir de notre chair, à se faire homme, à souffrir ce qu'il a souffert. Et cependant il ne vous devait pas ces sacrifices, au lieu que vous, vous lui êtes redevable. " Et je vous donne en cela un avis pour votre utilité (10) ". Voyez comme ici encore il se préoccupe de n'être pas importun, et comme il adoucit son discours par ces deux expressions : " Je vous donne un avis ", et " Pour votre utilité ". Il leur dit : Je ne vous contrains pas, je ne vous violente point, je fais un appel à votre bonne volonté :.et en vous. parlant ainsi, j'ai moins en vue l'intérêt de ceux qui recevront que votre propre avantage.

Puis, l'exemple même qu'il donne, il le tire d'eux-mêmes, et non pas de quelques autres. " A vous qui avez déjà commencé, non-seulement à faire celte bonne œuvre, mais même à la vouloir dès l'année dernière (10) ". Voyez comme il fait voir qu'ils s'y sont portés d'eux-mêmes et sans impulsion étrangère. C'est qu'ayant précédemment rendu ce témoignage aux habitants de Thessalonique, qu'ils avaient pratiqué l'aumône de leur propre mouvement, et avec beaucoup d'instance, il veut montrer que ce mérite est aussi celui dés Corinthiens. Voilà pourquoi il dit : "Non-seulement à faire cette bonne oeuvre, mais même à la vouloir ", et pourquoi aussi, non content de ces simples mots : Vous avez commencé , il emploie ceux-ci : " Vous avez déjà commencé dès l'année dernière". Ainsi, ce à quoi je vous exhorte, c'est une chose dans laquelle vous m'avez déjà prévenu, en vous y excitant vous-mêmes avec la plus grande ardeur. " Et maintenant vous en avez accompli l'exécution (11) ". Il ne dit pas : " Vous avez fait cette bonne oeuvre ", mais : " Vous y avez mis la dernière main ". — " De manière que comme votre désir est provenu de votre vouloir, ainsi votre action est provenue de votre avoir (11) ". En effet, il ne faut pas que ce noble mérite se borne au désir, il faut qu'il reçoive la récompense qui suit les actions; (108) " car pourvu que le désir précède, on est bien accueilli selon ce que l'on a, et non selon ce qu'on n'a pas (12) ".

Voyez quelle ineffable sagesse l’apôtre leur avait montré au commencement des gens qui avaient fait l'aumône au-delà de leurs moyens, je veux parler des habitants de Thessalonique; il les en avait loués, et avait dit : " Je leur rends ce témoignage qu'ils ont donné même au-delà de leurs moyens (3) " ; maintenant qu'il engage les Corinthiens à faire l'aumône suivant leurs moyens seulement, il laisse l'exemple qu'il a donné produire son effet de lui-même, sachant bien que c'est moins l'exhortation que le zèle qui pousse les hommes à imiter les bonnes actions; c'est pour cela qu'il dit : " Car pourvu que le désir précède, on est bien accueilli selon ce que l'on a, et non selon ce qu'on n'a pas. ". Ne vous effrayez . pas, veut-il dire, des paroles que j'ai prononcées tout à l'heure, car ce que j'en ai. dit était pour faire l'éloge de leur libéralité ; mais Dieu nous demande en raison de nos moyens, d'après ce que nous avons, et non d'après ce que nous n'avons pas. Car l'expression : " On est bien accueilli " a ici la même valeur que s'il y avait : " Dieu demande de nous ". S'en remettant donc avec confiance à l'exemple qu'il a cité, il les ménage extrêmement, et les attire d'autant mieux qu'il les laisse libres; aussi ajoute-t-il encore : " Car il ne faut pas que le soulagement des autres soit votre surcharge (13) ".

2. Cependant Jésus-Christ avait loué au contraire la veuve pour s'être dépouillée de tous ses moyens d'existence et avoir donné quelque chose dans sa misère même. Mais saint Paul parlait aux Corinthiens, à ce peuple au milieu duquel il préférait souffrir la faim : " Car ", disait-il, " il est plus beau pour moi de mourir, que si quelqu'un me dépouillait de mon sujet de gloire ". (I Cor. IX, 15.) C'est pour cela qu'il a recours à une exhortation mesurée, louant à la vérité ceux qui font l'aumône au-delà de leurs moyens, mais sans contraindre les Corinthiens à en faire autant; non pas qu'il ne le voulût, mais parce qu'ils étaient un peu faibles. En effet, pourquoi loue-t-il les autres de ce que, dans de nombreuses épreuves de tribulation , ils avaient une surabondance de joie, de ce que leur profonde pauvreté avait été surabondante pour la, richesse de leur simplicité (Il Cor. VIII, 2), et de ce qu'ils avaient donné au-delà de leurs moyens (3) ? N'est-il pas clair que c'est pour y amener les Corinthiens? Ainsi, bien qu'il paraisse leur passer en cela l'infériorité, ce n'est pour lui qu'un moyen de les faire monter aussi haut que les autres. Observez en effet comme par les paroles qui suivent, et sans en avoir l'air, il les prépare encore à ce résultat. Après ce qu'il vient de dire, il ajoute " Que votre superflu supplée à ce qui leur manque (4) ". Pour rendre son commande ment léger, il n'en avait pas dit assez, il a voulu y ajouter les mots que vous venez d'entendre. Et même, non content des moyens précédents, il leur facilite encore l'accomplissement du précepte, en leur montrant la récompense , et en des termes plus grandioses qu'ils ne le méritent : " Afin ", dit-il, "que l'égalité se fasse dans le temps présent, et que leur superflu supplée à ce qui vous manque (ibid.) ". Qu'est-ce à dire? Le voici: vous regorgez, vous autres, de richesses : eux, ils regorgent de la véritable vie et de leur crédit. auprès de Dieu. Donnez-leur donc de ces richesses que vous avez en surabondance, et dont ils sont privés, afin que vous receviez d'autres biens par l'entremise de ce crédit dont ils sont riches, et dont vous êtes pauvres. Voyez comme il a su, sans qu'ils s'en doutassent, les préparer à donner au-delà de leurs moyens, et même dans l'indigence. Car si vous voulez, leur dit-il , recevoir de la surabondance des autres, donnez vous-mêmes de votre surabondance; mais si vous voulez vous faire donner tout, il faut leur offrir même de votre indigence, et au-delà de vos moyens. Il ne tient pas littéralement ce langage à ses auditeurs, mais il laissé leur raisonnement tirer cette conclusion : en attendant, il poursuit toujours son premier but, il opère son exhortation modérée, en leur parlant des effets visibles, en leur disant: " Afin que l'égalité se fasse dans le temps présent ".

Comment arrivera cette égalité ? En ce que vous et eux vous vous donnerez réciproquement de ce que vous avez en abondance., et vous suppléerez mutuellement à ce qui vous manque. Et quelle est cette égalité, puisqu'en retour de choses matérielles, on vous en rendra de spirituelles ? La supériorité est grande de ce dernier côté : comment donc appelle-t-il cela de l'égalité? Il ne la considère qu'au point de vue du superflu et du trop peu, ou bien seulement par rapport à la vie présente. (109) C'est pour cela qu'après avoir dit : " L'égalité", il ajoute : " Dans le temps présent ". Et en parlant ainsi, il voulait rabaisser l'orgueil des riches, et faire voir qu'après notre départ d'ici-bas, les hommes spirituels auront de beaucoup l'avantage. Car en ce monde nous jouissons tous d'une grande égalité; mais alors il y aura une grande différence, les uns auront sur les autres une extrême supériorité, cartes justes seront plus resplendissants que le soleil. Ensuite, quand il les a représentés non-seulement comme donnant , mais encore comme recevant en retour dé plus grands avantages, il veut donner à leur ardeur un autre mobile, en leur montrant que même s'ils ne font part de rien à autrui, ils ne posséderont lien de plus, après avoir ainsi tout amassé chez eux. Et il leur cite alors un trait de l'antique histoire : " Selon ce qui est écrit : " Celui qui en recueillait beaucoup, n'en avait pas plus que les autres; et celui qui en recueillait peu, n'en avait pas moins ". (Exode, XVI, 18.) C'est de la manne qu'il en fut ainsi. Car ceux qui en avaient ramassé davantage et ceux qui en avaient ramassé moins, se trouvaient en avoir la même mesure, Dieu punissant ainsi l'avidité. Or l'apôtre parlait ainsi, tant pour les effrayer par, l'exemple dé ce qui s'était passé alors, que pour leur persuader de ne désirer rien de trop, et de ne point s'affliger lorsqu'ils n'avaient pis assez. Et l'on peut voir se renouveler de nos jours, au sujet des affaires de cette vie, ce qui eut lieu autrefois à propos de la manne. Chacun de nous n'a qu'un seul estomac à satisfaire, la durée de la vie est la même pour tous, et chacun de nous n'est revêtu que d'un seul corps : en conséquence, le superflu du riche ne lui vaudra rien de plus, comme au pauvre son dénuement, rien de moins.

Dès lors, pourquoi craignez-vous la pauvreté? Ou pourquoi courez-vous après la richesse? Je crains, direz-vous, d'être forcé de frapper à la porte des autres, et de demander à mon prochain. J'entends aussi continuellement nombre de personnes qui font au ciel cette prière : Ne permettez pas que j'en vienne jamais à avoir besoin des hommes. J'ai grande pitié d'entendre un tel langage . car la crainte est puérile. Tous les jours, et pour ainsi dire en toutes choses, nous avons besoin les uns des autres. De sorte que ces paroles dénotent un esprit irréfléchi, plein de lui-même, et qui ne discerne pas clairement la nature des choses. Ne voyez-vous pas que tous nous avons besoin les uns des autres ? le soldat a besoin de l'artisan, celui-ci du négociant, le négociant à son tour a besoin du laboureur, l'esclave a besoin de l'homme libre, le maître a besoin de l'esclave, le pauvre du riche, le riche du pauvre, celui qui ne fait aucun travail de celui qui fait l'aumône, et celui qui donné de celui qui reçoit,, car celui qui reçoit l'aumône tient une place extrêmement nécessaire, et plus importante que toutes les autres. S'il n'y avait pas de pauvres, la plus grande partie de notre salut se trouverait renversée, les hommes n'ayant pas où répandre leurs richesses. Ainsi, le pauvre, qui semble le plus inutile de tous les hommes, en 'est au contraire le plus utile. Si donc il est honteux d'avoir besoin d'autrui, il ne lui reste plus qu'à mourir, car il n'est pas possible de vivre si l'on craint cela comme une honte. Mais je ne puis, direz-vous, souffrir un regard d'arrogance. Et pourquoi, en condamnant la hauteur chez les autres, vous flétrissez-vous du même coup par cette accusation? Car ne pouvoir supporter l'arrogance, c'est le fait d'une âme gonflée elle-même d'orgueil. Et si tout cela ne mérite d'être compté pour rien, pourquoi le craindre, pourquoi le redouter, pourquoi à cause de cela trembler à l'idée de la pauvreté? Si vous étiez riche, les gens dont vous auriez besoin n'en seraient que plus nombreux, oui plus nombreux et en outre plus vils : car plus on s'enrichit, plus on sè met en butte à cette malédiction.

3. En demandant les richesses pour n'avoir besoin de personne, vous ne savez pas, ce que vous souhaitez : c'est comme si un homme, en s'embarquant sur une mer où l'on a besoin de nautonniers, d'un vaisseau, et de mille agrès divers, formait le voeu de n'avoir absolument besoin de personne. Si vous voulez n'avoir grand besoin de personne, demandez la pauvreté : car si, étant pauvre, vous êtes obligé d':avoir recours à quelqu'un, ce ne sera que pour du pain ou pour un vêtement; tandis qu'étant riche, vous serez forcé de recourir à autrui pour vos terres, pour vos maisons, pour les impôts, pour les salaires, pour votre. rang , pour votre sûreté , pour votre gloire, pour vos rapports avec les gens en place; et non pas avec eux seulement, mais avec leurs subordonnés, avec ceux de la ville, ceux (110) de la campagne, avec les négociants, avec les aubergistes. Voyez-vous que de telles paroles sont insensées au dernier point? Car si, au bout du compte, ce besoin du secours d'autrui vous paraît quelque chose de si terrible, premièrement il est impossible de s'y soustraire absolument; en second lieu, si vous voulez du moins fuir la foule, car ceci est possible, alors, vous réfugiant dans le port sans tourmente de la pauvreté, rompez avec le tumulte si compliqué des, affaires, mais gardez-vous de considérer comme honteux, d'avoir besoin des autres : car c'est ici l'ouvrage de la sagesse ineffable de Dieu. Voyez en effet : nous, avons besoin les uns des autres,. et ce n'est pas encore assez de ces liens nécessaires pour nous réunir par c'eux de l'amitié ; eh bien ! si chacun de nous pouvait se suffire à soi-même, ne serions-nous pas des bêtes féroces que rien ne pourrait apprivoiser? Dieu nous a donc placés sous une dépendance mutuelle parla contrainte et la nécessité, et chaque jour nous nous froissons les uns contre les autres. Si Dieu nous eût retiré ce frein, qui de nous eût recherché de longtemps l'amitié de son prochain ? Gardons-nous donc de considérer ce besoin comme une honte, et ne disons pas dans nos prières : Préserve-nous d'avoir besoin de personne; mais demandons-lui ceci : Ne permets pas que, lorsque nous serons dans le besoin, nous repoussions ceux qui peuvent nous secourir. Ce qui est méprisable, ce n'est pas d'avoir besoin des autres, mais c'est de ravir ce qui appartient à autrui. Eh bien ! pourtant nous ne prions jamais à ce- dernier sujet, jamais nous ne disons: Préserve-moi de désirer le bien des autres; et pour ce qui est d'avoir, besoin d'eux, nous croyons, devoir en demander à Dieu l'affranchissement. Pourtant saint Paul se trouva souvent dans le besoin, et il n'en rougissait pas; au contraire, il s'en vantait, et il faisait dans les termes suivants l'éloge de ceux qui lui avaient rendu service: " Car une première et une seconde fois vous m'avez envoyé de quoi m'aider dans mes besoins " (Philipp. IV, 16) ; et ailleurs: " J'ai dépouillé les autres Eglises, en recevant de quoi vivre pour vous servir ". (II Cor. XI, 8.) Rougir de cela, ce n'est donc pas de la dignité, mais de la faiblesse, c'est le fait d'une âme sottement fière , d'un esprit déraisonnable. En effet, Dieu juge à propos que nous ayons besoin les uns des autres. Ne poussez donc pas votre sagesse au-delà des bornes. Mais, dira-t-on, je ne puis souffrir un homme à qui je fais des prières réitérées, et qui n'y. accède point. Et comment donc Dieu te souffrira-t-il, quand il t'exhorte et que tu ne te rends pas, et cela, lorsqu'il t'exhorte dans ton propre intérêt? " Car nous, sommes les délégués du Christ ", dit l'apôtre, " de sorte que c'est Dieu qui vous adresse par notre organe cette exhortation : Réconciliez-vous avec Dieu ". (II Cor. V, 20.) Mais, direz-vous, je ne laisse pas d'être le serviteur de Dieu. Comment, cela ? Quand vous, le prétendu serviteur, vous vous enivrez, et que lui, le Maître, souffre de la faim, et n'a. pas même la nourriture nécessaire, en quoi pourra vous protéger le titre de serviteur? Il ne fera au contraire que vous charger davantage , lorsque vous aurez demeuré dans vos palais à triple étage, tandis que votre maître n'avait pas même un abri suffisant; quand vous aurez couché sur des lits moelleux, tandis qu'il n'avait pas même ou reposer sa tête. On me dira encore : Eh bien ! j'ai donné. Oui, mais il ne faut pas s'arrêter dans cette voie. Car cette raison ne sera bonne que lorsque vous n'aurez plus de quoi donner, que vous ne posséderez plus rien. Tant que vous aurez quelque chose, eussiez-vous donné à dix mille personnes, s'il y a encore des gens qui ont faim, vous n'aurez pas de bonne raison à faire valoir.

Et si vous accaparez le blé, si vous le faites enchérir, si vous imaginez d'autres moyens insolites de, trafic, quel espoir de salut vous restera-t-il? Dieu vous a prescrit de donner gratuitement à celui qui a faim, et vous ne le faites même pas quand vous recevez un prix en proportion; il s'est lui-même pour vous dépouillé de tant de gloire, et vous ne daignez pas même lui donner du pain : votre chien est rassasié, et Jésus-Christ meurt de faim; votre serviteur est gorgé de mets jusqu'à étouffer, et votre Maître et le sien manquent de la nourriture nécessaire. Est-ce là se conduire en ami? Réconciliez-vous donc avec Dieu ; car votre manière d'agir a été celle d'un ennemi, d'un ennemi juré. Rougissons donc de tous les bienfaits que nous avons reçus, de tous ceux que nous recevrons encore; et quand un pauvre s'approche de nous en nous demandant l'aumône, accueillons-le avec une grande bienveillance, le consolant, l'encourageant par nos paroles, afin que nous (111) éprouvions à notre tour le même traitement, et de la part de Dieu, et de la part des hommes.

En effet, " tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le leur vous-mêmes ". (Matth. VII, 12.) Cette loi n'a rien de pénible , rien de rebutant. Faites-nous, dit-elle, ce que vous voulez que l'on vous fasse; la rémunération est égale à l'action. L'Ecriture ne dit pas : Ne faites pas ce que vous ne voulez pas que l'on vous fasse ; elle va. plus loin. Ce dernier précepte serait l'abstention du mal,, le premier est la pratique du bien, et l'autre y est renfermé. L'Ecriture ne dit pas non plus : Souhaitez-le aussi aux autres; mais : " Faites-le leur ". Et qu'y gagne-t-on? " C'est la loi et les prophètes ". Vous voulez que Dieu ait pitié de vous? Ayez pitié des autres . Vous voulez obtenir votre pardon? Pardonnez donc vous-même. Vous prétendez que l'on ne dise pas de mal de vous? Ne dites donc de mal de personne. Vous désirez être loué ? Faites l'éloge d'autrui. Vous souhaitez que l'on ne vous enlève pas vos biens? Ne ravissez donc pas les biens étrangers. Voyez-vous comme Notre-Seigneur nous montre que le bien est une chose naturelle, et que nous n'avons pas besoin de chercher des lois ni des maîtres hors de nous? Car suivant que nous voulons être traités par notre prochain de telle ou telle manière, nous nous faisons notre loi en conséquence. Si donc vous ne voulez pas qu'il vous fasse quelque chose, et que vous le lui fassiez, ou bien si vous voulez qu'il vous fasse quelque chose, et que vous ne lui fassiez pas, vous prononcez votre propre condamnation, et il ne vous reste plus aucun moyen de vous justifier, en alléguant que vous ne saviez comment agir, que vous ignoriez ce qu'il fallait faire. Aussi, je vous en conjure, gravons en nous cette loi pour notre usage, et en lisant ces paroles si claires à la fois et si concises, devenons tels envers notre prochain, que nous voulons qu'il soit envers nous, afin que nous jouissions de la paix ici-bas, et que nous obtenions les biens futurs, par la grâce et là charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance et honneur, au père ainsi qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduction de M. Edouard MALVOISIN.
 

 

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XVIII. ET GRACES SOIENT RENDUES A DIEU QUI A MIS LE MÊME ZÈLE POUR VOUS DANS LE COEUR DE TITE. (VIII, 16, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)
112

Analyse.

1. Pour augmenter le zèle des Corinthiens dans l'exercice de l'aumône, l'Apôtre leur fait l'éloge de ceux qu'il envoie recueillir leurs offrandes. — Il commence par louer Tite , auquel il fait surtout un mérite de sa spontanéité à se rendre à Corinthe. — Quel est ce frère qu'il lui adjoint, et dont la réputation dans l'Evangile est répandue dans toutes les Eglises? — Ses titres à la confiance des fidèles.

2. Saint Paul a choisi des hommes à l'abri de tout soupçon, afin d'éviter même les interprétations malveillantes du monde. — Le troisième frère qu'il envoie est plein de zèle aussi, et choisi par les Eglises comme le précédent.

3. Ils étaient probablement inconnus. aux Corinthiens. — Honorer les envoyés des Eglises, c'est honorer les Eglises; et honorer les Eglises, c'est honorer Dieu. — Puissance et valeur de l'Eglise en corps. — Il y a plusieurs circonstances où ministres et simples fidèles ont les mêmes droits. — Nous sommes tous les membres d'un seul corps ; aussi est-ce une chose déplorable que la désunion entre les fidèles. — Dieu ai permis que Jéthro donnât un bon avis à Moïse, pour faire voir que Moise était homme, et avait besoin du secours de Dieu pour opérer des miracles. — Moïse n'a pas rougi de suivre le conseil de Jéthro. — Lorsque nous sommes consultés, nous devons mettre de côté tout orgueil, ne considérer que l'intérêt de tous, et admettre les bons avis, même lorsqu'ils viennent des personnes de la plus basse condition.

1. Voici encore l'apôtre qui donné des éloges à Tite. Après avoir parlé de l'aumône, il parle de ceux qui doivent recevoir et emporter leurs offrandes. Cela était dans l'intérêt de la collecte, cela augmentait le zèle de ceux qui y contribuaient. Quand nous avons confiance dans le dispensateur, quand nous ne soupçonnons pas les personnes qui recueillent nos. dons, nous y mettons plus de libéralité. Pour obtenir ce résultat, écoutez comme l'apôtre leur recommande les gens qui sont allés les trouver dans ce but, et parmi lesquels Tite est le premier. Il dit : " Et grâces soient rendues à Dieu qui a mis le même zèle pour vous dans le coeur de Tite ". Que veut-il dire par: " Le même zèle? " Le même que Tite avait pour les habitants de Thessalonique, ou bien encore Paul voulait-il dire aux Corinthiens

Un zèle semblable à celui que j'ai moi-même pour vous? Et remarquez sa sagesse : ayant montré que c'était l'oeuvre de Dieu, il le remercie d'être l'auteur de cette grâce, pour les exciter encore par ce moyen. Car si c'est Dieu qui a inspiré Tite, et qui l'a envoyé vers vous, c'est donc Dieu qui vous demande par l'organe de Tite. Ne pensez donc pas que ce qui est arrivé soit quelque chose d'humain. Et à quel signe reconnaît-on que c'est Dieu qui a poussé Tite à agir de la sorte? Le voici : " Car non-seulement il a bien accueilli mon exhortation, mais, plus zélé encore lui-même, il est parti de son propre mouvement (17) ". Voyez comme il le représente accomplissant son couvre personnelle, sans avoir besoin d'autrui. Mais comme saint Paul avait dit que c'était une grâce de Dieu, il ne la laisse pas attribuer à Dieu tout entière, afin de leur inspirer encore plus d'affection pour Tite, en leur disant que ce. dernier s'y est porté de lui-même. Car " plus zélé encore lui-même, il est parti de son propre mouvement " ; il a saisi l'occasion, il s'est élancé sur ce trésor, il a jugé que vous rendre service, c'était agir dans son propre intérêt; dans son amour extrême pour vous, il n'a pas eu besoin de mes exhortations, et quoique je l'aie exhorté, ce n'est pas cela qui l'a déterminé; il y a été porté de lui-même et par la grâce de Dieu. " Nous (113) avons aussi envoyé avec lui notre frère, dont la réputation dans l'Évangile est répandue dans toutes les Eglises (18) "?

Quel est ce frère? Les uns veulent que ce soit saint Luc, qui serait désigné ainsi à cause de l'Évangile qu'il écrit. Selon d'autres, il s'agit de Barnabas, et ses prédications, quoique non écrites, seraient ce que saint Paul appelle ici Evangile. Et pourquoi ne donne-t-il pas les noms de ceux qu'il envoie avec Tite ? Il nomme Tite expressément, il le caractérise en outre, et par sa coopération dans la prédication évangélique, [car il était si utile que Paul, en son absence, ne pouvait rien faire de grand et d'énergique : " N'ayant point trouvé mon frère Tite, je n'ai point trouvé, de soulagement pour mon esprit]" (II Cor. II, 13), et par sa charité pour les Corinthiens." [Ses entrailles ressentent pour vous une affection encore plus surabondante] " (II Cor. VII, 15), et par son zèle pour l’oeuvre dont il s'agit : " Il est parti, lisons-nous, de son propre. mouvement " ; et quant aux autres que saint Paul envoie en même temps, il. ne fait pas ainsi leur portrait, et il ne les nomme pas. Comment expliquer cela? Peut-être n'étaient-ils pas connus des Corinthiens; alors il n'insiste pas sur, leur éloge, parce que les Corinthiens n'ont pas encore été à même de les apprécier; il n'en dit que ce qui suffisait pour les recommander et les mettre .à l'abri de tout mauvais soupçon. Mais voyons en quoi il fait consister l'éloge de celui des coopérateurs de Tite dont il parle en premier ? De quoi le loue-t-il? De sa prédication d'abord, et il le loue non-seulement de prêcher, mais. de le faire comme il faut, et. avec le zèle convenable. Car il ne dit pas : Il prêche et il évangélise, mais il parle de sa " réputation dans l'Évangile ". Et de peur que cela ne paraisse une flatterie, il prend à témoin non pas un seul homme, ni même deux ou trois hommes, mais les Eglises entières : " Notre frère, dont la réputation , dans l'Évangile est répandue dans toutes les Églises ". Ensuite il le rend respectable en raison du choix que l'on a fait de lui; ce qui n'est pas non plus un faible honneur. Aussi, après avoir, dit : " Dont la réputation dans l'Evangile est répandue dans toutes les Eglises ", il ajoute: "Et non-seulement cela (19) ". C'est comme s'il disait: Non-seulement il est respectable parce qu'il est renommé pour sa prédication et que, tout le monde. fait son éloge, " mais encore il a été choisi par les Eglises avec nous (19) ". C'est ce qui me porte à croire qu'il est question de Barnabas. Et saint Paul représente la mission de ce frère comme considérable, car il indique pourquoi on l'a élu ; c'est,.dit-il, " afin de nous accompagner dans nos voyages et de coopérer avec nous dans cette grâce que nous dispensons (19) ". Voyez-vous quels éloges ! Il s'est illustré en annonçant l'Évangile; et toutes. les Eglises lui en ont donné un témoignage a été choisi pour la même oeuvre que saint Paul; associé partout à ce dernier, il a partagé ses épreuves et ses périls ; car le mot de voyages donne à entendre tout cela. Et que signifie : " Afin de coopérer avec nous dans cette grâce que nous dispensons? " C'est-à-dire, pour annoncer la parole et prêcher l'Évangile; ou bien, pour, distribuer les aumônes; je crois même qu'in s'agit de l'un et de l'autre but. Saint Paul ajoute ensuite : " Pour la gloire du Seigneur lui-même , et dans l'intérêt de votre zèle (19) ". Saint Paul veut donc dire ceci : Nous avons demandé qu'il fût élu avec nous, et désigné pour cette oeuvre, afin qu'il devint le dispensateur et le distributeur de l'argent sacré, [ce qui n'étant pas un faible. honneur, car les apôtres avaient dit : " Choisissez sept hommes d'entre vous, qui aient une bonne réputation] " (Act. VI, 3) ; or il a été choisi par les Eglises, et le suffrage du peuple entier lui a été favorable. Que veut dire : " Pour la gloire du Seigneur lui-même, et dans l'intérêt de votre zèle ? " Cela signifie : Et pour que Dieu soit glorifié, et pour que vous deveniez plus zélés, en voyant que les hommes qui reçoivent ces aumônes sont connus, et que personne ne peut faire naître contre eux aucun soupçon injuste.

2. C'est pour cela que nous avons cherché de tels hommes, et que nous n'avons pas confié le tout à un seul, car nous voulions qu'il échappât à un pareil soupçon ; . mais nous avons envoyé Tite, et avec lui un autre. Puis, pour expliquer ces mots . " Pour la gloire du Seigneur, et dans l’intérêt de votre zèle ", il ajoute: " Ayant ceci pour but, que personne ne nous blâme dans cette abondance que nous dispensons (20) ". Quel est ce langage ? Il est digne de la vertu de Paul, et il montre sa grande sollicitude, et sa condescendance. Pour que personne, veut-il dire, ne vous soupçonne, et ne dirige contre nous quelque blâme , (114) comme si nous- détournions une partie de l'argent qui nous est confié ; pour ce motif nous avons. envoyé des hommes de ce caractère; pour ce motif nous en avons envoyé non pas seulement un, mais deux, mais trois. Voyez-vous comme il les met à l'abri de tout soupçon ? Ce n'est pas, seulement en s'appuyant sur leur prédication' ni même simplement sur lè choix que l'on a fait d'eux, mais il s'autorise de ce qu'ils sont connus, et de ce qu'on les a choisis tout exprès peur qu'ils ne pussent être soupçonnés. Il n'a pas dit non plus : De peur que vous ne nous blâmiez; mais : " Que personne ne nous blâme " ;. c'est-à-dire, personne autre que vous. Ainsi, bien qu'il ait fait cela pour eux ce qu'il donné à entendre par ces mots : " Pour la gloire du Seigneur lui-même, et dans l’intérêt de votre zèle " ; néanmoins il ne veut pas se blesser, et il prend un autre tour : " Ayant ceci pour but ". Et . non content de cela, il les flatte encore dans ce qui vient ensuite : " Dans cette abondance que nous dispensons " ; il accompagne d'un, éloge ce qui serait dur à entendre. Afin de ne pas les contrister, afin qu'ils ne disent pas : Tu crois donc devoir nous soupçonner? Nous sommes donc assez malheureux pour t'être suspects à cet égard? Il leur dit par manière de correctif : Les sommes d'argent que vous envoyez sont considérables, et cette abondance, c'est-à-dire, cette quantité d'argent serait de nature à donner des soupçons aux méchants, si nous ne faisions voir une garantie. " Car nous pour voyons au bien , non-seulement aux yeux de Dieu, mais encore aux yeux des hommes (21) ".

Comment égaler saint Paul? Il ne dit pas : Malheur et douleur à qui viendrait soupçonner pareille chose; tant que ma conscience ne me condamne pas, je tiens pour rien les soupçons d'autrui. Non, mais plus ils sont faibles, plus il s'abaisse à leur niveau.. C’est qu'en effet, lorsqu'un homme est malade, il ne s'agit pas de se fâcher contre lui, il faut tâcher de le guérir. Et cependant, de quel péché sommes-nous aussi éloignés, que ce grand saint était loin de prêter à un tel soupçon? personne, eût-ce été un démon, n'eût élevé, aucun doute sur la manière dont le bienheureux apôtre administrait cette aumône. Eh bien ! quoique si fort à l'abri des interprétations malignes, il fait tout, il met tout en couvre, pour ne pas laisser. même le plus léger prétexte à qui s'aviserait de faire , d'une manière ou d'une autre, quelque supposition mauvaise. Il prévient non-seulement les accusations, mais encore les reproches, le blâme le plus vulgaire et jusqu'au simple soupçon. " Nous avons aussi envoyé avec eux notre frère (22) ". En voilà donc un troisième qu'il adjoint aux deux autres, également avec éloge, et avec son suffrage et celui de plusieurs autres témoins. " Que nous avons ", dit-il, " éprouvé souvent en mainte circonstance comme un homme zélé, et à présent comme bien plus zélé encore (Ibid.) ". Après avoir loué les mérites personnels de ce frère, il l'exalte en raison de sa charité pour les Corinthiens, et ce qu'il disait de Tite, que " plus zélé encore lui-même, il était parti de son propre mouvement (17) ", il le dit aussi de ce troisième : " Et à présent comme bien plus zélé encore ". Par ces paroles, il fait voir déjà en germe dans leurs coeurs leur amour pour les Corinthiens. Enfin, après avoir montré leurs vertus, il exhorte les Corinthiens dans leur propre intérêt, en disant : " S'il s'agit de Tite, il est mon coopérateur, et il travaille avec ravi pour vous (23) ". Que signifie : " S'il s'agit de Tite? " Voici le sens s'il faut parler de Tite en quelque chose, j'ai à dire qu'il est mon coopérateur, qu'il travaille avec moi. Ou bien encore il entend par là vous faites quelque chose pour Tite, vous n'aurez pas obligé le premier venu, car il est mon coopérateur. Et tout en ayant l'air de le louer, il vante les Corinthiens, en montrant que leurs dispositions envers lui sont telles qu'il suffit, pour leur donner lieu d'honorer quelqu'un, de leur faire voir en cette personne le coopérateur de Paul. Toutefois, il ne s'en tient pas encore là, et il ajoute cet autre motif : " Il travaille avec moi pour vous ". Non-seulement il travaille avec, moi, mais c’est pour des affaires qui vous regardent, c'est pour votre progrès, pour votre avantage, c’est par amitié, par zèle pour vous; il leur dit tout ce qui était le plus capable de lui gagner leur affection. " S'il s'agit de nos frères (Ibid.) ". C'est-à-dire du bien si vous voulez que je vous parle des autres, ils ont aussi les plus grands droits à. vous être recommandés. En effet, eux aussi sont " nos frères ", eux aussi " ils sont les apôtres des Eglises", c'est-à-dire, envoyés par les Eglises. Puis, ce qui est au-dessus de tout, " La gloire du Christ". Car c'est à Jésus-Christ que se rapporte tout ce qui leur arrive. (115) Soit donc que volis vouliez les accueillir comme des frères, ou comme les envoyés des Eglises, soit que vous le fassiez pour la gloire du Christ, vous avez de nombreux motifs de bienveillance à leur égard.. Car j'ai à dire de Tite qu'il est mon coopérateur et votre ami dévoué, et j'ai à dire des autres qu'ils sont nos frères, qu'ils sont les apôtres des Eglises, qu'ils sont la gloire de Jésus-Christ.

3. Vous le voyez, ceci prouve qu'en ces derniers étaient inconnus aux Corinthiens. Autrement il leur eût fait honneur comme à Tite, d'avoir de l'affection pour les Corinthiens. Mais sommé ceux-ci ne les connaissaient pas encore, recevez-les, dit-il, comme des frères, comme des envoyés des .Eglises, comme agissant pour la gloire du Christ; c'est pourquoi il ajoute : " Prouvez-leur donc à la face des Eglises quille est votre charité et la gloire que nous mettons en vous (24) ": C'est-à-dire: Faites voir maintenant, d'une part combien vous nous aimez, et de l'autre, combien l'orgueil que: nous avons conçu de vous est légitime et fondés or, vous prouverez tout cela, si vous montrez de la charité envers eux. Il donne à son langage quelque chose de plus redoutable en ajoutant : " A la face des Eglises ". C'est, dit-il, pour la gloire et l'honneur des Eglises;car si vous honorez nos frères, vous honorerez les Eglises. dont ils tiennent leur mission. En effet, l'honneur qu'on rend aux envoyés ne s'arrête pas à eux, il va jusqu'à ceux qui les délèguent, qui les ont choisis, il va plus loin encore, il rend gloire à Dieu même. Honorer les ministres de Dieu, c'est faire monter,nos louanges jusqu'à lui. Devant la communauté des Eglises : et ce n'est pas là up point sans importance : il y a une grande puissance dans la. réunion, c'est nomme si je disais : dans les Eglises. Considérez combien a été grande cette puissance de la réunion. La prière de l'Eglise délivra Pierre de ses liens (Act. XII, 5-7), et ouvrit la bouche de Paul; à son tour, le suffrage de ces deux apôtres revêt de faveurs insignes ceux qui arrivent aux dignités spirituelles. C'est pourquoi celui qui va faire élection de quelqu'un invoque leurs prières, et ceux qui sont initiés aux fonctions sacrées sont appelés à donner leur suffrage, et déclarent ce qu'ils savent, car il n'est pas permis de tout révéler devant ceux qui ne sont pas initiés aux fonctions. sacrées. Dans d'autres cas, il n'y a point de différence entre le prêtre et ses administrés; comme lorsqu'il s'agit de prendre part aux redoutables mystères; car nous y sommes admis tous indistinctement.

Ce n'est pas comme 'sous l'ancienne Loi, où les mets du prêtre n'étaient pas ceux du simple fidèle; où il .n'était pas permis au peuple d'avoir part aux mêmes choses que le pontife. Il n'en est plus ainsi die nos jours : un seul corps, un seul calice est offert à tous. Dans les prières, on peut voir aussi que le peuple est pour beaucoup. Pour les énergumènes, pour les personnes soumises à une pénitence, les prières viennent à la fois du prêtre et des fidèles; ils disent tous la même, et c'est une prière .pleine de miséricorde. Quand nous avons exclu de l'enceinte sacrée ceux qui ne peuvent participer à la. sainte table, c'est à une prière d'un autre genre qu'il faut avoir recours; mais alors encore tout le monde indistinctement se prosterne à terre et se relève. Quand on donne et que l'on reçoit le baiser de paix, tout le inonde y est admis. 'Dans la célébration même des très-redoutables mystères, le prêtre prié pour le peuple, mais le peuple prie aussi pour le prêtre , car ces mots : " Et avec votre esprit ", n'ont pas d'autre sens. L'action de grâces leur est commune également , car ce n'est pas le prêtre seul qui rend grâces, mais le peuple tout entier. En effet, c'est après avoir reçu l'assentiment des fidèles, et après qu'ils sont convenus que cela est juste et légitime (Dignum et justum est), que le prêtre commence l'action de grâces. Et pourquoi s'étonnerait-on que le peuple parle .conjointement avec le prêtre , puisqu'alors aussi le peuple s'associe aux Chérubins eux-mêmes et aux puissances célestes pour faire monter en commun les hymnes sacrées vers Dieu? Or si je vous ai dit tout cela, c'est afin que même parmi les simples fidèles, chacun soit vigilant, afin que nous apprenions que nous gommes cous un seul corps, que nous ne, différons ensemble que comme certains membres diffèrent des autres, c'est afin que vous ne rejetiez pas tous les soins sur les prêtres , mais que pour votre part aussi , vous vous inquiétiez de l'Eglise tout entière, comme de votre corps commun. Car cela nous procure une plus grande sécurité, et un accroissement de vertu plus considérable.

Ecoutez comme du temps des apôtres on admettait dans d'autres circonstances encore, les simples fidèles à donner leur avis. Quand (115) on voulut choisir les sept diacres, on commença par consulter le peuple ; et quand Pierre élut Matthias, il consulta tous ceux qui étaient là, les femmes comme les hommes. C'est qu'il ne s'agit pas ici d'orgueil du côté des chefs, ni de servitude de la part des subordonnés; l'autorité y est toute spirituelle, et ce qui la distingue principalement, ce n'est pas de chercher de plus grands honneurs, c'est de prendre sur elle la plus grande partie des peines et de la sollicitude dont vous êtes l'objet. En effet, comme l'Eglise doit être pour nous une seule et même demeure, nos dispositions à tous doivent être celles d'un seul et même corps, de même qu'il n'y a qu'un baptême, qu'une table sainte, qu'une source de purification , qu'une seule création, qu'un. seul Père. Pourquoi donc sommes-nous divises, lorsque tant de choses nous réunissent? Pourquoi ces déchirements entre nous? Car nous sommes obligés de déplorer encore une fois ce dont j'ai bien souvent gémi ; le présent est lamentable : quelle profonde désunion nous sépare les uns des autres , quand nous devrions imiter la connexion des membres d'un même corps. ,Ce serait le moyen grâce auquel le plus grand pourrait tirer parti même du plus petit: Car si Moïse apprit de son beau père quelque chose d'utile qu'il ne savait lui-même, à plus forte raison cela arriverait-il dans l'Eglise. Et pourquoi l'homme spirituel ne savait-il pas alors ce que savait l'infidèle ? C'était pour que tous apprissent alors. que Moïse était un homme; que pour diviser les eaux de lamer, pour ouvrir les flancs du rocher, il avait besoin du secours de Dieu; et que tout cela était l'oeuvre, non pas de la nature humaine, mais dé .la puissance divine; enfin que de nos jours, dans l'Eglise, si l'un ne donne pas un avis utile, un autre se lève et donne le sien.

Et fût-il d'une condition inférieure, si ce qu'il dit est bon, sanctionnez son avis, et quand cet homme serait de la classe la plus. humble, ne le méprisez pas. Car; nul dans ces derniers rangs n'est à une aussi grande distance de son prochain, que l'était Jéthro de son gendre Moïse; toutefois celui-ci , ne dédaigna pas d'écouter son beau-père, il accueillit au contraire son avis, il s'y rangea, et il l'a .consigné par écrit, il n'a pas rougi de le transmettre à l'histoire (Exod. XVIII), renversant en cela l'orgueil du plus grand nombre des hommes. C'est pour cela qu'il a laissé ses divers événements de sa vie gravés comme sur le marbre il savait que le récit en serait utile à beaucoup de gens. Ainsi, ne dédaignons pas ceux qui nous donnent de bons conseils, fussent-ils de simples fidèles, même de rang infime, et quand nous avons fait nous-même une proposition, ne prétendons pas à toute force la voir adopter; que tout ce qui paraît avantageux reçoive la sanction de tous. Car souvent, à forée d'ardeur et d'attention, ceux qui voient trouble, distinguent certaines choses mieux que ceux dont la vue"est perçante. Ne dites pas : Pourquoi m'appelez-vous afin de donner mon avis, si vous n'écoutez pas ce que je dis; ce reproche est celui d'un despote, et non pas d'un conseiller. Le conseiller n'a d'autre droit que de faire connaître sa façon de penser; s'il se produit quelque manière de voir plus utile, et que ce même homme veuille néanmoins imposer la sienne, alors, comme je viens de le dire, ce n'est plus un conseiller, c'est un tyran. Gardons-nous donc d'une pareille conduite; mais, dépouillant notre âme de tout orgueil et de toute infatuation, ayons en vue non pas de maintenir uniquement notre opinion, mais de donner, l'avis le plus utile, le moyen de prévaloir, quand même cet avis ne viendrait pas de nous. Car nous gagnerons beaucoup, si nous n'avons pas trouvé ce qu'il faut à l'accueillir lorsque les. autres nous paraîtront l'offrir ; nous recevrons de Dieu une grande récompense, et c'est en même temps le meilleur moyen. d'en retirer de la gloire. En effet; si l'homme qui ouvre des avis utiles fait preuve de sagesse; nous autres, en les accueillant, nous nous attirons la réputation d'esprits judicieux et d'âmes droites. Voilà pour les familles et pour, les cités, et aussi pour l'Eglise, la ligne à suivre pour atteindre à un plus grand développement; voilà également pour nous tous le plan de conduite, qui après avoir été le meilleur pour la vie présente, nous vaudra les biens du. monde à venir : puissions-nous tous obtenir cette faveur par là grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire; puissance et honneur du Père, ainsi qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

HOMÉLIE XIX. CAR A L'ÉGARD DES SERVICES QUE L'ON REND AUX SAINTS, IL EST SUPERFLU QUE JE VOUS ÉCRIVE. (IX, 1; JUSQU'À 10.)
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Analyse.

1. Chrysostome lait remarquer à ses auditeurs que l'Apôtre a eu la prudence de commencer par des éloges, à l'adresse des Corinthiens, de peur d'exciter leur jalousie. contre les Macédoniens lorsqu'il leur proposera ceux-ci pour modèles.

2. Voulant les amener à donner de bon coeur et beaucoup , l'Apôtre commence par leur représenter que l'aumône est une bénédiction.

3. Il faut donner beaucoup ; il est honteux de ne donner à Jésus-Christ qu'à contre-coeur, lorsqu'une foule de gens font si volontiers tant de dépenses honteuses. — Il faut savoir se contenter du nécessaire et donner son superflu.

4. Exemple de la veuve de l'Evangile et de celle du temps d'Elie. — Dieu mesure les dons aux ressources des personnes qui les font. — L'amour des richesses est incompatible avec la justice.

1. Après tout ce qu'il vient de dire au sujet de cette aumône, il ajoute ici: " Il est superflu que je vous écrive". Et sa prudence ne consiste pas seulement en ce qu'après avoir parlé si au. long, il ajoute : " Il est superflu que je vous écrive ", mais elle consiste aussi en ce qu'il reparle encore après, sur le même sujet. En effet, ce qu'il vient de dire en. dernier lieu, avait rapport à ceux qui devaient recevoir les offrandes, et avait pour but de leur attirer beaucoup d'estime; ce qu'il avait dit auparavant au sujet des Macédoniens, que " leur profonde pauvreté avait été surabondante"pour la richesse de leur simplicité ", et tout le reste, avait. rapport à la charité et à l'aumône. Eh bien ! malgré, cela, après tant de paroles, et lorsqu'il va encore en ajouter d'autres, il dit : " Il est superflu pour moi de vous écrire ". Or il s'y prend de la sorte pour les attirer davantage. En effet, pour un homme dont la réputation est telle qu'il n'a même pas besoin de conseil, c'est une honte de paraître au-dessous de l'opinion que l'on a conçue de lui, et d'être dépassé. L'apôtre en use fréquemment ainsi, lorsqu'ayant à faire des reproches, il a recours aux prétéritions : c'est un moyen quia beaucoup de force. Un juge qui reconnaît chez un accusateur de la grandeur d'âme, n'a plus, aucun soupçon contre lui. Il se dit : Puisque cet homme ne dit pas tout ce qu'il pourrait dire, comment inventerait-il ce qui n'est pas? L'accusateur fait alors soupçonner de l'accusé plus de choses qu'il n'en dit,.et il donné de sa propre personne l'idée d'un caractère honorable.

