Palimpsestes

2 journées: le 10 Août et Septembre

Même s'il n'est pas faux que son irruption dans la série des événements politiques rompt la légitimité de l'Assemblée, il n'empêche que, d'abord, ce que veut le peuple, c'est ce qu'aurait du et n'a pas pu ou voulu faire la Chambre. L'accomplissement de la loi. Ce pourquoi on verra proliférer dans les discours justifiant les journées révolutionnaires, les expression devoir sacré ! Le peuple ne veut pas bouleverser l'ordre politique mais l'accomplir.

Ne l'oublions pas tout, d'une certaine manière démarre après le 20 juin 92 , où, sous les ordres de La Fayette, l'on tire sur le peuple1. Ne pas incriminer La Fayette pour ne pas incriminer le Roi, c'était qu'on le veuille ou non, incriminer le peuple. Or, ceci est inacceptable pour deux raisons:

- on voit mal, d'une part, le peuple se donner tort à lui-même. Qu'il tente d'orienter le cours des événements autour de ses propres aspirations puisque après tout cette révolution fut menée en son nom, est après tout logique.

- d'autre part, c'était, dans ce grand conflit entre la légitimité de l'ancien régime et du nouveau qui peinait à se construire, donner quitus à l'ancien, et réinstaller donc, sur les cadavres du peuples, la souveraineté du Roi.

En conséquence, on peut se demander si l'intervention populaire n'est pas là justement, non pour bousculer l'assemblée mais au contraire pour la réinstaller dans son rôle, dans sa mission. Ce n'est d'ailleurs pas tout à fait un hasard si dans ces journées on fait tant référence à la Déclaration et notamment à son préambule . Parce que la déclaration se veut à la fois repère d'action pour le législateur mais aussi critère de jugement, pour le citoyen, des actions du législateur, la déclaration est bien la référence ultime, la référence sacrée, la référence transcendante, que le peuple se donne pour intervenir sitôt qu'il conçoit que ses représentants dévient de la ligne initialement fixée. De ce point de vue, le peuple est évidemment légitimé à intervenir dans le cours des événements : il l'est d'ailleurs doublement, d'une part parce que c'est bien en son nom que cette révolution est faite; d'autre part parce que le critère ultime - la déclaration - l'y autorise. C'est bien ainsi parce que le 9 Août 92, l'Assemblée acquitte La Fayette , que le lendemain le peuple prend les Tuileries.

La rupture se fera progressivement mais ici encore c'est bien parce que le peuple a le sentiment de n'être pas entendu, qu'il a d'ailleurs bientôt plus le sentiment d'être trahi par l'assemblée que défendu par elle, qu'auront lieu les massacres de Septembre 2

La question est celle du prix à payer

s'agissant de la violence : veut-on dire, ou faire croire, que l'histoire soit une paisible promenade où il suffirait de proclamer des droits, des désirs de nouveautés pour que ceci s'accomplisse ? Veut-on nous faire croire, comme le dit le langage populaire, qu'on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs ? S'il est un sens, trivial, au mot tragique, c'est bien d'abord celui-ci ! Non l'histoire ne va pas sans conflit ni les conflits sans violences. Que ce soit précisément le rôle du politique que de canaliser cette violence et de lui conférer des formes d'expression politique, que ce soit justement le rôle du politique que de conférer une charge symbolique à ses actes parce que, justement, ils sont le transfert de la violence, n'ôte rien au fond du problème : il suffit que ce transfert n'ait pas lieu, et l'on nomme ceci crise du politique, pour qu'aussitôt la violence revête ses formes usuelles. Or, justement, ce n'est pas ici le cas; pas tout à fait pour ceux qui veulent bien regarder plus en détail ce qui s'exprime sous la geste populaire . Il s'agit non d'une vengeance brouillonne, primaire, mais bien au contraire de l'affirmation populaire de sa souveraineté.
Reconnaissons d'ailleurs que cette violence fut limitée, et ne ressemble en rien à ce génocide que l'on a voulu parfois nous faire accroire : durant les deux mois qui séparent le 22 prairial et le 9 Thermidor, 1376 personnes périrent sur l'échafaud. C'est beaucoup certes, mais pas non plus exorbitant. Doit-on rappeler, pour mémoire, que la semaine sanglante qui conclut l'écrasement de la commune, massacre 20000 personnes.
La sensibilité que l'on nourrit à l'égard de la violence est elle-même historique, pour ne pas dire politique. Politique parce que c'est toujours la violence de l'autre qui est insupportable, la sienne nécessaire voire légitime. Lorsque La Fayette retourne ses armes contre le peuple cette violence est perçue, par les députés girondins comme regrettable mais nécessaire ! Historique aussi cette violence parce que le seuil de tolérance que l'on nourrit à son égard dépend étroitement des circonstances.
Il ne faut jamais oublier que l'organisation même d'un système politique consiste dans cette captation de la violence naturelle par le corps politique. Or, on se situe ici, non pas dans le déroulement ordinaire de la vie s'un système politique mais au contraire dans ses fondations mêmes. Or, nulle fondation ne se peut dérouler sans violence, parce que cette transaction a a voir avec le symbolique.
Ne revenons pas sur les causes de la violence humaine, ni sur la justification que toutes les théories en tirent de la nécessité sociale, elle déterminera le type de société, et donc le fond de ce qui fera une pensée de gauche ou de droite. Ce qui nous intéresse ici c'est ce point étroit de la fondation où se joue la transaction symbolique

s'agissant de l'arbitraire :

s'agissant du politique :

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2)  "Les magistrats pouvaient-ils arrêter le peuple? Car c'était un mouvement populaire  et non la sédition partielle de quelques scélérats  pour assassiner leurs semblables. (...) Que pouvaient les magistrats contre la volonté déterminée d'un peuple indigné qui opposait à leurs discours et le souvenir de la victoire remportée sur la tyrannie et le dévouement avec lequel ils allaient se précipiter au devant des Prussiens, et qui reprochaient aux lois mêmes la longue impunité des traîtres qui déchiraient le sein même de leur patrie. "

Convention Nationale, 5 nov 92, réponse à l'accusation de JB Louvet