Chroniques

Terreur et veulerie

Ces photos des victimes de la terreur stalinienne de la fin des années trente : arrêtés, fusillés quelques jours plus tard ; réhabilités de longues années après la guerre. Ces visages, même pas anonymes, ah bureaucratie quand tu nous tient, qui se ressemblent pour ces yeux exorbités, qui portent parfois encore les ultimes limbes de leurs origines sociales, et parfois même de leurs parcours, ces visages démentent l'adage : c'est bien la mort qu'ils regardent en face. Ceci se peut donc ; se fait et se voit.

Ces photos qui en rappellent d'autres, ne disent pas seulement l'horreur du siècle précédent qui ne sut finalement que conjuguer les mille et une façons d'aller jusqu'au bout de l'erreur, l'horreur et la sottise ; elles disent ce que Primo Levi avait vu de ses yeux, tenté d'écrire et qu'il ne supporta pas plus que de lui survivre : combien en réalité détruire un homme est facile pourvu qu'on y mette l'acharnement ou la détermination nécessaire.

Détruire un homme c'est difficile, presque autant que le créer: cela n'a été ni aisé ni rapide, mais vous y êtes arrivés, Allemands. Nous voici dociles devant vous, vous n'avez plus rien à craindre de nous : ni les actes de révolte, ni les paroles de défi, ni même un regard qui vous juge.

Les mots manquent mais pas plus que devant la sottise veule et pernicieuse que d'aucuns mettent à prouver qu'ils sont encore - inutilement en vie ....

On aimerait en rire ; on ne parvient même pas à en pleurer. Bien sûr on repense à cette formule de Sartre rappelant que quand on aime trop les animaux c'est contre les hommes, mais il y a derrière tout ceci de tels remugles de haines que tenter de trouver quelque rationalité à ceci revient à bâtir sur du sable.

Rien, décidément, n'est plus caractéristique du brouhaha ambiant que cette perte de repères idéologiques, que cette complaisance avec l'horreur, que cette dilection perverse au macabre. La parole a cédé le pas devant l'invective, la bave venimeuse et la lâche bravade de la haine.

Quand rien ne ressemble plus à rien et qu'ainsi domine la peur, de tout mais surtout de l'autre, alors oui, assurément le pire est la menace de l'aube.