C'est ainsi que procède l'apôtre et pour les conseils et pour les éloges. Après avoir dit " Il est superflu d’écrire " , voyez ce qu'il ajoute : " Car je connais votre bonne volonté, pour laquelle je me glorifie de vous auprès des Macédoniens (2) ". C'est déjà beaucoup que lui-même connaisse cette bonne volonté, mais c'est encore bien plus qu'il aille la redire aux autres; .elle n'en acquiert que plus de force, car les Corinthiens ne voudraient pas encourir une telle honte que de ne pas justifier cette réputation. Voyez la prudence de son plan : il les a exhortés d'abord par l'exemple des autres, c'est-à-dire des Macédoniens : " Je connais la grâce de Dieu qui a été donnée dans les Églises de Macédoine (VIII, 1) " ; ensuite par leur propre exemple : " Vous qui avez déjà commencé auparavant, depuis l'année dernière, non-seulement à exécuter cette oeuvre, mais encore à la vouloir". (VIII, 10.) Il les avait aussi exhortés en leur citant Notre-Seigneur : " Car vous connaissez ", dit-il, " la grâce de Notre-Seigneur, par laquelle il s'est appauvri pour nous, lui qui était riche (VIII. 9.) ". Enfin il revient à (118) son argument principal, l'imitation des autres. C'est que l'humanité est naturellement jalouse. L'exemple de Notre-Seigneur aurait dû les entraîner plus que tout le reste, et après cela, l'espoir de la récompense; mais, vu leur faiblesse, il préfère les entraîner par le motif d'émulation.

Rien n'égale en effet le pouvoir de ce sentiment. Et encore, examinez de quelle manière neuve il le met en jeu. Il ne leur dit pas : Imitez-les; comment s'exprime-t-il? " L'émulation venue de vous a excité le plus grand nombre (IX, 2) ". Eh quoi ! diront les Corinthiens, vous disiez naguère que les Macédoniens avaient agi d'eux-mêmes et en vous priant avec beaucoup d'instance ; comment donc nous dites-vous à présent : " L'émulation venue de vous? " Sans doute, répondra l'apôtre; car nous ne leur avons adressé ni conseil ni supplication; nous vous avons simplement loués, nous nous sommes glorifiés de vous, et cela a suffi pour les exciter. Vous avez vu comme il les stimule les uns parles autres; les Macédoniens à l'aide des Corinthiens, et réciproquement, et comme à l'émulation il sait joindre les plus grands éloges?

Puis, pour ne pas les enorgueillir, il y met un certain correctif, en disant : " L'émulation venue de vous a excité le plus grand nombre ". Songez un peu ce que ce serait pour vous, après avoir fait naître cette noble ambition chez les autres, de vous laisser dépasser à l'occasion de cette offrande. C'est pourquoi il ne dit pas : Imitez les Macédoniens; car cela n'eût pas été aussi propre à les piquer d'honneur ; et que dit-il donc? Ce sont les Macédoniens qui vous ont, imités; ne vous montrez- donc pas, vous les maîtres, au-dessous de vos disciples. Voyez en même temps comme pour les réveiller, pour augmenter leur ardeur, il fait semblant de prendre parti pour eux; on dirait une lutte, une rivalité dans laquelle il se range de leur côté. Car de même qu'il disait plus haut : " Ils sont venus nous trouver d'eux-mêmes, et avec beaucoup d'instances, de sorte que nous avons engagé Tite à achever cette grâce comme il l'avait commencée ". (VIII, 3, 4, 6.) De même il dit ici : " C'est pourquoi j'ai envoyé nos frères, afin que nous ne nous soyons pas vainement glorifiés en vous ". (IX, 3.) Vous voyez, il est tourmenté, il tremble, craignant de paraître n'avoir parlé de la sorte que pour les exhorter; aussi leur dit-il : Dans un tel état de choses, j'ai, envoyé nos frères : si je m'occupe de vous avec tant de zèle, c'est afin que nous ne nous soyons pas vainement glorifiés en vous. Et il semble prendre de tout point les intérêts des Corinthiens, quoique en réalité sa sollicitude soit la même pour tous. Voici le sens de ce qu'il dit : Je suis extrêmement fier de vous, je m'en fais honneur devant tous, je m'en suis glorifié devant les Macédoniens., de . sorte que si vous vous laissez vaincre, la honte sera tout ensemble pour vous et pour moi. Et ici encore, il mesure ses expressions, car il ajoute : " Sous ce rapport "; et non pas en toute chose : " Afin que, comme je le disais, vous soyez préparés ". (Ibid.) Car je n'ai pas dit que les Macédoniens se proposent d'agir, mais bien que tout est disposé, et qu'il né leur manque plus rien pour. l'exécution. Je veux donc que vos oeuvres soient là pour témoigner que vous êtes prêts. Puis les inquiétudes de l'apôtre redoublent : " De peur ", ajoute-t-il, " que si les Macédoniens viennent avec moi, nous ne soyons (car je ne veux pas dire, vous ne soyez) couverts de confusion , de ce que nous nous serons glorifiés de volis sous ce rapport (4) ".

2. Cela nous .impose davantage, quand on nous donne dg nombreux, spectateurs , et deux-là même à qui l'on a parlé de nous. Et il ne dit pas,: Car j'amène avec moi les Macédoniens; les Macédoniens viennent avec moi; afin qu'on ne suppose pas qu'il le fait exprès; comment s'exprime-t-il? " De peur que si les " Macédoniens viennent avec moi ". C'est-à-dire , cela peut arriver; c'est une chose possible. De cette ;façon, il mettait ses paroles -à l'abri de tout soupçon; et s'il eût tenu un autre langage, il eût rendu les Corinthiens trop jaloux. Voyez comment il les attire non-seulement par des raisons spirituelles, mais encore par des motifs humains. Si vous ne faites par, grand cas de moi, et que vous comptiez sur mon indulgence, songez du moins aux Macédoniens, " de peur que s'ils, viennent, ils ne vous trouvent ", non pas; dit-il, de mauvaise volonté, mais seulement " non préparés ", n'ayant pas encore tout accompli. Et s'il serait honteux de n'avoir pas apporté votre offrande promptement, imaginez combien vous auriez à rougir, si vous n'en apportiez aucune, ou si elle était trop faible. (119) Ensuite, il leur représente avec douceur en même temps que d'une manière propre à leur, faire impression, ce qui résulterait de cette conduite; et voici en quels termes : " Nous ne soyons (car je ne veux pas dire, vous ne soyez) couverts de confusion ". Puis il met de nouveau un certain tempérament à ses paroles : " De ce que nous nous serons glorifiés ; de vous sous ce rapport ". Non pas qu'il veuille les rendre plus négligents, mais il veut montrer qu'ayant bonne réputation pour le reste, ils doivent encore jouir sur ce dernier point d'une renommée incontestable.

"J'ai donc cru nécessaire d'envoyer par avance nos frères, afin qu'ils préparent cette bénédiction de vos offrandes; de telle sorte qu'elles soient prêtes à titre de bénédiction, et non pas comme arrachées à votre avarice (5) ". C'est la même pensée reprise d'une autre façon; et pour que l'on ne croie pas qu'il tient ce langage au hasard, il va jusqu'à dire que ce voyage n'a pas d'autre motif que de leur épargner la confusion. Vous voyez bien que ces mots : " Il est superflu pour moi de vous écrire ", étaient le commencement d'un conseil. Aussi, vous voyez pareillement combien il s'étend sur cette oeuvre de charité. En même temps, on peut dire encore une chose : il eût semblé se contredire en continuant à les entretenir du même objet, après avoir dit que cela était " superflu"; afin donc de ne pas donner prise à cette critique, il passe à d'autres considérations; il leur parle de promptitude, de générosité, de bonne volontés ce qui lui sert même à préparer le résultat qu'il cherche. En effet, ce sont les trois conditions qu'il réclame, et ces points-là, il les a mis en avant tout d'abord : car lorsqu'il disait : " La surabondance de leur joie s'est manifestée dans de nombreuses épreuves de tribulation, et leur profonde pauvreté a été surabondante pour la richesse de leur simplicité (VIII, 2) ", cela ne signifiait pas autre chose que : Ils ont donné beaucoup, ils l'ont fait avec joie et avec promptitude; et non-seulement ils n'ont pas été fâchés de donner beaucoup, ils n'ont pas même été contristés -par les épreuves, chose plus pénible pourtant que de faire l'aumône. Et ces paroles-ci : " Ils se sont donnés à nous ", montrent de même et leur bonne volonté, et la solidité de leur foi. Et maintenant, il revient encore sur le même sujet. Comme il y a antagonisme entre la libéralité et la bonne volonté, et que souvent tel qui a donné beaucoup en est fâché, et que tel autre donne moins, pour ne pas avoir à souffrir, voyez comme il s'occupe de ces deux sortes de gens et avec la prudence qui lui convient. Il ne dit pas : Il vaut mieux donner peu, et de bon coeur, que beaucoup et par contrainte : non, car il voulait que leurs offrandes fussent à la fois abondantes et faites de bonne grâce. Que dit-il donc? " Afin qu'ils préparent cette bénédiction de vos offrandes de telle sorte qu'elles soient prêtes à titre de bénédiction, et non pas comme arrachées à votre avarice ". Il commence par la condition la plus douce, la moins pesante ce ne doit pas être par contrainte. En effet; dit-il, c'est une bénédiction. Puis, voyez comme sous forme d'exhortation il leur montre bientôt le fruit qui en résulte, et la bénédiction venant combler ceux qui ont donné. C'est par l'expression dont il s'est servi qu'il les a attirés; en effet nul ne donne avec chagrin ce qui est une source de bénédiction. Et non content de cela, il a ajouté : " Et non pas comme arrachées à votre avarice ". N'allez pas croire, veut-il dire, que nous-mêmes, nous recevions cette aumône en gens avides; non, mais c'est afin de vous attirer des bénédictions. Quand on est avide, on donne à contre-coeur; de sorte que celui qui fait l'aumône à contre-coeur, fait un don d'avare.

Ensuite il passe à l'autre point : la largesse dans l'offrande. " Or, je vous dis ceci (6) ". C'est-à-dire, à cette première considération j'en ajoute une seconde. Et laquelle? " Celui qui sème mesquinement, moissonnera mesquinement, et celui qui sème au milieu de la bénédiction, moissonnera au milieu de la bénédiction ". Il ne dit pas : Sordidement, il se sert d'une expression adoucie : celle qui caractérise l'homme parcimonieux. Et il compare l'aumône à des semailles, afin qu'aussitôt cela vous fasse envisager la rétribution, et qu'en songeant à une moisson, vous sachiez que vous recevrez en retour plus que vous n'avez donné. Voilà pourquoi il ne dit pas: Celui qui donne; mais : " Celui qui sème " ; et il ne dit pas non plus : Si vous semez, mais il parle d'une manière générale. Au lieu de dire Abondamment, il emploie cette expression " Au milieu des bénédictions " ; ce qui était bien plus. Puis il se rejette encore sur la première condition, celle de faire l'aumône avec (120) joie : il dit: " Que chacun donne selon la détermination de son coeur (7) ". En effet, nous faisons plus quand on nous laisse libres, que lorsque nous sommes contraints. Aussi insiste-t-il sur ce point; car après ces mots : " Selon la détermination de son coeur ", il ajoute : " Non avec chagrin, ni par force ". Et non content même de cela, il y joint encore ce témoignage tiré de l'Ecriture : " Car Dieu aime celui qui donne avec joie". Voyez-vous quelle suite l'apôtre met dans tout cela " Je ne vous dis pas cela par manière de commandement (VIII, 8); " puis : " Et je vous donne en cela un avis " (VIII, 10) ; ensuite : " A titre de bénédiction, et non pas comme arrachées à votre avarice " (IX, 5); et enfin : " Non avec chagrin, ni par force; car Dieu aime celui qui donne avec joie (IX, 7) ". Je crois qu'ici " avec joie " veut dire avec libéralité ; mais il s'est servi de ce mot afin de les porter à donner de bon coeur. En effet, comme l'exemple des Macédoniens, et tous les autres, étaient capables de -les faire donner abondamment, il ne parle pas beaucoup de cette qualité de leurs dons, mais il parle d'une autre: la spontanéité. Car si c'est une oeuvre de vertu, et que toute action provenant de la contrainte perde sa récompense, il est bien fondé à s'y prendre ainsi. Et il. ne se borne pas à des conseils; mais, comme toujours, il fait des voeux pour eux: " Et Dieu ", dit-il, " a le pouvoir de vous combler de toute grâce (8) ".

3. Par cette prière il fait tomber un argument où l'on se retranche contre cette générosité, et qui encore maintenant arrêté plusieurs personnes. Bien des gens craignent de faire l'aumône, parce qu'ils se disent : J'ai peur de devenir, pauvre moi-même, et d'avoir besoin des autres à mon tour. Eh bien ! pour dissiper cette crainte, il ajoute cette prière : " Dieu a le pouvoir de faire abonder toute grâce en vous ". Non pas simplement: De vous combler, mais : " De faire abonder en vous ". Et qu'est-ce que " faire abonder la grâce?" C'est-à-dire, vous enrichir de tant de faveurs que vous puissiez exercer abondamment cette générosité. " Afin qu'en toutes choses et toujours ayant tout ce qui vous suffit, vous abondiez en toute bonne oeuvre ". Voyez encore dans ce souhait la grande sagesse de l'apôtre. Il ne leur désire pas la richesse ni le superflu, mais " tout ce qui leur suffit ". Et ce n'est pas seulement par là qu'il est admirable; car si d'une part il ne leur a pas souhaité le superflu, il ne les surcharge pas non plus, il ne Les force pas à donner de leur indigence même, parce qu'il condescend à leur faiblesse; il demande pour eux des ressources suffisantes, et il fait voir en même temps qu'il ne faut pas abuser des dons de Dieu. " Afin ", dit-il, " que vous abondiez en toute bonne oeuvre ". C'est-à-dire, je vous souhaite ces biens afin que vous en fassiez part à d'autres. Et il ne dit pas seulement Afin que vous en donniez, mais : " Afin que vous abondiez ". Oui, s'il leur souhaite le nécessaire quant aux choses matérielles, il demande que dans l'ordre spirituel ils aient même du superflu, non pas seulement en fait., d'aumône; mais sous tous les autres rapports; car c'est le sens de cette expression : " En toute bonne oeuvre ". Ensuite, à l'appui de cette pensée, et voulant un témoignage qui les détermine à la libéralité, il fait intervenir la parole du prophète; c'est pourquoi il, ajoute : " Selon qu'il est écrit : Il a dispersé son bien, il a donné aux pauvres; sa justice demeure dans la suite des siècles (9) ". Cela revient à ce qu'il disait : " Afin. qui vous abondiez ". Car l'expression : " Il a dispersé " ne signifie pas autre chose que donner avec libéralité. Car si les richesses ne subsistent pas, leur. résultat subsiste. Chose admirable en effet, celles que l'on garde se perdent, et celles que l'on disperse demeurent, et demeurent pour toujours. Ce que le prophète appelle ici justice, c'est la charité envers le prochain : en effet la charité nous justifie, parce que c'est un feu qui détruit nos péchés, quand nous répandons largement nos aumônes.

Ainsi, n'y regardons point, mais donnons à pleines mains. Voyez combien d'argent certaines gens dépensent pour le donner à des histrions ou à des prostituées ! Donnez seulement à Jésus-Christ la moitié de ce que ces gens-là donnent à des danseurs; ce que, dans leur amour du faste, ils consacrent à des comédiens, réservez-le pour les pauvres. Ils couvrent d'or sans mesure le corps des courtisanes : et vous, vous ne revêtez pas même d'un mince vêtement la chair de Jésus-Christ, et~ cela, quand vous voyez qu'il est nul Quel pardon méritez-vous, et de quel châtiment n'êtes-vous pas digne,. lorsque voyant tel homme fournir de pareilles sommes à la femme qui le perd et le déshonore, vous n'accordez pas la moindre (121) chose à celui qui vous sauve et vous ennoblit? Ah ! vous savez bien dépenser de l'argent pour votre gourmandise, . votre ivrognerie, votre luxure; et jamais vous ne songez à là pauvreté : quand il vous faut venir en aide à un pauvre, vous devenez tout à coup plus pauvre. que personne. au monde : s'agit-il de nourrir des parasites et des flatteurs, vous vous en. donnez à coeur joie, comme si vous puisiez la richesse à une source intarissable ; mais vous arrive-t-il de voir un pauvre, alors la crainte , de la pauvreté s'empare de vous. C'est pour, cela que nous serons condamnés un jour,. et par nous-mêmes et par les autres; tant justes que pécheurs. Car on vous dira : Pourquoi n'avez-vous pas montré la même libéralité dans les choses convenables? Voici un homme. qui, pour donner à une courtisane, n'a pas réfléchi à tout cela; et vous, pour offrir quelque secours à ce divin Maître qui vous a recommandé de n'avoir aucune inquiétude, vous voilà plein de trouble et de crainte. Quelle indulgence méritez-vous? Si un homme à qui vous faites du bien n'y reste pas indifférent, mais sait vous en tenir compte, à plus forte raison Jésus-Christ agira-t-il ainsi. Lui qui vous donne avant d'avoir rien reçu de vous, comment ne vous donnerait-il pas, quand il aura reçu quelque chose de vous?

Eh quoi ? direz-vous, quand je vois des gens qui après avoir tout sacrifié, non-seulement ne reçoivent rien en retour, mais ont ensuite eux-mêmes besoin d'autrui? A cela je répondrai : Vous me parlez là de ceux qui ont donné tous leurs biens, tandis que vous; vous ne donnez pas même une obole. Engagez-vous à vous dépouiller de tout, et vous demanderez ensuite comment font les autres ; mais tant que vous serez avare, et que vous ne donnerez qu'une très-faible portion de votre avoir, pourquoi toutes ces allégations, tous ces prétextes? Nous ne vous poussons pas jusqu'aux dernières limites de l'indigence, nous vous prions seulement de vous retrancher le superflu, et de vous contenter de ce qui suffit. Ce qui est suffisant, c'est ce dont on ne peut se passer pour vivre. Personne ne veut vous enlever cela, on ne veut pas vous interdire votre nourriture de chaque jour ; mais je dis nourriture et non pas délices (1) ; je dis vêtement, et

1. Il y a dans le grec un jeu de mots intraduisible sur trophen et truphen

non pas parure. Et même, en y regardant. bien, c'est là précisément que sont les délices. Car voyez : lequel des deux jugerons-nous être dans les plus grandes délices, de celui qui se nourrissant de légumes, jouit de la santé, et n'éprouve aucune souffrance, au de celui qui, avec une table digne des Sybarites, est accablé d'une foule de maladies? Evidemment c'est le premier. Eh bien donc, ne cherchons pas plus loin, si nous voulons à la fois vivre dans les délices et avoir la santé; que ce sait là pour nous la mesure de ce qui suffit. Tel se porte. bien en ne mangeant que des légumes secs , qu'il rie cherche pas autre chose ; tel autre, d'une santé plus faible , a besoin d'un régime d'herbes et de racines: on ne s'y oppose point. Si enfin le tempérament d'un troisième, plus délicat encore, exige l'usage modéré de la viande, nous ne la refuserons pas non plus. Car nos conseils n'ont pas pour but la perte et la destruction des hommes, mais le retranchement du superflu ; or le superflu, c'est ce qui dépasse nos besoins. Or, lorsque nous pouvons nous passer d'une chose, sans nuire à notre santé ni aux convenances; c'est une addition tout à fait superflue.

4. Calculons de la. sorte à l'égard de notre habillement, de notre table, de notre demeure, et de tout le reste, et ne cherchons en tout que le nécessaire. En effet, le superflu est même inutile. Et quand vous aurez travaillé à vous contenter de ce qui suffit, et. qu'alors vous voudrez imiter la veuve de l'Evangile, nous vous initierons à une plus grande perfection. Car vous n'êtes -pas arrivé à la haute sagesse de cette femme, tant que vous êtes préoccupé du nécessaire. Elle s'était élevée encore au dessus : elle avait sacrifié tout ce qui devait la nourrir. Et vous contesteriez encore sur la question du nécessaire? vous n'auriez pas honte d'être vaincu par une femme? Et loin de chercher à l'imiter, quelle supériorité ne lui laissez-vous pas sur vous? Elle ne disait pas comme vous autres : Eh quoi? si après avoir tout donné, j'étais forcée d'avoir recours aux autres? Non, elle s'est dépouillée avec libéralité de ce qu'elle possédait. Et que diriez-vous de la veuve de l'Ancien Testament, du temps du prophète Elie? (III Rois, XVII.) Celle-là ne courait pas seulement le risque d'être pauvre, mais elle était en danger de mourir, de perdre la vie, et non pas elle toute seule, mais encore ses enfants. En effet, elle (122) n'espérait l'assistance de personne; elle ne s'attendait qu'à une mort prochaine. Mais, nous dit l'Ecriture, elle vit le prophète, et cela la rendit libérale. N'avez-vous pas les exemples d'une foule de saints ? Et pourquoi parler des saints? vous voyez le Maître des prophètes lui-même demander l'aumône, et vous redevenez pas encore charitables? vous avez des réserves qui débordent de toutes parts, et vous ne faites part à personne de votre superflu? Vous me direz : L'homme qui vint trouver cette veuve était un prophète, et cette circonstance la détermina à montrer tant de générosité. Mais cela même n'est-il pas fort surprenant, qu'elle fut ainsi persuadée qu'elle avait devant elle un grand homme, un personnage admirable? Comment. ne s'est-elle pas dit, ainsi que cela était naturel de la part d'une étrangère, d'une femme d'un autre pays : Si cet homme était prophète, il n'aurait pas besoin de moi ; s'il était l'ami de Dieu, Dieu ne l'aurait pas abandonné. Que les Juifs, pour leurs péchés, subissent ce châtiment, soit ! mais l'homme que voici , qu'a-t-il fait? pourquoi est-il puni? Mais au lieu de faire toutes ces réflexions, elle lui ouvrit sa maison, et avant cela, son coeur; elle lui apporta tout ce qu'elle possédait, et oubliant la nature, mettant de côté ses enfants, elle fit passer son hôte avant tout.

Songez donc au châtiment qui nous attend, nous qui avons moins de vertu, nous qui sommes plus faibles qu'une veuve, qu'une étrangère, qu'une inconnue, pauvre et mère de plusieurs enfants, à laquelle rien n'était révélé des mystères dont nous autres nous avons connaissance. Car ce n'est pas la vigueur du corps qui fait l'homme courageux. Celui-là seul possède cette vertu, fût-il sur un lit de douleur, chez qui la force procède de l'intérieur : comme aussi celui à qui cette force manque, quand même il serait assez robuste pour arracher des montagnes, je le déclare aussi faible qu'une jeune enfant, ou qu'une malheureuse vieille femme. Le premier lutte contre des maux immatériels que le second n'ose même pas envisager. Et pour vous convaincre que c'est bien en cela que consiste le courage, concluez de cet exemple même. Quoi de plus courageux que cette femme qui a bravé généreusement, et la tyrannie de la nature, et la violence de la faim, et les menaces de la mort, et qui a triomphé de tout cela ? Aussi, écoutez en quels termes le Christ fait son éloge : " Il y avait ", dit-il, " beaucoup de veuves du temps d'Elie, et le prophète ne fut pas envoyé vers d'autre que celle-là ". (Luc. IV, 25.) Dirai-je quelque chose, de bien fort, quelque chose qui semblera étrange? Cette femme a dépassé en fait d'hospitalité notre père Abraham. Elle n'a point, comme lui, couru à son .troupeau, mais avec sa poignée de farine, elle a plus fait que tous ceux qui ont été renommés pour leur hospitalité. Le triomphe d'Abraham fut de s'acquitter par lui-même de cet office ; mais le triomphe de la veuve fut de n'épargner pas même ses enfants, pour l'amour de son hôte, et cela, sans attendre en retour les biens futurs.

Et nous, avec l'espérance du royaume des cieux, la menace de l'enfer, et au-dessus de tous les motifs, lorsque Dieu a tant fait pour nous, lorsque cette vertu lui plaît et le réjouit, nous languissons de la sorte ! Non, je vous en conjure : répandons nos largesses, donnons aux pauvres comme il faut donner. Car Dieu n'évalue pas la grande ou la petite quantité à la mesure de ce que l'on donne, mais aux ressources de celui qui donne. Souvent donc, vous qui avez apporté cent statères d'or, vous avez moins sacrifié que cet autre qui. n'a remis qu'une obole; car vous avez pris sur votre superflu. Mais n'importe : même dans ces conditions , donnez toujours ; vous en viendrez bientôt à plus de munificence. Répandez vos richesses, pour faire provision de justice. La justice ne saurait se trouver en compagnie des richesses : elle nous arrive par les richesses, mais non point avec elles. Il n'est pas possible que l'amour des richesses et la justice habitent ensemble; leur domaine est distinct. Ne vous acharnez donc pas à réunir des choses incompatibles, mais expulsez l'avarice, qui est une usurpatrice, si vous voulez accueillir la justice, qui est la souveraine légitime. Oui, c'est elle la véritable reine, qui d'esclaves nous rend libres; l'avarice fait tout le contraire. Employons donc tout notre zèle à fuir l'une et à nous attacher à l'autre, afin de jouir de la liberté ici-bas, et de posséder ensuite le royaume des cieux; puissions-nous, tous obtenir cette faveur, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance et honneur au Père ainsi qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. E. MALVOISIN.

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XX. DIEU QUI DONNE LA SEMENCE A CELUI QUI SÈME, VOUS DONNERA DU PAIN DONT VOUS AVEZ BESOIN POUR VIVRE, ET MULTIPLIERA CE QUE VOUS AUREZ SEMÉ, ET FERA CROÎTRE, DE PLUS EN PLUS, LES FRUITS DE VOTRE JUSTICE. ( IX, 10, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE.)
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Analyse.

1. Double rémunération, spirituelle, corporelle.

2 L'aumône n'est pas seulement un bienfait matériel, c'est, de plus, une preuve de soumission à l'Évangile.

3. Contre l'ivresse. — Eloge de l'aumône. — C'est une oblation puissante, c'est. une prière qui s'élève au plus haut du ciel.

1. Là sagesse de Paul mérite surtout, ici, d'être admirée, par la raison qu'après avoir fondé ses exhortations sur les choses de l'esprit et sur les choses de la chair, il fonde pareillement ce qu'il enseigne de la rémunération, sur ces deux ordres de récompense. Ces paroles: " Il a distribué, il a donné son bien aux pauvres, sa justice demeure éternellement ", se rapportent à la récompense spirituelle; quant à celles-ci : "Et multipliera ce que vous aurez semé ", elles out trait à la rémunération de la chair. Toutefois l'apôtre ne s'arrête pas là, il reprend de nouveau les biens spirituels , sans cesse il les met en opposition avec les autres, car ces paroles : " Et fera croître de plus en plus les fruits de votre justice ", appartiennent à l'ordre spirituel. Ce qu'il en fait, c'est pour varier son discours, et pour déraciner de l'esprit des fidèles les pensées lâches et molles; c'est pour dissiper, par tous les moyens, la crainte de la pauvreté, ce à quoi tend le présent exemple. En effet, si Dieu accorde à ceux qui ensemencent la terre, à ceux qui nourrissent le corps, l'abondance de tous les biens, à plus forte raison est-il magnifique pour ceux qui ensemencent le ciel, pour ceux qui prennent soin de l'âme; car c'est de l'âme qu'il veut surtout que l'on soit occupé. Mais il n'exprime pas cette vérité sous forme de raisonnement , comme je viens de le faire, il l'énonce dans une prière, et, par ce moyen, il propose du même coup aux fidèles un raisonnement d'une parfaite clarté, et de plus grands motifs d'espérance, qui se fondent non-seulement sur les faits réels, mais sur cette prière même Que Dieu donne, qu'il " multiplie ", dit-il, " ce que vous aurez semé, et fasse croître de plus en plus les fruits de votre justice ". Ces paroles font voir ici à découvert la magnificence de Dieu : c'est bien là ce qu'indiquent ces mots : " Donnez " et " multipliez ". En même temps l'apôtre insinue qu'il ne faut s'inquiéter que de ce qui est nécessaire pour vivre, lorsqu'il dit : " Le pain dont vous avez besoin pour vivre ". Car voilà ce qu'il faut surtout admirer dans Paul, ce qu'il a déjà fait voir auparavant, c'est qu'il ne nous permet pas; en ce qui concerne les nécessités de la vie, de rien chercher au-delà de-ce dont nous avons strictement besoin , tandis qu'en ce qui concerne les biens spirituels, il nous exhorte à amasser d'immenses richesses.

Plus haut, il disait : " Afin qu'ayant ce qui suffit pour votre subsistance, vous possédiez abondamment de quoi exercer toutes sortes de bonnes oeuvres "; et ici : " Celui qui vous donne le pain dont vous avez besoin pour vivre, multipliera ce que vous aurez semé ", c'est-à-dire, votre semence spirituelle. En effet l'apôtre ne demande pas seulement que l'on fasse l'aumône, il la veut largement. Voilà pourquoi il ne se lasse pas de l'appeler du nom de semence. De même que le grain de (124) froment jeté sur la terre vous rend de riches moissons, de même l'aumône multiplie les épis de la justice, et fait surgir l'abondance des plus magnifiques produits. Après avoir demandé au ciel, pour eux, cette fécondité, l'apôtre montre l'usage qu'il en faut faire, il dit : " Afin que vous soyez riches en tout, pour exercer, avec un coeur simple, tout ce qui nous donne sujet de rendre à Dieu de grandes actions de grâces .(11) ". Il ne faut pas faire de votre opulence un mauvais usage, il faut l'employer à des oeuvres d'où naissent les plus grands sujets de rendre à Dieu des actions de grâces. Car Dieu nous a rendus maîtres des affaires les plus importantes; il s'est réservé les moindres pour nous laisser celles du plus grand intérêt. Il a voulu être le maître de nous mesurer la nourriture du corps : quant à celle de l'esprit, il l'a laissée à notre libre arbitre; il dépend de notre libre arbitre de rendre notre moisson pleine et abondante. Il ne faut pour cette récolte ni le secours des pluies, ni l'harmonie des saisons, il suffit de la volonté pour s'élever d'un bond jusqu'au ciel. Maintenant, par simplicité, l'apôtre entend l'abondance d'un coeur généreux, c'est là ce qui fait que nous donnons des sujets de rendre à Dieu des actions de grâces. En effet, cette munificence ne produit pas seulement l'aumône , mais elle est encore le sujet de nombreuses actions de grâces; disons mieux, non-seulement d'actions de grâces, mais encore de beaucoup d'autres avantages, que l'apôtre fait voir dans le développement de son discours ,. afin que cette exposition excite l'ardeur des fidèles. Quels sont donc ces avantages? Ecoutez : " Car cette oblation, dont nous sommes les ministres, ne supplée pas seulement aux besoins des saints, mais elle est riche et abondante par le grand nombre d'actions de grâces qu'elle fait rendre à Dieu parce que ces saints, recevant ces preuves, de votre libéralité par notre ministère, se portent à glorifier Dieu, de la soumission que vous témoignez à l'Evangile de Jésus-Christ, et de la bonté avec laquelle vous faites part de vos biens, soit à eux, soit à tous les autres ; et de plus, elle est riche et abondante par les prières qu'ils font pour vous, dans l'affection qu'ils vous portent, à cause de l'excellente. grâce que vous avez reçue de Dieu (12, 13, 14) ". Or voici le sens de ces paroles: D'abord vous ne remplissez pas seulement les mains vides des saints, mais vous les comblez, vous dépassez la mesure du nécessaire pour eux; ensuite, par leur moyen, vous glorifiez Dieu; c'est en effet la gloire de Dieu qu'ils proclament par suite de votre soumission dans la foi. L'apôtre ne voulant pas que leurs actions de grâces s'expliquent uniquement par les bienfaits qu'ils ont reçus, en donne une cause bien plus élevée. Ce qu'il dit de lui-même ailleurs aux Philippiens : " Ce n'est point que je désire vos dons " (Philipp. IV, 17), il le dit aussi des fidèles de Jérusalem. Sans doute, dit-il, les saints se réjouissent que vous remplissiez leurs mains vides, que vous soulagiez leur indigence, mais ils se réjouissent bien plus de vous voir ainsi soumis à l'Evangile, c'est là ce que témoigne votre générosité.

Car c'est l'accomplissement du précepte de l'Evangile. " Et de la bonté avec laquelle vous faites part de vos biens, soit à eux, soit à tous les autres ". Ils glorifient Dieu, dit-il, de ce que votre libéralité ne s'adresse pas à eux seulement, mais s'étend aussi sur tous. Il y a encore, dans ces paroles, un éloge des saints qui bénissent Dieu des bienfaits répandus sur les autres. Ils ne louent pas seulement ce qui les concerne personnellement, dit-il, mais ils louent aussi le bien accordé aux autres, quoiqu'ils soient eux-mêmes dans la dernière indigence; et c'est là une marque de grande vertu. Car il n'y a personne de porté à la jalousie comme les pauvres. Mais les saints de Jérusalem sont exempts de ce défaut; ils sont si loin de s'affliger du bien des autres qu'ils s'en réjouissent tout autant que du bien qui leur est fait à, eux-mêmes. " Par les prières qu'ils font pour vous ". Assurément ils bénissent Dieu des biens qu'ils ont reçus, dit l'apôtre, mais, de plus, touchés de votre charité, de votre assistance, ils prient Dieu de leur faire la grâce de jouir de votre présence. Et en cela, ce n'est pas votre opulence qu'ils recherchent, mais la, joie d'être les spectateurs des grâces à vous accordées.

2. Voyez-vous la prudence de Paul? en exaltant leur vertu, il en rapporte toute la gloire à Dieu, il l’appelle une grâce. Après avoir parlé d'eux en termes relevés, après les avoir appelés ministres, les avoir exaltés parce qu'ils s'épuisaient pour secourir les pauvres par des aumônes dont il n'était lui-même que le porteur, il fait voir que l'auteur de toutes choses, (125) c'est Dieu, et se confondant avec eux, il rend à Dieu des actions de grâces par ces paroles " Dieu soit loué de son ineffable don (15) ". Or, par le mot don, il entend ici tant de biens si précieux, ces fruits de l'aumône recueillis, et par ceux qui la reçoivent et par, ceux qui la font; ou encore ces biens mystérieux que sa présence en tous lieux communique à toute la terre, avec- une si grande libéralité; cette conjecture est même la plus vraisemblable. Il a pour but; en leur rappelant ces grâces, de les rendre plus humbles, d'en faire de plus généreux dispensateurs des dons qu'ils ont reçus de Dieu. C'est là, en effet, le stimulant le plus énergique pour toute vertu; aussi est-ce par cette pensée qu'il termine son discours sur ce point. Que si le don de Dieu est inénarrable, qui pourrait égaler le délire de ceux dont la curiosité s'épuise à rechercher son essence? Et ce n'est pas seulement le don de Dieu qui surpasse toute parole, mais ce que l'intelligence même ne saurait atteindre, c'est la merveille de cette paix qui a réconcilié le ciel et la terre.

Soyons donc jaloux, puisque nous jouissons d'une grâce si grande, d'y répondre par nos vertus, par notre empressement à faire l'aumône, et c'est ce que nous ferons, si nous fuyons l'intempérance, l'ivresse; la gloutonnerie. La nourriture et la boisson nous ont été données par Dieu, non pas pour que nous dépassions joute mesure, mais pour que nous puissions nous alimenter. Ce n'est pas le vin qui produit l’ivresse; s'il en était ainsi, tous les hommes l'éprouveraient. Mais le vin, direz-vous, ne devrait pas la produire, même quand on le prend en grande quantité. Ce sont là des paroles de gens ivres. Si malgré l'inconvénient qui résulté de ce qu'on en prend trop, vous ne renoncez pas aux excès de la boisson, si la honte et le danger ne suffisent pas pour, vous corriger d'une sensualité coupable, supposez qu'il fût possible de boire des flots devin, sans en éprouver aucun malaise, qui viendrait mettre un terme à cette avidité? Ne désireriez-vous pas voir les fleuves rouler des flots de . vin? Ne vous verrait-on pas tout exterminer, tout détruire? Il y a une mesure déterminée pour les aliments; quand nous la dépassons, nous sommes malades; rien n'y fait, vous êtes incapable de supporter un tel frein, vous le brisez, vous mettez toutes les fortunes au pillage, pour vous asservir à la détestable tyrannie de votre ventre; que feriez-vous donc si cette mesure fixée par la nature était supprimée? Ne dépenseriez-vous pas tout votre temps à réjouir cette passion? Fallait-il donc fortifier cette gourmandise insensée, ne pas mettre d'entraves aux suites funestes de ce dérèglement? Et combien d'autres conséquences funestes n'en seraient pas sorties? O les insensés, ces hommes qui se roulent, comme dans un bourbier, dans l'ivresse, dans les autres hontes du même genre; et qui, lorsqu'ils commencent à revenir à eux-mêmes, n'ont d'autre souci que de dire : Pourquoi faut-il tant dépenser pour. cela, quand ils ne devraient rien faire que de déplorer leurs péchés. Au lieu de ce que vous dites : Pourquoi Dieu a-t-il fixé des limites? pourquoi toutes choses ne sont-elles pas abandonnées au hasard? demandez-vous donc plutôt : Pourquoi ne cessons-nous pas de nous enivrer? pourquoi sommes-nous insatiables? pourquoi sommes-nous plus insensés que les êtres dépourvus de, raison? Voilà les questions que vous devriez vous adresser les uns aux autres, et vous devriez écouter la voix apostolique, et vous devriez savoir tous les biens dont l'aumône est la source, et vous devriez vous jeter sur ce trésor. Car le mépris des richesses, c'est le Maître lui-même qui l'a dit, fait les hommes vertueux, fait glorifier le Seigneur, rend la charité ardente, les âmes grandes, constitue des prêtres vraiment prêtres; assurés d'une récompense glorieuse. Celui qui fait l'aumône ne se montre pas, il est vrai, avec une robe traînante, ni des sonnettes à l'entour comme Aaron; il ne se promène pas la couronne en tête; il porte la robe de la bienfaisance, plus sainte encore que les vêtements sacerdotaux; il est frotté d'huilé, non d'une huile sensible, mais de celle que produit. le Saint-Esprit, et la couronne dont il se pare, est celle de la miséricorde; car l'Ecriture dit : " Qui vous couronne de sa miséricorde; et des effets de sa compassion " (Ps. CII, 4); au lieu de porter une lame d'or avec l'inscription du nom de Dieu, elle est elle-même égale à Dieu. Comment cela? " Vous serez ", dit l'évangéliste, "semblables à votre Père qui est dans les cieux ". (Matth. V, 45.)

3. Voulez-vous quelque chose de plus encore? voulez-vous contempler son autel? Ce n'est pas Beseleel qui l'a construit, ni aucun autre ouvrier, mais Dieu lui-même; ce n'est pas un autel de pierre; les matériaux dont il (126) est composé, sont plus éclatants, plus resplendissants que le ciel même, ce sont des âmes douées de raison. Mais vous allez dire: Le prêtre entre dans le Saint des Saints. Permis à vous-même d'entrer dans des sanctuaires d'une plus sainte horreur, en offrant ce sacrifice, où nul n'assiste, excepté votre Père qui vous regarde dans le lieu caché où aucun autre ne vous voit. (Matth. VI, 6.) Et comment se fait-il, dira-t-on, qu'on ne soit pas vu, l'autel étant exposé aux regards du public? Voilà, en effet, ce qui est merveilleux; autrefois, dans le temple, les portes toutes fermées, les tentures et les voiles faisaient la solitude autour du prêtre; tandis qu'aujourd'hui le sacrifice est public, et pourtant on peut le faire, comme dans le Saint des Saints, avec une plus sainte horreur encore. Car, lorsque vous ne faites rien pour être vu des hommes, quand même la terre entière vous verrait, nul ne vous a vu, puisque vous n'avez pas cherché à être vu. Car le Christ ne s'est pas contenté de dire : " Prenez garde de ne pas faire vos bonnes oeuvres devant les hommes ", mais il a ajouté, " pour en être regardés ". (Matth. VI, 1.) Cet autel est composé des membres mêmes du Christ, et le corps du Seigneur est pour vous la pierre du sacrifice. Sachez donc l'entourer de votre respect; c'est dans la chair du Seigneur que vous immolez la victime que vous lui offrez. Cet autel est plus redoutable même que l'autel sensible que voient nos yeux aujourd'hui, à plus forte raison que l'autel d'autrefois. Mais ne vous -troublez pas : l'autel visible a d'admirable la victime que l'on y offre en sacrifice; l'autel de l'aumône a cela d'admirable, en outre, qu'il se compose de la victime même qui offre le sacrifice. Autre merveille encore, l'autel visible est une pierre, et cette pierre est sanctifiée parce qu'elle supporte le corps du Christ; l'autel de l'aumône, parce qu'il est le corps même du Christ. De sorte que cet autel où vous vous tenez quoique laïque, est plus redoutable que l'autre.

Que vous semble maintenant d'Aaron? et de la couronne? et des clochettes.? et du Saint des Saints? A quoi bon poursuivre la comparaison avec l'ancien autel, lorsque, comparé même avec l'autel d'aujourd'hui, celui de la miséricorde apparaît avec tant de splendeur? Eh bien ! vous, vous honorez cet autel, parée qu'il supporte le corps du Christ, et pour l'autel qui est le corps du Christ,. vous l'outragez, et quand il tombe en ruines, vous passez sans regarder. Cet autel, vous pourrez le voir partout, et dans les ruelles, et dans les places, et il n'est pas de jour où vous ne puissiez y offrir un sacrifice à toute heure, car sur cet autel le sacrifice s'offre aussi. Et de même que le prêtre, debout à l'autel, fait venir le Saint-Esprit, de même, vous aussi,- vous le faites venir ce Saint-Esprit, non par des paroles, mais par des actions. Car il n'est rien qui alimente, qui embrase le feu du Saint-Esprit, comme cette huile de l'aumône largement répandue. Tenez-vous à savoir encore ce que deviennent les largesses épanchées par vous, approchez, je vous montrerai tout. Quelle est la fumée? Quelle est la bonne odeur que cet autel exhale? C'est la gloire, avec les bénédictions. Et jusqu'où monte-t-elle cette fumée? Jusqu'au ciel? Non, elle ne s'y arrête nullement; elle s'élève bien au-dessus du ciel, elle va plus haut encore; jusqu'au trône même du Roi des Rois. " Car ", dit l'Écriture , " vos prières et vos aumônes sont montées jusqu'à la présence de Dieu ". (Act. X, 4.) La bonne odeur qui flatte les sens, ne traverse pas une grande partie de l'air; le parfum de l'aumône pénètre à travers les plus hautes voûtes des cieux. Vous gardez le silence, mais votre oeuvre fait entendre un grand cri ; c'est un sacrifice de louange; il n'y a pas de génisse égorgée, de peau dévorée par la flamme, c'est une âme spirituelle qui apporte tous ses dons : sacrifice incomparable, surpassant tout ce que peut faire l'amour pour les hommes. Donc à la vue d'un pauvre fidèle, dites-vous que c'est un autel que vos yeux contemplent; à la vue d'un mendiant, qu'il ne vous suffise pas de ne pas l'outrager, soyez encore saisi de respect. Que si vous voyez qu'on l'outrage, empêchez, repoussez cette injure. C'est ainsi que vous pourrez vous rendre Dieu propice, et obtenir les biens qui nous sont annoncés; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXI. MAIS MOI, PAUL, MOI-MÊME QUI VOUS PARLE, JE VOUS CONJURE, PAR LA DOUCEUR ET LA MODESTIE DE JÉSUS-CHRIST, MOI QUI, ÉTANT PRÉSENT, PARAIS BAS PARMI VOUS ; AU LIEU QU'ÉTANT ABSENT, J'AGIS . ENVERS TOUS AVEC HARDIESSE; JE VOUS PRIE QUE, QUAND JE SERAI PRÉSENT, JE NE SOIS POINT OBLIGÉ D'USER AVEC CONFIANCE DE CETTE HARDIESSE QU'ON M'ATTRIBUE, ENVERS QUELQUES-UNS QUI S'IMAGINENT QUE NOUS NOUS CONDUISONS SELON LA CHAIR. (X, 1, JUSQU'A 6.)
Analyse.

1. Explication d'une réprimande adressée à quelques Corinthiens. — Les contradicteurs de saint Paul l'accusaient de vivre selon la chair.

2. Nous ne combattons pas, répond-il, selon la chair. — Des armes charnelles et des armes puissantes en Dieu.

3. Glorieux empire de Saint Paul; son admirable activité, ses victoires.

4. Il faut l'imiter. — Contre l'hérésie de Marcion et des Manichéens.

1. Après avoir achevé, comme il convenait, son développement sur l'aumône, après avoir montré qu'il aime les fidèles plus qu'il n'est aimé d'eux, après avoir parlé de sa patience et de ses épreuves, il saisit l'occasion de leur adresser de justes reproches; il fait entendre qu'il y a de faux apôtres, il arrive à la conclusion de son discours par les vérités-les moins agréables à entendre, et il relève son autorité personnelle. C'est ce qu'il faut dans tout le cours de l'épître. Il ne le fait pas sans s'en apercevoir, et de là vient qu'il a souvent recours à des correctifs, ainsi : " Commencerons-nous de nouveau à nous relever nous-mêmes ". (II Cor. III , 1) ; et plus loin : " Nous ne prétendons point nous relever encore ici nous-mêmes, mais vous donner occasion de vous glorifier " (II Cor. V, 12) ; et encore: " J'ai été imprudent en me glorifiant; c'est vous qui m'y avez contraint ". " (II Cor. XII, 11.) Il emploie un très-grand nombre de correctifs pareils, On ne se tromperait pas, en disant que cette lettre est l'éloge de Paul, tant elle abonde en paroles relatives à la grâce qu'il a reçue, et à la patience qu'il a montrée. Comme il y avait certains hommes, infatués d'eux-mêmes qui se préféraient à l'apôtre, qui l'attaquaient comme un fanfaron, comme un homme sans valeur, comme un maître dont la doctrine n'avait rien de bon (ce qui était la meilleure preuve qu'ils pussent donner de leur propre corruption); voyez comment Paul débute dans la réprimande qu'il leur adresse. " Mais moi, Paul, moi-même ". Comprenez-vous tout ce qu'il y a là de gravité, d'autorité? C'est comme s'il disait : Je vous en prie, ne me forcez pas à exercer, ne me laissez pas l'occasion d'exercer ma puissance contre ceux qui nous dénigrent, qui nous regardent comme des hommes adonnés à la chair. Ces paroles sont plus sévères que les menaces qu'il leur adressait dans la première lettre, en ces termes : " Est-ce la verge en main que j'irai vous voir, ou avec charité, et dans un esprit de douceur?" (I Cor. IV, 21.) Il disait alors : " Il y en a qui s'enflent de présomption, comme si je ne devais plus vous aller voir. Je vous irai voir néanmoins; et je reconnaîtrai, non les paroles de ceux qui sont enflés de présomption , mais ce " qu'ils peuvent ". (Ibid. 18, 19.) Ici, il montre à la fois deux choses, d'une part, sa force, d'autre part, sa douceur et sa patience, par la prière qu'il leur adresse, par sa manière de les conjurer de ne pas le contraindre à déployer sa propre puissance pour punir, pour (128) frapper, pour châtier, pour infliger les peines les plus sévères. C'est ce qu'il fait entendre en disant : " Je vous prie que, quand je serai présent, je ne sois point obligé d'user avec confiance de cette hardiesse qu'on m'attribue, envers quelques-uns qui s'imaginent que nous nous conduisons selon la chair ".

N'allons pas plus loin, et reprenons le commencement. " Mais moi, Paul, moi-même ". Il y a, là une grande force, une grande autorité. Il dit ailleurs de même : " C'est moi, Paul, qui vous dis " (Gal. v, 2) ; et encore : " Comme moi, Paul, déjà vieux" (Philém.19);et encore : " Car elle en a assisté elle-même plusieurs, et moi, en particulier ". (Rom. XVI, 2.) C'est de la même manière qu'il dit ici encore : " Mais moi, Paul, moi-même". C'est déjà une considération puissante que lui-même conjure les fidèles, mais ce qu'il ajoute a plus de force encore : " Par la douceur et la modestie de Jésus-Christ ". Comme, il veut agir fortement sur les esprits, il se fait une arme . de la douceur et de la modestie, afin de rendre, par là, ses supplications plus pressantes : c'est comme s'il disait: Ayez égard à la. modestie même de Jésus-Christ, c'est à ce titre que, je vous recommande ma prière. Il disait ces paroles pour leur montrer en même temps , que, quelle que fût la contrainte qu'ils feraient peser sur lui, sort caractère l'inclinait pourtant vers la douceur; ce n'est pas par impuissance qu'il parle ainsi, c'est pour imiter le Christ.

"Moi qui étant présent parais bas parmi vous, au lieu qu'étant absent, j'agis envers vous avec hardiesse" . Qu'est-ce que cela veut dire? Ou c'est une ironie qui reproduit leurs discours. Car ces hommes disaient que, quand il se montrait, il n'avait aucune valeur, qu'il était vit et méprisable; mais qu'à distance, il s'enflait, grossissait son langage, s'élevait contre eux, se permettait de les menacer. C'est ce que font entendre des paroles de la lettre qui viennent plus loin : "Les lettres de Paul, selon eux, sont graves et fortes, mais, lorsqu'il est présent, il paraît bas en sa personne, et méprisable en son discours". Donc, ou bien ses paroles sont une ironie sévère, comme s'il disait . Moi qui suis si bas, moi qui suis si misérable, lorsque je suis présent, comme disent ces hommes, et qui, à distance, devient très-haut; ou bien l'apôtre veut dire que quelle que soit la fierté de ses lettres, ce n'est pas l'orgueil qui l'égare, mais sa: confiance en eux qui le porte à s'y abandonner.

" Je vous prie que, quand je serai présent, je ne sois point obligé d'user avec confiance de cette hardiesse qu'on m'attribue, envers quelques-uns qui s'imaginent que nous nous conduisons selon la chair". Comprend-vous tout ce qu'il y a d'indignation dans ces paroles, tout ce qu'elles renferment de reproches évidents? Je vous en prie, leur dit-il, ne me forcez pas à montrer que, même quand je suis présent, ce n'est ni la force qui me manque, ni la puissance. Ils disent que c'est quand je suis au loin que je deviens hardi et insolent avec vous en paroles, je vous en prie, ne souffrez pas qu'ils me contraignent à me servir de la force que je me sens. C'est là ce que peut dire, " d'user, avec confiance ". Et il ne dit pas, de cette hardiesse que je suis prêt à exercer mais, " qu'on m'attribue ". En effet je ne suis pas encore décidé, ils me fournissent une occasion, mais je ne veux pas en profiter. Ce n'était pourtant pas le soin de sa propre vengeance qui l'inspirait, mais le soin de la défense de l'Evangile, Que si, quand il s'agit de soutenir la prédication de la foi, il refuse de se montrer trop acerbe, s'il recule, s'il cherche à se soustraire à une pénible nécessité, à bien plus forte raison, quand il ne s'agissait que de lui, montrait-il une parfaite indulgence.

2. Accordez-moi, dit-il, cette grâce, ne me forcez pas à montrer que, même quand je suis présent, je peux faire ressentir ma hardiesse au besoin, c'est-à-dire, châtier et punir, Voyez-vous cette modestie qui ne fait rien pour paraître en spectacle, qui, même quand la nécessité est évidente, parle ici de hardiesse? " Je vous prie ", dit-il, " que, quand je serai présent, je ne sois point obligé d'user avec confiance de cette hardiesse qu'on m'attribue, envers quelques-uns ". Un maître doit surtout se garder de la précipitation dans les châtiments, il doit redresser, il doit toujours différer, temporiser avant de punir. Maintenant quels sont ceux à qui l'apôtre s’adresse? Des hommes " qui s'imaginent que nous nous conduisons selon la chair ". On l'accusait donc d'hypocrisie, de méchanceté, d'orgueil : " Car encore que nous virions dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair (3) ". Ici commencent des figures propres à intimider l'esprit des contradicteurs : nous sommes (129) revêtus de chair, dit-il,. je n'en disconviens pas, mais nous ne vivons pas pour la chair. Je me trompe, il ne s'exprime pas ainsi, il tempère une parole qui ferait l'éloge de sa vie ; il parle de la prédication, il, montre que ce n'est pas une oeuvre de l'homme, appuyée sur les secours qui viennent d'en bas. Aussi ne dit-il pas, nous ne vivons pas se1on la chair, mais " nous ne combattons pas selon la chair " ; ce qui veut dire, nous avons entrepris une guerre, des combats, mais que nous ne soutenons pas avec des armes charnelles, en nous appuyant sur quelque secours humain. " Car nos armes ne sont pas charnelles (4) ".

Quelles sont les armes charnelles? Les richesses, la gloire, la puissance, l'éloquence, l'habileté , l'intrigue , la flatterie, la feinte, toutes les autres ressources du même genre. Nos armes à nous ne ressemblent pas à celles-là; mais quelles sont-elles? " Mais puissantes en Dieu ". L'apôtre ne dit pas, nous ne sommes pas charnels, mais, " nos armes ". Je l'ai déjà dit, il ne parle que de la prédication, et c'est à Dieu qu'il rapporte toute puissance. Et il ne dit pas, nos armes sont spirituelles; le reproche de vivre selon la chair semblait amener cette opposition d'armes spirituelles; mais il dit, " puissantes ", et par là il fait entendre que celles de ses ennemis sont sans force et sans puissance. Et remarquez la mesure et la modération des termes. Il ne dit pas, nous sommes puissants, mais : " Nos armes sont " puissantes en Dieu ". Ce, n'est pas nous qui les avons rendues telles, c'est Dieu lui-même. En effet, on les frappait de verges, on les chassait en tous lieux, ils souffraient mille douleurs, des maux innombrables, autant de preuves de leur faiblesse; voilà pourquoi l'apôtre dit, pour montrer que la puissance est à Dieu : " Mais puissantes en Dieu ". Car ce qui fait le mieux voir combien sa force est grande, c'est qu'avec de telles armes il triomphe. Oui, quoique ce soit nous qui les portions ces armes, c'est Dieu lui-même qui s'en sert pour combattre et pour produire ses oeuvres. Suit maintenant un long éloge de ces armes : " Pour renverser les remparts". N'allez pas, à ce mot de remparts, vous représenter quelque chose de sensible ; voilà pourquoi l'apôtre dit : " En détruisant les raisonnements humains " ; l'image est pour exalter la puissance divine; ce qui la suit prouve qu'il s'agit d'une guerre spirituelle. Ces remparts ne sont pas élevés contre dés corps, mais des âmes. Aussi sont-ils plus solides, aussi faut-il, pour les renverser, des armes plus puissantes. Ces remparts signifient, pour l'apôtre, l'orgueil de la sagesse des Grecs, leurs sophismes, leurs raisonnements. Dieu a fait bon marché de toutes ces armes dressées contre les fidèles : " En détruisant les raisonnements humains, et tout ce qui s'élève avec hauteur contre la science de Dieu (5) ".

Il continue la métaphore, pour donner plus de force à son discours. Remparts, dit-il, tours, fortifications quelconques, il faut que tout cède à ces armes. " Et réduisant en captivité tout esprit, pour le soumettre à l'obéissance de Jésus-Christ ". L'expression de réduire en captivité quelque chose d'affligeant, elle marque la perte de la liberté. Pourquoi donc l'apôtre l'emploie-t-il? Il l'emploie en un autre sens. Servitude signifie deux choses, et que l'on est déchu de la liberté, et que l'on est au pouvoir de la force, sans espérance de se relever. C'est dans ce dernier sens que l'apôtre a entendu la captivité. Comme quand il dit: " J'ai dépouillé les autres Eglises " (II Cor. XI, 8), il fait savoir par là qu'il ne s'y est pas introduit comme un voleur qui se cache, mais seulement qu'il a tout pris, tout emporté ce qu'on lui a donné; de même ici : " Réduisant en captivité " , ne marque pas un combat à forces égales, mais une victoire facilement remportée. Et il ne dit pas un ou deux esprits seulement, mais, " tout esprit " ; il ne dit pas Nous sommes vainqueurs, nous avons l'avantage; il dit plus : " Nous réduisons en captivité " ; de même que plus haut, il ne dit pas : Nous faisons avancer les machines contre les remparts, mais : Nous les détruisons, car la supériorité de nos armes n'admet pas de comparaison. Et en effet, nous ne combattons pas avec des paroles, mais avec des actions contre des paroles, non avec une habileté qui tient à la chair, mais revêtus de l'esprit de douceur et de force. Comment donc, dit-il, pouvais-je me glorifier , étaler l'orgueil des paroles, écrire des menaces épistolaires, encourir les accusations de ceux qui disent : " Les lettres de Paul sont graves et fortes " (II Cor. X, 40), puisque c'est en cela que notre pouvoir consiste le moins ?

3. Lorsque l'apôtre dit : "Réduisant en captivité tout esprit, pour le soumettre à l'obéissance de Jésus-Christ ", aussitôt qu'il a (130) fait entendre ce mot de captivité, il sent que ce terme est trop dur, et, vite, il le corrige, il ajoute : " Pour le soumettre à l'obéissance de Jésus-Christ " ; après la captivité, la liberté; après la mort, la vie; après la perdition, le salut. Car nous ne venons pas seulement pour terrasser, nous venons surtout pour transformer, pour conquérir nos adversaires à la vérité. " Ayant en notre main le pouvoir de punir toute désobéissance , lorsque vous aurez satisfait à tout ce que l'obéissance demande de vous (6) ". Ici ce n'est pas les coupables seulement qu'il remplit de crainte, mais il intimide les autres avec eux. C'est vous, dit-il, que nous attendons; quand nos avertissements, nos menaces vous auront redressés, purifiés, séparés de tout commerce avec les coupables, quand les malades incurables seront dans leur isolement, alors nous sévirons, attendant pour cela que vous vous soyez franchement séparés. Vous obéissez sans doute maintenant, mais votre obéissance n'est point parfaite. Mais, dira-t-on, si vous agissiez tout de suite, il y aurait une plus grande utilité. Nullement : car si j'agissais tout de suite, je vous envelopperais dans la punition. Mais vous deviez châtier les autres et nous épargner. Mais si je vous épargnais, on pourrait m'accuser de partialité : je ne veux rien faire, quant à présent, je veux d'abord vous redresser, et ensuite c'est aux autres que j'irai parler.

Est-il possible de mieux prouver la tendresse qu'on porte dans ses entrailles? Il voit ses fidèles compromis par un indigne commerce, il veut frapper les coupables, mais il s'arrête, il contient son indignation; il donne aux siens le temps de se retirer, pour n'avoir à frapper que ceux qu'il faut punir; disons mieux, pour n'avoir même pas à les frapper eux-mêmes. Car s'il les menace, s'il dit ne vouloir recouvrer que les vrais fidèles, c'est pour que les autres, corrigés par la crainte, reviennent à résipiscence, c'est pour n'avoir à faire tomber sur personne le feu de sa colère. C'était un médecin excellent, un bon père étendant ses soins sur tous, un protecteur, un curateur plein de zèle, attentif à tous les intérêts, écartant tous les obstacles, réprimant les hommes dangereux, se montrant partout à la fois pour veiller au salut de tous. Et ce n'était pas en livrant des combats qu'il achevait ainsi les affaires, il courait toujours comme à une prompte victoire, à un triomphe tout préparé, n'ayant qu'à dresser des trophées, renversant d'un coup de main les forteresses du démon, les machines des mauvais anges, et transportant son butin tout d'un trait dans le camp du Christ; il ne se donnait pas le temps de reprendre haleine ; de tels peuples soumis, il s'élançait d'un bond vers d'autres peuples; de ces derniers, vers d'autres peuples encore, comme un général victorieux qui ne passe pas un jour, ce n'est pas assez dire, qui ne passe pas une heure sans ériger de nouveaux trophées. Entré dans la mêlée sans avoir rien sur lui qu'une méchante tunique, il prenait les villes des ennemis avec tous leurs habitants, et pour arcs, pour lances, pour flèches, pour toute arme, Paul n'avait que sa langue. Il lui suffisait de parler, et ses discours tombaient sur les ennemis avec plus de force dévorante que le feu, et il chassait les démons, et il ramenait à lui les hommes que les démons retenaient prisonniers. Quand l'apôtre mettait en fuite cet exécrable Satan , on vit cinquante milliers de magiciens se réunir, brûler les livres de sorcellerie, et revenir à la vérité. Comme il arrive, au sein d'une guerre, lorsqu'une tour s'écroule, lorsqu'un tyran est renversé, que tous ses partisans jettent leurs armes, se rendent au général de l'armée victorieuse, le même fait se produisit alors. Le démon était terrassé, on vit alors tous ceux qu'il tenait assiégés, jeter loin d'eux leurs livres, ou plutôt les détruire, et accourir vers Paul pour tomber à ses pieds; et lui, tenant tête à l'univers, comme si toute la terre n'eût été pour lui qu'une armée ennemie, ne s'arrêtant jamais, on eût dit qu'il avait des ailes, et toujours, et partout, il faisait seul toutes choses , tantôt redressant un boiteux, tantôt ressuscitant un mort, tantôt frappant de cécité un magicien ; même en prison son activité ne se reposait pas, il attirait à lui son geôlier, le prisonnier faisait alors cette glorieuse prise.

Sachons donc l'imiter, nous aussi, dans la mesure de nos forces. Mais que dis-je, dans la mesure de nos forces? Il nous est permis de nous approcher de lui, nous n'avons qu'à le vouloir, nous pouvons contempler sa vertu dans les combats, imiter son courage. Aujourd'hui encore, l'apôtre continue son oeuvre, détruisant les raisonnements humains, et tout ce qui s'élève avec hauteur contre la science de Dieu. Un grand nombre d'hérétiques ont entrepris de le déchirer, et Paul, même en (131) lambeaux, montre encore son énergie invincible. Et Marcion et les Manichéens ont prétendu se servir de Paul, mais en le mutilant; qu'est-il arrivé? qu'ils sont convaincus, réfutés par ces lambeaux mêmes. Il suffit de la main du fort étendue sur eux, pour les mettre en pleine déroute; de son pied, même séparé de son corps, pour les poursuivre et les disperser de toutes parts; ce membre mutilé, défiguré, conserve assez de force encore pour confondre tous les opposants. — Eh bien, dira-t-on , c'est une preuve de perversité que la même parole puisse. servir à tous ceux qui se livrent de mutuels combats. De perversité, oui, mais ce n'est pas à Paul qu'il la faut imputer, cette perversité, gardons-nous-en bien, ruais à ceux qui prétendent faire, de sa parole, un pareil usage. Il n'y avait pas en lui de versatilité ; il est simple, il est parfaitement clair; mais ces hérétiques ont corrompu le sens de ses paroles pour les rendre conformes à leurs propres pensées. Et comment, dira-t-on, ses expressions ont-elles pu donner prise à ceux qui ont voulu s'en servir ? Ce ne sont pas ses expressions qui donnent prise à l'erreur, c'est la démence des hérétiques qui abuse des expressions. Ce monde que nous voyous, ce monde entier si grand et si digne d'admiration prouve assez la divine sagesse : " Les cieux racontent la gloire de Dieu; le jour l'annonce au jour, et la nuit en donne la connaissance à la nuit " (Ps. XVIII, 1, 2); et cependant ce monde est, pour le grand nombre, un scandale, et les hommes disputent entre eux. En effet, les uns l'admirant outre mesure, en ont fait un Dieu; les autres, au contraire, en ont méconnu la beauté jusqu'à le regarder comme indigne d'être la création d'un Dieu, jusqu'à en attribuer la plus grande partie à une matière mauvaise.

Et cependant Dieu avait prévenu cette double erreur : il l'avait fait beau et grand , pour qu'on ne le jugeât pas au-dessous de sa sagesse, et, en même temps, il l'avait fait défectueux, incapable de se suffire à soi-même, pour qu'on ne le soupçonnât pas d'être un Dieu. En dépit de cette conduite de Dieu , les hommes, aveuglés par leurs raisonnements, sont tombés dans la contradiction des opinions, se réfutant les uns les autres, s'accusant les uns les autres, et justifiant la sagesse divine par l'erreur des raisonnements où ils se sont eux-mêmes égarés. Mais que parlé-je du soleil et du ciel ? Les Juifs avaient vu de leurs veux une infinité de miracles, et ils se mirent aussitôt à adorer un veau d'or. Ce n'est pas tout; ils virent encore le Christ chassant les démons, et ils l'accusèrent d'être possédé du démon. Etait-ce la faute de celui qui chassait les démons ou celle de ces aveugles, de ces insensés? N'allez donc pas accuser Paul , ni le rendre responsable des folles pensées de ceux qui ont abusé de ses paroles, appliquez-vous plutôt à bien vous rendre compte du trésor de Paul, à contempler ses richesses, à tenir tête fièrement à tous les hommes en vous revêtant de ses puissantes armes ; c'est ainsi que vous fermerez la bouche aux Grecs et aux Juifs. Mais comment est-ce possible, dira-t-on, s'ils n'ont pas foi en lui ? Par les événements qui se sont accomplis par lui , par le spectacle de la terre entière qui s'est redressée à sa voix. Ce n'est pas une puissance humaine qui a accompli une telle oeuvre ; la vertu du crucifié , soufflant sur lui, l'a seule rendu plus fort que tous, les orateurs, philosophes, rois, empereurs, plus puissant que toutes les puissances, et Paul n'a pas eu pour lui seul le pouvoir de revêtir de telles armes , et de terrasser ses adversaires, il lui a été donné de rendre d'autres, avec lui, aussi puissants que lui. Donc voulons-nous être utiles, nous aussi, et à nous-mêmes, et aux autres, ne nous lassons pas de tenir Paul entre nos mains , au lieu de demander nos, plaisirs aux prairies, aux vergers , faisons , de ses écrits , nos plus chères délices. C'est ainsi que ;nous pourrons nous affranchir de la corruption , conquérir la vertu , obtenir les biens qui nous sont annoncés, par la grâce et par la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ , à qui appartient , comme au Père , comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissante, l'honneur, maintenant et toujours , et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXII. EST-CE QUE VOUS NE CONSIDÉREZ QUE LE DEHORS? SI QUELQU'UN SE PERSUADE EN LUI-MÊME QU'IL EST A JÉSUS-CHRIST, IL DOIT AUSSI CONSIDÉRER EN LUI-MÊME QUE, COMME IL EST A JÉSUS-CHRIST, NOUS SOMMES AUSSI A JÉSUS-CHRIST. (JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)
Analyse

1. Comment saint Paul réprimande, non-seulement ceux qui. trompent les autres, mais, avec eux, ceux qui se laissent tromper.— De la réserve avec laquelle il se loue, quand il est obligé de parler de ses œuvres.

2. Ce que ses adversaires disaient de lui, qu'il n'était grand et redoutable que dans ses lettres.

3. De la modestie de saint Paul; de tous les vices auxquels nous devons nous arracher pour devenir saints comme lui.

1. Ce qui mérite le plus l'admiration dans Paul, outre ses autres titres, c'est que, lorsqu'il est dans la nécessité de se glorifier, il arrive à ces deux résultats, et qu'il se glorifie, et qu'il le fait sans se rendre odieux à personne; ce que prouve parfaitement sa lettre aux Galates. En effet, là aussi, il subit une nécessité de ce genre, et il réussit à produire ce double effet; ce qui suppose une très-grande difficulté surmontée, et demande beaucoup de prudence; l'apôtre sait, à la fois, garder la mesure et parler de lui-même d'une manière relevée. Voyez comment,dans le passage qui nous occupe., il parle de lui-même avec fierté. " Ne considérez-vous que " le dehors ?" Voyez ici , quelle prudence ! Après s'être élevé contre ceux qui ont trompé les fidèles, il ne s'arrête pas à ces coupables seulement, mais il s'élance, de ceux qui font des dupes, à ceux qui se laissent duper; c'est l'habitude constante de Paul. Il ne lui suffit pas d'attaquer les trompeurs, il s'en prend à ceux qui leur donnent les moyens de les tromper. Car s'il ne les eût pas réprimandés eux aussi, ils n'auraient pas facilement trouvé, dans les paroles adressées aux autres, leur propre correction , ils se seraient même enorgueillis comme n'ayant pas donné lieu à des réprimandes. Voilà pourquoi l'apôtre s'en prend aussi à eux.

Et ce n'est pas là seulement ce qu'il a d'admirable, mais c'est que, des deux côtés, la réprimande est parfaitement juste. Ecoutez ce qu'il dit : " Ne considérez-vous que le dehors? " L'accusation n'est pas indifférente, elle est très-sévère. Pourquoi? C'est que, dit-il, l'espèce humaine est facilement dupe. Voici sa pensée : Vous jugez des hommes par ce qui paraît au dehors, par les choses de la chair, par les choses corporelles. Qu’est-ce à dire par le dehors? Si un homme est riche , s'il étale beaucoup de faste, s'il est escorté de flatteurs qui l'entourent en foule , s'il se vante, s'il se laisse emporter par la vaine gloire, s'il joue la vertu, quand il ne possède pas la vertu : car voilà ce que signifient ces paroles : " Vous ne considérez que le dehors. Si quelqu'un se persuade à lui-même qu'il est à Jésus-Christ, il doit aussi considérer, en lui-même, que, comme il est à Jésus-Christ, nous sommes aussi à Jésus-Christ ". L'apôtre ne veut pas éclater tout d'abord; ce n'est que peu à peu qu'il devient plus explicite et plus impétueux. Remarquez ici, l'aspérité, et tout ce que les expressions laissent deviner. Ces mots : considérer " en lui-même " , veulent dire , ce n'est pas de nous , c'est-à-dire , ce n'est pas de notre réprimande , c'est des réflexions que chacun peut faire, en son particulier, que chacun doit tenir la certitude que, comme il est à Jésus-Christ, nous aussi, nous sommes à Jésus-Christ : l'apôtre ne dit pas qu'il appartient à Jésus-Christ, autant que celui-là, (133) mais, " comme il est à Jésus-Christ, je suis aussi à Jésus-Christ ". C'est un motif d'union; car il n'est pas, lui, de son côté, à Jésus-Christ, moi , de mon côté , à tout autre. Après avoir ainsi établi l'égalité , l'apôtre va plus loin, il ajoute ce qui lui donne l'avantage sur l'autre. " Car quand je me glorifierais un peu davantage de la puissance que le Seigneur m'a donnée , pour votre édification, et non pour votre destruction , je n'aurais pas sujet d'en rougir ". Il s'apprête à dire de lui quelque chose de grand, voyez comme il s'y prend d'avance pour ne pas blesser.

C'est que rien ne choque tant la foule que d'entendre quelqu'un faire son propre éloge. Aussi, pour prévenir le mauvais effet de ses paroles, l'apôtre dit-il. " Quand je me glorifie" rais un peu davantage u. Et il ne dit pas: Si quelqu'un a la confiance qu'il appartient à Jésus-Christ, que celui-là réfléchisse à la distance qui le sépare de nous, car moi , je tiens de lui un grand pouvoir, et ceux, qu'il me plaît, je les punis, je les châtie ; non, mais que dit-il ? " Quand je me glorifierais un peu davantage ". Il lui est impossible de dire la grandeur de son pouvoir, toutefois il en parle modestement, il ne dit pas : je me glorifie, mais : " Quand je me glorifierais ", supposez que j'en eusse la volonté; cette expression, toute mesurée qu'elle est, montre toute l'étendue de son pouvoir. " Quand donc je me glorifierais ", dit-il, " de la puissance que le Seigneur m'a donnée ". Ici encore, il rapporte tout à Jésus-Christ, et il montre que le don n'est pas pour lui seul. " Pour votre édification, et non pour votre destruction ". Vous voyez de quelle manière il s'y prend pour prévenir le mauvais effet de la louange qu'il se décerne à lui-même, et, pour se concilier l'auditeur, il lui parle de l'emploi à faire du don qu'il a reçu. Pourquoi donc dit-il: "Détruisant les raisonnements humains?" C'est que l'édification consiste surtout à détruire de la sorte, à faire disparaître les obstacles, à confondre la corruption, à donner de la solidité à la vérité. " Pour votre édification ". Voilà donc pourquoi nous avons reçu nos pouvoirs, c'est pour édifier. Si on s'acharne contre nous, si l'on persiste à nous combattre, si l'on se montre incurable, nous aurons recours à une autre arme puissante, nous détruirons le coupable en le terrassant. De là encore ce qu'ajoute l'apôtre : " Je n'aurais pas sujet d'en rougir ", c'est-à-dire, on verra bien que je ne suis ni un menteur, ni un fanfaron. " Mais afin qu'il ne semble pas que nous " voulions vous intimider par des lettres, " parce que les lettres de Paul, disent-ils, sont graves et fortes ; mais lorsqu'il est présent, il paraît bas en sa personne, et méprisable en son discours; que celui qui est dans ce sentiment, considère, que ce que nous sommes, par les paroles de nos lettres, à distance, nous le sommes également, de " près, par nos actions (9-11) ". Ce qui revient à dire : Je pourrais sans doute me glorifier, mais on pourrait m'objecter encore que je me vante dans mes lettres, tandis que, de près, je suis méprisable; donc je ne dirai rien de grand à mon sujet. Sans doute, dans la suite il célèbre sa vie, mais il ne dit rien de la puissance par laquelle il intimidait ses adversaires, il ne parle que des révélations qui lui ont été faites, et plus encore de ses épreuves. Donc, afin qu'il ne semble pas que nous voulions vous intimider : " Que celui qui est dans ce sentiment, considère que ce que nous sommes par les paroles de nos lettres, à distance, nous le sommes également, de près, par nos actions ". Comme on disait que, dans ses lettres, il parlait de sa personne avec fierté ; mais que, vu de près, il paraissait misérable; par cette raison, il s'arrête à cette manière de présenter sa pensée avec modestie et réserve. Et il ne dit pas : Si nos lettres ont de la grandeur, il y a de la grandeur aussi dans les actions que nous faisons quand on nous voit de près ; non, ses paroles sont plutôt modestes. Il disait plus haut : " Je vous prie que, quand je serai présent, je ne sois point obligé d'user avec confiance de cette hardiesse, qu'on m'attribue envers quelques-uns " ; il y avait de la vivacité; mais ici, ce n'est plus que de la modestie. " Nous sommes également, de près, ce que nous sommes à distance"; c'est-à-dire, humbles, modestes, ne nous vantant jamais. C'est ce qui résulte de la suite : " Car nous n'osons pas nous mettre au rang de quelques-uns -qui se relèvent eux" mêmes, ni nous comparer à eux (12) ".

2. Ces paroles font voir que l'orgueil travaille ces hommes, qu'ils aiment à se louer; l'apôtre les représente comme remplis de jactance. Quant à nous, dit-il, ce n'est pas notre habitude. Dans le cas même où nous faisons quelques grandes oeuvres, c'est à Dieu que nous (134) rapportons toute chose, et nous ne nous comparons qu'à nous-mêmes. Voilà pourquoi l'apôtre ajoute: " Mais nous nous mesurons sur ce que nous sommes, en nous, et nous ne nous comparons qu'avec nous-mêmes ", ce qui veut dire: ce n'est pas à ces sages que nous nous comparons, mais à nous-mêmes, entre nous. En effet, il dit plus loin : " Je n'ai été en rien inférieur aux plus éminents d'entre les apôtres " (II Cor. XII, 11) ; et dans la première épître, il disait : " J'ai travaillé plus qu'eux tous " (I Cor. XV, 10) ; et encore : " Les marques de mon apostolat ont paru parmi vous, dans toutes sortes de patience". " (II Cor. XII, 12.) Ainsi c'est entre nous que nous nous comparons, nous-mêmes avec nous-mêmes, et non avec ceux qui n'ont rien pour eux; car leur orgueil tient du délire. C'est donc, ou de lui-même qu'il parle, ou de ces orgueilleux; comme s'il disait Nous n'osons pas nous comparer avec ces gens qui ne savent que disputer, se vanter, et qui ne comprennent pas, c'est-à-dire, qui ne sentent pas le ridicule de la jactance, et qui prônent leurs propres louanges. " Quant à nous, nous ne nous glorifions point au-delà de toute mesure (13) ", comme ils font. Il est probable que ces orgueilleux avaient poussé la vanité jusqu'à dire que la conversion de la terre était leur ouvrage, qu'ils s'étaient avancés jusqu'aux extrémités du monde , et un grand nombre d'autres forfanteries. Pour nous, dit l'apôtre, nous ne nous exprimons pas de la même manière. " Mais dans les bornes du partage que Dieu nous a donné, nous nous glorifions d'être parvenus jusqu'à vous". Il donne ici une double preuve de sa modestie, il dit n'avoir rien fait de plus qu'un autre, et cela même qu'il a fait, il l'attribue à Dieu. "Mais dans les bornes ", dit-il, " du partage que Dieu nous a donné, nous nous glorifierons d'être parvenus jusqu'à vous ". Comme on distribue une vigne entre différents ouvriers de la campagne, ainsi Dieu nous a fait nos parts distinctement. Autant donc que nous avons eu la permission d'avancer, voilà dans quelle mesure nous nous glorifierons.

" Car nous ne nous étendons pas au-delà de ce que nous devons, comme si nous n'étions pas parvenus jusqu'à vous, puisque nous sommes arrivés jusqu'à vous; en prêchant l'Evangile de Jésus-Christ (14) ". Ce n'est pas assez dire, que nous nous sommes approchés de vous, nous vous avons apporté la nouvelle, nous vous avons fait la prédication, nous vous avons persuadés, nous avons réussi. Il est vraisemblable que ces orgueilleux, pour s'être réunis aux disciples des apôtres, s'exagéraient leur importance personnelle, au point de se rapporter tout le succès de la prédication. Il n'en est pas de même de nous, dit l'apôtre personne ne saurait prétendre que nous n'avons. pas pu arriver jusqu'à vous, et que toute notre gloire ne consiste que dans nos paroles. Car nous vous avons prêché la parole, à vous aussi.— " Nous ne nous relevons donc point au-delà de toute mesure, en nous attribuant les travaux des autres ; mais nous espérons que votre foi, croissant toujours de plus en plus, nous étendrons notre partage beaucoup plus loin, et que nous prêcherons l'Evangile aux nations mêmes qui sont au-delà de vous, sans entreprendre sur le partage d'un autre, en nous glorifiant d'avoir bâti sur ce qui aura été préparé (15, 16) ". Il leur inflige une grande réprimande par ces paroles, et parce qu'ils se glorifiaient trop; et parce qu'ils se glorifiaient de ce qui ne leur appartenait pas; les apôtres seuls avaient répandu leur sueur, et ces orgueilleux faisaient gloire du travail des apôtres. Pour nous, dit-il, nos paroles se fondent sur ce que nous avons fait. Aussi ne voulons-nous pas imiter ceux qui se vantent : ce que nos couvres témoignent, voilà ce que nos paroles exprimeront. Mais pourquoi, dit-il, est-ce que je vous entretiens de vous? Certes, j'ai bon espoir, parce que votre foi s'accroît : il ne manifeste pas ici toute sa pensée, il suit son habitude familière : j'espère, dit-il,-grâce aux progrès que vous faites dans la foi, que notre partage s'étendra, que nous prêcherons plus loin l'Evangile. Nous ferons des pas en avant, nous irons plus loin, dit-il, pour prêcher, pour affronter des fatigues, non pour nous glorifier en paroles des fatigues d'autrui. C'est avec raison qu'il prononce le mot de partage, montrant par là que le but de son voyage c'est la conquête de la terre, c'est le plus beau des héritages, et que tout est l'oeuvre de pieu. Donc, ayant accompli' de telles oeuvres, et en attendant de plus grandes encore, dit-il, nous ne nous vantons pas comme ceux qui n'ont rien produit, et ce n'est pas à nous-mêmes que nous rapportons quelque chose; mais c'est à Dieu que nous attribuons le tout.

135

Aussi ajoute-t-il: " Que celui donc qui se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur (17) ". Et ce que nous montrons, dit-il, c'est de Dieu que nous le tenons. " Car ce n'est pas celui qui se rend témoignage à soi-même qui est vraiment estimable; mais c'est celui à qui Dieu rend témoignage (18) ". Il ne dit pas, c'est nous, mais : " C'est celui à qui Dieu rend témoignage ". Voyez-vous ce qu'il y a de réservé dans ces paroles? La fierté du langage qu'il tient plus loin ne doit pas surprendre; c'est encore l'habitude de Paul. S'il n'eût jamais fait entendre que d'humbles paroles, il n'aurait pas frappé de coup assez fort, il n'aurait pas ramené ses disciples de leurs égarements. Il arrive, en effet, parfois qu'une modestie hors de propos est nuisible, et qu'au contraire, un éloge qu'on fait de soi à propos, peut avoir son utilité. C'est ce que l'apôtre a pratiqué. C'eût été un grave danger que de laisser les disciples concevoir quelque basse opinion de Paul. Paul d'ailleurs ne recherchait pas la gloire qui vient des hommes; s'il l'eût recherchée, il n'eût pas si longtemps enseveli dans le silence les oeuvres admirables qui s'opérèrent en lui quatorze ans auparavant, il n'aurait pas attendu que la nécessité pesât sur lui, pour montrer encore tant d'hésitation et de répugnance à en parler. Il est manifeste que même alors, il n'a élevé la voix que parce qu'il s'est vu tout à fait contraint.

Ce n'est donc pas par amour de la gloire humaine qu'il a dit ces choses, mais c'est par intérêt pour ses disciples. On l'accusait de forfanterie; de jactance dans ses paroles, d'impuissance à rien produire dans ses actions; voilà ce qui le force à en venir à ces révélations. Sans doute il pouvait les convaincre par des couvres réelles, quand il prononçait ces paroles, toutefois il emploie encore la menace des discours : c'est qu'avant tout son âme était pure de toutes les souillures de la vaine gloire; c'est ce que prouve sa vie tout entière, aussi bien avant qu'après cette époque. Voilà pourquoi sa conversion fut si prompte, comment, après sa conversion , il confondit les Juifs, et répudia tout l'honneur dont il jouissait auprès d'eux, quoiqu'il fût leur chef et le guide du peuple. Mais aucune de ces considérations ne l'arrêta; une fois qu'il eut trouvé la vérité, il échangea tout contre les insultes et les outrages; il ne perdait pas de vue le salut du grand nombre; c'était tout pour lui. Et comment celui qui ne considérait ni la géhenne, ni la royauté, ni cane foule innombrable de mondes comme capables de conserver la moindre importance en comparaison de l'amour de Jésus-Christ, aurait-il poursuivi une gloire vulgaire? Il était bien loin d'un pareil désir : au contraire, il était tout à fait humble, quand il lui était possible de l'être; il flétrit la première partie de sa vie, il s'appelle lui-même un blasphémateur, un persécuteur, un insulteur. Et Luc, son disciple, raconte de lui un grand nombre de faits qu'évidemment il ne tenait que de lui, lorsque l'apôtre lui racontait aussi bien la première partie de sa vie que celle qui est venue après.

3. Ce que je dis, ce n'est pas seulement pour que nous entendions des paroles, mais pour que nous nous instruisions. Car si l'apôtre gardait dans sa mémoire les fautes par lui commises avant le baptême, quelle excuse pourrions-nous avoir, nous qui oublions même les fautes que nous avons faites depuis? O homme, que dites-vous? vous avez offensé Dieu, et vous ne vous souvenez plus de votre péché? C'est une seconde offense contre Dieu, un nouveau sujet de colère pour lui. De quels péchés demandez-vous donc la rémission? de ceux que vous ne connaissez pas vous-même? Voilà évidemment votre prétention. Vous ne vous inquiétez pas,' vous ne prenez aucun souci des comptes que vous aurez à rendre, vous qui ne tenez même pas à vous rappeler vos actions, qui vous faites un jeu de ce qui ne ressemble pas le moins du monde à un jeu. Mais viendra le temps où ce jeu ne nous suffira plus. Il faut absolument mourir (le grand nombre est frappé d'engourdissement d'esprit à tel point que nous sommes forcés de faire des discours sur ce qui saute aux yeux), il faut absolument ressusciter, absolument être jugés, être châtiés; ou plutôt ici, ce n'est pas absolument qu'il faut dire, mais le fait dépend de notre volonté. Il y a des choses dont nous ne sommes pas les maîtres, notre fin, notre résurrection, notre jugement; de ces choses, le maître c'est le Seigneur; quant à ce qui est d'être puni ou non, c'est nous qui en sommes les maîtres; car c'est ce à quoi nous pouvons pourvoir. Si nous le voulons, nous rendrons notre punition impossible, ainsi qu'ont fait Paul et Pierre et tous les saints; car les châtier c'est chose impossible. Donc, si nous le voulons, nous ferons aussi que ce soit chose (136) impossible que nous ayons un malheur à souffrir. Quand nous aurions commis faute sur faute, il nous est possible de reconquérir notre salut tant que nous sommes ici-bas.

Songeons donc à notre salut : que le vieillard considère que bientôt il lui faudra mourir; qu'il a vécu assez longtemps dans les plaisirs (s'il faut appeler vie de plaisirs une existence consacrée à la corruption; mais j'accommode un instant mes paroles à ses pensées) ; qu'il remarque ensuite combien est court le temps où la faculté lui est laissée de se laver de toutes ses fautes. Que le jeune homme considère à son tour combien est incertaine l'heure qui termine la vie, et le grand nombre des vieillards qui souvent continuent à vivre lorsqu'on voit les jeunes gens que la mort enlève avant eux. C'est pour prévenir, de notre mort, toute spéculation fondée sur notre fin dernière que l'épreuve en est incertaine. De là cet avertissement que nous donne le Sage par ces paroles : " Ne tardez pas à vous convertir au Seigneur, et ne différez pas de jour " en jour (Eccli. V, 8); car vous ne savez pas " ce que produira le jour de demain ". (Prov. XXVII, 1.) Ce sont les délais qui -produisent les dangers et les motifs de crainte; il n'y a qu'à éviter tout retard pour s'assurer évidemment du salut : attachez-vous donc à la vertu: car, par ce moyen, soit que vous quittiez ce monde jeune encore, vous le quitterez sans avoir rien à craindre; soit que vous parveniez à la vieillesse; vous sortirez de cette vie comblé de biens, et vous aurez passé votre vie tout entière dans cette double fête qui consiste à s'abstenir de la corruption, à embrasser la Vertu. Gardez-vous de dire : Il sera temps un joug de me convertir; ces paroles ne font qu'irriter contre nous la colère de Dieu. Car enfin, il vous promet l'immensité des siècles, et vous, vous ne consentez pas aux labeurs de la vie présente, si courte, si fugitive, et vous êtes assez mous, assez lâches pour rechercher encore une vie plus misérable que cette vie de rien? Est-ce que ce ne sont pas les mêmes festins tous les jours? est-ce que ce ne sont pas les mêmes tables, les mêmes prostituées, les mêmes théâtres, les mêmes richesses? Jusques à quand serez-vous amoureux de ce qui n'a pas de réalité? Jusques à quand ressentirez-vous cet insatiable désir de corruption? Considérez qu'autant de fois que vous avez pratiqué la fornication, autant de fois vous vous êtes condamné vous-même; car telle est la nature du péché; aussitôt qu'il est commis, aussitôt le juge porte sa sentence. Vous vous êtes enivré, vous vous êtes chargé le ventre, vous avez pratiqué la rapine? Arrêtez-vous maintenant, rebroussez chemin; rendez grâces à Dieu de ne vous avoir pas enlevé au milieu de vos péchés; ne demandez pas qu'il vous accorde encore du temps pour vivre dans le péché ; c'est au moment où un grand nombre s'abandonnaient à l'avarice qu'ils ont cté enlevés, et ils sont partis pour subir un châtiment manifeste. Craignez, vous aussi, qu'il ne vous arrive malheur, parce que vous ne pouvez pas réparer vos fautes.

Mais, dira-t-on, Dieu a permis à un grand nombre d'hommes de trouver, dans l'extrême vieillesse, assez de temps pour se confesser.— Eh bien ! vous donnera-t-il du temps à vous aussi? Peut-être, répond-on. Que dites-vous, et que signifie " peut-être, quelquefois ", et " souvent? " Considérez donc que c'est de votre âme que vous discutez l'intérêt; supposez donc tout le contraire, et réfléchissez, et dites-vous que sera-ce si Dieu ne m'accorde pas le temps? Mais, répond-on, si Dieu me l'accorde? Sans doute, il est arrivé que Dieu a accordé du temps; mais le temps présent est plus sûr, plus avantageux que ce temps à venir. Si, à partir de ce moment, vous commencez à bien vivre, c'est tout profit pour vous, soit que vous receviez, soit que vous ne receviez pas de délai; mais si vous différez toujours, cet ajournement sera précisément pour lui une raison de vous refuser un délai. En effet, quand vous partez pour la guerre, vous ne dites pas : à quoi bon faire mon testament, peut-être reviendrai-je; au moment de conclure un mariage, vous ne dites pas : je prendrai une femme pauvre; beaucoup de gens en effet, contre toute attente, même dans ces conditions, sont arrivés à la fortune; quand vous construisez une maison, vous ne dites pas : je jetterai des fondations ruineuses; même dans ces conditions, beaucoup d'édifices ont pu se soutenir; et quand vous délibérez du salut de votre âme, c'est sur ce qu'il y a de plus ruineux, sur un " peut-être ", sur un " souvent", sur un " quelquefois ", sur ce qu'il y a de plus incertain que vous étayez votre confiance ! Ce n'est pas, me répond-on, sur l'incertain, mais sur la bonté de Dieu pour les hommes; car Dieu est plein de bonté pour les hommes. Je (137) suis le premier à le reconnaître, mais ce Dieu plein de bonté pour les hommes, n'en a pas moins fait mourir ces coupables dont j'ai parlé; et qu'arrivera-t-il si, après avoir reçu du temps, vous demeurez semblables à vous-mêmes? Le lâche restera lâche jusque dans sa vieillesse. Non, me réplique-t-on : mais je connais bien cette manière de compter; après quatre-vingts ans, on en demande quatre-vingt-dix; après quatre-vingt-dix, cent; et après cent années on se montre plus lâche encore, et, de cette manière, c'est en vain que cette vie tout entière se dépense. Il vous arrivera à vous aussi, ce qui a été dit au sujet des Juifs : " Leurs jours les ont abandonnés dans la vanité " (Ps. LXXVII, 33), et plût au Ciel que ce fût seulement dans 1a vanité, et non de manière à vous conduire à votre perdition; car si nous devons partir, d'ici chargés du lourd fardeau de nos péchés (voilà ce qui produit la perdition), nous apporterons un aliment au feu éternel, une riche pâture aux vers. C'est pourquoi je vous en prie, je vous en conjure, sachons donc nous arrêter avec une généreuse fierté, rompre avec la corruption, afin d'obtenir les biens (lui nous sont annoncés; puissions-nous tous entrer dans ce partagé, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXIII. PLUT A DIEU QUE VOUS VOULUSSIEZ UN PEU SUPPORTER MON IMPRUDENCE ! ET SUPPORTEZ-LA, JE VOUS PRIE. (XI, 1, JUSQU'A 12.)
Analyse.

1. Dans ce monde on est vierge jusqu'au mariage; il n'en est plus de môme après; dans l'Eglise, c'est tout le contraire : ceux mômes qui n'étaient pas vierges avant leur mariage avec Jésus-Christ, après ce mariage, deviennent des vierges.

2 et 3. Contre les orgueilleux qui, tout en prêchant la môme doctrine que les apôtres , se croient supérieurs à eux, parce qu'ils disent tout autant en plus de mots.

4. Du peu d'instruction de Paul en ce qui concerne les beaux discours ; mais la vérité de Jésus-Christ était en lui.— De son abaissement pour élever les autres.— De son mépris de l'argent et de sa fierté dans sa pauvreté.— Infatuation des orgueilleux qui se glorifient de ne rien recevoir de personne.

5 et 6. Du vrai mépris de, la richesse, fondé sur la vanité des choses humaines; non sur l'orgueil , mais sur la vertu.— L'avarice, cause de tous les maux.

1. Au moment de se mettre à faire son propre éloge, il prend une foule de précautions. Ce n'est pas une fois ou deux seulement qu'il montre cette réserve; cependant la nécessité du sujet devait être pour lui une excuse suffisante, outre tant de preuves d'humilité déjà données par lui. Celui qui gardait le souvenir des péchés que Dieu avait oubliés, celui qui, en rappelant sa vie première, se déclarait indigne du titre d'apôtre, celui-là, même aux yeux des hommes les plus dépourvus de sens, ne peut pas paraître un glorieux, débitant, pour se vanter, les paroles qu'il va maintenant faire entendre. En effet, pour dire quelque chose d'étrange, sa gloire même était fort compromise en ce qu'il parlait de ses actions, car se louer, c'est se rendre à charge au grand nombre. Toutefois il ne s'arrête à aucune des considérations de ce genre, il ne voulut voir qu'une chose, le salut de ses auditeurs. Donc, pour ne (138) blesser en rien les insensés par l'éloge qu'il allait faire de lui-même, il s'entoure d'une foule de précautions, il dit : " Plût à Dieu que "vous voulussiez un peu supporter mon imprudence ! et supportez-la, je vous prie ". Quelle prudence dans ces paroles ! Leur dire : " Plût à Dieu que vous voulussiez ", c'est leur dire que tout dépend d'eux ; or cette affirmation montre toute la hardiesse que lui inspire leur affection, qu'il les aime, qu'il en est aimé; disons mieux: ce n'est pas en vue d'une affection mesquine, c'est sous l'influence d'un amour ardent, violent, qu'ils doivent, selon lui, supporter son imprudence. Ce qui fait qu'il ajoute: " Car j'ai pour vous un amour de jalousie, et d'une jalousie de Dieu (2) ".

Il ne dit pas : je vous aime, il se sert d'une expression beaucoup plus vive. La jalousie est le propre des âmes qu'embrase un amour violent, la jalousie n'a d'autre source qu'une ardente et violente affection. Ensuite, pour prévenir cette pensée, que s'il recherche leur amour c'est par un désir d'honneur, ou d'argent, ou de quelque autre chose, il ajoute : " D'une jalousie de Dieu ". Si l'on dit la jalousie de Dieu, ce n'est pas que cette passion puisse être soupçonnée en lui; Dieu est au-dessus des passions humaines; l'apôtre veut faire comprendre à tous qu'il n'est jaloux que du bonheur de ceux pour qui il fait toutes choses; ce n'est pas afin d'y trouver quelque profit pour lui-même, c'est afin de les sauver. Chez les hommes, le jaloux ne cherche que son repos à lui; il ne songe pas aux outrages faits à l'objet aimé, mais à ceux qui lui sont faits, à lui qui aime, et qui n'est pas considéré, aimé comme il aime, par l'objet de son affection. Or, la jalousie de Paul n'a nullement ce caractère. Je ne m'inquiète pas, dit-il, de ne pas trouver en vous, pour moi, les sentiments que j'ai pour vous ; ce qui m'occupe, c'est, que vous ne vous corrompiez pas. Telle est la jalousie de Dieu, telle est la mienne, à la fois vive et pure. Ajoutez à cela, que la cause de cette affection la rend nécessaire: " Parce que ec je vous ai fiancés à cet unique époux, pour " vous présenter à lui comme une vierge toute " pure ".

Ce n'est donc pas pour moi que je suis jaloux, mais pour celui à qui je vous ai fiancés. Le temps présent est le temps des fiançailles; le temps des noces ne viendra qu'après, quand on dira: voici l'époux ! O merveille ! Dans le monde on reste vierge jusqu'au mariage; après le mariage il n'en est plus de même. Ici, c'est le contraire; quand on ne serait pas vierge avant le mariage, on le devient après; c'est ainsi que l'Eglise tout entière est. vierge. Car ce que dit l'apôtre s'adresse à tous les hommes, à toutes les femmes qu'unit le mariage. Mais maintenant voyons ce qu'il apporte en nous fiançant, quelle est la dot : ni or ni argent; le royaume des cieux. Voilà pourquoi il a dit : " Nous faisons donc, pour le Christ, les fonctions d'ambassadeurs " (II Cor. V, 20) ; et il a recours aux prières pour prendre sa fiancée. On vit une figure de ceci au temps d'Abraham. Ce patriarche envoya son fidèle serviteur pour fiancer son fils à une jeune fille étrangère; notre Dieu aussi a envoyé ses serviteurs pour fiancer l'Eglise à son fils, il a envoyé les prophètes qui faisaient autrefois entendre ces paroles : " Ecoutez, ma fille, et voyez et oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le roi désirera de voir votre beauté ". (Ps. XLIV, 10, 11.) Voyez-vous le prophète faisant lui-même des fiançailles? Voyez-vous, l'apôtre de son côté, prononçant avec une entière confiance des paroles du même genre, quand il dit : " Je vous ai fiancés à cet unique époux, pour vous présenter comme une vierge toute pure à Jésus-Christ? " Voyez-vous encore tout ce qu'il montre de sagesse? En disant, plût à Dieu que vous voulussiez me supporter, il ne dit pas, car je suis votre docteur, ni, car c'est moi qui vous parle, il leur dit ce qui devait avoir pour eux la plus grande valeur, il se représente, lui, comme l'agent du mariage, il les représente, eux, comme l'épousée.

Et ensuite il ajoute : " Mais j'appréhende qu'ainsi que le serpent séduisit Eve par ses artifices, vos esprits aussi ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité en Jésus-Christ (3) ". Car quoique la perdition fût pour vous seuls, la douleur m'en serait néanmoins commune avec vous. Et considérez la sagesse de l'apôtre : il ne parle pas ouvertement de leur corruption, bien qu'elle ne fût que trop vraie, comme le prouvent ces paroles : " Lorsque vous aurez satisfait à tout ce que l'obéissance demande de vous, et que je ne sois " obligé d'en pleurer plusieurs qui ont péché" (II Cor. X, 6, et XII, 21), toutefois, il les force à rougir ; voilà pourquoi il dit : " J'appréhende que " ; il ne condamne pas, il ne garde pas non plus le silence; ni l'un ni l'autre de ces (139) deux partis n'était sûr, il ne fallait ni parler ouvertement, ni garder le tout caché jusqu'au bout. Voilà pourquoi il prend une expression intermédiaire, " j'appréhende que ", qui ne marque ni une condamnation, ni une grande confiance, qui est à égale distance des deux jugements contraires. Voilà comment il les avertit; l'histoire qu'il leur rappelle était faite pour les frapper de terreur , pour leur montrer qu'ils étaient inexcusables. En effet, quoique le serpent fût rusé, la femme insensée, aucune de ces considérations n'a sauvé la femme.

2. Prenez donc garde, dit-il, de ne pas courir le même sort, et de ne trouver aucun secours dans votre malheur. C'est par ses magnifiques promesses que le démon séduisit la femme, c'est de la même manière, par leur langage superbe, que ces orgueilleux égaraient les fidèles. Et c'est ce qui résulte, non-seulement des paroles précédentes, mais de celles que l'apôtre ajoute ensuite : " Car si celui qui vient vous prêcher vous annonçait un autre Christ que celui que nous vous avons annoncé, ou s'il vous faisait recevoir un autre esprit que celui que vous avez reçu, ou s'il vous prêchait un autre Evangile que celui que vous avez embrassé, vous auriez raison de le souffrir". Et il ne dit pas : J'appréhende que, comme Adam a été trompé, il montre que ce sont des femmes qui se laissent tromper; car le propre des femmes, c'est d'être des dupes. Et il ne dit pas : J'appréhende que, de la même manière, vous ne soyez trompés; il continue la comparaison, il dit : " Que vos esprits aussi ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité en Jésus-Christ " ; je dis simplicité et non pas malice ; ce ne serait ni de la malice, ni du manque de foi que viendrait votre mal , mais de votre simplicité. Toutefois, on n'est pas excusable parce que l'on se laisse tromper même par trop de simplicité ; c'est ce que l'exemple d'Eve sert à montrer. Si la simplicité n'excuse pas en pareil cas, que sera-ce de la vanité ?

" Car si celui qui vient vous prêcher vous annonçait un autre Christ que celui que nous vous avons annoncé ". Ces paroles montrent que si les Corinthiens se corrompent, ce n'est pas d'eux-mêmes, mais qu'il leur vient du dehors des gens qui les trompent ; de là cette expression : " Celui qui vient. Ou s'il vous faisait recevoir un autre esprit que celui que vous avez reçu, ou s'il vous prêchait un autre Evangile que celui que vous avez embrassé, vous auriez raison de le souffrir (4) ". Que dites-vous? C'est vous-même qui disiez aux Galates : " Si quelqu'un vous annonce un Evangile différent de celui que vous avez reçu; qu'il soit anathème (Gal. I, 9), et c'est vous qui dites maintenant, vous auriez raison " de le souffrir?" Comment ! Bien loin de le souffrir, il faudrait se reculer avec horreur; si l'on prêche le même Evangile, voilà la seule prédication qui se doive souffrir. Comment donc prétendez-vous que si l'on ne prêche que le même Evangile, on ne doit pas le souffrir? Si l'on en prêchait un autre, dites-vous, on devrait le souffrir? Appliquons ici notre attention; le danger est grand, nous sommes auprès d'un affreux précipice, n'allons pas devant nous sans attention, ce passage mal interprété ouvrirait la voie à toutes les hérésies. Quel est donc le sens de ces paroles?

Ces orgueilleux se vantaient de ce que l'enseignement des apôtres étant défectueux, ils étaient eux-mêmes en mesure de le compléter. On peut croire que ces gens gonflés de vanité introduisaient dans les dogmes des extravagances de leur propre fonds. Voilà pourquoi l'apôtre rappelle, et le serpent, et la malheureuse Eve, trompée par un excès de prétention. C'est ce qu'il disait à mots couverts dans la première épître : " Vous êtes déjà riches, vous régnez sans nous " ; et encore: " Nous sommes fous pour l'amour de Jésus-Christ, mais vous autres , vous êtes sages en Jésus-Christ ". (I Cor. IV, 8, 10.) Il est probable que si l'apôtre leur adresse ces paroles, c'est qu'enflés de leur sagesse profane, ils débitaient beaucoup de frivolités; voilà pourquoi il leur dit : Si ces hommes disaient du nouveau, s'ils prêchaient un autre Christ qu'il ne fallait pas prêcher, que nous aurions oublié, nous, vous auriez raison de le souffrir; c'est ce qui fait qu'il ajoute : " Que celui que nous vous avons annonce ". Mais maintenant , si les articles principaux de la foi sont les mêmes, quel avantage ont-ils sur nous? Quoi qu'ils puissent dire, ils ne diront rien de plus que ce que nous avons dit. Admirez la précision du langage ; il ne dit pas: si celui qui vient, vous dit quelque chose de plus; car ces gens-là disaient quelque chose de plus, leurs harangues avaient plus d'abondance et aussi plus de beauté dans les expressions. Voilà pourquoi l'apôtre ne s'exprime pas comme je viens de le supposer, (140) mais que dit-il : " Si celui qui vient, vous annonçait un autre Christ ", ce en quoi l'art des paroles est parfaitement inutile; " ou s'il vous faisait recevoir un autre esprit " ; ici encore, les phrases n'ont rien à faire, c'est-à-dire, s'il vous rendait plus riches, quant à la grâce; " ou s'il vous prêchait un autre Evangile que celui que vous avez reçu " ; ici encore les phrases ne servent à rien : " vous auriez raison de le souffrir". Considérez donc, je vous en prie, comment toutes les expressions de l'apôtre montrent distinctement que ces hommes n'ont rien dit de plus, qu'ils n'ont rien ajouté. En s'exprimant ainsi : " Si celui qui vient, vous annonçait un autre Christ ", il a soin d'ajouter que " celui que nous vous avons annoncé " ; après, " s'il vous faisait recevoir un autre esprit ", il met tout de suite, " que celui que vous avez reçu "; et après, " ou s'il vous prêchait un autre Evangile ", il ajoute aussitôt, " que celui que vous avez embrassé " ; et toutes les paroles de l'apôtre démontrent qu'il ne faut pas accueillir simplement ce qu'ils peuvent dire de plus, mais ce qu'ils disent de plus, quant aux vérités qu'il fallait dire, et que nous aurions oubliées. Si nous n'avons négligé de dire que ce qu'il ne fallait pas dire, pourquoi leur accordez-vous votre admiration?

3. Mais, dira-t-on, si leur langage est le même, pourquoi les empêcher de parler ? C'est parce que, d'une manière hypocrite, ils introduisent des dogmes étrangers. Toutefois l'apôtre ne le dit pas encore, il ne donnera cette raison que plus tard; en s'exprimant ainsi, ils se déguisent en apôtres du Christ; en attendant, il prend les moyens les plus doux pour soustraire les disciples à leur autorité, non qu'il fut jaloux de leur puissance, mais par intérêt pour les fidèles. En effet, pourquoi n'empêche-t-il pas Apollon, personnage éloquent, versé dans la connaissance des Ecritures, d'enseigner la doctrine, pourquoi va-t-il jusqu'à promettre de l'envoyer? C'est qu'Apollon faisait servir sa science à défendre l'intégrité de la doctrine; les autres faisaient le contraire. Voilà pourquoi l'apôtre leur fait la guerre, et blâme les disciples épris d'admiration pour eux, pourquoi il leur dit: si nous avons oublié quelqu'une des vérités qui devaient être dites, si ces gens-là ont complété ce que nous avions laissé défectueux, nous ne vous empêchons pas de vous appliquer à leur enseignement; mais si tout l'édifice a été construit par nous, si nous n'avons rien omis, d'où vient que ceux-là se sont emparés de vos esprits? De là, ce qu'il ajoute : " Mais je ne pense pas avoir été inférieur en rien aux plus grands d'entre les apôtres (5) ".

Ici ce n'est plus avec les faux apôtres qu'il se compare, mais avec Pierre, avec les autres apôtres. Si ces gens-là savent quelque chose de plus que moi, ils savent aussi quelque chose de plus que ces grands apôtres. Et voyez encore ici avec quelle mesure Paul s'exprime. Il ne dit pas : les apôtres n'ont rien dit de plus que moi ; comment s'énonce-t-il : " Je ne pense " pas ", c'est mon sentiment que je ne suis en rien dépassé par les plus grands apôtres. Il pouvait paraître au-dessous des autres apôtres, parce que ceux-ci, l'ayant précédé dans la prédication, avaient un plus grand nom, s'étaient acquis plus de gloire ; les adversaires de Paul voulaient s'introduire dans leurs rangs; de là ce que dit l'apôtre en se comparant aux anciens avec une parfaite convenance. C'est pourquoi il les cite avec les éloges qui leur sont dus, et il ne se contente pas de dire : je ne suis pas inférieur aux apôtres; mais " aux plus grands d'entre les apôtres ", montrant par là Pierre et Jacques, et Jean.

" Si je suis peu instruit pour la parole, il n'en est pas de même pour la science (6) ". La supériorité de ceux qui corrompaient les Corinthiens consistait en leur science de la parole, et l'apôtre tient à montrer que, loin de rougir de son peu d'instruction sur ce point, il s'en glorifie au contraire. Il ne dit pas : si je suis peu instruit pour la parole, il en est de même aussi de ces grands apôtres ; on eût pu voir dans cette manière de parler, un outrage aux apôtres, un éloge pour les beaux diseurs; Paul rabaisse leur mérite, leur sagesse extérieure. Dans sa première lettre, il s'attache fortement à montrer que cette science de parole, non-seulement ne sert en rien à la prédication, mais obscurcit la gloire de la croix. " En effet ", dit-il, " je suis venu vers vous sans les discours élevés de l'éloquence et de la sagesse humaine, pour ne pas rendre vaine la croix de Jésus-Christ" (I Cor. XI, 1, et I, 17); et bien d'autres protestations du même genre prouvent la plus grande grossièreté en fait de connaissances humaines ; ce qui est pour les hommes le comble de la grossièreté.

Donc quand il. fallait se comparer avec quelqu'un relativement aux grandes choses, il se (141) comparait aux apôtres; quand il ne fallait que s'expliquer sur une prétendue infériorité, il ne procédait plus de même; on le voit alors s'attacher à ce qu'on attaque, et prouver que ce que l'on prend pour un désavantage est au contraire un avantage réel. Quand aucune nécessité ne le presse, il se nomme le dernier des apôtres, il se déclare indigne de porter ce titre; mais aussi, dans d'autres circonstances, il affirme qu'il n'a été inférieur en rien aux plus grands des apôtres. C'est qu'il savait bien que ces paroles seraient de la plus grande utilité pour les disciples. Aussi ajoute-t-il : " Mais nous nous sommes montrés à découvert parmi vous, en toutes choses ". Il faut voir ici une nouvelle accusation contre les faux apôtres qui usaient de dissimulation. Il avait déjà déclaré en parlant de lui-même qu'il ne prenait pas de masque, qu'il n'y avait ni esprit de fraude, ni amour du gain dans sa prédication. Au contraire, les personnages dont il parle, étaient autres en réalité qu'en apparence; mais l'apôtre ne leur ressemblait pas. Aussi le voit-on partout se féliciter de ne rien faire pour une gloire humaine, de ne rien cacher de ses actions. Il disait aussi auparavant : " C'est par la manifestation de la vérité que nous nous recommandons à toute conscience d'homme " (II Cor. IV, 2) ; et maintenant c'est la même pensée qu'il exprime : " Nous " nous sommes montrés à découvert parmi " vous, en toutes choses ". Or qu'est-ce que cela veut dire? Nous avons peu d'instruction, dit-il, et nous ne nous en cachons pas; nous recevons de quelques-uns, et nous ne gardons pas le silence. Donc, nous recevons de vous, et nous n'affectons pas de ne rien recevoir, comme font ceux-ci qui reçoivent; nous rendons tout manifeste à vos yeux. Langage d'un homme rempli de confiance pour ceux à qui il s'adresse, et qui ne dit rien que de vrai. Ce qui fait qu'il les prend eux-mêmes à témoin, et maintenant en leur disant, " parmi vous ", et auparavant quand il leur écrivait : " Je ne vous écris que des choses dont vous reconnaissez la vérité, ou après les avoir lues ". (II Cor. I, 13.)

Ensuite, après s'être justifié, il ajoute sévèrement : " Est-ce que j'ai fait une faute, en m'abaissant moi-même, afin de vous élever (7) ? " Pensée qu'il explique ainsi . " J'ai dépouillé les autres églises, en recevant d'elles l'assistance, pour vous servir (8) ". C'est-à-dire, je me suis trouvé dans la gêne; car c'est là le sens de " m'abaissant moi" même ". Est-ce donc là ce que vous avez à me reprocher? et vous vous élevez contre moi, parce que je me suis abaissé moi-même, parce que j'ai mendié, j'ai été pauvre, j'ai souffert de la faim pour vous élever ? Mais comment ceux-ci étaient-ils élevés, pendant que Paul était dans la pauvreté? Ils n'en étaient que plus édifiés, ils n'y trouvaient aucun sujet de scandale. C'était par où ils méritaient le plus d'être accusés, c'était la marque la plus honteuse de leur faiblesse, que l'impossibilité où se trouvait l'apôtre de les relever, s'il ne commençait pas par se rabaisser lui-même. Est-ce donc là ce que vous me reprochez, que je me suis soumis à l'abaissement? Mais c'est de cette manière que vous avez été élevés. Il a dit d'abord que ses adversaires lui reprochaient de paraître méprisable vu de près, de n'avoir de fierté qu'à distance ; il se justifie donc, et en même temps il fustige ses détracteurs: c'est pour vous, leur dit-il, que "j'ai dépouillé les autres églises ". Dès ce moment, il prend le ton du reproche, mais ce qui précède rend ce reproche plus facile à supporter. Il a dit en effet : supportez un peu mon imprudence, et, avant toutes ses autres bonnes oeuvres, c'est de son désintéressement qu'il se glorifie. C'est en effet ce que le monde aime surtout, et c'est aussi de quoi se vantaient ses adversaires. Aussi l'apôtre ne parle-t-il pas d'abord des périls qu'il a bravés, des signes miraculeux qu'il a fait paraître; il parle d'abord de son mépris pour l'argent, puisqu'ils s'enorgueillissaient au même titre : en même temps l'apôtre fait entendre qu'ils sont riches.

4. Ce que Paul a d'admirable, ici, c'est qu'au lieu de dire, comme il pouvait le faire, que ses mains le nourrissaient, il ne le dit pas; il tourne sa phrase de manière à les faire rougir sans chanter ses louanges : j'ai reçu des autres, voilà ce qu'il exprime. Et il ne dit pas j'ai reçu, mais : " J'ai dépouillé ", c'est-à-dire, j'ai mis à nu, je les appauvris. Et, ce qui est plus fort, ce n'est pas pour se procurer l'abondance, mais pour s'assurer du nécessaire; l'assistance dont il parle, marque la nourriture nécessaire. Et, ce qui est plus grave : " Pour vous servir ". C'est à vous que nous prêchons, c'est de vous que je devais recevoir ma nourriture, c'est des autres que je l'ai reçue. Double faute, triple faute plutôt : il était (142) auprès d'eux, c'était pour eux qu'il travaillait, il manquait de la nourriture qui lui était nécessaire, et ce sont les autres qui la lui ont fournie. Assurément ceux qui le nourrissaient étaient de beaucoup supérieurs à ceux qui le laissaient sans aliments. Lâche indolence d'un côté ; zèle de l'autre; tandis qu'on envoyait de bien loin de quoi suffire aux besoins de l'apôtre, ceux qui l'avaient auprès d'eux ne le nourrissaient pas.

Ensuite, après les avoir vivement réprimandés, il adoucit ce que le reproche a de trop vif, il dit : " Et lorsque je demeurais parmi vous, et que j'étais dans la nécessité, je n'ai été à charge à personne (9) ". Il ne dit pas en effet : Vous ne m'avez rien donné, mais, je n'ai rien reçu. Il les ménage encore; toutefois, même dans la réserve de son langage, il les frappe à la dérobée. Car ces paroles : " Lorsque je demeurais parmi vous " sont fort expressives, de même que : " et que j'étais dans la nécessité " ; et pour qu'on ne lui réponde pas, eh bien ! après, si vous aviez de quoi vous suffire? il dit : " Et que j'étais dans la nécessité, je n'ai été à charge à personne ". Maintenant il y a encore ici un petit coup donné à ceux qui se refusaient à une contribution de ce genre, qui la regardaient comme une charge. Vient ensuite ce qui explique comment il n'a pas été à leur charge, et l'explication est un grave reproche et bien fait pour exciter leur amour-propre jaloux. Aussi ne fait-il pas, de cette explication, son objet principal ; c'est un accessoire pour montrer comment et par qui il a été nourri, et il pourra ainsi , sans qu'on s'en doute, provoquer l'ardeur pour l'aumône. " Mes besoins ", dit-il, " ont été "satisfaits par nos frères venus de Macédoine ". Voyez-vous cette manière de les piquer au vif, en parlant de ceux qui l'ont assisté? Il a commencé par leur inspirer le désir de savoir quelles personnes l'avaient secouru, quand il a dit : " J'ai dépouillé les autres églises ", et maintenant il dit leurs noms; ce qui était fait pour exciter à l'aumône ceux qui l'écoutaient. Ils s'étaient laissé vaincre en ne pensant pas à nourrir l'apôtre, et il leur fait sentir qu'on ne doit pas se laisser vaincre quand il s'agit de secourir les pauvres. Il écrit à ces mêmes Macédoniens: " Vous m'avez envoyé deux fois de quoi satisfaire à mes besoins, quand j'ai commencé la prédication de l'Evangile " ; (Philipp. IV, 16 et 15) c'était une gloire insigne pour eux d'avoir ainsi fait, dès les premiers jours, briller leur vertu. Maintenant remarquez bien, partout il n'est question que des nécessités, nulle part de richesses superflues. Donc en disant : " Lorsque, je demeurais parmi vous, et que j'étais dans la nécessité ", il montre assez que les Corinthiens auraient dû le nourrir; en disant : " Mes besoins ont été satisfaits ", il montre qu'il n'a rien demandé. Il évite ici de donner la vraie raison. Quelle raison donne-t-il ? à savoir que d'autres l'avaient assisté. " Mes besoins ", dit-il, " ont été satisfaits par nos frères venus ". Voilà pourquoi, dit-il, " je n'ai été à charge à personne " parmi vous; ce n'est pas que je n'eusse point de confiance en vous. Par cette manière de parler, il n'en dit pas moins ce qu'il veut dire; la suite rend sa pensée manifeste; il ne l'exprime pas à découvert, il la recouvre d'une ombre, l'abandonnant à la conscience de ceux qui l'écoutent. Il parle encore à mots couverts dans ce qu'il ajoute aussitôt après : " Et j'ai pris garde à ne vous être à charge en quoi que ce soit, comme je ferai encore à l'avenir ". N'allez pas vous imaginer, leur dit-il, que ce que j'en dis , c'est pour recevoir quelque chose. Le " comme je ferai encore à l'avenir " est mordant, s'il entend par là qu'il n'a pas encore de confiance en eux, qu'il a désespéré une fois pour toutes de rien recevoir d'eux. Il leur montre qu'ils le considéraient comme une charge; voilà pourquoi il leur dit : " J'ai pris garde à ne vous être à charge en quoi que ce soit, comme je ferai encore à l'avenir". Il exprimait la même pensée dans la première épître : " Je ne vous écris point ceci, afin qu'on en use ainsi envers moi, car j'aimerais mieux mourir que de voir quelqu'un me faire perdre cette gloire ". (I Cor. IX, 15.) Et ici de même : " J'ai pris garde à ne vous être à charge en quoi que ce soit, comme je ferai encore à l'avenir".

Ensuite il ne veut pas que ces paroles puissent être considérées comme un moyen pour lui, de se concilier leur faveur ; il leur dit " J'ai la vérité de Jésus-Christ en moi". Cardez-vous de croire que ce que je vous dis, c'est pour recevoir quelque chose, pour vous attirer à moi davantage. " J'ai la vérité de Jésus-Christ en moi, et je vous assure qu'on n'arrêtera point le cours de ma gloire dans les terres de l'Achaïe (10) ". Il ne vent pas non plus qu'on s'imagine que c'est pour (143) lui un sujet de chagrin, que c'est la colère qui le fait parler; et ce qui lui arrive, il le montre comme un titre de gloire. Dans la première épître, même affirmation. Là, pour ne pas les blesser, il dit : " Quel est donc mon salaire? de prêcher gratuitement l'Evangile de Jésus-Christ". (I Cor. IX, 18.) Ce qu'il appelle salaire dans cette épître, il l'appelle maintenant ici un titre de gloire, afin que ceux qui l'écoutent n'aient pas trop à rougir de ne rien accorder à ses demandes. Car si vous me donniez, que s'ensuivrait-il ? Je ne veux rien recevoir. Quant à l'expression : " On n'arrêtera point le cours de ma gloire ", c'est une image prise des cours d'eau ; sa gloire se répandait partout, parce qu'il ne recevait rien. Vous ne mettrez pas par vos dons une digue à ma liberté. Mais il ne dit pas : Vous n'arrêterez pas..., l'expression eût été choquante ; il dit : " On n'arrêtera point " le cours de ma gloire dans tes terres de " l'Achaïe ". Mais c'était encore leur porter un coup bien sensible, que de parler de la sorte; c'était les remplir de confusion et de chagrin ; ils étaient donc les seuls auxquels il répondît par des refus. Si c'était pour lui un titre de gloire, ce devait être partout un titre de gloire; si je ne me glorifie de mes refus qu'en ce qui vous concerne vous seuls, c'est probablement à cause de votre faiblesse.

Ces considérations auraient pu les attrister, l'apôtre prévient cette tristesse : voyez comment il adoucit son langage. " Et pourquoi ? Est-ce que je ne vous aime pas? Dieu le sait (11) ". Il se hâte d'arriver à la solution, dé les délivrer de toute peine. Toutefois , même de cette manière, il ne les met pas hors de cause. Il ne leur dit pas, c'est que vous êtes faibles, ni, c'est que vous êtes forts; mais, c'est que je vous aime, et c'était là ce qui chargeait le plus l'accusation. Il donnait une grande marque de son amour pour eux, en ne recevant rien d'eux, après les avoir vivement réprimandés.

5. L'amour donc lui faisait tenir deux conduites opposées : il recevait et il ne recevait pas; or, cette opposition provenait des dispositions contraires de ceux qui donnaient. Et il ne leur dit pas : Ce qui tait que je ne reçois rien de vous, c'est que j'ai une vive affection pour vous; comme il vient d'accuser leur faiblesse, et de les confondre, il donne de sa conduite une autre explication. Quelle est elle? " C'est afin de retrancher une occasion à ceux qui veulent une occasion de se glorifier, en faisant comme nous (12) " . Ils cherchaient un prétexte qui devait leur être enlevé. C'était là, en effet, pour eux, le seul motif de se glorifier. Il fallait donc leur enlever cet avantage, les corriger sur ce point, car, pour le reste, leur infériorité était notoire. Rien, comme je l'ai déjà dit, n'édifie tant les mondains que la position d'un homme qui ne reçoit rien. Aussi le démon n'écoutant que sa perversité, leur avait surtout jeté cette amorce, afin de leur nuire par d'autres moyens. Je ne vois là que de l'hypocrisie. Aussi l'apôtre ne dit pas: une occasion de pratiquer la perfection de la vertu, mais que dit-il? " De se glorifier ". Par ces paroles, l'apôtre se raillait de leur arrogance; car ils se glorifiaient même des vertus qu'ils n'avaient pas. L'homme bien doué non-seulement ne se glorifie pas de ce qu'il ne possède pas, mais il ne se reconnaît même pas celles qu'il possède. Telle était la conduite de notre bienheureux Paul, telle était celle du patriarche Abraham, disant : " Je ne suis que terre et que cendre.". (Gen. XVIII, 27.) Ce saint homme ne trouvant en lui aucun péché, brillant de toutes les vertus, avait beau s'examiner, impossible à lui de découvrir un titre pour s'accuser lui-même, et il était obligé de se rabattre sur sa nature; et trouvant le mot de terre encore trop respectable, il y joignait le mot cendre. D'où vient qu'un autre disait aussi : " Qui donne de l'orgueil à la terre et à la cendre ? " (Eccli. 9, X.)

Ne me vantez plus l'éclat de ce teint vermeil, ni cette tête si fièrement levée, ni la distinction des vêtements, ni les coursiers, ni les cortéges : quelle est la fin où tendent tous ces avantages, au bout de toute chose mettez cette fin. Si vous me parlez des choses visibles, je vous objecterai les peintures qui les surpassent de beaucoup en éclat; et comme nous n'admirons pas les peintures, parce que nous voyons que toute leur essence n'est que de la boue, de même n'admirons pas les splendeurs de la vie, car il n'y a là encore que de la boue. Avant même la décomposition, la réduction en poussière, montrez-la moi, cette noble tête, montrez-moi ce fiévreux qui râle; et alors causons ensemble, et je vous demande ce qu'est devenu toute cette pompe. Où est-elle passée toute cette année de flatteurs, de (144) serviteurs, d'esclaves, et cette abondance, et cette opulence, et tant de possessions? Quel coup de vent a tout emporté? Mais, dira-t-on , même sur le lit où il est étendu, ce riche porte les marques de son luxe, de magnifiques étoffes le recouvrent, pauvres et riches escortent ses funérailles, où se mêlent les bénédictions des peuples. Voilà surtout en quoi consiste la dérision; quoi qu'il en soit, tout cela c'est la fleur qui passe. Une fois que nous aurons de nouveau franchi le seuil des portes de la ville, après avoir livré le corps aux vers, et que nous serons de retour, je veux vous demander encore où s'en est allée cette grande multitude , ce qu'est devenu ce concert de clameurs, ce tumulte; et ces torches, qu'en a-t-on fait? Où sont ces choeurs de femmes? Est-ce que tout cela n'est qu'un songe? Et ces cris, où sont-ils? Et que font-elles maintenant toutes ces bouches vociférant avec un grand bruit, et conseillant la confiance, parce que la mort n'est rien? Certes, ce n'est pas lorsqu'un homme ne les entend plus, qu'il faut lui dire ces choses; mais quand il se livrait aux rapines, à la passion d'amasser, c'était alors qu'il fallait , en modifiant un peu les paroles, lui dire : pas de confiance, parce que rien n'échappe à la mort; réprime ta fureur insensée, éteins ta cupidité. Ce mot, confiance, il faut le dire à celui qui souffre l'injustice.

De telles paroles, en ce moment, pour ce mort, c'est un ménagement plein d'ironie; il n'a plus de sujet maintenant d'éprouver de la confiance, il n'a plus qu'à craindre, qu'à trembler. Mais s'il est désormais inutile de dire ces choses à ce malheureux sorti du stade de la vie, que ceux qui sont malades comme il l'était, que les riches qui l'accompagnent à sa sépulture, entendent la vérité. Si, jusqu'à ce moment, l'enivrement des richesses les a empêchés de concevoir des pensées sérieuses, qu'à cette heure au moins, quand la vue de ce mort confirme nos paroles, ils reviennent à la sagesse, qu'ils s'instruisent, qu'ils considèrent qu'on viendra bientôt les chercher, eux aussi, pour les conduire au tribunal où se rendent les comptes redoutables, où il leur faudra expier leurs rapines , leur cupidité que rien ne rassasiait. Et à quoi bon ces réflexions pour les pauvres? me répondra-t-on. C'est un très-grand plaisir pour la foule de voir le châtiaient de celui qui commet l'injustice; ruais, pour nous, ce n'est pas un plaisir : notre plaisir à nous, c'est d'être hors des atteintes du mal. Je vous loue vivement, et je vous félicite de ces dispositions, vous faites bien de ne pas vous réjouir des malheurs d'autrui,.de ne regarder comme un bonheur que votre propre sécurité. Eh bien ! cette sécurité, je vous la promets. Quand les hommes nous font du mal, nous nous libérons d'une partie considérable de notre dette, en supportant courageusement ce qui nous arrive. Nous n'éprouvons, à coup sûr, aucun dommage : Dieu nous tient compte de la vexation qui nous est faite, c'est autant de payé sur ce que nous lui devons, et ce n'est pas sa justice qui fait le calcul, mais son amour pour nous. Voilà pourquoi il n'est pas descendu au secours de celui à qui l'on fait du mal. Où est votre preuve ? me dit-on. Les Babyloniens ont fait du mal aux Juifs, Dieu ne s'y est point opposé, et l'on a emmené en servitude les enfants et les femmes. Eh bien ! après cette captivité, qui leur a été comptée comme une expiation de leurs fautes, ce peuple a été consolé. De là ces paroles inspirées par Dieu à Isaïe : " Consolez, consolez mon peuple, ô prêtres; parlez au coeur de Jérusalem , elle a reçu de la main du Seigneur des peines doubles de ses péchés " (Isaïe, XL, 1, 2); et encore : " Donnez-nous la paix, car vous nous avez tout rendu ". (Ibid. XXVI, 12.) Et David dit : " Voyez mes ennemis qui se sont multipliés, et remettez-moi tous mes péchés ". (Ps. XXIV, 19, 18.) Et quand Seméï l'outrageait , David résigné disait : " Laissez-le faire, afin que le Seigneur voie mon humiliation , et me donne la rémunération en échange de ce jour ". (II Rois, XVI, 11, 12.) Car lorsque Dieu ne venge pas les injures qu'on nous fait, c'est alors que nous faisons le plus de profits; il nous compte pour vertu notre résignation qui le bénit.

6. Donc, lorsque vous voyez un riche ravissant le bien d'un pauvre, ne vous occupez pas de celui à qui l'on fait du tort, pleurez sur le ravisseur. Le pauvre se purifie de ses souillures, le riche se souille. C'est ce qui arriva au serviteur d'Elisée avec Naaman. (IV Rois, V.) Car si ce serviteur ne ravit point, il consentit à recevoir frauduleusement; en cela consistait sa faute. Qu'y a-t-il gagné ? une faute de plus, et avec cette faute, la lèpre ; celui à qui on faisait du tort, y trouvait son profit; et celui qui faisait du tort, éprouvait les plus grands maux. C'est aujourd'hui l'histoire de (145) l'âme; et cela s'étend si loin que souvent le mal éprouvé suffit seul pour rendre Dieu propice: celui à qui l'on fait du mal a beau être indigne d'assistance, l'excès de. son malheur suffit pour lui attirer le pardon de Dieu, pour décider Dieu à se porter son vengeur. De là, ces paroles adressées autrefois par Dieu à des barbares à qui il avait confié sa vengeance : " Je ne les avais envoyés que pour un léger châtiment, et ils ont ajouté beaucoup de maux de leur, chef.". (Zach. I, 15.) Et voilà pourquoi ils souffriront des maux sans remèdes. Non, non, il, n'est rien qui excite autant la colère de Dieu que la rapine, la violence, l’insatiable cupidité. Pourquoi ? parce que rien n'est plus facile que de s'abstenir de ce péché. Il n'y a pas là un désir naturel; ce désordre n'est que le fruit de notre indolence. Pourquoi donc l'apôtre l'appelle-t-il la racine de tous les maux? Je dis comme lui, mais ne l'imputons qu'à nous mêmes, cette racine; et non à la nature. Si vous le voulez, établissons la comparaison : voyons quelle est la plus tyrannique, de la cupidité ou de la concupiscence ; la passion qui sera convaincue d'avoir abattu les grands hommes, c'est la plus funeste. Voyons donc quel grand homme a été la proie de la cupidité ! Il n'en est aucun; nous ne trouvons que des êtres misérables, abjects, un Giézi, un Achab de Juda, les prêtres des Juifs. Mais la concupiscence, elle a triomphé du grand prophète David. Ces paroles q ne je prononce ne tendent. pas a excuse ceux qui se laissent prendre par cette passion, mais bien plutôt à les rendre vigilants. Quand je montre la. grandeur de ce mal, je montre combien l'indolence ne mérite aucune excuse. En effet, si vous ignoriez ce que c’est que cette bête féroce , vous pourriez chercher auprès d'elle votre refuge ; mais si, quand vous la connaissez, vous allez tomber sous ses coups, vous ne sauriez rien dire pour vous, justifier: Après David,.son. fils y succomba. plus encore. Certes, pourtant nul ne le surpassa jamais en sagesse; il fut, orné en outre de toutes les vertus; cependant il fut tellement la proie de cette passion, qu'elle lui fit de mortelles blessure. Le père se releva de la chute, renouvela ses combats, reconquit sa couronne ; le fils ne nous montre pas le même spectacle. Aussi Paul disait : " Mieux vaut se marier, que de brûler " ( I Cor. VII, 9) ; et le Christ : " Qui peut comprendre ceci, le comprenne. " (Matth. XIX, 12.) Pour les richesses , il n'en est pas de même ; mais : " Quiconque aura quitté ses biens, recevra le centuple ". (Ibid. 29.)

Mais comment donc, objecterez-vous, a-t-il pu dire. des riches, qu'ils obtiendront difficilement le royaume des cieux? (lbid. 23.) Ces paroles sont faites pour laisser soupçonner ce qu'il y a en eux de mollesse; les richesses n'exercent pas un empire tyrannique, mais les riches s'obstinent à y demeurer asservis. C'est ce que démontre le conseil de Paul. Pour détourner de la cupidité, il dit : "Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation ". (I Tim. VI, 9.) A propos de la concupiscence,.il ne tient pas le même langage; après une courte séparation du consentement mutuel du mari et de la femme, il les avertit de se rapprocher. Il. redoutait les flots d'une passion débordée, il redoutait un naufrage sinistre: Cette passion a plus de violence que la colère même : la colère est impossible en l'absence de tout objet qui l'excite ; mais la concupiscence s'éveille même en l'absence de la beauté qui provoqué les désirs. Voilà pourquoi l'apôtre ne condamne pas d'une manière absolue cette passion ; il ajoute qu'il ne faut pas y céder " sans cause " ; ce n'est pas le désir même qu'il supprimé, mais le désir quand il est coupable. " A cause de la concupiscence", dit-il, " que chaque homme possède sa femme à lui ". (I Cor, VII, 2.)

Mais, pour ce qui est de thésauriser, l'apôtre n'admet pas la distinction de cause et de sans cause. Les passions utiles ont été misés en nous par la nature; les désirs des sens répondent à la procréation des enfants; la colère est un secours pour ceux qui souffrent de l'injustice; le désir des richesses ne répond à aucune nécessité. Ce n'est donc pas une passion naturelle. C'est pourquoi s'il vous arrive d'être vaincus par ce mal, votre défaite sera d'autant plus honteuse. Voilà pourquoi Paul, qui permet jusqu'à un second mariage, est si rigoureux .en ce qui concerne les richesses "Pourquoi ", dit-il , " ne souffrez-vous pas plutôt, qu'on vous fasse tort? pourquoi ne consentez-vous pas plutôt à perdre? " (I Cor. VI, 7.) Sur la virginité il dit : " Je n'ai point, reçu de commandement du Seigneur ; et je vous dis ceci pour votre utilité, non pour vous tendre un piège " ( I Cor. VII, 25, 35) ; mais c'est un autre langage, s'i1 vient à parler d'argent : " Ayant de quoi nous couvrir, et de (146) la nourriture, contentons-nous-en". (I Tim. VI, 8.) Comment donc se fait-il, dira-t-on, que le grand nombre succombe à cette passion ? C'est qu'on n'est pas préparé à la combattre , comme on l'est à repousser l'impudicité, la fornication; si la cupidité paraissait un mal aussi funeste , on ne s'y laisserait pas prendre si vite. Ces vierges malheureuses de l'Ecriture ont été bannies de la chambre de l'époux parce qu'après avoir terrassé leur plus redoutable ennemi , elles s'étaient laissé vaincre par le plus faible, par un ennemi sans force. On peut aussi ajouter à ces réflexions qu'un homme qui triomphe de la concupiscence, et dont triomphe la cupidité, cet homme bien souvent n'a pas même à triompher de la concupiscence; il doit à la nature de ne pas être troublé de ce côté-là, car nous n'y sommes pas tous également portés.

C'est pourquoi, instruits de ces vérités, ayant toujours devant les yeux l'exemple des vierges, fuyons l'avarice, cette redoutable bête féroce. Si leur virginité ne leur a servi de rien, si, après tant de fatigues, tant de sueurs, elles se sont perdues par leur amour pour l'argent, qui nous sauvera, nous, dans le cas où nous succomberions à cette passion? Aussi je vous conjure de tout faire afin que vous vous débattiez si vous vous êtes laissé prendre. Sachons rompre ces affreux liens. C'est ainsi que nous pourrons parvenir au ciel, et obtenir les biens infinis : puissions-nous tous entrer dans ce partage , par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au, Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

HOMÉLIE XXIV. CAR CE SONT DE FAUX APÔTRES, DES OUVRIERS TROMPEURS, QUI SE TRANSFORMENT EN APÔTRES DE JÉSUS-CHRIST. (XI, 13, JUSQU'À 20.)
Analyse.

1 . Sur les faux apôtres.— Grandes précautions que prend Paul, lorsqu'il est forcé de parler avantageusement de lui-même ; pourquoi, et dans quelle intention, il se glorifie des avantages qui sont selon la chair.

2. De la tyrannie exercée par les faux apôtres.— Reproches de Paul à ceux qui les supportent.

3. Dans quelles circonstances il est permis de parler de soi avec éloge : exemples de l'Ecriture qui prouvent que c'est quand des paroles de ce genre tournent à l'édification du prochain.

4. Combien la jalousie est funeste.— Vices qu'elle engendre.— Contre le luxe, contre l'amour de la gloire, contre la servitude des passions qui semblent les plus fières.— C'est la gloire à venir qu'il faut rechercher.

1. Que dites-vous? ceux qui prêchent Jésus-Christ, qui ne veulent pas recevoir d'argent, qui n'enseignent pas un Evangile différent, ce sont de faux apôtres? Oui, dit-il, et surtout parce que tout ce qu'ils font n'est qu'une comédie, afin de tromper. " Des ouvriers trompeurs ". Ils travaillent à la vérité, mais c'est pour arracher ce qui avait été planté. Ils savent ce à quoi ils sont forcés pour se faire accepter, ils prennent le masque de la vérité, et par ce moyen, ils jouent leur comédie au profit de l'erreur. Il est vrai, dit-il, qu'ils n'acceptent pas d'argent; mais c'est pour recevoir davantage, c'est pour perdre les âmes. Ou plutôt, leur prétention même est un mensonge; ils savaient fort bien percevoir sans qu'on pût (147) s'en apercevoir; c'est ce que l'apôtre montre clans ce qui suit. Il a déjà insinué ce fait, en disant : " A ceux qui se glorifient de faire comme nous " ; nous le verrous ailleurs exprimer sa pensée sur le même objet avec plus de clarté en ces, termes : " Qu'on vous mange, qu'on vous prenne, qu'on vous traite avec hauteur, vous souffrez cela (20) ". Quant à présent, il attaque les faux apôtres d'une autre manière, il dit d'eux : " Qui se transforment". Ils n'ont qu'un masque, ce n'est lue la peau de la brebis qui les recouvre. " Et l'on ne doit pas s'en étonner, puisque Satan même se transforme en ange de lumière. Il n'est donc pas étrange que ses ministres aussi se transforment en ministres de la justice (14,15) ". S'il faut s'étonner de quelque chose, c'est du pouvoir de Satan,; mais ce que font ceux-ci n'a pas de quoi surprendre. Leur maître ose tout; il n'y a rien !d'étonnant à ce que ses disciples suivent son exemple. Maintenant que signifie " ange de lumière? " C'est un ange qui a la liberté de parler à Dieu, et qui se tient auprès de Dieu. Il faut savoir qu'il y a aussi des anges de ténèbres, des anges du démon, anges de la nuit, anges féroces. Le démon a trompé un grand nombre d'hommes, en se transformant, sans devenir pour cela un ange de lumière. De même ces gens-là se promènent sous un masque d'apôtres, sans en avoir la vertu qui n'est pas en leur puissance.

Rien n'appartient autant à la nature du démon que d'agir par ostentation. Mais que signifie : " Ministres de la justice? " C'est ce que nous sommes , nous qui vous prêchons l'Evangile où est contenue la justice. Ou c'est là ce que dit l'apôtre, ou il signifie que les ministres de l'Evangile se sont acquis la réputation d'hommes justes. Comment donc les reconnaîtrons-nous? Par leurs oeuvres selon la parole du Christ. Aussi est-il forcé d'établir le parallèle entre ses bonnes oeuvres et leur perversité, afin que la comparaison mette en évidence les intrus. Au moment d'entreprendre encore son éloge, il commence parles accuser, afin de montrer qu'il est contraint par son sujet, afin qu'on ne l'accuse pas de parler de lui-même, et il dit : " Je vous le dis encore une fois (16) ". Il a déjà eu recours à une foule de précautions. C'est égal, il ne me suffit pas de ce que je vous ai déjà dit, mais je vous le dis encore une fois, afin que l'on ne me regarde pas comme un insensé. Ces gens-là n'avaient qu'une occupation, c'était de se glorifier sans aucun motif. Considérez comment l'apôtre, chaque fois qu'il entreprend son propre éloge, prélude avec circonspection. C'est une action insensée, dit-il, que de se glorifier; mais moi je ne le fais pas à la manière des insensés, j'y suis forcé. Si vous ne me croyez pas, si même en reconnaissant la nécessité qui me presse vous me condamnez, eh bien ! je n'en persisterai pas moins. Voyez-vous comme il montre l'impérieuse nécessité qui le contraint de parler? S'il ne reculait pas devant le soupçon d'être un insensé qui se vante, considérez quelle violente nécessité de parler lui était imposée, quel effort il faisait, quelle contrainte . il subissait. Cependant il s'exprime encore avec mesure. Il ne dit pas : Afin que je me glorifie. Au moment de se glorifier un peu, il a encore recours à une précaution préliminaire; il dit : " Ce que je dis, je ne le dis pas selon Dieu; mais je fais paraître de l'imprudence, dans ce que je prends pour un sujet de me glorifier (17) ".

Voyez de combien il s'en faut que se glorifier soit conforme à la loi du Seigneur. " Lorsque vous aurez tout accompli ", dit le Seigneur, "dites-vous : nous sommes des serviteurs inutiles ". (Luc, XVII, 10.) Mais, si l'action en elle-même n'est pas conforme à la loi du Seigneur, elle le devient par l'intention qui la produit. Aussi l'apôtre s'exprime-t-il ainsi : " Ce que je dis... " ce n'est pas l'intention qu'il reprend, mais seulement les paroles. Son but est assez élevé pour rehausser les paroles mêmes. De même que l'homicide est le plus grand des crimes, mais souvent l'intention l'a rendu méritoire; de même que la circoncision n'est pas conforme à la loi du Seigneur, mais l’intention l'a rendue telle; de même pour ce qui est de se glorifier. Mais pourquoi l'apôtre ne présente-t-il pas avec toute cette précision les considérations qui l'excusent? C'est qu'il est pressé, qu'il a un tout autre but, ce n'est qu'en passant qu'il laisse échapper quelques mots accordés comme par grâce à ceux qui veulent le censurer; il, pense surtout à dire ce qui doit être utile. Les observations déjà faites par lui, étaient suffisantes pour éloigner de lui tout soupçon. " Mais je fais paraître de l'imprudente ". Il a commencé par dire : " Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence "; et maintenant il dit . " Je fais paraître de l'imprudence ". Plus il (148) avance, plus il donne de netteté à ses expressions. Ensuite comme il ne veut pas qu'on le prenne absolument pour un insensé, il dit " Dans ce que je prends pour un sujet de me glorifier ". En cela seulement, dit-il; c'est avec une restriction du même genre qu'il dit ailleurs " Afin que nous ne soyons pas confondus " ; il dit de même ici. " Dans ce que je prends pour un sujet de me glorifier ". Ailleurs il dit encore . " Est-ce selon la chair que je fais les desseins que je fais, de telle sorte que l’on trouve également en moi oui, oui; non, non?" et après avoir montré qu'il ne peut pas remplir toujours toutes les promesses qu'il faisait d'aller visiter les Eglises parce qu'il ne prend pas de résolutions selon la chair, pour empêcher qu'on ne soupçonnât aussi son enseignement d'inconstance et de variabilité, il dit : " Mais Dieu qui est véritable, m'est témoin qu'il n'y a point eu de oui et de non dans la parole que je vous ai annoncée ". (II Cor. I, 17,18.)

2. Voyez après combien de préliminaires il apporte encore d'autres motifs d'excuse; entendez-le ajoutant, disant : " Puisque plusieurs se glorifient selon la chair, je puis bien aussi me glorifier comme eux (18) ". Qu'est-ce que cela veut dire: " Selon la chair? " C'est-à-dire, de choses extérieures, de leur noblesse, de leurs ressources, de leur science, de ce qu'ils sont circoncis, de ce qu'ils ont pour ancêtres des Hébreux, de la gloire dont ils jouissent auprès de la multitude. Voyez l'adresse de Paul : il étale d'abord ces biens qui ne sont rien, pour amener le mot de folie qu'il met ensuite. S'il. y a de l'imprudence à se glorifier à propos des biens réels, à plus forte raison y en a-t-il à propos de ceux qui ne sont rien. Et c'est ce qu'il dit, " n'être pas conforme à la loi du Seigneur ". En effet, il ne sert à rien d'être Hébreu, ni de jouir d'autres avantages du même genre. N'allez donc pas vous imaginer que je considère ces titres comme des vertus; mais puisque ces gens-là s'en glorifient, je suis bien forcé d'établir là-dessus ma comparaison avec eux ; c'est ce que fait l'apôtre dans d'autres circonstances encore : " Si quelqu'un croit pouvoir prendre avantage de ce qui n'est que charnel, je le puis encore plus que lui ". (Philipp. III, 4.) L'apôtre parle ainsi à cause de ceux qui prenaient ainsi leurs avantages. Supposez un homme d'une brillante naissance, ayant embrassé la pratique de la sagesse, et qui enverrait d'autres enorgueillis de leur noble origine; pour rabaisser leur vanité, il serait forcé dé parler de l’illustration de sa race à lui, ce qu'il ferait non par désir de se vanter, mais afin de rappeler les autres à l'humilité. C'est ce que fait Paul. Ensuite, laissant de côté ces vaniteux, il ne s'attaque plus qu'aux Corinthiens.

" Vous souffrez sans peine les imprudents (19) ". C'est donc vous qui êtes cause de ces désordres, encore plus que ces faux apôtres. Si vous ne les supportiez pas, si le mal qu'ils vous font ne venait que d'eux, je n'aurais rien à dire; mais c'est votre salut qui m'inquiète, et je condescends à votre faiblesse : Voyez comme il mêle à la réprimande un éloge après avoir dit : " Vous souffrez sans peine les imprudents ", il ajoute: " étant vous-mêmes sages ". C'est de l'imprudence que de se glorifier pour de pareils sujets. Sans doute il pouvait les réprimander ouvertement, leur dire Ne supportez pas les imprudents; mais la réprimande, telle qu'il la formule, a plus d'éloquence. En s'y prenant autrement il eût paru ne les réprimander que parce qu'il était privé des mêmes avantages; au lieu qu'en se montrant, même au point de vue de ces avantages, supérieur à ses adversaires, et en disant qu'il dédaigne de pareils titres, ses paroles ont plus de force pour corriger. D'ailleurs, avant de commencer son éloge et d'entreprendre la comparaison qui lui donne la supériorité, il reproche aux Corinthiens la bassesse qui les courbe devant ces hommes.

Voyez comme il les raille : " Vous souffrez ", dit-il, " qu'on vous mange (20) ". Mais alors, ô Paul, comment avez-vous pu dire : " A. ceux qui se glorifient de faire comme nous? " Voyez-vous comme il les montre ne se faisant pas faute de recevoir, et non-seulement de recevoir, mais au-delà de toute mesure ? car c'est ce que signifie manger. " Qu'on vous asservisse ". Vos fortunes, dit-il, et vos personnes, et votre liberté, vous avez tout livré. Certes voilà qui est plus fort que de recevoir, ce n'est pas seulement de vos fortunes, mais de vos personnes mêmes qu'ils sont les maîtres. C'est ce qu'il fait voir auparavant par ces paroles : " Si d'autres usent de ce pouvoir à votre égard, pourquoi ne pourrions-nous pas, en user plutôt qu'eux? " (I Cor. IX, 12.) Vient ensuite ce qui est plus grave : " Qu'on vous traite avec hauteur ". Votre servitude est extrême, vos (149) maîtres n'ont pas la douceur en partage, ils sont insupportables, odieux. " Qu'on vous frappe au visage ". Voyez-vous ici encore l'excès de la tyrannie? Ce n'est pas qu'ils fussent frappés au visage, mais ils étaient couverts de mépris et d'outrages; de là ce que l'apôtre ajoute : " C'est à ma confusion que je le dis (21) ". On ne vous traite pas moins mat que ceux que l'on frappe au visage. Que peut-il y avoir de plus violent, de plus amer que cette domination qui vous prend vos fortunes, votre liberté, votre honneur, sans s'adoucir même en vous traitant de cette manière, qui ne vous laisse même pas la condition d'esclaves, mais abuse de vous en vous outrageant plus que l'on ne fait du misérable acheté à prix d'argent. " Comme si nous avions été faibles ". Il y a de l'obscurité dans l'expression. C'est que la vérité était désagréable à dire; il en dissimule l'odieux par l'obscurité des termes. Voici ce qu'il veut faire entendre. Ne pouvons-nous pas faire de même? Mais nous ne le faisons pas. Pourquoi donc les supportez-vous comme s'il nous était impossible d'en faire autant? Certes il faut vous reprendre de ce que vous, supportez des insensés; mais qu'en outre vous vous laissiez ainsi mépriser, piller, traiter avec hauteur, frapper de coups , c'est ce qui ne comporte aucune excuse, c'est ce que jamais la raison ne saurait admettre. Car voilà une étrange manière de tromper les hommes. Ordinairement les trompeurs font des largesses, adressent des flatteries; ceux-là au contraire, ils vous trompent, ils vous prennent ce que vous avez, ils vous outragent. D'où il suit que vous ne pourriez trouver une ombre d'excuse : à ceux qui s'abaissent eux-mêmes à cause de vous, afin que vous soyez élevés, vous répondez par vos mépris; et ceux qui s'élèvent eux-mêmes afin que vous soyez abaissés, vous les entourez de votre admiration. Ne pouvons-nous pas faire de même? Nous nous en gardons bien, nous ne nous proposons que votre intérêt. Ces hommes-là vous pillent, parce qu'ils ne se proposent que leur intérêt à eux. Voyez-vous comment la parfaite liberté de son langage conspire en même temps à leur donner des craintes? Si vous ne les honorez, dit-il, que parce qu'ils vous frappent, que parce qu'ils vous outragent, nous aussi nous. pouvons bien faire de même, vous asservir; vous frapper, vous traiter avec hauteur.

3. Comprenez-vous comment l'apôtre rend les fidèles uniquement responsables et de l'arrogance des faux apôtres et de ce qui paraissait de sa part, de l'imprudence? Ce n'est pas pour exalter ma gloire, c'est pour vous affranchir de votre arrière servitude que je me vois forcé de me glorifier un peu. Il ne faut pas se borner à examiner seulement les paroles, il faut aussi considérer l'intention. Samuel faisait de lui-même un grand éloge en sacrant Saül, quand il disait : " Quel est celui de vous à qui j'ai pris son âne, ou son veau, ou sa chaussure? Qui ai-je opprimé? " (I Rois, XII, 3.) Personne cependant ne l'accusait. Ce n'était pas pour se vanter qu'il parlait ainsi, mais au moment d'instituer un roi, il voulait, en ayant l'air de se justifier, enseigner à ce roi la douceur, la mansuétude. Et considérez la sagesse du prophète, ou plutôt la bonté de Dieu.

... Il voulait d'abord les détourner de prendre un roi. Que fait-il alors ? Il rassemble toutes les charges dont pourra les accabler le roi à venir, comme par exemple, qu'il forcera leurs femmes à tourner la meule, qu'il emploiera les hommes pour conduire ses troupeaux, pour avoir soin de ses mulets (le prophète se plaît à entrer dans le détail de tous les services dont s'entoure le faste de la royauté). Mais quand il voit que ses observations sont inutiles auprès du peuple, que la nation est atteinte d'un mal incurable, alors il compatit à sa faiblesse, et il modère le roi, et il s'efforce de le porter à la douceur. Voilà pourquoi il donne l'exemple de sa propre conduite en témoignage, car personne assurément ne réclamait alors contre lui, ni ne l'accusait; il. n'avait pas besoin de se justifier; ce n'est que pour porter le roi à bien faire, que Samuel parle de lui-même. Aussi, afin. de réprimer l'orgueil de la royauté, il ajoute: " Si vous écoutez le Seigneur, vous et votre roi ", tous les biens seront votre partage ; si, au contraire, vous ne l'écoutez pas, tout se tournera contre vous. Amos disait aussi : " Je n'étais ni prophète, ni fils de prophète, je n'étais que bouvier, me nourrissant de mûres. Et Dieu m’a pris". (Amos, VII, 14, 15.) Ce n'était pas pour se louer qu'il parlait ainsi, mais pour fermer la bouche à ceux qui ne voyaient pas en lui un prophète, pour leur montrer qu'il ne les trompait pas, que ses discours étaient inspirés. Un autre encore disait dans le même esprit : " Pour moi, j'ai été rempli de la force du: Seigneur, dans son esprit et dans sa vertu ". (Michée, III, 8.) (150) David aussi, quand il parlait de son ours ou de son lion (I Rois, XVII, 34), ne le faisait pas pour s'exalter, il se préparait à une couvre d'une admirable énergie. Comme on ne voulait pas croire qu'il triompherait du barbare, lui, nu, incapable de porter de lourdes armes, il était bien forcé de fournir des preuves de son courage viril. Et lorsqu'il coupa le bord du manteau de Saül (I Rois, XXIV, 5), ce n'était pas pour se glorifier qu'il dit les paroles qu'il fit entendre, mais pour détourner les affreux soupçons répandus contre lui, qu'il voulait tuer le roi. Donc il faut toujours considérer l'intention des paroles. Celui qui ne se propose que l'intérêt de ceux qui l'écoutent, même quand il se loue, ne doit pas être accusé; au contraire, il mérite une couronne; ce serait, s'il gardait le silence, qu'il mériterait d'être accusé. Si David eût gardé le silence en face de Goliath, on ne lui aurait pas permis de se mesurer avec lui, et il n'aurait pas remporté ce glorieux trophée. David, on n'en peut douter, ne parle que parce qu'il y est forcé, et ce n'est pas à ses frères, mais au roi; ses frères ne l'auraient pas voulu croire ; la jalousie leur fermait les oreilles. Voilà pourquoi, sans songer à ses frères, il ne s'adresse qu'au roi, que l'envie ne travaillait pas encore.

4. Affreux mal que l'envie, mal affreux, et qui va jusqu'à nous persuader de mépriser notre propre salut. C'est ainsi que Caïn s'est perdu lui-même, et avant lui, celui qui avait perdu son père, le démon. C'est ainsi que Saül appela sur lui-même le malin esprit pour la perte de son âme, et après l'avoir appelé, il répondit par de l'envie aux soins de celui qui voulait le guérir. (I Rois, XVIII.) Telle est, en effet, la nature de l'envie ; Saül voyait bien que David le sauvait, et il aimait mieux périr que de voir la gloire de son sauveur. Quoi de plus affreux que cette passion? On peut dire; sans craindre de se tromper, que c'est un enfant du démon, qu'on y trouve le fruit de la vaine gloire, ou plutôt la racine ; car ces deux fléaux s'engendrent l'un l'autre. C'est ainsi que Saül ne se possédait plus, dans son âme envieuse, quand le peuple disait : " David en a tué dix mille ". (I Rois, XVIII, 7.) Quoi de plus insensé? Car enfin, répondez-moi, d'où vous vient votre envie? De ce que quelqu'un reçoit des louanges? Vous devriez vous réjouir. Mais peut-être ne savez-vous pas si la louange est méritée? Votre tristesse vient-elle de ce qu'on loue un homme qui n'a rien d'éclatant? Mais alors vous devriez plutôt avoir compassion de cet homme. En effet, si c'est un homme de bien, personne ne doit ressentir de l'envie, au bruit des louanges qu'on lui donne; il faut joindre sa voix au concert des bénédictions; si au contraire ce n'est pas un homme de bien, pourquoi le chagrin qui vous ronge? pourquoi vous frapper vous-même du glaive? Parce que cet homme est admiré? Oui, admiré des hommes d'aujourd'hui, qui demain n'existeront plus. Parce qu'il jouit de la gloire? De quelle gloire , dites-moi ? de celle dont le Prophète dit que c'est la fleur des champs? (Isaïe, XL, 6.) Voilà ce qui excite votre envie, vous voudriez porter ce fardeau , ces fleurs misérables; vous voudriez en charger vos épaules ? Si cet homme excite tant votre envie, que ne portez-vous envie également aux hommes de peine, que vous voyez tous les jours, sous leur charge de foin, entrer dans la ville? La charge de cet homme n'a rien de supérieur; au contraire, elle a moins de prix encore. L'une ne pèse que sur le corps, l'autre, souvent est un poids funeste pour l'âme et elle lui cause plus d'anxiété que de plaisir.

Quelqu'un est éloquent, il en retirera moins d'admiration que d'envie ; et puis la louange se lasse vite, mais l'envie ne pardonne pas. Mais cet homme est auprès des princes, en grand-honneur? Eh bien ! de là l'envie qu'il excite, et ses dangers. Ce que vous ressentez contre lui, d'autres l'éprouvent également et ils sont en grand nombre. Mais on ne cesse pas de le célébrer? De là, pour cet homme, une servitude pleine d'amertume. Voilà en effet qu'il n'ose plus agir librement, de peur d'offenser ceux qui le glorifient : c'est une lourde chaîne pour lui, que son illustration. Plus cet homme a de gens qui célèbrent son nom, plus il a de maîtres, plus sa servitude s'étend, il voit ses maîtres et seigneurs apparaître partout à ses yeux. Le serviteur, une fois affranchi de la présence de celui qui lui commande, respire en pleine liberté; cet homme, au contraire, rencontre partout ceux qui lui commandent, car il est l'esclave de tous ceux que ses yeux rencontrent sur la place publique. Qu'une affaire urgente le force à sortir, il n'ose pas se risquer sur la place, sans une escorte de serviteurs, sans chevaux, sans pompe, sans étalage, de peur que ceux aux ordres de qui il est ne le désapprouvent. S'il lui arrive (151) d'apercevoir quelqu'un de ses amis, de ses plus familiers, il n'a pas assez de confiance pour lui parler sur le ton de l'amitié; c'est qu'il a peur que ses maîtres ne le fassent un peu déchoir de la hauteur de sa gloire. D'où il suit que, plus il est illustre, plus il est asservi. S'il lui arrive un malheur, l'outrage de la fortune est pour lui d'autant plus amer, que plus de témoins voient l'insulte, et qu'il semble que sa dignité en est atteinte ; et il n'y a pas là seulement un outrage, mais un désastre. Une foule de gens s'en réjouissent; au contraire, dans le cas d'un bonheur nouveau, une foule de gens n'éprouvent que l'envie qui les irrite contre cet homme heureux, et le désir ardent de le renverser. Est-ce là du bonheur, dites-moi? Est-ce là de la gloire? Mille fois non. C'est de la honte, c'est de la servitude, c'est une chaîne, c'est tout ce qui peut s’appeler un fardeau. Si vous trouvez si désirable la gloire que donnent les hommes, s'il suffit pour bouleverser votre âme de voir cet homme que la foule applaudit, eh bien ! au milieu des applaudissements dont vous le verrez jouir, élancez-vous parla pensée vers la vie à venir, vers la gloire réservée à la fin des siècles; et, comme on prend la fuite pour échapper à une bête féroce, comme on se précipite dans sa maison, dont on ferme les portes; prenez alors de même la fuite, cherchez votre refuge dans la vie qui nous attend, dans la gloire ineffable que rien n'égale. C'est ainsi que vous foulerez aux pieds la gloire présente, que vous conquerrez sans peine la gloire divine, que vous jouirez de la vraie liberté, des biens éternels: puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXV. MAIS, PUISQU'IL Y EN A QUI SONT SI HARDIS A PARLER D'EUX-MÊMES, JE VEUX BIEN FAIRE UNE IMPRUDENCE, EN ÉTANT AUSSI HARDI QU'EUX. (XI, 21, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)
Analyse.

1. Encore sur la répugnance que Paul montre toujours à parler de ses œuvres, même quand il y est forcé.— Enumération de ses souffrances, de ses épreuves, de ses dangers.

2. Il ne parle pas de ses miracles, mais seulement de ce qui fait paraître sa faiblesse.— Les souffrances de son âme, plus cruelles que celles de son corps, et provenant de sa charité.— De sa prudence, égale à son courage.

3. C'est l'Eglise tout entière qui triomphe par ses œuvres, par ses vertus.— C'est un feu inextinguible ; c'est un feu qui convertit en sa substance tout ce à quoi il se communique.— Paul supérieur à David vainqueur de Goliath.— Exemples qu'il nous faut retirer de la vie et du caractère de Paul.

1. Voyez-le, ici encore, montrer sa répugnance, ses hésitations, voyez de quelle précaution il use. Et certes il ne s'est pas fait faute de dire, exprimant toujours la même pensée : " Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence ! " et encore : " Que personne ne me juge imprudent, ou au moins, souffrez-moi comme imprudent " ; et : " Ce que je dis, je ne le dis pas selon Dieu, mais je fais paraître de l'imprudence " ; et : " Puisque plusieurs se glorifient selon la chair, moi aussi, je me glorifierai ". (152) Et, ici encore : " Mais, puisqu'il y en a qui sont si hardis à parler d'eux-mêmes, je veux bien faire une imprudence en étant aussi hardi qu'eux ". C'est de la hardiesse, c'est de l'imprudence, selon lui, que de parler de soi avec fierté, même quand on y est contraint, et il s'attache à nous montrer qu'il faut fuir cette prétention. Si, après avoir tout fait, nous devons nous considérer comme inutiles, quelle pourrait être l'excuse de celui qui, sans raison aucune, s'exalte et se vante? C'est ce qui a attiré au Pharisien le traitement qu'il a subi; voilà comment il a fait naufrage dans le port; voilà l'écueil contre lequel il s'est brisé. C'est ce qui fait que Paul, quelle que soit l'impérieuse nécessité qui 1e presse, répugne tant à se louer, et ne cesse pas de rappeler que c'est de l'imprudence. Enfin il se risque, et après avoir fait valoir la nécessité qui l'excuse, il dit : " Sont-ils Hébreux ? Moi aussi. Sont-ils Israélites? Moi aussi (22) ". En effet, tous les Hébreux n'étaient pas Israélites, puisque et les Ammonites et les Moabites étaient Hébreux. Aussi ajoute-t-il, pour montrer la pureté de son sang : " Sont-ils de la race d'Abraham ? Moi aussi. Sont-ils ministres de Jésus-Christ? Quand je devrais passer pour imprudent, je le suis plus qu'eux (23) ". Il ne se contente pas d'avoir déjà employé cette précaution, il répète ici encore ce correctif : " Quand je devrais passer pour imprudent, je le suis plus qu'eux ". Je vaux mieux, je les surpasse.

Les preuves manifestes de sa supériorité ne lui manquaient certes pas ; il n'en qualifie pas moins son langage, d'imprudent. Mais, dira-t-on , si c'étaient de faux apôtres, il n'était pas besoin d'une comparaison pour établir sa supériorité sur eux, il fallait montrer que ces hommes-là n'étaient pas des ministres. Aussi Paul. a-t-il dit que c'était " de faux apôtres, des ouvriers trompeurs, qui se transfigurent en apôtres de Jésus-Christ ". Mais maintenant , il ne procède plus de même ; il veut examiner à fond la question; on ne doit pas, lorsqu'une enquête est possible, se borner à une simple affirmation de jugement; l'apôtre fait d'abord la comparaison de leur vie et de la sienne , et c'est en 's'appuyant sur la réalité qu'il les ruine avec une bien plus grande autorité. C'est d'ailleurs l'opinion que ces gens-là ont d'eux-mêmes, et non son jugement à lui, que l'apôtre exprime, en disant : " Ils sont ministres de Jésus-Christ ". Quand il ajoute : " Je le suis plus qu'eux ", c'est une comparaison; une affirmation pure et simple ne lui suffit pas, il va donner la démonstration par les faits, et par là on verra bien que c'est à lui qu'appartient le caractère propre dé l'apostolat. Laissant de côté tous ses miracles, il. parle de ses épreuves tout d'abord, il dit : " J'ai plus souffert de travaux, plus reçu de coups ", ta seconde épreuve , être battu , recevoir des coups de fouet , est plus cruelle que la première. " Plus enduré de prison ". Ici encore, gradation. " Je me suis souvent vu tout près de la mort. Il n'y a pas de jour ", dit-il, " que je ne meure ". (I Cor. XV, 31.) Ici, c'est la réalité même qu'il décrit, souvent il a été exposé à des dangers de mort. " J'ai reçu des Juifs, cinq différentes fois, trente-neuf coups de fouet (24) ". Pourquoi " trente-neuf! " C'est qu'une ancienne loi portait que celui qui recevait plus de quarante coups était infâme. Donc pour empêcher que l'emportement de celui qui donnait les coups, n'excédât le nombre et ne rendît infâme celui qui les recevait, on avait fixé ce nombre à quarante moins un, à trente-neuf; de cette manière, quelle que fût la vivacité de celui qui frappait, il n'était pas exposé à dépasser les quarante , il restait en deçà du nombre déterminé, et ne rendait pas infâme le patient.

" Trois fois j'ai été battu de verges; une fois lapidé ; trois fois j'ai fait naufrage (25) ". Et que fait cela à l'Evangile? Beaucoup, puisque pour le prêcher, il faisait de longs voyages , et traversait les mers. " Un jour et une nuit, j'ai été dans l'abîme ". Au milieu de la mer, selon les uns; selon les autres, il nageait;-ce qui est plus vraisemblable. Ce fait, il rie le donne pas comme un miracle, comme plus considérable que ses naufrages. " Dans les périls sur les fleuves (26) ". En effet, il était forcé de traverser les fleuves: " Dans les périls des voleurs, dans les périls au milieu de la cité, dans les périls de la solitude ". Partout des luttes devant moi , dans les pays, dans les contrées, dans les cités, dans les solitudes. " Dans les périls entre les nations, dans les périls entre les faux frères ". Vous voyez, ici, une autre espèce de guerre. Il ne rencontre pas seulement des ennemis déclarés, il se voit attaqué par ceux qui jouaient l'affection fraternelle, et il avait grand besoin, et de (153) fermeté et de prudence. "J'ai souffert les travaux et les fatigues ". Les dangers succédaient aux labeurs, les labeurs aux dangers, sans relâche, sans trêve, et ne le laissaient pas même respirer un moment. " Souvent dans les voyages, souffrant la faim, la soif, la nudité, outre les maux extérieurs (27, 28) ".

2. II en passe plus qu'il n'en énumère ; ou plutôt, même les épreuves qu'il énumère, il n'en peut exprimer la rigueur ; il ne les montre pas , Il se contente d'en donner un chiffre court, facile à retenir; par trois fois , dit-il, par trois fois , une fois; quant à celles dont il ne peut donner le chiffré , parce que ce chiffre serait trop considérable, il n'en parle pas. Et il ne dit pas les heureux fruits qui en sont sortis, tant et tant de conversions; il ne dit que ce qu'il a souffert en prêchant l'Évangile, et il fait en même temps deux choses : il montre sa modestie , et il montre, qu'alors même que ses travaux n'auraient rien produit, ils n'auraient pas été pour lui sans résultat, car c'est ainsi qu'il a mis le comble à la rémunération qu'il attend. " Mes assauts de tous les jours ". Les troubles, les violentes inquiétudes , les peuples qui l'attaquaient, les villes- qui se jetaient sur lui. C'étaient surtout les Juifs qui lui faisaient la guerre, parce que c'étaient eux surtout que l'apôtre couvrait de confusion , et le plus grand reproche que lui adressait leur fureur, c'était son changement si brusque de parti. La guerre était, contré lui, universelle, acharnée, guerre de la part de ses proches, guerre de la part des étrangers, guerre de la part des hypocrites ; partout autour de lui , des flots , des précipices , dans les contrées habitées , dans les pays sans habitants, sur la terre, sur la, mer, au dehors, au dedans. Et il n'avait pas la nourriture nécessaire, il n'avait pas un mince vêtement, l'athlète de la terre livrait nu ses batailles , et c'est en ayant faim , qu'il soutenait ses luttes; tant il était loin de chercher des richesses. Et il ne se plaignait pas, il rendait grâces à Dieu qui présidait à tous ces combats. " Le soin que j'ai de toutes les Églises ". La plus terrible de toutes ces épreuves , c'est qu'il était déchiré dans l'âme, que ses pensées le tourmentaient en sens divers. S'il n'essuyait aucune attaque du dehors, il avait la guerre à l'intérieur, les flots montaient sur les flots, les inquiétudes s'amassaient en tourbillons, toutes ses pensées se heurtaient dans une ardente mêlée. Souvent un homme qui n'a qu'une maison à gouverner, et, sous ses ordres, des serviteurs, des intendants, des économes, n'a pas le temps de respirer dans les soucis qui l'agitent, puisque personne ne lui cause d'embarras; Paul n'avait pas une maison seulement à gouverner, mais des villes, des peuples, des nations, la terre entière. Et que d'affaires, et que d'ennemis qui le harcelaient ! Et il était seul, endurant tant de souffrances, et il éprouvait des angoisses telles que nul père n'en ressentit jamais pour ses enfants : essayez de concevoir ce qu'il eut à subir.

Ne dites pas que ses inquiétudes n'avaient peut-être rien de bien cuisant, mais écoutez ce qu'ajoute l'apôtre. " Qui est faible, sans que je m'affaiblisse avec lui (29) ? " Il ne dit pas: Je prends ma part de la tristesse, mais, je souffre autant que celui qui souffre , aussi malade que le malade , aussi troublé, aussi agité. " Qui est scandalisé sans que je brûle ? " Voyez ici encore l'extrême douleur qu'exprime cette image d'un feu dévorant. Je suis dans la flamme, le feu me consume, dit-il : supplice affreux. Les autres épreuves dont il parle , étaient cruelles , mais passaient vite; il s'y mêlait une joie inaltérable; mais ce qui l'étouffait , ce qui lui broyait le coeur, lui déchirait l'âme , c'était d'avoir tant à souffrir pour la faiblesse de chaque infirme, quel qu'il pût être. Son caractère n'était pas de s'affliger avec les plus considérés , sans prendre souci de ceux qui l'étaient moins; l'être le plus abject, il le regardait comme un de ses proches. De là, ses paroles : " Qui est faible ? " On eût dit qu'il était, à lui seul, l'Église tout entière , tant il était tourmenté dans chacun de ses membres.

" S'il faut se glorifier de quelque chose, je me glorifierai de ma faiblesse (30) ". Vous voyez qu'il ne parle nullement de miracles; voyez-vous qu'il ne se glorifie que de ses persécutions et de ses épreuves? C'est que ce sont là, dit-il, des marques de faiblesse. Et il montre combien les combats étaient de nature différente. Les Juifs lui faisaient la guerre, les païens se soulevaient contre lui, les faux frères le combattaient, et lui s'affligeait à voir la faiblesse de ses frères, et leurs scandales; de toutes parts lui venaient les troubles, les bouleversements, et du côté de ses proches, et du côté des étrangers. Voilà le caractère du (154) véritable apostolat: voilà comment l'Evangile fait sa trame.

" Dieu, qui est le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, sait que je ne mens point. Le gouverneur de la province de Damas, pour le roi Arétas, faisait faire garde dans la ville pour m'arrêter (31, 32) ". Pourquoi, ici, cette protestation qu'il dit vrai, cette manière d'affirmer dont il ne s'est jamais servi jusque-là? C'est probablement que le fait était vieux et peu connu; tandis que le reste était parfaitement connu, par exemple sa sollicitude pour les Eglises, et tout ce dont il a parlé. Comprenez maintenant la violence de la guerre excitée contre lui, s'il était cause que l'on faisait garder la ville. Quand je parle de la violence de la guerre, je parle du zèle ardent de Paul; si son ardeur eût été moins vive, il n'aurait pas excité à ce point la rage du gouverneur. Voilà ce que fait une âme vraiment apostolique; sous tant de coups qui la frappent, elle n'est pas ébranlée, elle supporte tout avec une noble fierté, elle ne se précipite pas d'ailleurs au-devant des périls, elle ne les cherche pas pour s'y jeter par plaisir. Voyez à quel moyen il eut recours pour échapper au gouverneur : " Mais on me descendit par une fenêtre dans une corbeille (33) ".. Sans doute il désirait quitter cette terre, mais il n'en désirait pas moins le salut des hommes. Voilà pourquoi il a souvent recours à de pareils moyens; il veut se conserver pour la prédication; il ne refusait pas d'employer des moyens humains, quand les circonstances l'exigeaient; telle était sa prudence et son activité. Lorsque les malheurs étaient inévitables, il n'avait recours qu'à la grâce ; quand l'épreuve n'excédait pas certaines limites, il trouvait dans son propre fonds un grand nombre de ressources; et, ici encore, c'est à Dieu qu'il rapportait tout. Supposez une étincelle d'un feu inextinguible, tombant dans la mer, ensevelie sous les flots qui s'amoncellent, et reparaissant brillante au-dessus des ondes; tel était le bienheureux Paul, tantôt englouti sous les dangers, tantôt affranchi, libre, plus brillant, triomphant par son courage de tous les malheurs.

3. Voilà l'éclatante victoire, voilà le trophée de l'Eglise , voilà ce qui met en fuite le démon,-nos souffrances. Pendant que nous subissons les souffrances, le démon est captif, c'est lui qui souffre du mal qu'il veut nous faire. C'est ce qui est arrivé à Paul; plus le démon suscitait de dangers contre lui, plus ce maudit se voyait vaincu. Un seul genre d'épreuves ne lui suffisait pas, il variait, il diversifiait les périls. Tantôt la fatigue,: tantôt le découragement, tantôt la crainte, tantôt la douleur, tantôt les angoisses, tantôt la honte, tantôt tous ces moyens ensemble; il avait beau tenter, en toutes choses l'apôtre remportait la victoire. Supposez un soldat tout seul, tenant tête à la terre soulevée contre lui pour le combattre, soulevée tout entière, et au milieu des bataillons ennemis, ce soldat n'éprouve aucun mal; c'est l'image de Paul, seul au milieu des barbares, au milieu des Grecs, présent sur toute ruer, présent sur toute terre, et toujours invincible. Supposez une étincelle tombant sur la paille ou le foin, convertissant en sa nature tout ce qu'elle embrase : c'est l'image de Paul dans sa course, ramenant tous les hommes à la vérité; c'est un torrent qui inonde tout, qui renverse tous les obstacles. Supposez un seul et même athlète à la lutte, à la course, au pugilat; un soldat assiégeant des murailles, combattant à pied, combattant sur mer. C'est l'image de Paul livrant toute espèce de combats, répandant le feu de son zèle et nul n'ose l'approcher; à lui seul, il embrassait toute la terre, sa seule langue convertissait toutes les âmes.

Toutes ces trompettes qui tombèrent sur les murailles de Jéricho (Jos. VI, 20), et les brisèrent, n'égalent pas cette voix retentissante qui jette par terre les citadelles du démon, et tire à soi ses ennemis transformés. Il faisait des prisonniers en foule ; ces captifs, il les armait ensuite, il en faisait ses soldats à lui, son armée à lui, et, par eux, il remportait d'admirables victoires. David renverse Goliath d'un seul coup de pierre (I Rois, XVII, 49); pesez les exploits de Paul, et l'oeuvre de David n'est qu'une action d'enfant ; vous trouvez entre eux toute la différence du berger et du général. Paul ne renversait pas Goliath d'un coup de pierre; mais de sa voix il mettait en fuite toute la phalange du démon; comme un lion rugissant, dont la langue lancerait du feu, il ne trouvait personne pour lui résister, et c'étaient partout des bonds continuels, fondant sur les uns, tombant sur les autres, s'élançant sur d'autres encore, les premiers le revoyaient accourant plus vite que le vent, et comme on gouverne une seule maison, un (155) seul navire, aussi facilement régissait-il la terre et tous ses habitants, retirant des abîmes ceux qui tombaient, soutenant ceux qui avaient le vertige, exhortant les matelots assis à la poupe, surveillant la proue, tendant les cordages, maniant la rame, assurant la voile, les yeux au ciel, remplissant à lui seul, toutes les fonctions, de matelot, de pilote, de nocher, de voile, de navire, souffrant tout, pour épargner aux autres tous les maux.

Voyez: il a souffert le naufrage, pour sauver l'univers du naufrage; un jour et une nuit, il est resté dans l'abîme pour retirer les hommes de l'abîme de l'erreur; il s'est fatigué pour apporter du repos à ceux qui sont fatigués; il a souffert des coups pour guérir ceux que le démon frappe; il a séjourné dans des prisons, pour ramener à la lumière les hommes assis dans les prisons des ténèbres; il a souvent bravé mille morts, pour nous affranchir des morts les plus affreuses; il a reçu, à cinq reprises différentes, trente-neuf coups de fouet, afin de délivrer ceux-mêmes qui les lui donnaient, du fouet du démon ; il a été frappé de verges, afin de soumettre les hommes à la verge et à la houlette du Christ; il a été lapidé, afin de les mettre à l'abri de ces pierres qui n'atteignent pas les sens; il a été dans la solitude, afin de les tirer hors de la solitude; il a été dans les voyages, afin de mettre un terme aux courses vagabondes, et d'ouvrir la voie qui conduit au ciel; il a couru des dangers dans les cités, afin de nous montrer la cité d'en-haut; il a souffert de la faim et de la soif, pour nous affranchir de la faim la plus cruelle; il a enduré la nudité, afin de revêtir ceux qui étaient dans la honte de la robe de Jésus-Christ ;.il a été assailli par les multitudes, afin de nous soustraire à l'attaque des démons; il a été brûlé, afin d'éteindre les traits enflammés de l'enfer; il a été descendu du haut d'une muraille par une fenêtre, pour faire remonter ceux qui étaient renversés sur la terre.

Continuerons-nous encore à discourir, quand nous n'avons pas même une idée des souffrances que Paul a endurées ? Montrerons-nous encore de l'attachement pour l'argent, de l'attachement pour une épouse, pour une ville, pour la liberté, quand nous le voyons prouver mille et mille fois son mépris de la vie? Le martyr ne meurt qu'une fois; ce bienheureux, dans son corps, dans son âme, a souffert tant et tant de dangers que c'était plus qu'il n'en fallait pour bouleverser une âme de diamant; et ce que tous les saints ensemble ont enduré, dans tant de corps différents, l'apôtre l'a supporté dans un seul et même corps; on eût dit que son stade, c'était la terre entière, qu'il défiait au combat tous les hommes, telle était la fierté de son inébranlable valeur. C'est. qu'il savait bien quels étaient ces démons qui luttaient contre lui. Aussi sa gloire a-t-elle brillé dès le début; dès le premier pas hors de la barrière, jusqu'au dernier terme du stade, il est resté toujours semblable; ou plutôt il s'élançait avec d'autant plus d'ardeur qu'il approchait plus de l'heure des récompenses. Et ce qui est vraiment admirable, c'est que l'homme qui souffrait et faisait de si grandes choses était la modestie même. Contraint à parler de ses vertus , il parcourait tout cela rapidement et sans s'arrêter; il aurait pourtant rempli des milliers et des milliers de volumes, à expliquer une à une toutes ses paroles; à dire de quelles Eglises il prenait un si grand soin ; à énumérer ses prisons et les oeuvres qu'il y accomplit; à raconter une à une ses autres tribulations, les assauts qu'il essuya. Mais il ne l'a pas voulu.

Instruits de cette conduite, sachons donc, nous aussi , pratiquer la modestie; ne nous glorifions plus ni de notre fortune, ni des autres biens de ce monde, ne' nous glorifions que des outrages endurés pour Jésus-Christ, et n'en parlons encore que quand nous y sommes forcés; s'il n'y a aucune nécessité pressante, n'en faisons pas mention, ne disons rien pour nous exalter, ne rappelons que les péchés que nous avons commis. C'est ainsi qu'il nous sera facile d'en être délivrés, c'est ainsi que nous nous rendrons Dieu propice, et que nous obtiendrons la vie à venir. Fuissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit , la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXVI. IL NE M'EST PAS AVANTAGEUX DE ME GLORIFIER, CEPENDANT JE VIENDRAI MAINTENANT AUX VISIONS ET AUX RÉVÉLATIONS DU SEIGNEUR. (XII , 1, JUSQU'À 10.)
Analyse.

1 et 2. Visions et révélations de Paul.— Pourquoi il en parle, et pourquoi il ne le fait qu'a mots couverts.

3. Sur cet aiguillon que Paul ressentait dans sa chair, et qu'il appelait un ange de Satan, chargé de lui donner des soufflets. — Sens du mot Satan dans l'Écriture. — Humilité de Paul ; de la confession qu'il fait de ses faiblesses ; pourquoi il s'y complait.— Les souffrances endurées pour Jésus-Christ sont pleines de consolations.

4. Sur la divinité ridiculement et honteusement attribuée à Alexandre-le-Grand , à un infâme comme Antinoüs.— L'empire d'Alexandre après sa mort, et l'empire du Christ, après sa mort.— Vive opposition.

5. Des apôtres, des martyrs.— Les sépulcres des martyrs, plus triomphants que les palais des rois.— Texte. éloquent.

1. Qu'est-ce que cela veut dire? Après tout ce qu'il vient de dire, pourquoi une réflexion de ce genre: " Il ne m'est pas avantageux de me glorifier", comme s'il n'avait rien dit? Ce n'est pas qu'il trouve qu'il n'a rien dit, mais c'est qu'il va passer à une autre espèce de glorification ; ce n'est pas que ce dont il veut parler lui donne des droits à une glorieuse récompense, mais c'est que les faits qu'il va dire rendraient, aux yeux du grand nombre, sa gloire encore plus éclatante, quoique les sages ne soient pas de cet avis; voilà pourquoi l'apôtre dit : " Il ne m'est pas avantageux de me glorifier ". En effet les grands titres de gloire étaient ceux qu'il a énumérés, ceux qui étaient fondés sur ses épreuves; mais maintenant il va en produire d'autres; ce sont des révélations, d'ineffables mystères. Pourquoi dit-il : " Il ne m'est pas avantageux, " sinon parce qu'il craint que ce souvenir ne lui donne de l'orgueil?Que dites-vous?quand vous ne parleriez pas de ces insignes faveurs, n'en avez-vous pas conscience? Mais c'est que nous ne sommes pas aussi portés à nous enorgueillir de ce dont nous avons conscience, que de la communication que nous en faisons aux autres. Ce n'est pas la vertu des bonnes oeuvres qui provoque l'orgueil, mais le grand nombre des témoins qui connaissent nos mérites. Voilà donc pourquoi il dit : " Il ne m'est pas avantageux ", c'est-à-dire, je ne veux pas donner une trop haute idée de moi, à ceux qui m'écoutent. En effet, -les faux apôtres parlaient même des vertus qu'ils n'avaient pas; Paul, au contraire, cache même les. vertus qu'il a, et cela; quand une nécessité si impérieuse devrait le faire parler, et il dit : " Il ne m'est pas avantageux ", ce qui démontre éloquemment combien tous doivent flair l'ostentation. Il n'y a aucun profit à y céder, elle est funeste ; il faut pour parler de soi, une nécessité de nature à déterminer la volonté.

L'apôtre donc, après avoir rappelé ses dangers, ses épreuves, les piéges qui lui ont été tendus, ses chagrins, ses naufrages, passe à un tout autre ordre de faits à sa gloire, il dit : " Je connais un homme, il y a quatorze ans, (fut-ce avec son corps? je ne le sais ; fut-ce sans son corps ? je ne le sais; Dieu le sait) qui fut ravi jusqu'au troisième ciel. Et je sais qu'il fut ravi dans le paradis; (fut-ce avec son corps? je ne le sais; fut-ce sans son corps? je ne le sais); et il y entendit des paroles ineffables, qu'il n'est pas permis à un homme de rapporter. Je pourrais me glorifier en " parlant d'un tel homme, mais je ne me glorifierai pas de moi-même (2, 3, 4, 5) ". Ce fut là une grande révélation , mais ce ne fut pas la seule qu'il eut, il en reçut beaucoup d'autres encore; mais il n'en dit qu'une dans (157) le grand nombre. Ce qui prouve combien il en reçut, c'est ce qu'il dit : "De peur que la grandeur de mes révélations ne me donne de l'orgueil " . Mais, dira-t-on, s'il tenait à les cacher, il ne devait pas en parler à mots couverts, il n'avait qu'à ne rien dire de pareil; s'il tenait à en parler, il devait en parler clairement. Pourquoi donc n'a-t-il ni parlé clairement, ni gardé le silence? C'est pour montrer que, même en parlant, il ne le fait qu'à contre-coeur. Voilà pourquoi il a fait la réflexion qu'il y avait, de ce fait, quatorze ans. Il -ne l'a pas mentionné sans montrer qu'après avoir gardé le silence si longtemps, il n'en parle présentement, que parce qu'une impérieuse nécessité l'y oblige, qu'il continuerait encore à n'en rien dire, s'il ne voyait ses frères qui se perdent. Or. si Paul, dès le début de sa carrière, méritait d'être honoré d'une telle révélation, lui qui n'avait pas encore fait paraître de si éminentes vertus, considérez ce qu'il dut devenir quatorze ans après. Et voyez sa modestie à raconter certaines choses, à reconnaître qu'il en ignore d'autres. Qu'il a été ravi, c'est ce qu'il dit; fut-ce en corps? fut-ce sans son corps? c'est ce qu'il' reconnaît ignorer. Il pouvait se contenter de parler de ce ravissement, et de ne rien dire ensuite ; mais il n'écoute que sa modestie et il ajoute son observation.

Quoi donc? est-ce son esprit qui a été ravi avec son âme, et son corps serait resté mort? ou est-ce le contraire? Son corps a-t-il été ravi ? Impossible de le dire. Si Paul n'en sait rien, lui qui a été ravi, lui qui s'est vu révéler de si grands mystères, à bien plus forte raison devons-nous l'ignorer. Il était dans le paradis, voilà ce qu'il- sait; il était dans le troisième ciel, voilà ce qu'il n'ignorait pas; mais la manière, voilà ce qu'il ne distinguait pas clairement. Considérez une autre marque de sa modestie. Quand il parle de la ville des Damascéniens, il pense à garantir la véracité de son discours ; ici, au contraire, il ne s'en inquiète plus; c'est qu'en effet, il n'attachait pas une extrême importance à être cru, il parle seulement à mots couverts. Ainsi ajoute-t-il : " Je pourrais me glorifier, en parlant d'un tel Homme " ; il n'entend pas dire par là que ce soit un autre que lui qui ait été ravi, mais, autant qu'il lui est perchis et possible, il évite de parler de lui ouvertement; de là, la tournure de ses paroles. D'ailleurs à quoi bon, puisqu'il parlait de lui, recourir à un intermédiaire? Pourquoi donc cette composition, cet arrangement? C'est que ce n'était pas la même chose de dire : J'ai été ravi, et je connais un homme qui a été ravi; ni : Je me glorifie en parlant de moi-même, et : Je pourrais me glorifier en parlant d'un tel homme. Que si l'on objecte : Mais comment pouvait-il être ravi sans son corps? Je demanderai à l'auteur de l'objection : Mais comment pouvait-il être ravi avec son corps? car le second fait est encore plus incompréhensible que le premier, si l'on ramène tout au raisonnement, si l'on rie veut pas s'incliner devant la foi. Maintenant pourquoi a-t-il été ravi ? C'est, je pense, afin qu'il ne parût pas inférieur aux autres apôtres. Ils avaient vécu avec le Christ , Paul ne l'avait pas approché, voilà pourquoi il fut élevé, dans un ravissement, à la gloire, au paradis. Le paradis ! le nom en était fameux, partout célébré.

2. Voilà pourquoi le Christ disait: " Aujourd'hui, vous serez avec moi dans le paradis ". (Luc; XXIII, 43.) " Je pourrais me glorifier en parlant d'un tel homme ". Qu'est-ce à dire? Si c'est un autre qui a été ravi, de quoi pouvez-vous vous glorifier? Il est donc évident que c'est de lui qu'il parlait. S'il a ajouté : " Mais je ne me glorifierai pas pour moi-même ", ces paroles se réduisent à ceci : en l'absence de toute nécessité , je ne veux rien dire de pareil à la légère, ou certainement il voulait autant que possible, rejeter dans l'ombre ce qu'il avait dit. La suite démontre parfaitement que dans toutes ces paroles, il n'est question que de lui; car il ajoute : " Si je voulais me glorifier, je ne serais pas un imprudent, car je dirais la vérité (6) ". Comment donc avez-vous pu dire d'abord : " Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence ", et, " ce que je dis, je ne le dis pas selon, Dieu, mais je fais paraître de l'imprudence " (II Cor. XI, 1-17) ; tandis que vous dites maintenant : " Si je voulais me glorifier, je ne serais pas un imprudent? " C'est qu'en ce moment il ne se préoccupe pas du fait de se glorifier, mais du fait de mentir; si se glorifier est de l'imprudence, à combien plus forte raison y a-t-il de l'imprudence à mentir? C'est donc dans cette pensée qu'il dit : " Je ne serais pas un imprudent". Voilà pourquoi il ajoute: " Car je dirais la vérité; mais je me retire de peur qu'on ne m'estime au-dessus de ce qu'on (158) voit en moi, ou de ce qu'on entend dire de moi ".

Cette raison est véritable, on prenait les apôtres pour des dieux, à cause des miracles qu'ils faisaient. (Act. IV, 10.) De même qu'en créant les éléments, Dieu a fait deux choses, il les a créés à la fois faibles et éclatants; éclatants, afin qu'ils publiassent sa puissance; faibles, afin de prévenir l'égarement des hommes; de même, les apôtres étaient à la fois admirables et faibles, de manière à instruire, par leurs oeuvres mêmes, les infidèles. Si on ne les eût jamais vus qu'admirables, ne montrant aucun signe de faiblesse, c'est en vain qu'ils auraient voulu empêcher le peuple de soupçonner en eux une nature supérieure à la nature humaine; non-seulement ils n'y seraient pas parvenus, mais ils auraient produit un effet tout opposé. Les refus qu'ils auraient opposé aux louanges, auraient été regardés comme des preuves de leur modestie, et n'auraient fait qu'ajouter à l'admiration pour eux. C'est ce qui explique pourquoi leur conduite, leurs actions révélaient leur faiblesse. Témoin, les personnages de l'Ancien Testament. Elie, cet homme admirable, donna parfois des marques de timidité; de même ce grand Moïse, qui, lui aussi, par la même faiblesse, prit la fuite. Ce qui leur arrivait parce que Dieu se retirait d'eux, afin que la nature humaine .fût confondue en leur personne. Car si l'on entend les Israélites demander, après leur sortie d'Egypte, où donc est Moïse, supposez qu'il les eût encore introduits dans la Palestine, que n'eussent-ils pas dit ? Voilà donc pourquoi Paul dit : " Je me retiens de peur " qu'on ne m'estime... " Il ne dit pas, de peur qu'on ne dise, mais, de peur qu'on ne s'imagine que ma valeur est plus considérable. De sorte que, par là encore, il est évident que c'est de lui-même qu'il parle dans tout ce passage. Voilà pourquoi il disait en commençant " Il ne m'est pas avantageux de me glorifier ". Ce qu'il n'aurait pas dit s'il se fût proposé de parler d'un autre, car quel inconvénient y a-t-il à se glorifier au sujet d'un autre? C'était bien lui qui avait été honoré de ces révélations. De là, les paroles qu'il ajoute : " Aussi, de peur que la grandeur de mes révélations ne m'inspirât de la hauteur, j'ai ressenti dans ma chair un aiguillon, qui est un ange de Satan, pour me souffleter (7) ".

Que dites-vous? Celui qui regardait la royauté comme un pur néant, qui ne tenait aucun compte de la géhenne pour l'amour de Jésus-Christ, il attachait à la gloire que donne la foule assez de prix pour s'enorgueillir, pour avoir besoin d'un frein continuel? Il ne dit pas, un ange qui me soufflettera, mais, " qui est un ange de Satan, pour me souffleter ". Actuellement, qu'est-ce que cela veut dire? Que signifie donc. cette parole? Il nous faut d'abord découvrir ce que peut être cet aiguillon, et ce que peut être cet ange de Satan, et alors nous comprendrons. Quelques interprètes ont été d'avis qu'il fallait entendre par là une certaine douleur de la tête, .que le démon lui communiquait; mais n'en croyons rien. Le corps de Paul n'aurait pas pu être livré aux mains du démon, puisque le démon lui-même cédait à un simple commandement de Paul; puisque l'apôtre lui dictait des lois, lui fixait des limites, lui livrait le fornicateur pour mortifier sa chair (I Cor. V, 5), et que Satan n'aurait pas osé s'attaquer à d'autres. Que signifie donc cette parole de Paul? Satan, dans la langue des Hébreux, veut dire adversaire, et c'est le nom que l'Ecriture donne, dans le troisième livre des Rois, à ceux qui se portent comme adversaires , et, à propos de Salomon, elle dit : " Il n'y avait pas de satan dans les jours de ce roi " (III Rois, V, 4), c'est-à-dire, d'adversaires faisant la guerre, ou suscitant des troubles. Ce que dit l'apôtre signifie donc : Dieu n'a pas permis que la prédication se répandît sans obstacles; pour rabaisser notre orgueil , il a laissé nos adversaires nous attaquer. Car c'est là ce qui pouvait abattre l'orgueil, beaucoup plus que ce qui n'eût rien fait, à savoir une douleur de tête. Par ange de Satan, l'apôtre entend donc Alexandre, l'ouvrier en bronze, Hyménée, Philète, et enfin tous les adversaires de la parole, qui disputaient contre lui, qui lui faisaient la guerre, qui le jetaient en prison, qui le meurtrissaient, qui l'emportaient pour lui faire subir leurs violences, qui accomplissaient contre lui les oeuvres de Satan. Donc, de même qu'il appelle fils du démon, les Juifs ardents à produire les oeuvres du démon, de même, il appelle ange de Satan, tout homme qui faisait obstacle à la prédication. Voilà donc pourquoi il dit : " J'ai ressenti un aiguillon... pour me " souffleter " ; ce n'est pas Dieu qui donnait des armes à de tels ennemis, loin de nous cette pensée, mais Dieu ne les châtiait pas, ne (159) les punissait pas, il les laissait faire, il les laissait libres pour un temps: " C'est pourquoi j'ai prié trois fois le Seigneur (8)". Ce qui veut dire, bien souvent.

3. Il y a une grande humilité à ne pas dissimuler son abattement devant les persécutions, ses fatigues, le besoin de prier pour se voir affranchi dé ses épreuves. Exemple que Paul nous donne : " Et il m'a répondu : Ma grâce vous suffit, car ma puissance éclate dans la faiblesse (9) ". Ce qui veut dire : Il vous suffit de ressusciter les morts, de guérir les aveugles, de purifier les lépreux, des autres miracles que vous opérez; ne cherchez pas à fuir les dangers, les craintes, les embarras des affaires en publiant l'Evangile. Mais vous souffrez , vous éprouvez de l'abattement ? N'allez pas regarder comme une preuve de mon impuissance le grand nombre de ceux qui veulent vous nuire, qui vous meurtrissent, qui vous persécutent, qui vous frappent de verges : cela même est une marque de ma puissance : " Car ma puissance ", dit Dieu, " éclate, dans la faiblesse " ; on vous verra vous, les persécutés, triomphant de vos persécuteurs ; vous chassés , victorieux de ceux qui vous chassent, vous enchaînés , convertissant ceux qui vous enchaînent. Ne demandez donc pas le superflu. Voyez-vous comme l'explication que donne l'apôtre diffère de celle qui est donnée par Dieu? L'apôtre dit : " De peur que la grandeur de mes révélations ne m'inspirât de la hauteur, j'ai ressenti, dans ma chair, un aiguillon" ; quant à Dieu, il lui fait dire, que c'est pour manifester sa puissance, qu'il permet tout. Donc, ce n'est pas seulement le superflu que vous demandez, mais ce qui jetterait une ombre sur la gloire de ma puissance. Car le, " Il vous suffit ", a pour but de montrer que l'apôtre n'a besoin de rien davantage, que tout' s'accomplit sans que rien ne manque. D'où ressort encore la preuve que Paul ne parle pas d'une douleur de tête. Assurément ils n'étaient pas malades, ceux qui prêchaient l'Evangile (comment auraient-ils pu prêcher s'ils n'avaient eu la force du corps) ce qui est vrai; c'est que ce furent des bannis, des persécutés, qui triomphèrent de tous leurs ennemis.

Donc, dit-il, après avoir entendu de telles paroles, " je prendrai plaisir à me glorifier de mes faiblesses ". Il veut prévenir le découragement des fidèles; ces faux apôtres fondaient leur gloire sur des titres tout opposés ; les vrais apôtres étaient en proie aux persécutions; Paul tient à montrer que ces persécutions mêmes rehaussent sa gloire, ne servent qu'à rendre plus éclatante la puissance de Dieu, et qu'il fait bien de se glorifier de ce qui arrive. Voilà pourquoi il dit : " Je prendrai donc plaisir à me glorifier ". Ce n'est pas avec chagrin que j'ai fait l'énumération que vous avez entendue, ni que je vous ai dit : " J'ai ressenti un aiguillon ", mais avec fierté, mais avec un sentiment de ma force qui grandit. Aussi ajoute-t-il : " Afin que la puissance de Jésus-Christ habite en moi ". Il y a ici une pensée nouvelle, qui n'est qu'indiquée à mots couverts, c'est que, plus les épreuves devenaient rigoureuses, plus la grâce acquérait d'intensité et de persistance : " Et ainsi je me complais dans toutes mes faiblesses (10) ". Quelles faiblesses, dites-moi? " Dans les outrages, dans les persécutions, dans les nécessités, dans les angoisses ". Voyez-vous comme ici l'explication est des plus claires? Dans ces diverses espèces de faiblesses, il ne parle ni de fièvres, ni d'autre mal périodique de ce genre, ni de toute autre maladie du corps, mais d'outrages, de persécutions, d'angoisses. Comprenez-vous ce qu'il montre de sagesse ? Il désirait d'être affranchi de ses tribulations; mais du moment que Dieu lui a dit que cette délivrance ne doit pas avoir lieu, non-seulement il ne se décourage pas en n'obtenant pas l'effet de sa prière , mais il se réjouit. De là, cette parole : " Je me complais ", c'est-à-dire, je me réjouis d'être, je désire d'être outragé, persécuté, dans les angoisses, pour Jésus-Christ. Et ex tenant ce langage, il rabaissait les orgueilleux, et il relevait les courages, il empêchait les fidèles de rougir à la pensée de ses souffrances. Ces choses suffisent pour nous rendre les plus illustres de tous les hommes. Il ajoute ensuite une autre explication encore de sa joie : " Car lorsque je suis faible, c'est alors que je suis puissant ". Qu'avez-vous à vous étonner que la puissance de Dieu se révèle alors ? C'est alors que je suis puissant, moi aussi ; c'est alors surtout que la grâce vient en moi.

A mesure que ses souffrances abondent, pour nous abonde la consolation. Où est l'affliction, là se rencontre la consolation ; où est la consolation, là est la grâce. C'est quand il était en prison, qu'il faisait ces oeuvres (160) admirables ; c'est quand il essuyait des naufrages, quand il était transporté sur une terre barbare, c'est alors surtout que sa gloire éclatait. Quand il entrait, chargé de fers, au tribunal, c'est alors qu'il triomphait du jugé même. L'Ancien Testament nous montre des faits du même genre; les épreuves montraient dans sa fleur la vertu des justes; ainsi les trois jeunes hommes, ainsi Daniel, et Moïse, et Joseph, ainsi tous ont vu briller leur gloire, ont mérité d'insignes couronnes. Ce qui purifie Pâme, c'est l'affliction qui lui vient de Dieu ; c'est alors qu'elle en reçoit plus d'assistance ; comme elle a besoin de plus de secours, elle obtient plus de grâces. Même avant de jouir de la récompense que Dieu lui tient en réserve, elle recueille déjà de grands biens pour fruit de sa sagesse. Car l'affliction déracine l'orgueil, fait disparaître la lâcheté de l'indolence, elle répand sur vous l'huile de la patience; elle met à découvert la bassesse, des choses humaines, c'est une grande leçon de sagesse, Toutes les passions lui cèdent, la jalousie, l'envie, les désirs déréglés, le faste de la puissance, la cupidité, la luxure, la vanité, l'orgueil, la colère, toute la cohorte des maladies dé ce genre. Voulez-vous considérer,, dans la réalité de la vie, les hommes en particulier, les peuples dans leur ensemble , je pourrai vous les montrer. dans l'affliction, vous les montrer au sein du repos, et vous faire comprendre tout le profit de l'une, toute la lâcheté qui provient de l'autre.

4. Quand les Hébreux étaient dans le malheur, quand on les poursuivait, ils gémissaient alors, ils invoquaient Dieu, ils obtenaient d'en-haut un puissant, secours; au contraire, quand ils s'engraissaient de leur prospérité, ils regimbaient. Les Ninivites, de leur côté, ne profitèrent de leur félicité que, pour irriter Dieu, qui dut menacer de détruire leur ville jusque dans ses fondements; une fois humiliés par la prédication de clonas, ils montrèrent une parfaite sagesse. Voulez-vous considérer un homme en particulier, voyez Salomon. Quand il était dans les inquiétudes et dans le trouble que lui inspirait le gouvernement de son peuple, il mérita d'avoir une sublime vision; ruais, dès qu'il se fut livré aux délices, il plongea jusqu'au fond dans l'abîme de la corruption. Et son père? Quand mérita-t-il l'admiration et la gloire? N'est-ce pas quand il fut dans l'adversité? Absalon, maintenant, ne pratiqua-t-il pas la sagesse, tant qu'il mena la vie d'un fugitif; mais, à son retour, ne se montra-t-il pas un tyran et un parricide? Et Job? Sa vertu brilla au sein de la tranquillité, mais elle partit plus brillante encore après son affliction.

Mais à quoi bon ces vieilles histoires des temps anciens? Il suffit de considérer ce qui se passe aujourd'hui chez nous, pour comprendre tout le profit de l'affliction. Aujourd'hui, nous jouissons de la paix, et nous sommes tombés, nous languissons, nous avons rempli l'Église de mille maux; quand nous étions tourmentés , nous avions plus de sagesse, plus de dignité, plus de zèle, plus d'ardeur, pour rechercher les pieuses réunions, pour entendre la parole. Ce que le feu est pour l'or, l'affliction l'est pour l'âme; elle en fait disparaître les souillures, elle lui rend sa pureté, elle rehausse l'éclat de sa gloire. L'affliction mène au royaume du ciel; la prospérité tranquille, à la géhenne. C'est ce qui fait que l'une est la voie étroite ; l'autre, la voie large. De là, ce que disait le Christ lui-même : " Dans le monde, vous aurez l'affliction " (Jean, XVI, 33), nous annonçant par là un grand bien. C'est pourquoi, si vous êtes un disciple, cheminez par la voie étroite de l'affliction; ne vous attristez pas, ne vous laissez point abattre. Si vous ne consentez pas à cette affliction, il vous en faudra subir une autre dont vous ne retirerez. aucun profit. L'envie, l'amour des richesses, le feu de la fornication, la vaine gloire, toutes les autres passions perverses, tourmentent et affligent l'âme; non moins que la douleur et les larmes. Si vous ne voyez ni les larmes ni les chagrins du méchant, c'est la honte qui le retient, ou l'engourdissement de son mal ; pénétrez dans son âme, vous y verrez régner la tempête. Donc, puisque quelle que soit la voie que l'on suive, l'affliction est inévitable, pourquoi ne pas, embrasser. de préférence le genre de vie où l'affliction mérite d'innombrables couronnes ? Aussi, c'est par la voie étroite des afflictions que Dieu a conduit ses saints. Il procurait ainsi leur bien, et en même temps celui des autres, de peur qu'ils ne conçussent d'eux une idée trop haute.

Ce qui. a fait dans les premiers temps prévaloir l'idolâtrie, c'est qu'on a exagéré l'admiration que méritaient les hommes; c'est ainsi qu'Alexandre a été considéré comme un treizième Dieu par le sénat romain. Car ce sénat avait le pouvoir de créer des dieux par ses (161) décrets. A la nouvelle de tout ce que le Christ avait fait, le gouverneur de la Judée envoya demander à Rome s'il plaisait aux sénateurs de décréter que le Christ aussi était un Dieu. Ils n'en voulurent pas entendre parler dans leur colère et dans leur indignation de ce que, devançant leur suffrage et leur décret, la vertu du Crucifié avait, par son propre éclat, conquis toute la terre. Cette conduite du sénat de Rome était, contre l'intention même des sénateurs, un effet dé la suprême sagesse qui ne voulait pas faire proclamer la divinité du Christ comme fondée sûr dés suffrages humains; qui ne voulait pas que l'on pût le confondre avec un de ces dieux sortis de leurs votes. Ces hommes-là mirent jusqu'à des athlètes au rang des dieux, ainsi que les infâmes qui servaient à Adrien; on sait d'où vient le nom de la ville d'Antinoüs. Comme la mort accuse notre nature mortelle, le démon a trouvé, dans l'immortalité de l'âme, combinée avec tous les excès de la flatterie, un moyen de précipiter les peuples dans l'impiété. Voyez sa scélératesse : quand nous faisons de cette considération un usage convenable, le démon détruit l'édifice qu'élèvent nos paroles; veut-il au contraire faire servir à notre perte l'immortalité, il affermit l'édifice avec le plus grand soin. Si l'on dit: Et d'où vient ce dieu Alexandre? n'est-il pas mort, et misérablement? Mais son âme est immortelle, répond-on. Vous affirmez l'immortalité maintenant, et vous faites profession de sagesse pour nous séparer du Dieu maître de toutes choses ; mais quand c'est nous qui l'appelons le plus grand don de Dieu, nous sommes des esprits bas et terre à terre, en rien supérieurs aux êtres sans raison, victimes de l'erreur, et vous nous détrompez. Si nous nous avisons de dire que le Crucifié vit encore, on nous répond par le rire, malgré le cri de l'univers qui l'attesta jadis, qui l'atteste aujourd'hui; jadis, par les miracles; aujourd'hui, par ceux qui se sont convertis; un mort certes ne fait pas de si belles choses. Qu'on vous dise qu'Alexandre est vivant, vous le croyez, sans pouvoir cependant fournir aucun signe. Comment ! répondra-t-on ; mais que d'admirables choses n'a-t-il pas faites de son vivant ! que de nations, que de villes par lui soumises, quelles guerres n'a-t-il pas faites, quelles victoires, quels trophées !

5. Eh bien, que direz-vous si je vous montre en Jésus-Christ ce à quoi n'a jamais pensé ni ce fameux Alexandre, de son vivant, ni aucun autre, quel qu'il soit, des hommes qui ont jamais existé? quelle autre preuve de la résurrection vous faudra-t-il encore? Qu'on livre de son vivant d'heureux combats, que l'on remporte des victoires, quand on est roi, que l'on a des armées sous sa main, il n'y a là rien de merveilleux, rien d'étonnant, rien de bien nouveau ; mais qu'après avoir été crucifié, enseveli, on opère de si grandes oeuvres partout, sur la terre et sur la mer, voilà ce qui est fait surtout pour frapper de stupeur, pour proclamer une divine et ineffable puissance. Alexandre, après sa mort, n'a pas recomposé son empire déchiré, détruit : comment aurait-il eu ce pouvoir, ce mort? Le Christ, au contraire, c'est après sa mort qu'il a surtout affermi son empire. Et à quoi bon parler du Christ quand ses disciples mêmes ont reçu de lui le don de voir, après leur trépas, leur gloire plus brillante? Où est-il, répondez-moi, le tombeau d'Alexandre? montrez-le-moi, et dites-moi quel jour il a cessé de vivre? Mais, pour les serviteurs mêmes du Christ, leurs tombeaux sont glorieux, ils ont pris possession de la capitale du monde. Les jours de leur mort sont illustres, ce sont des jours de fête pour l'univers. Le tombeau d'Alexandre, les siens mêmes ne sauraient où le trouver; le tombeau du Christ, les barbares mêmes le connaissent.

Les sépultures des serviteurs du Crucifié sont plus splendides que les palais des souverains, et ce n'est pas seulement par la grandeur et la beauté des constructions, supérieures, on le sait, à tous les bâtiments impériaux; mais, ce qui est bien plus glorieux, par l'empressement des peuples qui s'y réunissent. Celui qui porte la pourpre se rend à ces tombeaux pour les baiser; il dépose son faste, il supplie les saints de lui servir d'appui auprès de Dieu; c'est pour se faire d'un fabricant de tentes, d'un pêcheur, et encore sont-ils morts, des protecteurs, qu'il est là en prières, ce souverain portant diadème. Oserez-vous donc, répondez-moi, regarder comme mort le Maître de ces hommes, celui dont les serviteurs, même quand ils ont cessé de vivre, sont les protecteurs des rois de la terre? Ces spectacles, on ne les voit pas seulement dans Rome, on les voit aussi à Constantinople. Car le fils de Constantin-le-Grand n'a pas cru pouvoir faire un plus grand honneur à son père que de le déposer sous les portiques du (162) pêcheur ; ce que sont les portiers des souverains dans leurs palais, les souverains le sont, pour les pêcheurs, dans leurs sépultures. Les pêcheurs, comme maîtres de la résidence, occupent l'intérieur; les empereurs se trouvent trop honorés d'avoir leur place près de la porte et de servir ainsi à montrer, même à des infidèles, que des pêcheurs au jour de la résurrection obtiendront sur eux la supériorité. S'il en est ainsi maintenant dans les sépultures, à bien plus forte raison en sera-t-il de même, dans la résurrection ; bouleversement complet ; les empereurs sont devenus des domestiques , des serviteurs; les sujets sont élevés à la dignité de souverains ou plutôt à une dignité bien plus haute encore. La vérité elle-même fait foi que ce n'est point par flatterie que les choses se passent ainsi car le voisinage des saints profite à la gloire des empereurs. Car bien plus augustes que toutes les sépultures impériales sont ces tombeaux des saints : d'une part, complète solitude, d'autre part, la foule qui se presse.

Voulez-vous faire la comparaison entre les cours des empereurs et ces tombeaux? Nouvelle preuve de la même victoire. D'un côté, beaucoup de gens pour écarter le peuple; d'un autre côté, beaucoup d'amis qui invitent, qui attirent à eux les riches, les pauvres, les hommes, les femmes, les esclaves, les hommes libres ; d'un côté , un appareil terrible; d'un autre côté, une joie ineffable. Mais pourtant c'est un plaisir que de voir l'empereur, dans son manteau d'or, la couronne en tête, et, à ses côtés, généraux, magistrats, préfets, tribuns, centurions, prêteurs? Oui, mais nos spectacles à nous sont tellement plus augustes, tellement plus redoutables, que les autres,. en comparaison, n'ont plus l'air que d'un jeu de théâtre et d'une puérilité. Il vous suffit de franchir nos seuils pour que le seul aspect du lieu transporte votre pensée vers le ciel, vers le Roi d'en-haut, vers l'armée des anges, vers le trône sublime, vers la gloire inaccessible. Il ne s'agit plus d'un préfet quia pouvoir de mettre l'un en liberté, de charger l'autre de fers; les ossements de nos saints n'ont pas cette pauvre et misérable puissance ; ils en ont une autre, et celle-là est bien plus considérable. Ils arrêtent les démons, ils les torturent; ils affranchissent des plus tristes liens ceux qui étaient enchaînés. Quoi de plus redoutable, que ce tribunal? On ne voit personne; personne n'est là déchirant visiblement les flancs du démon, et cependant ce sont des voix, des cris déchirants, des coups de fouet, des gémissements arrachés par les tortures, des langues de feu, le démon ne pouvant pas résister à cette merveilleuse puissance. Ceux qui ont été revêtus,de corps triomphent de puissances incorporelles; de la poussière, des os, de la cendre causent les déchirements de ces natures invisibles. Voilà pourquoi on ne fait pas de voyages pour voir des palais d'empereurs; mais une foule d'empereurs ont fait des voyages pour assister à un pareil spectacle. C'est que les signes, les symboles du jugement à venir apparaissent dans les temples de nos saints; les ossements des martyrs nous annoncent les démons frappés de verges, les hommes purifiés, affranchis. Voyez-vous la puissance des saints même après leur mort? Voyez-vous la faiblesse dés pécheurs même encore vivants? Donc fuyez le vice afin de triompher des méchants, et attachez-vous, de toutes vos forces, à la vertu. Car si, même ici-bas, telle est sa puissance, considérez ce que fera paraître la vie à venir. Possédé sans cesse de cet amour, attachez-vous à l'éternelle vie; puissions-nous tous en jouir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ , à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXVII. J'AI ÉTÉ IMPRUDENT EN ME GLORIFIANT; C'EST VOUS QUI M'Y AVEZ CONTRAINT, CAR C'ÉTAIT A VOUS DE PARLER AVANTAGEUSEMENT DE MOI. (XII, 11, JUSQU'A 16.)
163

Analyse.

1. Des raisons qui portent saint Paul à se glorifier.— Des meilleures preuves du véritable apostolat.— De la patience.— Grandeur des oeuvres de saint Paul; sa modestie se borne à les indiquer en très-peu de mots.

2. Reproche à la fois sévère, doux et délicat, à l'adresse des fidèles dont il ne veut rien recevoir.— Belle pensée, que ce n'est pas aux enfants à thésauriser pour leurs pères, mais aux pères pour leurs enfants.— Dévouement paternel de saint Paul, son désintéressement porté jusqu'au plus grand sacrifice.— Exemple qu'il nous donne.

3. Il est odieux, il est monstrueux de ne pas aimer. qui, nous aime.— Autre pensée : rien n'est plus inutile au public, aux particuliers, qu'un homme incapable d'affection. — Contre la haine jalouse.— Image énergique : mieux vaut un serpent dans les entrailles, que l'envie dans l'âme.— Texte des plus éloquents.

4. L'Eglise, actuellement divisée, comparée à un corps qui vient de mourir.

1. Après avoir terminé son éloge personnel, il ne s'en tient pas là, il s'excuse encore, il demande qu'on lui pardonne le langage qu'il a tenu, qu'il attribue à la nécessité , non à sa libre détermination. Quelle qu'ait été cependant la nécessité, il se traite d'imprudent. Il a commencé par dire: " Souffrez-moi comme imprudent ", et: " Je fais paraître de l'imprudence"; maintenant il supprime le "Comme ", le " Je fais paraître ", il se traite purement et simplement d'imprudent. Après avoir produit, par ses paroles , le fruit qu'il se proposait, il ne se gêne plus, il ne garde plus de ménagement pour flétrir les fautes de ce genre; il tient à bien démontrer à tous qu'on ne doit. jamais, sans nécessité, se louer soi-même , puisque lui, Paul , nonobstant une nécessité réelle , se traite d'imprudent. Il fait ensuite retomber la responsabilité de ce qu'il a dit, non sur les faux apôtres , mais uniquement sur les disciples. " C'est vous ", dit-il, " qui m'y avez contraint ". Car si ces faux apôtres ne faisaient que se glorifier, mais sans vous jeter dans l'erreur, sans vous perdre , je ne me serais pas risqué jusqu'au point de m'abaisser à de pareils discours ; mais ils corrompaient toute l'Eglise, et moi , ne considérant que votre intérêt, j'ai été contraint d'être un imprudent.

Et il ne dit pas : j'ai craint qu'après avoir usurpé la primauté auprès de vous, ils n'en vinssent à répandre leurs doctrines ; quant à cette pensée, il l'a exprimée plus haut par ces paroles : " J'appréhende qu'ainsi que le serpent a séduit Eve, vos esprits aussi ne se corrompent "; dans le passage qui nous occupe en ce moment, l'apôtre parle d'une autre manière, avec plus d'autorité et de puissance; ce qu'il vient de dire lui donne plus de liberté : " Car c'était à vous de parler avantageusement de moi ". Il en dit ensuite la raison et il ne reparle plus de ses révélations; il ne raconte pas seulement les miracles qu'il a opérés , il parle aussi de ses épreuves. "Puisque je n'ai été en rien inférieur aux plus éminents d'entre les apôtres ". Voyez encore ici , comme il parle avec plus d'autorité. Auparavant, il disait : " Je ne pense pas avoir été inférieur en rien "; ici, affirmation absolue, avec la confiance, comme je l'ai déjà dit, que lui donnent les preuves qu'il vient d'énumérer; toutefois, même dans cette circonstance , il ne se départ pas de la modestie qui le caractérise. En effet, on l'entend, comme s'il avait parlé avec orgueil , comme s'il avait exagéré le jugement en sa faveur pour s'être mis au nombre des apôtres, reprendre de nouveau un ton d'humilité : " Encore que je (164) ne sois rien, les marques de mon apostolat ont paru parmi vous (12) ".

Ne regardez pas, dit-il, si je suis misérable et petit, mais seulement si vous n'avez pas trouvé en moi tout ce que vous deviez attendre d'un apôtre. Et il ne dit pas: encore que je sois misérable, mais, ce qui exprime plus d'abaissement encore : " quoique je ne sois rien ". En effet, qu'importé que vous soyez grand, si vous n'êtes utile à personne ? Il ne sert absolument de rien qu'un médecin, par exemple, ait de l'habileté, s'il ne guérit jamais ses malades. Ne recherchez donc pas, dit-il, s'il est vrai que je ne suis rien; mais considérez donc, en ce . qui concerne le bien à vous faire, que je n'ai été inférieur en rien à personne, mais que je vous ai donné la preuve de mon apostolat. Je n'aurais donc pas dû être obligé de parler de moi. Ce n'est pas qu'il sentît le besoin d'être recommandé auprès des hommes; comment aurait-il pu tenir à de pareils titres, lui qui ne comptait pour rien le ciel même pour l'amour de Jésus-Christ ? Mais c'est qu'il était possédé du désir de les sauver. Ensuite, comme on aurait pu lui dire : Et que nous fait à nous que vous n'ayez en rien été inférieur aux plus éminents d'entre les apôtres, il ajoute: " Les marques de mon apostolat ont paru parmi vous, dans toute sorte de patience, et dans les miracles et dans les prodiges ". Ah ! quelle mer d'oeuvres magnifiques franchie d'un bond par lui en ces courtes paroles? Or, voyez ce qu'il met en premier lieu: la patience. Voilà, en effet, la marque de l'apôtre: tout souffrir avec un noble courage. Voilà ce qu'indique une expression si courte; quant aux miracles; qui n'étaient pas des fruits de sa vertu propre, il en parle en plus de mots. Considérez combien de prisons, combien de coups, combien de dangers, combien de piéges perfides, combien d'épreuves il fait entendre ici, combien de guerres intestines, combien de guerres avec les étrangers, combien de douleurs , combien d'assauts renferme ce simple mot de patience ! Et maintenant, par ce mot de miracle, comprenez combien de morts ressuscités, combien d'aveugles guéris, combien de lépreux purifiés , combien de démons chassés! En entendant ces paroles, apprenons, nous aussi, quand la nécessité nous contraint à parler de nous à notre avantage , à couper court le chapitre de nos perfections, à imiter l'apôtre.

2. Ensuite, comme on aurait pu lui dire: si vous êtes grand , si vous avez beaucoup fait, toutefois vous n'avez pas tant fait que les apôtres des autres Eglises, il ajoute : " Car en quoi avez-vous été inférieurs aux autres Eglises (13)? " Vous n'avez pas eu, en fait de grâces , une moindre part que les autres. Mais, dira-t-on peut-être, pourquoi se tourne-t-il maintenant vers les apôtres; après avoir engagé le combat contre les faux apôtres, pourquoi le cesse-t-il ? C'est pour relever tout à fait les courages, c'est pour montrer, non-seulement qu'il vaut mieux que ces faux docteurs , mais qu'il ne le cède en rien aux grands apôtres. Voilà pourquoi, quand il parle des prétendus ministres de Jésus-Christ, il dit : " Je le suis plus qu'eux "; mais quand c'est aux apôtres qu'il se compare, il se contente de ne leur être pas inférieur, quoiqu'il ait travaillé plus qu'eux. Et par là il montre aux fidèles qu'ils outragent les apôtres, en le mettant, lui leur égal, au-dessous des faux docteurs. " Si ce n'est en ce que je n'ai point voulu vous être à charge". Ici le reproche est sévère; il y a plus de sévérité encore dans ce qui suit : " Pardonnez-moi ce tort que je vous ai fait ". Toutefois cette sévérité n'exclut ni l'affection ni l'éloge, puisque Paul suppose que les Corinthiens tenaient pour une injure son refus de rien accepter d'eux, ainsi que le manque de confiance qu'il leur témoignait en ne voulant pas qu'ils le nourrissent. Si vous m'accusez, (il ne dit pas: vous faites mal de m'accuser; son expression est pleine de douceur), je demande mon pardon, accordez-moi ma grâce. Voyez sa sagesse : aussitôt qu'il leur a adressé ce reproche, aussitôt il les en veut consoler. Plus haut, après leur avoir dit : " La vérité de Jésus-Christ est en moi, on n'arrêtera point le cours de ma gloire ", il ajoutait : " Est-ce que je ne vous aime pas? Dieu le sait; mais je veux retrancher une occasion de se glorifier, à ceux qui veulent trouver cette occasion en paraissant semblables à nous ". (Il Cor. XI, 10-12.) Et, dans la première épître : " En quoi trouverai-je donc ma récompense? En prêchant gratuitement l'Evangile que je prêche ". (I Cor. IX , 18.) Ici , même précaution : " Pardonnez-moi ce tort que je vous ai fait". Car il tient toujours à dissimuler que c'est leur faiblesse qui est cause qu'il ne veut rien recevoir d'eux; voilà pourquoi, ici (165) encore, il tient ce langage : Si j'ai fait une faute, selon vous, pardonnez-la-moi. Ce qu'il disait, c'était à la fois pour les exciter et les adoucir. Et qu'on n'objecte pas. Si vous voulez réprimander, pourquoi vous défendre ? Si vous voulez adoucir, pourquoi réprimander? Voilà précisément la marque de l'habileté faire une incision et refermer la plaie. Ensuite, je l'ai déjà dit, aussi souvent qu'il leur fait ce reproche, il l'adoucit, afin qu'on ne s'imagine pas qu'il espère recevoir d'eux quelque chose. Dans la première épître, il leur disait : " Je ne vous écris point ceci, afin qu'on me traite de même; car mieux vaudrait pour moi mourir, que de souffrir qu'on me fît perdre cette gloire ". (I Cor. IX, 15.) Ici, ses paroles sont plus douces et plus caressantes. Comment s'y prend-il ? " Voici la troisième fois que je me prépare pour vous aller voir, et je ne vous serai pas à charge ; car ce ne sont pas vos biens que je cherche, mais vous; car ce n'est pas aux enfants à thésauriser pour leurs pères, mais aux pères pour leurs enfants (14) ".

Voici ce qu'il veut dire : Ce n'est pas parce que je ne reçois rien de vous que je ne vais pas vous trouver; j'ai été vous voir deux fois, et je me prépare à vous aller voir une troisième, et je ne vous -serai pas à charge. Son explication sur ce point est grave. Il ne dit pas : parce que vous êtes mesquins, parce que vous vous blessez vite, parce que vous êtes faibles; mais que dit-il? " Car ce ne sont pas vos biens que je cherche, mais vous ". Je cherche plus que de l'argent, je cherche des âmes et non des fortunes, votre salut et non votre bourse. Ensuite, comme on pouvait encore le soupçonner de parler ainsi par dépit, il ajoute encore une réflexion. Il pouvait croire qu'on lui dirait : Ne sommes-nous pas libres de conserver ce qui est à nous? Par ce motif il a l'air de prendre leur défense, et il dit avec beaucoup de suavité: " Car ce n'est pas aux enfants à thésauriser pour leurs pères, mais aux pères pour leurs enfants " ; au lieu de maîtres et de disciples, il met parents et enfants; il présente comme étant simplement l'accomplissement d'un devoir une conduite d'une perfection plus haute, car Jésus-Christ n'a point commandé à ses apôtres de ne rien accepter de leurs disciples; c'est par ménagement pour eux que l'apôtre s'exprime ainsi, et voilà pourquoi il ne recule pas devant une certaine exagération. En effet, il ne se contente pas de dire : Ce n'est pas aux enfants à thésauriser pour leurs pères; mais il ajoute que c'est pour les pères un devoir d'agir ainsi. Eh bien ! donc, puisque c'est un devoir : " Je donnerai très-volontiers tout ce que j'ai , et je me donnerai encore moi-même, pour le salut de vos âmes (15) ". C'est la loi de la nature qui ordonne aux pères de thésauriser pour leurs enfants, mais moi je fais plus, je m'ajoute moi-même à ce que je donne; l'excès de sa générosité se manifeste non-seulement en ce qu'il ne reçoit rien, mais en ce qu'il fait plus, il donne; et il ne donne pas simplement, mais il donne avec une générosité sans borne, il donne ce qui lui manque à lui-même; car c'est là ce qu'indique cette parole : " Je me donnerai encore moi-même ". S'il vous fallait ma chair même, je ne la ménagerais pas pour votre salut. Il y a, dans ce qui suit, un reproche et en même temps une, parole d'affection

" Quoique moi qui vous aime tant, je me voie si peu aimé de vous ". Ce que je fais, dit-il, pour ceux que j'aime, et qui ne m'aiment pas autant. Considérez maintenant la gradation dans tous ces mérites de l'apôtre. Il était autorisé à recevoir,-mais il ne recevait rien premier mérite. Cependant il avait besoin second mérite ; cependant il leur prêchait l'Evangile : troisième mérite; et il fait plus, il donne: quatrième mérite; et non-seulement il donne, mais son présent est considérable cinquième mérite; et il ne donne pas seulement de l'argent, il se donne lui-même sixième mérite; et à des gens qui n'ont pas pour lui un vif amour: septième mérite; et pour qui il éprouve, lui, un vif amour: huitième mérite.

3. Sachons donc, nous aussi, suivre cet exemple. C'est une faute grave que de ne pas aimer son prochain; c'en est une plus grave de ne pas répondre à l'amour qu'on nous porte. Si, en aimant celui qui nous aime, nous ne faisons rien de plus que les publicains, ne l'aimer pas, c'est être inférieur aux bêtes sauvages. Que dis-tu, ô homme? Tu n'aimes pas celui qui t'aime ? alors pourquoi vis-tu ? à quoi pourras-tu jamais être utile? dans quelles affaires? dans celles qui intéressent l'Etat? dans celles qui intéressent les particuliers ? Nullement, en aucune manière : rien de plus inutile qu'un homme qui ne sait pas (166) aimer. La loi d'amour souvent a touché même des brigands, des assassins, des violateurs de sépulture; pour avoir seulement mangé le sel ensemble, ils ont changé de moeurs, la table les a convertis; et vous qui n'avez pas seulement même table, mais mêmes conversations, mêmes occupations, mêmes entrées, mêmes sorties avec d'autres hommes, vous ne les aimez pas? Ceux qui se livrent à de coupables amours, dépensent leurs fortunes entières pour des femmes perdues, et vous qui avez au coeur un amour honnête, vous êtes froid, vous êtes lâche, vous êtes dépourvu de coeur au point de ne pouvoir aimer même quand il ne vous en coûte rien? Mais qui donc, dira-t-on, peut être assez malheureux, assez semblable aux bêtes sauvages pour se détourner de celui qui l'aime, et pour le haïr? Vous avez raison de regarder comme incroyable une. telle dépravation ; mais si je vous montre une foule de dépravés de ce genre, comment pourrons-nous supporter cette honte? Tenir des discours méchants sur celui qu'on aime, entendre les discours méchants d'un autre sur lui, et ne pas le défendre, le voir honoré et lui porter une haine jalouse, que faut-il penser d'un tel amour? Certes ce serait pourtant une bien faible preuve d'amitié que de ne pas être jaloux, de ne pas haïr, de ne pas susciter de combats contre celui qu'on aime; il faudrait encore applaudir à sa prospérité, travailler à l'accroître; mais quand toutes vos actions, toutes vos paroles tendent à sa ruine, quelle âme pourrait être plus misérable que la vôtre?

Hier, avant-hier, vous étiez son ami, vous partagiez ses entretiens et sa table; puis, tout à coup, à la vue de la prospérité de celui qui est votre membre, jetant le masque de l'amitié, vous ne respirez plus que la haine, ou plutôt une fureur insensée. Cette fureur insensée se manifeste par le chagrin que vous cause la prospérité du prochain; cette démente est le propre des furieux, des chiens possédés de la rage. Semblables à ces animaux, les envieux qu'irrite l'aiguillon sinistre, se jettent aussi sur. tous. Mieux vaut un serpent replié dans les entrailles que l'envie qui rampe dans l'âme. Le reptile, souvent il suffit d'un remède pour le vomir; la nourriture en adoucit l'effet; ce n'est pas dans les entrailles que l'envie se replie, elle se roule au sein de l'âme, il est difficile de l'en faire sortir. Le reptile, dans l'intérieur du corps, n'en attaque pas les organes, si on lui donne sa nourriture; mais l'envie, quelque abondante que pussent être les aliments que vous lui serviriez, s'en prend à l'âme même, qu'elle mord de toutes parts, qu'elle ronge, qu'elle déchire; et rien ne saurait l'adoucir, rien ne saurait mettre un terme à sa fureur, rien qu'une chose, une seule: le malheur fondant sur celui qui prospérait; voilà le seul remède qui la puisse guérir, ou plutôt ce remède ne fait rien. Car si tel subit l'adversité, elle en voit un autre qui est heureux, et les mêmes tortures la reprennent, et partout elle reçoit des blessures, et partout elle se sent frappée de nouveaux coups. Car il est impossible de se retourner sur la terre sans y voir des heureux. Et tel est l'excès de ce mal, que, même renfermé dans sa maison, l'envieux éprouve de la haine pour les hommes d'autrefois qui ont cessé de vivre. Or, que ceux qui vivent dans la société, au milieu de la foule, souffrent de cette maladie, c'est triste, mais ce n'est pas ce qu'il y a de plus affligeant;-mais que ceux mêmes qui sont affranchis de tous les troubles de la vie publique, soient possédés du même mal, voilà ce qui est affreux, au-delà de tout ce qui se pourrait penser. Je voudrais garder le silence sur ce que j'ai à dire; mais il faudrait que mon silence suffît pour effacer la honte de la réalité; il y aurait alors de l'utilité dans le silence; mais quand je pourrais me taire, les choses crieraient plus haut que ma langue, et mes paroles ne sauraient produire autant de mpl que la notoriété de nos malheurs qui s'étalent à tous les yeux, et mon discours, sans danger, ne sera peut-être pas sans profit et sans utilité. Ce mal s'est attaqué à l'Eglise, et voilà ce qui a tout bouleversé, ce qui a détruit l'harmonie des membres; voilà pourquoi nous nous élevons les uns contre les autres; l'envie nous donne nos armes. De là l'excès de la dépravation. Lorsque tous conspirent à édifier, il faudrait encore s'estimer heureux que tous les fidèles demeurassent; si, au contraire, nous conspirons tous à détruire, à quel terme aboutirons-nous ?

4. Que fais-tu, ô homme? Tu penses qu'il t'est avantageux de ruiner ton prochain, et tu commences parte ruiner toi-même. Tu ne vois pas les jardiniers, les agriculteurs conspirant tous à un seul et même but? L'un creuse, l'autre sème, un autre recouvre la racine, un autre arrose ce qui a été planté, un autre élève (167) une baie, un mur, un autre encore écarte les bêtes nuisibles; tous n'ont qu'un seul et même but: le salut de la plante. Ici, il n'en est pas de même; moi, de mon côté, je plante, mais un autre remue et bouleverse tout. Laisse donc au moins à la plante le temps de pousser des racines, de se fortifier contre toute atteinte. Ce n'est pas mon ouvrage que tu détruis, c'est le tien que tu réduis à néant; moi, j'ai planté; toi, tu devais arroser. Donc si tu viens tout remuer, tu arraches la racine, et tu ne pourras plus prouver que tu as bien arrosé. Mais c'est la gloire de celui qui plante que vous ne pouvez souffrir? Rassurez-vous, je ne suis rien, ni vous non plus. " Ni celui qui plante, ni celui qui arrose, n'est rien " (I Cor. III. 7) ; c'est Dieu seul qui fait tout. De sorte que c'est lui que vous combattez, que, c'est a lui que vous faites la guerre en arrachant les plantations. Revenons donc enfin à la sagesse et à la vigilance. Je ne crains pas tant la guerre du dehors que le combat du dedans; car une fois la racine bien enfoncée dans la terre, elle peut défier les vents ; mais si on l'ébranle, si, à l'intérieur, un ver la ronge, sans même qu'on attaque extérieurement la plante, tout s'en va. Jusques à quand rongerons-nous la racine de l'Église comme des vers ? C'est de la terre que s'engendrent de pareilles passions; ou plutôt elles ne naissent pas de la terre, mais- du fumier; leur mère, c'est la corruption. Soyons donc enfin des hommes fiers et forts, soyons donc des athlètes de la sagesse, chassons loin de nous toute cette hideuse portée de maux. Je vois tout le corps de l'Église étendu par terre en ce moment comme un corps mort. Comme dans un corps qui vient d'être privé de vie, je vois des yeux, des mains, des pieds, un cou, une tête, ruais ce que je ne vois pas, c'est un membre remplissant ses fonctions; de même ici, tous ceux qui sont présents, ont la foi en partage, mais ce n'est pas la foi agissante; nous avons éteint la chaleur vitale, nous avons fait, du corps de Jésus-Christ, un corps mort. Si cette parole est effrayante , bien plus effrayante encore est la réalité qui se montre par les couvres. Nous nous donnons les noms de frères, mais nos actions révèlent des ennemis; nous sommes tous, par le nom, membres les uns des autres; nous sommes de fait divisés comme des bêtes féroces. Je ne tiens pas à étaler nos fautes, mais ce que j'en dis, c'est pour vous faire honte, c'est pour vous ramener. Un tel est entré dans une maison; il a été reçu avec honneur : il fallait bénir Dieu en voyant traiter avec honneur celui qui est votre membre; car cette conduite glorifie Dieu; eh bien, c'est le contraire que vous faites; vous dites du mal de votre frère auprès de celui qui l'a honoré, de manière à nuire à tous les deux, et en outre, à vous déshonorer vous-même. Pourquoi, ô malheureux, ô infortuné Vous entendez faire l'éloge de votre frère, par des hommes ou par des femmes, et c'est pour vous un sujet d'affliction? Mais ajoutez donc plutôt à cet éloge, et c'est ainsi que vous ferez votre éloge à vous-même. Si, au contraire, vous ruinez l'éloge, d'abord vous dites du mal de vous-même, vous donnez de vous-même une mauvaise opinion, et vous ne faites que grandir celui que vous vouliez rabaisser. Quand vous entendez des louanges, associez-vous à ces louanges ; si ce n'est par la sainteté de votre vie, et par vos vertus, que ce soit au moins par la joie que, vous ressentez des belles actions. Une personne a fait entendre un éloge; admirez, de votre côté; c'est ainsi que cette personne vous louera, vous aussi, pour votre vertu, pour votre bonté. Ne craignez pas de rabaisser vos actions par l'éloge d'autrui ; car ce malheur n'arrive qu'à celui qui accuse. Car la, nature de l'homme c'est de tenir à ses opinions, et celui qui vous entend dire du mal d'une personne qu'il vient de louer s'obstine à rendre son éloge plus éclatant, afin de vous mortifier, afin de faire justice des détracteurs, et il les flétrit en lui-même, et il les accuse auprès des autres. Comprenez-vous quelle honte nous nous attirons par cette conduite, et comme nous dissipons, comme nous perdons le troupeau? Ne soyons donc enfin que les membres les uns des autres , ne formons donc enfin qu'un seul corps. Que celui qui s'entend louer, repousse loin de lui les éloges, et les fasse retomber sur son frère; que col ni qui entend louer son frère, se réjouisse de pareils discours. Si nous savons nous unir ainsi les uns aux autres, nous sentirons le bonheur de tenir à celui qui est la tête du corps entier; si, au contraire, nous nous divisons contre nous-mêmes, nous écarterons loin de nous, pour surcroît de malheur, le secours de Dieu; or, privés de cette assistance, nous verrons périr notre corps, que ne conservera plus la vertu d'en-haut. Prévenons ce danger, chassons loin de nous la haine jalouse, méprisons (168) la gloire qui vient des hommes, attachons-nous à l'amour et à la concorde. C'est ainsi que nous obtiendrons les biens présents et les biens à venir; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la honte de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXVIII. SOIT, JE NE VOUS AI POINT ÉTÉ A CHARGE MOI-MÊME, MAIS ÉTANT ARTIFICIEUX, J'AI USÉ D'ADRESSE POUR VOUS SURPRENDRE. MAIS ME SUIS-JE SERVI DE CEUX QUE JE VOUS AI ENVOYÉS POUR BÉNÉFICIER SUR VOUS? J'AI PRIÉ TITE DE VOUS ALLER TROUVER, ET J'AI ENVOYÉ AVEC LUI UN DE NOS FRÈRES. TITE S'EST-IL ENRICHI A VOS DÉPENS ? N'AVONS-NOUS PAS SUIVI LIT MÈNE ESPRIT? N'AVONS-NOUS PAS MARCHÉ SUR LES MÊMES TRACES? (XII, 16, 17, 18, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)
Analyse.

1. Réponse de saint Paul à ceux qui pourraient. lui objecter que, s'il n'a rien voulu recevoir par lui-même, il a reçu par l’entremise de ses disciples.— Il en appelle, en ce qui concerne ses envoyés, au témoignage des Corinthiens eux-mêmes.— Du zèle parfaitement désintéressé de l'Apôtre pour l'édification des fidèles.— Comment il les réprimande ; plus ses paroles sont sévères, plus, en môme temps, elles sont tempérées par l'affection.

2. L'orgueil envieux, cause principale de tous les dérèglements.— La fornication n'est pas la seule impureté; toute espèce de péché souille l'âme.— De là, la faiblesse des pécheurs qui perdent facilement contenance devant les hommes irréprochables.— Achab, devant Elie ; Hérode, devant saint Jean.

3 et 4. Le vice ne peut soutenir l'aspect de la vertu, il la redoute.

1. Il y a certes une grande obscurité dans ces paroles, mais ce n'est pas sans dessein ni raison que l'apôtre s'exprime ainsi. II s'agissait d'argent, de justification dans des questions de ce genre, et Paul enveloppe d'une certaine ombre ce qu'il veut dire à ce sujet. Qu'entend-il par ces paroles? Il vient de dire : Je n'ai rien voulu recevoir, et je suis prêt en outre à donner, à faire des dépenses; il y a beaucoup de protestations de cette nature, et dans sa première lettre, et dans celle-ci. Maintenant, il dit quelque chose de plus; il a l'air de prévenir une objection "et de la résoudre. Ce qu'il dit revient à ceci. Je n'ai fait aucun bénéfice sur vous. Mais peut-être me dira-t-on que si je n'ai rien reçu par moi-même, comme je suis artificieux, je me suis arrangé de manière que ceux que j'ai envoyés, vous ont de mandé en leur propre nom quelque chose, que j'ai fort bien reçu par leur entremise, que j'ai sauvé les apparences, que je n'ai rien reçu par moi-même , mais que j'ai reçu par le moyen des autres. Eh bien! non; personne ne saurait tenir ce langage ; et vous êtes mes témoins.—Voilà pourquoi il présente sa pensée sous forme d'interrogation : " J'ai prié Tite de vous aller trouver, et j'ai envoyé avec lui un de nos frères. Tite s'est-il enrichi à vos dépens? " N'a-t-il pas marché comme moi? C'est-à-dire, Tite, lui aussi, n'a rien reçu. Vous voyez jusqu'où s'étendent les preuves de sa rigidité; non-seulement il s'est conservé personnellement sans reproche, il n'a rien reçu; mais il a discipliné ses envoyés de manière à ne pas donner, par eux, la moindre prise à ceux qui voulaient le trouver en défaut. Il y a (169) bien plus de grandeur encore dans cette conduite que dans celle du patriarche. De retour après sa victoire, le roi lui offrant des dépouilles, Abraham refusa de rien recevoir, (Gen. XIV, 23, 24); excepté ce que ses gens auraient pris pour leur nourriture; mais Paul n'accepta pas même la nourriture qui lui était nécessaire, et, de plus, il ne permit pas à ses compagnons de l'accepter, et il ferma victorieusement la bouche à ses détracteurs effrontés. Aussi ne se borne-t-il pas à une simple affirmation, il ne dit pas que ses envoyés n'ont rien reçu; mais, ce qui est bien plus significatif, il invoque le témoignage des Corinthiens eux-mêmes, comme quoi ils,n'ont rien reçu; ce n'est pas lui qui décide la question de sa propre autorité, ce sont les Corinthiens eux-mêmes qui prononcent; c'est la conduite que nous tenons d'ordinaire dans les faits qui sont incontestés, et qui nous laissent toute notre confiance. Répondez donc, leur dit-il, y en a-t-il un seul de ceux que nous vous avons envoyés qui ait fait un bénéfice sur vous? Il ne dit pas qui ait reçu de vous quelque chose; il se sert de l'expression " Faire d'injustes profits ", s'enrichir aux dépens de quelqu'un; l'expression est vive, mordante, c'est pour montrer que recevoir de celui qui ne veut pas donner, c'est chercher, avant tout, à faire un injuste profit. Et il ne dit pas, dans sa première interrogation : Tite a-t-il, mais : " Me suis-je servi de ceux que je vous ai envoyés?" Vous ne pouvez pas dire qu'un tel n'a pas reçu,mais que tel autre a reçu. Personne n'a rien reçu.

" J'ai prié Tite ". L'expression est éloquente. Il ne dit pas : J'ai envoyé Tite, mais : " Je l'ai prié ", montrant par là que, même s'il avait reçu quelque chose, il aurait usé de son droit; toutefois il a montré une grande rigidité. Voilà pourquoi, dans sa seconde interrogation, il dit : " Tite a-t-il fait quelque bénéfice sur vous? N'avons-nous pas suivi le même esprit? " Qu'est-ce à dire, " Le même esprit? " Il attribue le tout à la grâce, il montre que tout ce qu'il y a de glorieux dans cette conduite ne vient pas de son énergie, de son courage, que c'est un pur don de l'Esprit , un bienfait de la grâce. En effet, c'était une grâce insigne que de supporter l'indigence, la faim, et de ne rien recevoir afin d'édifier les disciples. " N'avons-nous pas marché sur les mêmes traces?" Ce qui veut dire : ils n'ont pas bronché, ils ont toujours montré la même rigidité.

" Pensez-vous que ce soit encore ici notre dessein de nous justifier devant vous (19) ? " Voyez-vous cette peur qui ne le quitte pas de passer pour un flatteur ? Voyez-vous avec quelle sagesse apostolique il reprend sans cesse la même pensée? Il a commencé par dire : " Nous ne prétendons point nous relever encore ici nous-même, mais vous donner une occasion de vous glorifier " (II Cor. V, 12) ; et, au commencement de l'épître : " Avons-nous besoin de lettres de recommandation? " (II Cor. III, 1.) " Tout ce que nous vous disons ici, est pour votre édification ". Il y a un changement de ton dans ces dernières paroles de notre texte; elles sont caressantes. L'apôtre ne dit pas ouvertement aux fidèles : c'est pour ménager votre faiblesse que nous ne voulons rien recevoir de vous; mais nous voulons vous édifier; il parle d'une manière plus explicite qu'auparavant, il découvre la pensée dont il est pressé de se délivrer, il le fait toutefois sans les heurter. Il ne dit pas : c'est à cause de votre faiblesse, mais : c'est afin que vous soyez édifiés.

" Car j'appréhende qu'arrivant vers vous, je ne vous trouve pas tels que je voudrais, et que vous ne me trouviez pas non plus tel que vous voudriez (20) ". Au moment de faire entendre une parole sévère, pénible, il s'excuse; il vient de dire : " Tout ce que nous vous disons ici, est pour votre édification " ; il ajoute : " Car j'appréhende ", afin d'adoucir l'amertume de ce qu'il prépare. Il n'y a là ni orgueil insolent, ni. cette confiance que donne à un maître son autorité; Paul montre ici la sollicitude d'un père, il éprouve plus de crainte que tes pécheurs mêmes, il tremble au moment de les corriger. Ce n'est pas tout, il rie tombe pas sur eux sans hésitation, il ne s'exprime pas de manière à tout dire, il est incertain : " J'appréhende qu'arrivant vers vous, je ne vous trouve pas tels que je voudrais " ; il ne dit pas : attachés à toutes les vertus, mais : " Tels que je voudrais " ; toutes ses expressions respirent l'amitié. Ces mots : " Que je ne vous trouve pas ", marquent une attente trompée, il en est de même de : " Et que vous ne me trouviez pas non plus ". Car ce ne peut être un effet assuré de aria volonté, mais le résultat d'une nécessité dont la cause est en vous; de là cette expression . " Que vous ne me (170) trouviez pas non plus tel que vous voudriez ". Il ne dit pas, tel que je voudrais, mais, d'une manière plus efficace pour les piquer: " Tel que vous voudriez ". En effet, il entendait suivre, dès ce moment, sa volonté à lui; non pas sans doute une volonté absolue , mais peu importe, une volonté décidée enfin à la sévérité. L'apôtre pouvait dire : " Tel que je ne veux pas être", et manifester ainsi son affection; mais il ne veut pas flatter le relâchement de ceux qui l'écoutent: Ou plutôt, en parlant ainsi, son discours eût été plus difficile à supporter; au contraire, sa manière présente est plus forte pour frapper et montre en même temps un esprit plus doux. C'est le caractère propre de la sagesse de Paul d'être d'autant plus caressant qu'il fait des blessures plus profondes. Ensuite, comme il y avait de l'obscurité dans son langage, il s'explique: " Je crains de rencontrer parmi vous des dissensions, des jalousies, des animosités, des médisances, des faux rapports, des esprits enflés ". Ce qu'il aurait dû dire en premier lieu, il le met à la fin; en effet, c'était l'orgueil qui les soulevait contre lui. Mais l'apôtre ne veut pas avoir l'air de combattre d'abord ce qui gêne son action sur eux; voilà pourquoi il parle d'abord de ce qu'il y a de général dans leurs égarements.

2. C'était l'envie qui les produisait, ces calomnies , ces accusations , ces dissensions. Comme une racine funeste, l'envie produisait la colère, l'esprit de dénigrement, la démence de l'orgueil et tous les autres fléaux qui, à leur tour, envenimaient cette haine jalouse. " Et qu'ainsi Dieu ne m'humilie encore, lorsque je serai retourné chez vous (29) ". Cet " Encore " est à lui seul un reproche. C'est bien assez, dit-il, de vos premiers égarements. Aussi disait-il au commencement : " C'est pour vous épargner que je ne suis pas allé à Corinthe ". (II Cor. I, 23.) Voyez-vous comme il s'entend à montrer à la fois ce qui indigne son cœur, et l'affection qu'il ressent? Mais maintenant que veut dire " Ne m'humilie? " Il est pourtant glorieux d'avoir le droit d'accuser, de punir, de demander des comptes, de siéger comme juge, et c'est ce qu'il appelle une humiliation. Il était si loin de rougir de l'Humilité, de ce qu'on trouvait de bas dans sa personne , de méprisable en son discours (II Cor. X, 10), qu'il souhaitait de rester toujours en cet état, que ses prières tendaient à n'en pas sortir. Il explique bientôt sa pensée, et ce qu'il appelle humiliation c'est, avant tout; la nécessité de châtier et de punir. Mais pourquoi, au lieu de dire : qu'en retournant chez vous je ne sois humilié, dit-il . " Que Dieu ne m'humilie lorsque je serai retourné chez vous? " C'est que si ce n'était pour Dieu, je n'aurais aucun souci, tout me serait fort indifférent. Ce n'est pas par une usurpation orgueilleuse de pouvoir que je recherche; lorsque je châtié, je ne veux qu'exécuter les ordres de Dieu. Il dit plus haut : " Que vous ne me trouviez pas tel que vous voudriez " : ici avec plus de ménagement, d'une manière plus douce, :plus affectueuse, il. dit : " Et que je n'aie à en pleurer plusieurs qui ont péché ". Il ne se contente pas de dire : " Qui ont péché "; il ajoute: "Et qui n'ont pas fait pénitence". Il ne dit pas tous, mais " Plusieurs " ; et les pécheurs mêmes, il ne les désigne pas, il leur laisse un moyen facile de retourner à la pénitence; il montre clairement que la pénitence peut effacer les fautes, et qu'enfin il ne pleurera que ceux qui sont incapables de faire pénitence, que les incurables, qui conservent leur plaie. Méditez donc sur la vertu apostolique de l'homme à qui sa conscience ne fait aucun reproche, qui gémit des fautes d'autrui, qui s'humilie parce que les autres ont péché. C'est là en effet ce qui doit surtout distinguer le maître, la compassion pour les malheurs de ses disciples, les chagrins, la douleur pour les blessures de ceux qu'il conduit.

Il montre ensuite la nature du péché : " De leurs dérèglements et de leur impureté ". Ce qu'il désigne par là, à mots couverts, c'est la fornication; mais si l'on tient à se rendre un compte .exact des péchés de toute nature, ce nom leur convient à tous. Car quoique le fornificateur , l'adultère soient surtout ceux qu'on traite d'impurs, les autres péchés aussi mettent l',impureté dans l'âme. Voilà pourquoi, n'en doutez pas, le Christ traite d'impurs les Juifs; ce ne sont pas seulement leurs fornications qu'il accuse, mais leur dépravation à d'autres égards. Aussi fait-il. observer qu'ils n'ont pris soin de purifier que le dehors (Matth: XXIII, 25) ; aussi dit-il ailleurs: " Ce n'est pas ce qui entre: qui souille l'homme, mais ce qui sort ". (Matth. XV, 11.) L'Ecriture dit ailleurs encore : " Tout homme au coeur insolent est impur devant le Seigneur ". (Prov. XVI, 5.) Et c'est avec raison. Rien de plus pur (171) que la vertu, rien de plus impur que le péché; car la vertu est plus éclatante que le soleil ; le péché est plus infect que la fange. C'est ce que peuvent prouver, par leur propre témoignage, ceux qui se roulent dans le bourbier, qui passent leur vie dans les ténèbres; il suffit qu'on leur fasse ouvrir un moment les yeux. Tant qu'ils restent abandonnés à eux-mêmes, enivrés de leurs passions, ils continuent, comme dans l'obscurité, à croupir dans l'opprobre, dans l'ignominie ; ils ne sentent pas leur état, ils ne s'en rendent pas un compte exact; mais s'ils se voient convaincus d'infamie par un homme vertueux, ne feraient-ils que l'apercevoir, c'est alors qu'ils reconnaissent combien leur état est misérable ; c'est comme un rayon qui tombe sur eux; ils veulent alors cacher leur honte; ils rougissent devant,ceux qui connaissent leur conduite, quand le témoin serait un esclave, et le coupable un homme libre; quand le premier serait un sujet, et l'autre un souverain.

C'est ainsi que l'aspect seul d'Elie couvrait Achab de confusion, avant même que le prophète eût parlé, rien que sa vue saisissait le roi; l'accusateur gardait le silence, et le roi prononçait lui-même la sentence de sa propre condamnation; ses paroles étaient celles du coupable convaincu : " Vous m'avez trouvé; vous, mon ennemi ". (III Rois, XXI, 20.) Voilà comment Elie parlait à ce tyran avec une pleine liberté. Voilà comment Hérode, incapable de supporter la honte et les remords, (tel était l'éclat que donnait à son crime le cri retentissant de la: voix du prophète), fit jeter Jean en prison; ce roi ressemblait à un homme qui se trouve en état de nudité, qui veut éteindre un flambeau, pour rentrer dans les ténèbres. Ou plutôt il n'osa pas l'éteindre lui-même, mais il le plaça comme sous un boisseau, dans l'intérieur de sa maison; cette malheureuse et misérable femme le força enfin à l'éteindre. Eh bien, ils ne purent pas même par ce moyen faire disparaître leur crime; ils le rendirent encore plus éclatant. Ceux qui demandaient pourquoi Jean était en prison, en apprenaient la causé, elle fut connue ensuite de tous ceux qui habitaient la terre et la mer, de tous sans exception, des hommes d'alors, des hommes d'aujourd'hui ; et ceux qui doivent naître apprendront à leur tour ce drame de forfaits, d'impuretés, d'infamie, joué par ces deux grands pécheurs, et il n'est pas de siècle qui puisse jamais en abolir la mémoire.

3. Le pouvoir de la vertu est si grand, si impérissable est le souvenir que la vertu laisse après elle, qu'elle n'a qu'à parler pour confondre ses contradicteurs. Pourquoi ce tyran jette-t-il en prison le prophète ? Pourquoi ne se contente-t-il pas de le mépriser? Est-ce que Jean allait le traîner devant un tribunal ? Est-ce qu'il parlait de le punir de son adultère? Est-ce que l'action de Jean ne se réduisait pas à des paroles? Que craint-il donc et qu'a-t-il à trembler ? Quoi de plus, ici, que des paroles, que des discours? C'est que ces paroles frappaient plus durement qu'un châtiment réel. Il ne le conduisait pas devant un tribunal, il le traînait devant sa conscience, il lui donnait pour juges toutes les consciences libres. Voilà pourquoi tremblait ce tyran, incapable de supporter la lumière de la vertu. Comprenez-vous la grandeur de la sagesse et de la vertu? C'est elle qui fait qu'un prisonnier resplendit de plus de gloire qu'un tyran, et que ce tyran a peur et qu'il tremble. Celui-ci toutefois se contenta de le charger, de fers , mais cette femme criminelle provoqua le tyran à un meurtre. Cependant c'était lui plus qu'elle , qui était accusé. En effet, le prophète n'avait pas été trouver cette femme pour lui dire : Que faites-vous? vous cohabitez avec le tyran ? Ce n'est pas qu'elle ne pût être accusée; qui en doute? mais c'est par lui que le prophète voulait que le scandale cessât: Voilà pourquoi c'est lui qu'il réprimande, et sa parole ne gronde pas d'une manière terrible. Il ne lui dit pas :

O scélérat, ô le plus scélérat de tous les hommes, violateur des lois, impie, tu as foulé sous tes pieds la loi de Dieu, tu as tourné ses commandements en dérision, tu n'as reconnu pour loi que ta brutalité. Il ne lui dit rien de pareil; dans ses reproches respire une modération, une douceur parfaite : " Il ne vous est pas permis d'avoir la femme de Philippe, votre frère ". (Marc, VI, 18.) C'était plutôt le ton de l'enseignement que de l'accusation, c'était plutôt une leçon qu'un châtiment, une réprimande qu'une poursuite , un avertissement qu'une attaque. Mais, je l'ai déjà dit, le voleur déteste la lumière, et les pécheurs détestent l'homme juste, rien que son aspect : " Il nous importune ", dit l'Ecriture, "rien que quand il paraît ". (Sag. II, 14.)

En effet, ils n'en peuvent supporter les (172) rayons; les yeux malades ne soutiennent pas les rayons du soleil. Pour la foule des méchants ce n'est pas seulement la présence de l'homme juste, qui est insupportable, mais rien que le son de sa voix. Voilà pourquoi cette femme criminelle, cette femme la plus criminelle de toutes, cette infâme qui prostituait sa fille, ou plutôt qui en était le bourreau, cette misérable, qui pourtant n'avait ni vu le prophète, ni entendu sa voix, s'élança pour obtenir son meurtre, et elle s'associa, pour cette oeuvré de sang, l'impudique qu'elle avait formée, qu'elle avait nourrie, tant elle redoutait le terrible prophète. Et que dit-elle ? " Donnez-moi ici, sur un plat, la tête de Jean ". Et pourtant, s'il est en prison, c'est pour toi, c'est à cause de toi qu'il est dans les fers, et cependant tu peux flatter ton amour insensé en te disant : J'ai triomphé du roi, il a repoussé une accusation publique, il n'a pas rejeté son amour, il n'a pas rompu nos liens adultères; il s'en faut bien; celui par qui il a été repris, il l'a chargé de chaînes. Quel est ton délire, quelle est ta rage, ô femme; même après la réprimande tu jouis de ton amour? Qu'as-tu à demander une table de furies, à préparer un banquet pour les démons tes bourreaux ? Voyez-vous le néant, la misère, la terreur, la lâcheté du vice; voyez-vous que, plus il triomphe, plus il est frappé de faiblesse? Cette femme avait moins le vertige avant que le prophète eût été jeté en prison; c'est maintenant qu'elle se trouble surtout, maintenant qu'il est dans les fers ; c'est maintenant qu'elle dit : " Donnez-moi ici, sur un plat, la tête de Jean ".

Et pourquoi " ici? " Je crains, dit-elle, que le meurtre ne reste dans l'ombre, qu'il n'y ait des gens pour le soustraire au danger. Et pourquoi ne veux-tu pas tout son corps privé de vie, mais seulement sa tête? C'est cette langue, dit-elle, qui m'a affligée, que je désire voir silencieuse. Eh bien, c'est tout le contraire qui aura lieu, ô malheureuse, ô misérable , cette langue fera entendre une voix encore plus éclatante dans cette tête tranchée, après ton crime. Jusqu'à ce jour, on n'entendait ses cris que dans la Judée, mais maintenant ils vont retentir jusqu'aux extrémités de la terre, et quelle que soit l'Eglise où vous entriez, chez les Maures, chez les Perses, dans les îles mêmes des Bretons, vous entendrez la voix éclatante de Jean : " Il ne vous est pas permis d'avoir la femme de Philippe, votre frère ". Mais cette femme, qui ne comprend rien, qui ne voit rien, pousse au meurtre, elle obsède, elle y précipite ce tyran insensé; elle n'a qu'une peur, c'est qu'il ne change de volonté. Eh bien, remarquez encore cette nouvelle preuve de la puissance de la vertu. Le prophète est en prison, il est enchaîné, il est dans le silence, et cependant ce roi ne soutient pas l'aspect de l'homme juste. Comprenez-vous toute la faiblesse, toute l'impureté du vice? Au lieu de mets, c'est une tête humaine qu'il fait apporter sur un plat. Quoi de plus exécrable, de plus abominable, de plus infâme que cette jeune fille ? Quelle voix a-t-elle fait entendre sur le théâtre de Satan, au banquet des démons? Vous voyez une langue et une langue; l'une portant des remèdes salutaires, l'autre, la perdition ; l'autre , dressant pour les festins de l'enfer, la table empoisonnée. Mais pourquoi l'ordre n'a-t-il pas été donné d'exécuter le meurtre dans la salle du banquet? elle y aurait trouvé un plaisir plus exquis. Mais elle a eu peur, qu'à sa présence, qu'à sa vue, rien qu'en l'apercevant, rien qu'en entendant sa libre parole, toutes les dispositions ne fussent changées. Voilà pourquoi elle demanda sa tête, jalouse de dresser, de son infamie, ce trophée éclatant, qu'elle donna à sa mère.

4. Avez-vous bien compris ce salaire de la danse? Avez-vous bien compris ces dépouilles conquises par l'artifice du démon ? Ce n'est pas de la tête de Jean que je parle, mais de l'adultère. Il suffit de se rendre un compte exact de ce qui se passe, pour voir que ce trophée est dressé contre lé roi ; et maintenant celle qui a triomphé -a été vaincue, le décapité a obtenu la couronne, et son nom a été proclamé; après sa mort, il n'en u que plus vivement secoué la conscience des criminels. Nos paroles ne sont pas un vain bruit. Interrogez Hérode lui-même; à peine eût-il appris les miracles de Jésus-Christ : " C'est Jean, c'est lui-même qui est ressuscité ", dit-il, " d'entre les morts; et c'est pour cela qu'il se fait, par lui, des miracles ". (Matth. XIV, 2.) Ce qui prouve combien la terreur était vive et persistante en lui , et combien il ressentait d'angoisses ; et, nul n'était assez fort pour l'affranchir des terreurs de sa conscience ; le juge incorruptible continuait à le suffoquer, à lui demander chaque jour l'expiation du meurtre. Donc, instruits de ces vérités, craignons, non (173) pas de souffrir du mal, mais de commettre le mal: d'une part, c'est la victoire ; de l'autre, la défaite. Voilà pourquoi Paul aussi disait " Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt qu'on vous fasse du tort? Mais vous faites du tort aux autres, vous les frustrez, et vous faites cela à vos frères ". (I Cor. VI, 7, 8.) C'est la patience dans les maux qui mérite les couronnes, les récompenses, la gloire. C'est une vérité que manifeste la vie de tous les saints. Donc, puisque c'est ainsi que tous ont conquis leur couronne, ont conquis leur gloire, marchons, nous aussi, dans le même chemin ; demandons, par nos prières, à ne pas entrer en tentation ; si la tentation nous arrive, luttons avec énergie, avec courage, déployons l'ardeur qui convient à la vertu, afin d'obtenir les biens à venir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

HOMÉLIE XXIX. VOICI LA TROISIÈME FOIS QUE JE ME DISPOSE A VOUS ALLER VOIR. TOUT SE JUGERA SUR LE TÉMOIGNAGE DE DEUX OU TROIS TÉMOINS. ( XIII, 1, JUSQU'À XIII, 9.)
Analyse.

1. De la répugnance de saint Paul à punir ; de la sainte chaleur avec laquelle il multiplie les avertissements.

2. Sur le Christ crucifié, selon la faiblesse, et vivant par la vertu de Dieu.— De la faiblesse et de ses diverses espèces ; différents sens du mot grec qui l'exprime.

3. Les apôtres, à l'imitation de Jésus-Christ, acceptent les souffrances, non par faiblesse, mais par la grâce et par la force d'en-haut.— De la puissance qui se manifeste en supportant les traitements mimes qui semblent témoigner de la faiblesse.

4 et 5. La foi ne suffit pas pour mériter les dons de l'Esprit ; il faut y joindre les bonnes moeurs.— Admirable patience et charité de saint Paul; ses prières à Dieu, non-seulement pour être dispensé de punir, mais pour que la conduite des fidèles soi pure de tout péché; affection paternelle de l'apôtre pour ses disciples.— Combien il était exempt de vaine gloire.— De la véritable gloire ; moyens de l'acquérir.

1. Les passages abondent où Paul montre, et sa sagesse , et l'ardeur de sa charité ; c'est surtout ici que son coeur se révèle, que se fait voir sa chaleur dans les avertissements , son hésitation, sa répugnance à punir. Ce n'est pas du premier coup qu'il châtie les coupables, il les a avertis une fois, deux fois; et maintenant il ne se décide pas encore à, punir les désobéissances, il les avertit une fois de plus par ces paroles, il leur dit : " Voici la troisième fois que je me dispose à vous aller voir "; avant de me rendre auprès de vous, je vous écris encore. Ensuite ne voulant pas que cette hésitation de sa part produise le relâchement, il trouve encore, voyez, le moyen d'ajouter à la correction ; il continue ses menaces , il frappe de nouveaux coups, il dit " Si je viens encore une fois, je ne pardonnerai pas; et j'appréhende que je ne sois obligé d'en pleurer plusieurs ". Cette conduite, ce langage, c'est pour imiter Notre-Seigneur, le Maître de toutes les créatures ; car Dieu ne se lasse pas de menacer, souvent il avertit; mais on le voit bien moins souvent châtier et punir. C'est ce que fait Paul : voilà pourquoi il disait auparavant: " C'est pour vous épargner que je n'ai point voulu retourner à Corinthe ". (II Cor. I, 23.) Qu'est-ce que cela veut (174) dire: " C'est pour vous épargner? " C'est-à-dire: J'avais peur de trouver en vous de pécheurs incorrigibles , j'avais peur d'être obligé de châtier, de punir. Ici, il exprime 1a même pensée de cette manière : "Voici la troisième fois que je me dispose à vous aller voir. Tout se jugera sur le témoignage de deux ou trois témoins ". L'apôtre rapproche une parole qui est dans l'Ecriture d'une autre (lui n'y est pas ; c'est ainsi qu'il dit ailleurs: " Celui qui s'unit à une prostituée, est un même corps avec elle; car ceux qui étaient deux, dit l'Ecriture, ne seront plus qu'une chair ". (I Cor. VI, 16.) II est certain pourtant qu'il n'est question dans l'Ecriture, que du mariage légitime ; mais l'apôtre, tout en détournant ces paroles de leur véritable, objet, les emploie d'une manière utile, afin d'inspirer à l'adultère plus de terreur. Il fait de même ici; ces témoins dont il parle ne sont autre chose que les visites et les menaces qu'il a faites aux Corinthiens. Voici ce qu'il veut dire: Ce que je vous ai dit une fois, deux fois,, quand j'étais auprès de vous, je vous le répète en ce moment par lettres. Si vous m'écoutez, je n'ai plus rien à désirer; si vous ne m'écoutez pas, je serai forcé de tenir ma parole, et d'en venir aux châtiments. Aussi dit-il : " Je vous ai prévenus, et je vous préviens encore, au moment de vous aller voir; j'ai beau être loin de vous, je vous écris, à ceux qui ont péché auparavant, et à tous les autres, que, si je retourne auprès de vous, je ne pardonnerai pas (2) ". Car si tout doit dépendre de. deux ou trois témoins, si je vous ai visités à deux reprises, si je vous ai parlé, ce que je vous ai dit, je vous le répète encore .maintenant dans ma lettre; je serai donc désormais forcé de prouver la vérité de mes paroles. N'allez pas croire que mes lettres ne vaillent pas ma présente ; ce que je vous disais , moi présent , je vous l'écris en ce moment, avec tout autant d'autorité, loin de vous. Comprenez-vous cette sollicitude paternelle,? Comprenez-vous la sagesse , la prévoyance de, l'apôtre? Il ne garde pas le silence, il n'inflige pas non plus de punition, il accumule les avertissements, il se borne à menacer d'une manière constante, et il diffère le châtiment : ce n'est que, s'ils demeurent incorrigibles qu'il les menace d'en venir à la punition réelle. Mais quel avertissement avez-vous donné de vive voix, et qu'écrivez-vous de loin? " Si je retourne, je ne pardonnerai pas ". il a commencé par montrer, qu'à moins d'être forcé, il ne peut se résoudre à cette rigueur ; il a parlé des pleurs qu'il serait obligé de verser ; il a parlé de son humiliation : " Et qu'ainsi Dieu ne m'humilie, lorsque je serai revenu chez vous, et que je ne sois obligé d'en pleurer plusieurs, qui ont déjà péché, et qui n'ont pas fait pénitence "; pour se justifier devant eux, il leur rappelle qu'il les a avertis une, fois, deux fois, trois fois, qu'il fait tout, qu'il emploie tous les moyens, pour repousser la nécessité dés châtiments, pour les rendre meilleurs en les effrayant par ses paroles; ce n'est qu'à la fin qu'il se sert de ces dures et menaçantes expressions : " Si je retourne , je ne pardonnerai pas ". Il ne dit point: Je châtierai, je punirai , j'exigerai une réparation; il exprime encore d'une manière paternelle même la punition, il montre que ses entrailles se troublent, que son âme s'afflige avec leur âme, que c'est pour cette bonté dont ils sont l'objet qu'il a toujours différé de les punir. Mais il ne veut plus laisser croire qu’il se bornera encore à attendre, à menacer en paroles ; voilà pourquoi il a dit d'abord: " Tout se jugera sur le témoignage de deux ou trois témoins ", et pourquoi il a ajouté: " Si je retourne, je ne pardonnerai pas ". Ce qui revient à dire : Je n'hésiterai pas plus longtemps, si je vous trouve incorrigibles; (puisse ce malheur ne pas arriver !) je punirai, n'en doutez pas, et je tiendrai ma parole. Ensuite, il s'emporte, il s'irrite, il s'indigne contre ceux qui le représentent comme un homme faible, qui tournaient en dérision l'effet produit par sa personne, et qui disaient : " Lorsqu'il est présent, il paraît bas en sa personne, et méprisable en son discours " (II Cor. X, 10); c'est à eux qu'il adresse cette apostrophe : " Est-ce que vous voulez éprouver le Christ qui parle en moi (3) ?" C'est un coup donné à ses détracteurs, et en même temps, pour ,les fidèles, un avertissement. Ce qui revient à dire: .Puisque vous tenez à éprouver si le Christ habite en moi, et que vous me demandez dés comptes, et que vous me tournez en ridicule comme un homme vil et méprisable, entièrement dépourvu de la force d'en-haut, vous saurez que nous n'en sommes pas dépourvu, à la première occasion que vous nous donnerez de vous la faire sentir, (puisse ce malheur (175) ne pas arriver!) Eh quoi? Répondez-moi Tenez-vous à les châtier, parce qu'ils veulent faire une expérience,? Nullement, répond l'apôtre; car si j'y eusse tenu, je les aurais châtiés à la première faute , je n'aurais pas attendu. Evidemment, ce n'est, pas là ce qu'il cherche, et ce qu'il dit plus loin le montré avec une suffisante clarté : " Je prie Dieu , que vous ne commettiez aucun mal, non afin que nous ne soyons pas mis à l'épreuve, mais afin que vous soyez vous-mêmes éprouvés, vous, et que nous n'ayons pas nous-même l'occasion de nous montrer à l'épreuve ".

2. Donc ce qu'il dit ne signifie pas qu'il tienne à en venir aux effets ; c'est un cri de colère contre ceux qui le méprisaient. Quant à moi, dit-il, je ne désire pas vous faire faire: cette expérience; mais si vous êtes cause que l'expérience se fait, si vous me provoquez, la réalité des faits vous instruira. Voyez encore ce qu'il y a de gravité dans, sa parole. Il ne dit pas : puisque vous voulez m'éprouver, mais, éprouver " Le Christ qui parle en moi ": il montre ainsi que c'est envers le Christ qu'ils ont péché. Il ne dit pas : le Christ qui habite en moi, mais, " Qui parle en, moi ", montrant par là que ses paroles sont inspirées par l’Esprit. S'il n'en montre pas a force, s'il ne châtie pas encore, c'est qu'en cessant de parler de lui-même pour montrer le Christ, il rend ses menaces plus terribles; il ne fait pas preuve de faiblesse , il a -la force pour lui, mais il prouve sa longanimité. Qu'on se garde bien d'imputer sa patience à, faiblesse.,Qu'y a-t-il d'étonnant à ce qu'il ne fonde pas sur les pécheurs, à ce qu'il ne les réduise pas sur-le-champ à lui faire réparation, à ce qu'il montre sa patience, sa longanimité-, lorsque le Christ a supporté qu'on le mît en croix, et crucifié, n'a pas envoyé le châtiment? Voilà pourquoi l'apôtre ajoute : " Qui n'est point faible devant vous, mais puissant parmi vous. Car encore qu'il ait été crucifié selon la faiblesse , il vit néanmoins par là vertu de Dieu (4) ". Ces paroles sont fort-obscures, et peuvent troubler les faibles. C'est pourquoi il est nécessaire de les expliquer, de préciser le sens es expressions qui présentent le plus d'obscurité, pour prévenir les scandales des esprits trop peu avancés.

Que signifie donc le mot " Faiblesse ", et quel sens l'apôtre y a-t-il attaché? Voilà ce qu'il faut nécessairement comprendre. Un seul mot, eu effet, peut avoir bien des sens. On entend, par le mot grec dont le premier sens est faiblesse, astheneia, les maladies du corps : de là, dans l'Evangile : " Voyez, celui que vous aimez, asthenei , est faible , est malade, à propos de Lazare " (Jean, XI , 3, 4) ; et Notre-Seigneur disait : " Cette maladie, astheneia, n'est pas mortelle " ; et Paul, au sujet d'Epaphrodite : " Car il a été en effet malade , esthenese jusqu'à la mort, mais Dieu a eu pitié de lui " (Philipp. II, 27) ; et à propos de Timothée : " Usez d'un peu de vin à cause de votre estomac et de vos fréquentes indispositions,astheneias, faiblesses , maladies ". (I Tim. V, 23.) Toutes ces expressions marquent des maladies du corps. Maintenant le même mot indique le manque de solidité dans la foi, l'imperfection, ce que la foi a d'incomplet. C'est ce que Paul marquait par ces paroles : " Recevez avec charité celui qui est faible dans la foi, sans contester avec lui " et encore : " L'un croit qu'il lui est permis de manger de toutes choses, celui qui est faible ne mange que des légumes " (Rom, XIV, 1, 2); faible, ici, veut dire faible dans la foi. Voilà donc déjà deux sens du mot grec signifiant faiblesse, du mot astheneia a encore un troisième sens. Quel est-il? Les persécutions, les menées insidieuses, les attaques, les tentations, les dangers mortels. C'est ce que l'apôtre montré en disant : " C'est pourquoi j'ai prié trois fois le Seigneur, et il m'a répondu : Ma grâce vous suffit, car ma puissance éclate dans la faiblesse ". (II Cor. XII, 8, 9.) Qu'est-ce que cela veut dire : " Dans la faiblesse? " Dans les persécutions, dans les dangers, dans les tentations, dans les trames perfides, dans les périls où la mort menace. C'est encore en ce sens que l'apôtre disait : " Ainsi je me complais dans la faiblesse ". (Ibid. 10.) Et ensuite , expliquant de quelle faiblesse il parlait, il ne dit pas qu'il voulût faire entendre par là, soit quelque fièvre, soit quelque incertitude en ce qui concerne la foi; mais que dit-il? " Dans les outrages, dans les persécutions, dans les nécessités, dans les angoisses, dans les coups, dans les prisons, afin que la puissance de Jésus-Christ habite en moi. Car lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort ", C'est-à-dire, c'est quand on me persécute , quand on me chasse, quand on veut me faire du mal, c'est alors que je suis fort, c'est alors (176) que je triomphe le plus, que j'ai la victoire sur ceux qui veulent me nuire, et je la dois à l'abondance de la grâce qui réside en moi.

C'est dans le troisième sens que Paul emploie ici le mot faiblesse, et ce qu'il dit revient à ceci : Il veut, comme je l'ai déjà dit, ruiner ce qu'on affirmait de sa personne qui paraissait vile et méprisable à ces gens-là. Ce n'est pas assurément qu'il voulût se faire valoir, ni paraître ce qu'il était réellement, ni étaler la puissance qu'il avait de châtier et de punir; ce qui est si vrai, que c'était précisément pour cette raison qu'il passait pour méprisable. Donc comme ces pensées où l'on était, produisaient un grand relâchement, l'engourdissement des esprits, empêchaient les repentirs, l'apôtre saisit une occasion favorable, s'exprime vigoureusement à ce sujet, et montre que ce n'est pas par faiblesse qu'il s'abstient, mais par longanimité. Ensuite, jé l'ai déjà dit, cessant de parler de lui, il fait intervenir le Christ pour augmenter la terreur et grandir l'effet de la menace. Ce qu'il dit revient à ceci : Eh bien, supposez que j'agisse que je soumette les pécheurs à des punitions, à des châtiments, est-ce que c'est moi qui inflige la punition, le châtiment? C'est celui qui habite en moi, le Christ lui-même. Si vous n'avez pas la foi sur ce point, si vous tenez à faire l'expérience, les oeuvres réelles de celui qui habite en moi, vous apprendront vite la vérité : car il n'est point faible devant vous, mais-il est puissant. Pourquoi l'apôtre a-t-il ajouté " Devant vous ", car le Christ est puissant partout? Il n'a qu'à vouloir pour châtier les infidèles, les démons, tout ce qu'il lui plait. Pourquoi donc cette addition? C'est une parole très-incisive pour rappeler aux gens une expérience qu'ils ont déjà faite; ou peut-être Paul entend-il leur dire que la puissance de Jésus-Christ s'est, assez montrée à eux pour qu'ils doivent se corriger. C'est ce qu'il exprimait ailleurs : " Qu'ai-je à faire de juger ceux qui sont dehors? " (I Cor. V, 12.)

3. Pour ceux qui sent dehors, dit l'apôtre, c'est au jour du jugement qu'ils s'entendront demander la réparation de leurs péchés; mais pour vous , c'est maintenant que vous la subirez, afin d'être affranchis de l'autre. Eh bien, cette pensée pleine d'une sollicitude qu'inspire l'affection paternelle, voyez comme il l'exprime d'une manière terrible et avec quelle passion : " Qui n'est peint faible devant vous, mais puissant parmi vous. Car encore qu'il ait, été crucifié, selon la faiblesse, il vit néanmoins par la vertu de Dieu ". Qu'est-ce à dire : " Encore qu'il ait été crucifié selon la faiblesse? " Quoiqu'il ait consenti, dit l'apôtre, à subir un supplice qui semble autoriser des soupçons de faiblesse, il n'y a rien en cela qui diminue sa puissance; elle subsiste inexpugnable, et ce qui semble une preuve réelle de faiblesse, ne lui a porté aucune atteinte; au contraire, c'est la preuve la plus éclatante de la force qui est en lui, qu'il ait pu supporter un pareil traitement sans que sa puissance en ait été amoindrie. Donc il ne faut pas que le mot de faiblesse vous trouble en effet, ailleurs encore, il dit : La folie de " Dieu est plus sage que l'homme, et la faiblesse de Dieu est plus forte que l'homme " (I Cor. I, 25); évidemment. il n'y a en Dieu ni folie ni faiblesse, mais c'est une allusion qu'il fait à la croix pour exprimer les idées des incrédules à ce sujet. Ecoutez donc l'apôtre s'expliquant lui-même : " La parole, de la croix est une folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, c'est la puissance de Dieu et encore : " Nous prêchons, nous, un Dieu crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Grecs, le Christ qui est, pour ceux qui sont appelés ou Juifs ou Grecs, la puissance et la sagesse de Dieu " (I Cor. I, 18, 23, 24) ; et encore " L'homme animal ne reçoit pas les choses de l'esprit ; car, pour lui, c'est folie ". (I Cor. II, 14.) Voyez-le partout exprimant les idées, des infidèles qui regardent comme une folie, comme une faiblesse, l'acte de ta croix. C'est de cette manière qu'ici encore il ne parle pas d'une faiblesse réelle, mais de Ce qui était regardé comme une faiblesse par les infidèles. Il ne dit donc pas que celui qui fut mis en croix était un être faible ; loin de nous cette pensée. Qu'il lui fut possible d'échapper à là croix, c'est ce qu'il a montré par tous les moyens, tantôt renversant ceux qui veulent le saisir, tantôt détournant les rayons du soleil, desséchant le figuier, aveuglant ceux qui l'approchent, opérant d'autres actes innombrables de sa1puissance; que signifie donc ce que dit l'apôtre, " Selon la faiblesse? " C'est que si le Christ a été crucifié, s'il a supporté d'être victime des dangers et des haines (nous avons montré qu'aux dangers, aux attaques de la haine l'apôtre donne le nom d'astheneia, (177) de "faiblesse "), sa force pourtant n'en a reçu nulle atteinte. Mais l'apôtre parlait ainsi pour s'approprier ce qui ressort de cet exemple. Comme on voyait que les apôtres persécutés; chassés, méprisés, ne songeaient ni à se défendre, ni à attaquer, Paul enseigne que ce n'est ni par faiblesse qu'ils supportent de pareils traitements , ni par impuissance de les écarter, et il s'élève jusqu'au souverain Maître du monde pour en déduire sa démonstration; lui-même, dit-il, a été mis en croix, chargé de fers, a souffert d'innombrables douleurs, et il ne repoussait pas ses ennemis, il endurait tout, il supportait tous les traitements qui semblent des preuves de faiblesse, et par là il manifestait la force qui est en lui, puisque, tout en s'abstenant de repousser les attaques et de se venger, il n'a reçu absolument aucune atteinte. La croix n'a donc pas supprimé la vie, n'a pas mis obstacle à la résurrection, le Christ est ressuscité et il vit. Lorsqu'on vous parle de croix et de vie, entendez cela de l'humanité de Jésus-Christ, car c'est le sujet de tout ce discours. Si l'apôtre dit : " Par la vertu de Dieu " (ce n'est pas que Jésus-Christ ne fut pas assez puissant pour revenir de lui-même à la vie quant à la chair; il n'aurait. pas refusé de dire par la vertu du Père et élu Fils. En disant : " Par la vertu de Dieu "), c'est de la vertu de Jésus-Christ qu'il parle. Ce qui preuve que c'est le Christ lui-même qui a ressuscité, (lui a le pouvoir de ressusciter sa chair, écoutez : " Détruisez ce a temple, et je le rétablirai en trois jours ". (Jean, II, 19.) S'il dit que tout ce qui lui appartient, appartient à son Père, ne vous troublez pas : " Car tout ce qui appartient à mon a Père est à moi ", dit-il (Jean, XVI, 15) ; et encore : " Tout ce qui est à moi est à vous, et a tout ce qui est à vous est à moi ". (Ibid. XVII, 10.) Donc, dit l'apôtre, de même que ce Dieu crucifié n'a reçu aucune atteinte, de même ne souffrons-nous aucun mal, nous que l'on persécute, nous à qui l'on fait la guerre. Voilà pourquoi Paul ajoute : " Nous sommes faibles aussi avec lui, mais nous vivrons avec lui par la vertu de Dieu ". Que veut dire : "Nous sommes faibles avec lui? " Nous sommes persécutés, chassés, nous souffrons les maux les plus rigoureux. Mais que signifie " Avec lui ? " Par la prédication; dit-il , et par la foi en lui. Que si nous endurons des choses sinistres, des afflictions à cause de lui, (177) il est évident que nous devons aussi être heureux avec lui ; voilà pourquoi Paul a ajouté " Mais nous sommes sauvés avec lui par la vertu de Dieu. Examinez-vous vous-mêmes. pour voir si vous êtes dans la foi ; éprouvez-vous vous-mêmes. Ne reconnaissez-vous pas vous-mêmes que Jésus-Christ est en vous, si ce n'est que vous soyez déchus? Mais j'espère que vous reconnaîtrez que nous, nous ne sommes pas déchus (5, 6) ". En effet, après leur avoir dit que, s'il ne les traite pas sévèrement, ce n'est pas qu'il ne porte pas le Christ en lui, mais c'est qu'il veut imiter la longanimité du Christ crucifié, du Dieu qui ne se défend point; il s'y prend encore d'une autre manière pour arriver au même but; il trouve dans les disciples une preuve encore plus forte à l'appui de son discours. Mais est-il nécessaire de vous parler de moi, d'un maître chargé, dit-il, de tant de soins, à qui la terre entière a été confiée, et qui a donné tant de signes de sa mission? Vous n'avez, sous, simples disciples, qu'à vous examiner vous-mêmes, vous verrez que même en vous réside le Christ; s'il réside en vous, à bien plus forte raison réside-t-il dans le maître. Oui, si vous avez la foi, le Christ est aussi en vous. Car ceux qui avaient la foi faisaient des miracles alors. Voilà pourquoi Paul ajoute . " Examinez-vous vous-mêmes, éprouvez-vous vous-mêmes, pour voir si vous êtes dans la foi. Ne reconnaissez-vous pas vous-mêmes que Jésus-Christ est en vous, si ce n'est que vous soyez déchus? " Or, s'il est en vous, à bien plus forte raison est-il dans le Maître. Quant à moi, il me semble parler ici de la foi qui fait des miracles. Car, dit-il, si vous avez cette foi , le Christ est en vous, " si ce n'est que vous soyez déchus ".

4. Voyez-vous comme il prend de nouveau un accent terrible, comme il leur montre victorieusement que le Christ est en lui ? L'apôtre me semble ici faire allusion à leur conduite. En effet, la foi ne suffisant pas pour attirer la vertu active de l'Esprit, et lui leur disant, si vous êtes dans la foi, vous avez le Christ en vous, comme il arrivait que plusieurs n'avaient pas cette vertu active, quoiqu'ils eussent la foi , il leur dit résolument : " Si ce n'est que vous soyez déchus", si ce n'est que vos moeurs soient corrompues. " Mais j'espère que vous reconnaîtrez que nous, nous ne sommes pas déchus ". La suite naturelle des (178) idées était, si vous êtes déchus, nous ne le sommes pas, nous; ce n'est pas ainsi que Paul s'exprime ; il ne veut pas les frapper durement; il s'enveloppe d'obscurité; il ne veut- ni découvrir au grand jour sa pensée, en disant, vous êtes déchus; ni procéder par interrogation, en disant: seriez-vous déchus? il glisse tout en indiquant sa pensée d'une manière obscure : " Mais j'espère que vous reconnaîtrez que nous, nous ne sommes pas déchus ". Il y a encore ici une menace sévère, un accent terrible. Puisque vous tenez maintenant, dit-il, à ce que le châtiment exercé contre vous, vous serve de preuve, nous ne serons pas embarrassés pour vous faire la démonstration. Mais l'apôtre s'exprime avec plus d'autorité et d'une manière plus menaçante: " Mais j'espère que vous reconnaîtrez que nous, nous ne sommes pas déchus ". Vous ne devriez pas, dit-il, avoir besoin de cette expérience pour savoir ce que nous sommes, pour savoir que nous portons le Christ parlant et agissant en nous; mais puisque vous tenez à faire une expérience par lw réalité des faits, vous apprendrez que nous ne sommes pas déchus. Ensuite, quand il a bien proféré la menace, montré que le châtiment est à leurs portes, quand il les a réduits à trembler, à attendre la punition, voyez-le, suivant un autre sentiment, adoucir son discours, tempérer la crainte; montrer combien il est éloigné d'ambition, plein de sollicitude pour ses disciples, sage, élevé d'esprit et de coeur, étranger à la vaine gloire. Ce sont là toutes les qualités qu'il fait paraître , dans les paroles qu'il ajoute: " Je prie Dieu, que vous ne commettiez aucun mal, et non pas que nous soyons considéré ; que vous fassiez ce qui est de votre devoir, quand même nous devrions paraître déchu de ce que nous sommes. Car nous ne pouvons rien contre la vérité, mais seulement pour la vérité. Et nous nous réjouissons, lorsqu'il arrive que nous sommes faibles, et que vous êtes forts. Car nous prions afin que vous soyez parfaits (7, 8, 9) ".

Où trouver une âme qui égale cette âme? On le méprisait, on l'abreuvait d'outrages, on lui prodiguait les moqueries, les railleries, on le traitait de personnage vil, misérable, de fanfaron, d'homme superbe dans ses paroles, mais incapable de rien produire, dans la réalité, qui fût de nature à montrer tant soit peu sa force à lui; eh bien, non-seulement il diffère de punir, non-seulement il éprouve de la répugnance à frapper, mais il prie pour n'être pas réduit à cette nécessité. " Je prie Dieu ", dit-il, " que vous ne commettiez aucun mal, et non pas que nous soyons considéré ; que vous fassiez votre devoir, quand même nous devrions paraître déchu de ce que nous sommes ". Que veut-il dire? Je conjure Dieu, dit-il, je le supplie pour que je ne trouve personne d'incorrigible, personne qui soit incapable de repentir; ou plutôt, je ne lui demande pas cela seulement, mais qu'il n'y ait pas même en vous un commencement de péché : " Afin que vous ne commettiez ", dit-il, " aucun mal " ; afin que, si vous tombez dans le péché, vous vous bâtiez de vous repentir, de vous corriger, de désarmer la colère. Et ce que je désire de toute mon âme, ce n'est pas que nous soyons considéré, c'est tout le contraire, c'est que notre gloire, à nous, ne se montre pas. Car si vous vous obstinez, si votre repentir ne suit pas vos péchés, nous sommes dans la nécessité de vous châtier, de vous punir, de frapper vos corps : ce qui s'est fait pour Sapphira et pour le magicien, nous avons prouvé alors notre force et notre puissance. Mais ce n'est pas là que vont nos prières, bien. au contraire, nous ne voulons pas que notre gloire se montre; c'est-à-dire, nous ne voulons pas prouver la puissance qui est en nous, par votre châtiment, par la punition de pécheurs atteints de maladie incurable, mais que voulons-nous? " Que vous fassiez ce qui est bien " ; voilà ce que demandent nos prières, que vous soyez toujours vertueux , toujours sans reproche, et que nous soyons comme sans gloire, n'ayant pas à montrer notre puissance pour punir. Et il ne dit pas, sans gloire : car il ne devait pas être sans gloire, en supposant même qu'il n'eût pas châtié; il était, par cela même, cou. vert de gloire; s'il en est qui soupçonnent, dit-il, qu'en ne montrant pas notre force nous nous rendons méprisables, abjects, peu nous importe cette opinion. Mieux vaut pour nous de passer pour tels auprès de ces personnes que d'être forcés, en frappant des coups sévères, en punissant des incorrigibles, de manifester la puissance que Dieu nous a donnée. " Car nous ne pouvons rien contre la vérité, mais seulement pour la vérité". Il prouve, par ces paroles, que ce n'est pas uniquement (179) pour leur être agréable qu'il tient ce discours (car sa pensée n'a rien qui respire la vaine gloire), qu'il ne fait que ce qu'exigent les circonstances, voilà pourquoi il ajoute : " Car a nous ne pouvons rien contre la vérité". Si nous vous trouvons, dit-il, exhalant les parfums de la vertu, effaçant vos péchés par le repentir, fondés à vous adresser à Dieu avec une entière confiance, nous ne pourrons pas, quand même ce serait notre volonté, vous infliger de punition; si nous entreprenions de le faire, Dieu ne serait pas- avec nous. Car s'il nous a donné sa puissance , c'est pour là vérité, c'est pour la justice,-ce n'est pas pour agir contre la vérité. Voyez-vous comme il a recours à tous les moyens pour adoucir son langage, pour corriger ce que ses menaces auraient de trop rude ? Toutefois ce désir de son coeur est aussi une raison pour lui de montrer qu'il leur- est, du fond de l'âme, étroitement uni : voilà pourquoi il ajoute : "Et nous nous réjouissons, lorsqu'il arrive que nous sommes faibles et que vous êtes forts. Car nous prions afin que vous soyez parfaits ". Voilà certes, dit-il, .où il est surtout vrai de dire que nous ne pouvons rien contre la vérité, ce qui revient à ceci, que nous ne pouvons pas vous punir quand vous êtes agréables à Dieu ; car, outre que ce n'est pas en notre pouvoir, nous ne le voulons pas, précisément parce que vous êtes agréables à Dieu; c'est tout le contraire que nous désirons. En vérité, ce qui nous réjouit surtout, c'est de ne pas trouver en vous l’occasion pour nous, de vous montrer la puissance que nous avons pour le châtiment. Si notre sévérité nous permet de montrer notre gloire, de faire briller notre autorité, notre force , ce que nous voulons, c'est, au contraire, vous trouver dans votre devoir, vous, et irréprochables, sans rencontrer jamais, en ce qui nous concerne, l'occasion de nous glorifier par votre faute. Voilà pourquoi il dit : " Nous nous réjouissons lorsque nous sommes faibles ". Qu'est-ce à dire, "lorsque nous sommes faibles? " Lorsque nous paraissons faibles; non pas lorsque nous sommes réellement faibles, mais lorsqu'il arrive qu'on nous regarde comme faibles ; c'était l'effet produit par les apôtres sur leurs ennemis, quand ils n'avaient pas encore prouvé leur pouvoir de punir. Eh bien, peu importe, nous nous réjouissons lorsque vous vous conduisez de manière à ne pas nous donner la moindre prise pour vous punir. Oui, c'est un plaisir pour nous d'être regardés comme faibles, uniquement afin que vous soyez irréprochables; c'est pour cela qu'il ajoute : " Et que vous êtes forts ", c'est-à-dire, en possession de la gloire que donne la vertu. Et ce n'est pas là seulement ce que nous voulons , mais nous prions pour obtenir ce bonheur, que vous soyez irréprochables, accomplis, exempts de tout péché qui nous donne prise sur vous.

5. Voilà bien le caractère de l'affection paternelle, préférer à sa gloire personnelle le salut de ses disciples ; voilà le propre d'une âme au-dessus de la vaine gloire; voilà ce qui rompt surtout les attaches du corps, et vous élève de la terre au ciel, n'être pas souillé des atteintes de la vaine gloire ; tandis que, au contraire , cette vanité accumule les péchés dans, l'âme. Il n'est pas possible à l'homme entaché de cette vanité superbe, d'avoir des pensées élevées, grandes et généreuses; il faut nécessairement qu'il se traîne contre la terre, qu'il répande la destruction tout autour de lui, asservi qu'il est à la passion impure dont la tyrannie défie tout ce qu'il y a de plus barbare. Pouvez-vous concevoir une passion plus monstrueuse que celle qui s'exaspère en raison même du culte qu'on lui rend? Les bêtes féroces elles-mêmes sont moins emportées par la rage, on les apprivoise à force de soins. Pour la vaine gloire, c'est tout le contraire : méprisez cette passion, elle s'apaise; honorez-la; elle s'aigrit, elle s'arme contre celui qui l'honore. C'est pour l'avoir honorée que les Juifs ont subi de rigoureux châtiments; c'est pour l'avoir méprisée que les disciples ont mérité leurs couronnes. Mais à quoi bon parler, de châtiments et de couronnes? Ce qui donne là gloire, c'est surtout le mépris qu'on fait d'un frivole éclat. Vous verrez que, même ici-bas, ceux qui honorent la vaine gloire, se perdent; que ceux qui la méprisent, s'élèvent. Ceux qui l'ont méprisée, les disciples, (rien n'empêche de reprendre cet exemple), ceux qui ont honoré Dieu avant tout, brillent d'un éclat plus resplendissant que le soleil, l'immortel souvenir qu'ils ont attaché à leur nom les accompagne alors même qu'ils ont cessé de vivre; ceux qui, au contraire,. se sont inclinés devant cette vanité, les Juifs, privés de leurs cités, de leurs foyers , déshonorés, fugitifs, sont terrassés, abjects, méprisés.

180

Eh bien donc, vous aussi, si vous voulez conquérir la gloire, répudiez la gloire; si vous poursuivez la gloire, vous serez précipités de la gloire. Tenez, si vous voulez bien, appliquons nos réflexions aux choses du siècle. Quels hommes poursuivons-nous de nos paroles malignes? Ne sont-ce pas ceux qui recherchent la gloire? Donc ce sont eux qui en sont les plus privés : ils ont des milliers de détracteurs, ils sont méprisés de tous. Quels hommes admirons-nous ? répondez-moi. Ne sont ce pas ceux qui la dédaignent? Donc c'est à eux que la gloire appartient. De même que le riche n'est pas celui qui a beaucoup de besoins, mais celui à qui rien ne manque; de même, l'homme couvert de gloire, ce n'est pas celui qui l'aime , mais celui qui la méprise; car cette gloire n'est qu'une ombre de gloire. Jamais un homme, devant une image qui représente un pain, quelle que soit la faim qui le tourmente, ne portera la main à cette figure d'un pain. N'allez donc pas, vous non plus, poursuivre des ombres ; ce n'est qu'une ombre de gloire que vous voyez là, ce n'est pas la gloire. Et pour vous convaincre qu'il en est ainsi, voyez l'unanimité des accusations, des discours qui s'accordent à dire qu'il faut fuir ce mal, que ceux qui la désirent doivent être les premiers à s'en écarter; voyez la confusion de l'homme convaincu de s'y être laissé prendre, ou de la rechercher. D'où vient donc, dira-t-on, ce désir funeste? comment existe-t-il en nous? C'est un effet de la faiblesse de l'âme, (car il ne suffit pas d'accuser les passions, il faut, de plus, les corriger), c'est un effet de l'imperfection de l'intelligence; c'est un effet de la puérilité. Cessons donc enfin d'être des enfants, soyons des hommes; ne recherchons plus partout que la vérité, au lieu de poursuivre les ombres, les ombres de la richesse, les ombres du plaisir, les ombres du bonheur vraiment exquis, de la gloire, de la puissance ; et nous verrons cesser, en même temps que ce mat funeste, une foule d'autres maux. Poursuivre des ombres, c'est être possédé. De là ce que disait Paul: " Tenez-vous dans la vigilance; de la justice, et ne péchez pas ". (I Cor. XV, 34.) Il y a, en effet, une espèce de possession plus funeste que celle qu'opère le malin esprit, que le transport démoniaque. Cette possession par le démon n'enlève pas toute excuse, l'autre ne peut pas se justifier; c'est dans l'âme même que réside la corruption ; l'âme a perdu la rectitude du jugement; son sens est mort; l'organe de la possession démoniaque, c'est le corps; l'autre a pour siège et pour canne l'esprit. Et de même que les fièvres les plus pernicieuses, les fièvres incurables sont celles qui s'attaquent aux corps les plus robustes, qui se retirent au plus profond des nerfs, qui se cachent dans les veines; de même cette démence, quand elle s'est retirée au plus profond de la pensée, la bouleverse et s'applique à la détruire. Eh ! n'est-ce pas, en fait de démence, ce qu'il y a de pies manifeste, de plus éclatant; D'est-ce pas le plus funeste de tous les délires que, de mépriser ce qui subsiste d'une éternelle durée, pour s'attacher à ce qui est méprisable, pour s'y consacrer avec tant d'amour? Répondez-moi : vous verriez un homme poursuivre, essayer de saisir le vent, ne diriez-vous pas que c'est un insensé? Vous verriez un homme s'attacher à des ombres, négliger lit réalité, prendre en haine celle qui est réellement sa femme pour embrasser l'ombre de cette femme; vous verriez un homme repousser son fils pour faire des caresses à l'ombre de ce fils, iriez-vous chercher une autre preuve qui montrât mieux ce que c'est que la démence? Tels sont les insensés dont je parle, ceux qui ne sont épris que des choses présentes. Toutes ces choses ne sont rien que des ombres, et la gloire, et la puissance, et l'estime des hommes, et la richesse, et les plaisirs les plus raffinés , et tout ce que vous pourrez m'énumérer des biens de ce monde. Voilà pourquoi le prophète disait : " Oui, l'homme passe comme une image, et néanmoins il se trouble, quoique inutilement"; et encore : " Nos jours ont décliné comme l'ombre ". Et ailleurs il appelle fumée, fleurs des champs, les choses humaines. (Ps. XXXVIII, 7 ; ibid. CI, 11 ; CII, 15.) Et ce ne sont pas nos joies seulement qui ne sont que des ombres; il en est de même et des afflictions, et de la mort, et de la pauvreté, et de la maladie, et de quoi que ce soit. Quelles sont, au contraire, les choses qui durent, et les biens, et les douleurs? La royauté éternelle et la géhenne sans fin. Car le ver ne finira pas, car le feu ne s'éteindra pas; les uns ressusciteront pour la vie éternelle, les autres pour le châtiment éternel. Donc si nous voulons échapper au châtiment, jouir de la vie, abandonnons ce qui n'est qu'une ombre, attachons-nous à la (181) vérité de tout notre coeur; c'est ainsi que nous obtiendrons la royauté des cieux; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXX. JE VOUS ÉCRIS CECI, ÉTANT ABSENT, AFIN DE N'AVOIR PAS LIEU, LORSQUE JE SERAI PRÉSENT, D'USER AVEC RIGUEUR DE LA PUISSANCE QUE LE SEIGNEUR M'A DONNÉE POUR ÉDIFIER ET NON POUR DÉTRUIRE. (XIII, 10.)
Analyse.

1. Saint Paul cherche, dans ses lettres, à inspirer la terreur, pour être dispensé de punir en réalité. — Qu'est-ce que se réjouir . — De la joie d'une bonne conscience.— Du saint baiser.

2. Apostrophe aux impudiques profanant les temples de Jésus-Christ.— Sur la grâce, l'amour, la communication du Père, du Fils et du Saint-Esprit.— Le Saint-Esprit est de la même essence que le Père et le Fils.

3. Dieu nous prouve son amour, surtout lorsqu’il nous commande de l'aimer. — Passages de l'Ecriture qui témoignent de l'amour d'un Dieu attentif à tous nos intérêts, jusqu'à s'oublier lui-même pour nous.

1. Il s'est aperçu qu'il a parlé rudement, surtout à la fin dl sa lettre. En effet, il avait commencé par dire : " Moi, Paul, moi-même, je vous conjure par la douceur, et par la modestie de Jésus-Christ, moi qui étant présent parais bas parmi vous, au lieu qu'étant absent, j'agis envers vous avec hardiesse. Je vous prie, afin que, lorsque je serai présent, je ne sois point obligé d'user avec confiance de cette hardiesse qu'on m'attribue envers quelques-uns qui s'imaginent que nous nous conduisons selon la chair. Ayant en notre main le pouvoir de punir toute désobéissance lorsque vous aurez satisfait à tout ce que l'obéissance demande de vous ". Et encore : " J'appréhende qu'en arrivant auprès de vous, je ne vous trouve pas tels que je voudrais, et que vous ne me trouviez pas tel que vous voudriez" ; et encore : " Qu'ainsi Dieu ne m'humilie lorsque je serai arrivé auprès de vous, et que je ne sois obligé d'en pleurer a plusieurs qui, ayant déjà péché, n'ont pas fait pénitence de leur fornication et de leur impureté ". (II Cor. X, 1, 2, 6; XII, 20, 21.) Ensuite il avait ajouté : " Je vous ai prévenus et je vous préviens encore, au moment de vous aller voir, j'ai beau être loin de vous, je vous écris maintenant que, si je .reviens, je ne pardonnerai pas. Est-ce que vous voulez éprouver le Christ qui parle en moi ? " (II Cor. XIII, 2, 3.) Après ces paroles et beaucoup d'autres, sévères, incisives, amères, où il les harcèle, il sent le besoin de justifier tout ce qu'il a dit : " Je vous écris ceci, étant absent, afin de n'avoir pas lieu, lorsque je serai présent, d'user avec rigueur... " Je veux que ma rigueur soit tout entière dans mes lettres, je ne tiens pas à la mettre dans mes actions ; je veux que mes épîtres soient violentes, afin que les menaces y restent, sans aboutir à l'effet. Toutefois il donne, en se justifiant, une explication faite pour inspirer la terreur ; il montre que ce n'est pas lui qui doit punir, que c'est Dieu lui-même, car il ajoute : " De la puissance que le Seigneur m'a donnée "; et maintenant il montre que son désir n'est (182) pas du tout de faire servir sa puissance à leur châtiment, car il ajoute : "Pour édifier et non a pour détruire". Cette pensée, il ne l'indique qu'à mots couverts, comme je l'ai remarqué; mais voici une autre pensée, qu'il a livrée à leurs réflexions: c'est que, s'ils demeurent incorrigibles, c'est faire une oeuvre d'édification que de châtier de pareilles dispositions. C'est la vérité, l'apôtre ne l'ignore pas, et il a donné des preuves réelles de cette vérité. " Enfin, mes frères, soyez dans la joie, travaillez à être parfaits, consolez-vous, soyez unis d'esprit, vivez en paix ; et le Dieu d'amour et de paix sera avec vous (44) ". Qu'est-ce à dire : " Enfin, mes frères, réjouissez-vous ? " Vous nous avez affligés, remplis de craintes, d'angoisses, vous nous avez dit d'avoir peur, de trembler, comment pouvez-vous nous inviter à nous réjouir? C'est précisément pour cette raison que je vous invite à vous réjouir. Si, en effet, votre conduite répond à mes avertissements, rien ne viendra troubler la joie. J'ai fait tout ce qui dépendait de moi j'ai montré de la patience, j'ai attendu, je n'ai rien brusqué, j'ai exhorté, conseillé, inspiré la crainte, menacé, employé tous les moyens pour vous porter à cueillir le fruit du repentir. Ce qu'il faut maintenant, c'est que vous fassiez ce qui dépend de vous, et, de cette manière, votre joie ne se flétrira pas, " Travaillez à être parfaits ". Qu'est-ce. que cela veut dire : " Travaillez à être parfaits? " Devenez des hommes complets, remplissez-vous de ce qui vous manque.— Consolez-vous.— Comme les épreuves étaient grandes, comme les dangers étaient considérables, " Consolez-vous ", leur dit-il, les uns les autres, et auprès de nous, et en vous corrigeant, en vous améliorant. Si la joie vient de la conscience, si vous êtes parfaits, rien ne manque à votre tranquillité, à votre consolation. Rien, en effet, ne console tant' qu'une conscience pure, quand les épreuves tomberaient sur nous par milliers. " Soyez unis d'esprit, vivez en paix " ; ce qu'il demandait dans la première épître, dès les premiers mots. Il peut se faire qu'il y ait accord dans les esprits, et qu'on ne vive pas en paix, comme dans le cas où l'on est d'accord sur l'enseignement de la foi, mais divisé par les affaires. Paul tient à l'union des esprits et à la paix tout ensemble. " Et le Dieu d'amour et de paix sera avec vous". L'apôtre ne se contente pas d'exhortations , d'avertissements, il y joint encore ses voeux. Ou il exprime les voeux qu'il forme, ou il prédit ce qui arrivera ; croyons plutôt qu'il fait, à la fois, les deux choses. Si vous tenez cette conduite, dit-il, ce qui signifie, si vous êtes unis d'esprit, si vous vivez en paix, Dieu sera avec vous ; car c'est le Dieu d'amour et de paix, ce sont là les biens qui le réjouissent et qui lui plaisent. Par là aussi vous aurez la- paix qui vient de son amour; par là, vous serez délivrés de tous les maux. C'est l'amour, de Dieu qui a sauvé la terre, quia terminé la guerre commencée depuis si longtemps, qui a mêlé la terre et le ciel,. qui a fait que les hommes sont devenus des anges. Donc aimons-le, cet amour, nous aussi; car d'innombrables biens sont les fruits de cet amour. C'est par lui que nous avons été sauvés, c'est par lui que nous viennent tous les présents d'un ineffable prix. Ensuite , pour provoquer cet amour au milieu des fidèles " Saluez-vous les uns les autres par un saint baiser (43) ". Qu'est-ce à dire " Saint? " Non pas un baiser trompeur, perfide, comme celui de Judas à Jésus-Christ. Si le baiser nous a été donné, c'est pour être le foyer où s'embrase l'amour, pour enflammer l'affection, pour que nous nous aimions les uns les autres, comme les frères aiment leurs frères; comme les enfants aiment leurs- pères; comme les pères aiment leurs enfants; ou plutôt d'un amour bien plus vif ; ces sentiments-là viennent de la nature; les autres de la grâce. Voilà comment les âmes se lient entre elles, et voilà pourquoi, au retour d'un voyage, nous nous donnons le baiser mutuel, les âmes s'empressent de se réunir. La bouche est de tous nos organes, celui qui se plait le plus naturellement à déclarer l'amour.

2. On peut encore , à propos de ce saint baiser, faire une autre réflexion. Quelle est-elle? Nous sommes le temple de Jésus-Christ, (II Cor. VI, 16); ce sont donc les vestibules, le portique du temple que nous baisons, quand nous nous donnons les uns aux autres le baiser mutuel. Ne voyez-vous pas combien de per. sonnes baisent les vestibules mêmes de cette église, les uns abaissant leur tête, les autres y appuyant leur main, et approchant leur main de leur bouche ? C'est par ces issues, par ces portes qu'est entre le Christ, qu'il entre pour venir à nous dans la communion. Vous qui participez aux mystères, vous savez ce que (183) je dis. Ce n'est pas un honneur vulgaire qui est fait à notre bouche, lorsqu'elle reçoit le corps du souverain Maître. Voilà surtout pourquoi nous donnons le baiser. Ecoutez nos paroles, vous qui faites entendre des choses honteuses, vous qui proférez des outrages, et frémissez d'horreur en pensant quelle est cette bouche que vous déshonorez; écoutez vous qui donnez de honteux baisers; écoutez les oracles que Dieu a prononcés par une bouche comme la vôtre, et sachez donc conserver votre bouche pure de toute souillure. Il a parlé de la vie à venir, de la résurrection, de l'immortalité, de la mort qui n'est pas une mort, de mille autres vérités ineffables. C'est comme un sanctuaire d'où partent des oracles, que la bouche du prêtre, pour celui qui doit être initié.

Ecoutons tout ce qui est rempli de redoutables mystères. Cet homme, depuis les temps de ses premiers parents, a perdu ce qui fait la vie, il s'approche pour redemander sa vie, il interroge pour savoir quels sont les moyens de la retrouver, de la reconquérir. Alors Dieu lui fait entendre, par ses oracles, comment on trouve la vie, et la bouche du prêtre est plus saintement redoutable que le propitiatoire même. Car ce propitiatoire antique ne faisait jamais entendre une voix pareille; il ne s'agissait pour lui que d'intérêts bien moindres, des guerres et de la paix d'ici-bas; mais chez nous, on ne parle que du ciel, et de la vie future, et de choses nouvelles, et qui dépassent les esprits. Après avoir dit : " Saluez-vous les uns les autres, par un saint baiser ", l'apôtre ajoute : " Tous les saints vous saluent ", voulant encore, par ces paroles, leur donner de bonnes espérances. C'est pour leur tenir lieu du saint baiser; il se sert de la formule de la salutation, pour les réunir tous ensemble; c'est la même bouche qui donne le baiser et qui fait entendre ces paroles. Voyez-vous comment l'apôtre les réunit tous, aussi bien ceux que séparent de longues distances, que ceux qui vivent les uns auprès des autres, et cela, soit par le baiser, soit par ses lettres? " Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et l'amour de Dieu le Père, et la communication du Saint-Esprit soit avec vous tous. Amen (13) ". Après les salutations, les baisers, dont le but est d'opérer l'union des fidèles , vient , pour terminer, une prière pour cimenter l'union des fidèles avec Dieu.

Où sont maintenant ceux qui disent que le Saint-Esprit n'ayant pas été nommé au commencement des épîtres n'est pas de la même substance? Le voilà nommé maintenant avec le Père et le Fils. Indépendamment de cette réflexion, on peut en faire une autre, c'est que l'apôtre dit, dans son épître aux Colossiens : " Que la grâce et la paix vous soient données par Dieu notre Père " (Coloss. I, 3) ; et il passe le Fils sous silence, et il n'ajoute pas, comme dans toutes les épîtres, et par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Sera-ce donc une raison pour que le Fils ne soit pas non plus de la même substance ? Mais c'est le comble de la démence. Car ce qui prouve le plus que le Fils est de la même substance, c'est la diversité même des phrases de Paul. Nous n'exprimons pas ici une simple conjecture; voyez dans quelles circonstances il nomme le Fils et l'Esprit, en passant le Père sous silence. Il écrit aux Corinthiens et leur dit : " Mais vous avez été lavés, mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et dans l'Esprit de notre Dieu ". (I Cor. VI, 11.) Eh quoi donc, répondez-moi, n'avaient. ils pas été baptisés au nom du Père? Donc ils n'avaient été ni lavés ni sanctifiés. Mais ils avaient été baptisés, baptisés, par conséquent, comme le sont ceux qu'on baptise. Comment donc se fait-il que l'apôtre n'ait pas ajouté : vous avez été lavés au nom du Père ? C'est qu'il lui est indifférent de mentionner tantôt telle personne, tantôt telle autre, et vous trouverez la preuve du peu d'importance que l'apôtre y attache dans un grand nombre de passages des épîtres. En effet, il écrit aux Romains : " Je vous conjure donc, par la miséricorde de Dieu " (Rom. XII, 1); assurément la miséricorde appartient également au Fils; et : " Je vous conjure; par la charité du Saint-Esprit " (Rom. XV, 30); assurément la charité appartient également au Père. Pourquoi donc ne parle-t-il pas de la miséricorde du Fils, ni de la charité du Père? Parce que ce sont des vérités évidentes, reconnues de tous. De là son silence. On trouvera aussi, à propos des dons divins, la même indifférence dans les paroles. Car en disant: "Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et l'amour de Dieu le Père, et la communication du Saint-Esprit " , il n'en dit pas moins ailleurs la communication du Fils et l'amour de l'Esprit. Car "Je vous conjure ", dit-il, par (184) l'amour de l'Esprit. Et dans l'épître aux Corinthiens : " Il est fidèle, ce Dieu par qui vous avez été appelés à la communication de son Fils ". ( I Cor. I, 9.) Ainsi, la Trinité est indivisible, et où se trouve la communication de l'Esprit, se trouve aussi celle du Fils; et où se trouve la grâce du Fils, se trouve aussi celle du Père et du Saint-Esprit : " Car la grâce ", dit-il, " vous vient de Dieu le Père ". Et, dans un autre passage, après avoir énuméré les nombreuses espèces de grâces, il ajoute: " Or, ce qui opère toutes ces choses, c'est un seul et même Esprit, distribuant ces dons en particulier à chacun, selon qu'il lui plaît ". (I Cor. XII, 11.) Ce que je dis, ce n'est pas pour confondre les personnes, loin de moi cette erreur, mais pour reconnaître, tout à la fois, la propriété qui les distingue, et l'unité de leur essence.

3. Demeurons donc attachés à ces dogmes, maintenons-en la pureté, et emparons-nous de l'amour de Dieu. D'abord, nous n'avions pour lui que de la haine, et il a commencé par nous aimer; nous étions ses ennemis, et il nous a communiqué ses faveurs; maintenant nous l'aimons et il veut nous aimer. Demeurons donc attachés à son amour, de manière à être aimés de lui. Si, quand nous sommes aimés des hommes puissants, nous devenons redoutables pour tous, à plus forte raison, quand c'est Dieu qui nous aime. Nos biens, nos corps, notre vie même, quoi qu'il faille donner; livrons tout pour son amour, ne ménageons rien. Il ne suffit pas des paroles qui disent que nous ressentons cet amour, il faut des actions qui le prouvent; ce n'est pas seulement par des paroles, c'est aussi par des actions qu'il a prouvé son amour pour nous. Montrez donc, vous aussi, montrez, par vos actions, que vous l’aimez, que vous cherchez son plaisir; car vous profiterez ainsi doublement. Il n'a aucun besoin de nous; et que c'est bien là la plus belle preuve de la pureté de son amour, que de n'avoir aucun besoin, et de ne pas cesser de tout faire pour être aimé de nous ! Aussi Moïse disait-il : " Que demande de vous le Seigneur votre Dieu, sinon que vous l'aimiez, que vous soyez prêts à marcher dans ses voies?" (Deut. X, 12.) De sorte que c'est surtout en vous invitant à l'aimer, qu'il montre son amour pour vous. Rien n'assure aussi solidement notre salut que de l'aimer. Voyez donc comme tous ses commandements tendent à notre repos, à notre salut et à notre gloire. Quand il dit : " Bienheureux les miséricordieux; bienheureux ceux qui ont le coeur pur; bienheureux ceux qui sont doux; bienheureux les pauvres d'esprit; bienheureux les pacifiques " (Matth. V, 7, 8, 4, 3, 9), lui-même n'en retire aucun fruit, c'est pour nous embellir de la sagesse des vertus qu'il nous donne ces commandements; quand il dit : " J'ai eu faim ", ce n'est pas qu'il ait besoin de nous, c'est pour répandre sur vous l'onction de la bonté. Car il pouvait, même en se passant de vous, nourrir le pauvre, mais il a voulu réserver en votre faveur le plus précieux de tous les trésors; de là ces commandements. Si le soleil, qui n'est qu'une créature, n'a ancien besoin de nos yeux, (car il subsiste, gardant l'éclat qui lui est propre, alors même que nul ne le contemple), si c'est nous qui recevons de lui des bienfaits, en jouissant de ses rayons, à combien plus forte raison faut-il appliquer de telles paroles à Dieu. Mais encore une autre preuve, écoutez : Quelle idée vous faites-vous de la distance entre Dieu et nous? est-ce comme entre les moucherons et nous? faut-il concevoir un intervalle beaucoup plus grand encore? Evidemment, la distance est bien plus considérable, distance infinie. Si donc nous, gale la vaine gloire gonfle, nous n'avons besoin ni du secours des moucherons, ni de la gloire qu'ils donnent, à bien plus forte raison faut-il appliquer cette réflexion à Dieu, si fort au-dessus de toutes les passions de l'homme et de tous les besoins. Il ne jouit de nous qu'en raison des bienfaits que nous recevons dé lui, du plaisir qu'il prend à notre salut. Voilà pourquoi, si souvent, il s'oublie pour vous. " Si un fidèle ", dit l'apôtre, a une femme infidèle, " et si elle consent à demeurer avec lui, qu'il ne la renvoie pas. Celui qui renvoie sa femme, si ce n'est en cas d'adultère, la rend adultère ". ( I Cor. VII, 12; Matth. V, 32.) Comprenez-vous l'ineffable bonté ? Si la femme est adultère, dit-il, je ne vous force pas à la cohabitation; et si elle est infidèle, je ne l’interdis pas. Voyez encore; dans le cas d'une offense, voici ce que j'ordonne: C'est qu'avant de m'apporter son offrande, celui qui a quelque chose. contre quelqu'un, coure à qui l'a offensé : " Si, lorsque, vous présenterez votre offrande, vous vous souvenez que votre frère a quelque chose contre vous, laissez là votre don; au pied de l'autel, et allez vous (185) réconcilier auparavant avec votre frère, et puis vous reviendrez offrir votre don". (Ibid. V, 23,24.) Et la parabole de l'enfant prodigue? n'est-ce pas encore la preuve de la même bonté? Quand il eut mangé tant d'argent, son père eut pitié de lui, et lui pardonna; quand l'homme sans entrailles réclame cent deniers à son compagnon d'esclavage, le maître appelle le méchant et le livre au châtiment; c'est ainsi que les preuves abondent de cette bonté qui veut votre soulagement et votre repos. Le roi barbare allait pécher contre là femme de l'homme juste, et Dieu lui dit: "Je vous ai préservé d'un péché contre moi ". (Gen. XX, 6.) Paul persécutait les apôtres, et Dieu lui dit: " Pourquoi me persécutez-vous? " (Act. IX, 4.) D'autres ont faim, et il dit lui-même qu'il a faim, qu'il est nu, errant, étranger, voulant par là fléchir votre coeur et vous porter à la miséricorde. Donc, considérant l'étendue de l'amour qu'il a toujours montré et qu'il continue de montrer, lui qui veut bien se faire connaître à nous, ce qui est la source la plus abondante de tous les biens, la lumière de l'intelligence, l'enseignement de la vertu; lui, qui nous fait une loi de la vie la plus aimable, qui a tout fait à cause de nous, qui nous a donné son Fils, qui nous a promis sa royauté, qui nous a préparé les biens inénarrables et la vie la plus heureuse, faisons de notre côté, par nos actions,,par nos discours, faisons tout pour nous rendre dignes de son amour et pour mériter les biens à venir; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit pur M. C. PORTELETTE.

FIN DES HOMÉLIES SUR LA SECONDE ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS.
 

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