Crises

Le sophisme est délétère

Au sens précis du terme : il est corrupteur.
 En affirmant qu'un bon savoir-faire y pourvoit, il donnerait l'illusion que tout est démontrable, que tout se vaut. Or ce relativisme-là rend impossible n'importe quel projet politique au moins autant que n'importe quelle philosophie. S'il suffit de bien savoir parler pour faire passer n'importe quelle thèse ou idéologie alors c'est tout le projet même de la philosophie qui est par terre. Et ne parlons pas de la politique.

 

Or crise de la philosophie, il y a :

même si ce n'est pas la seule raison, et que de toutes manières la philosophie vit de ses propres crises permanentes, force est de constater que la philosophie vit depuis 45 au moins une véritable crise de confiance. Le projet cartésien est largement obéré par l'impossibilité que la pensée philosophique éprouva de repérer, dénoncer les idéologies totalitaires;
L'exemple d'Heidegger est particulièrement significatif : qu'un grand penseur fût incapable de repérer l'horreur dans le nazisme  - grandeur interne de ce mouvement écrit-il dans Introduction à la métaphysique - au point même de ne jamais se désire de son engagement initial; que ses thuriféraires fussent incapable de discerner dans sa philosophie les ultimes remugles fascisants, jette un particulier discrédit sur la capacité de la philosophie à discerner le vrai du faux !  On réentendra avec intérêt ce passage de l'interview donné par Arendt dans les années soixante  où elle explique, non sans émotion, combien elle fut surprise de l'attitude des intellectuels eux-mêmes si enclins à bâtir des constructions intellectuelles pour justifier leur alignement sur Hitler et le nazisme. Effrayante perspective que celle-ci, assurément, qui désigne combien la raison ne prémunit pas contre les erreurs, ceci on le savait, mais pas non plus contre les horreurs les plus grossières, et que, sans doute, c'est la rationalité elle-même qui parfois suscite son propre aveuglement ! 4
Celui des marxistes à l'époque stalinienne, voire même celui des maoïstes, l'est tout autant. On aura l'indulgence de ne pas citer certains écrits de la grande époque : il vaut mieux !
On a presque envie d'écrire la philosophie n'avait pas besoin de cela !
On ne dira jamais assez combien, de ce point de vue, le politique est destructeur de la philosophie, en tout cas de sa sagacité, et l'on peut comprendre pourquoi, presque seul, Descartes s'en évita le danger. Parce que c'est, justement, tout le projet cartésien qui souffre ici: que l'on pût bâtir la connaissance à partir de l'évidence première, que la raison fût suffisante pour discerner le vrai du faux, le probable de l'impossible, devient illusoire alors ! Et avec lui le projet de bâtir un corpus scientifique.
Ne resterait de tout ceci que la prudence, au mieux, le scepticisme, au pire ! 
Que vienne, en outre, se greffer sur l'impuissance de la raison, une technique manipulatoire qui prétende la détrôner  ... alors !

Crise du politique:

on pourrait sans doute dire à peu près la même chose à propos de la sphère politique dans la mesure où le politique s'appuie toujours sur un projet, donc une idéologie, une représentation du monde ... une philosophie - au sens faible du terme ! Mais surtout, si l'idée venait à se répandre que le politique n'était qu'une affaire d'habileté oratoire, alors, à côté du tous pourris ne serait-ce pas la légitimité de la démocratie qui serait en cause ?
Nazisme et soviétisme, ici aussi ont fait des dégâts qu'on n'a pas fini de mesurer. Ce que l'un et l'autre représentent, et il s'agit surtout de ne pas les assimiler 5, est assez différent même si également corrupteur :

le communisme stalinien va vite illustrer combien une philosophie de la libération peut se retourner contre elle-même et s'achever dans la terreur !

le nazisme quant à lui, parce qu'il prend la figure du mal absolu, illustre la capacité d'entraîner un peuple, sans qu'aucun frein ne le vienne limiter, et ce, notamment par la force de la propagande.

ensemble, ils auront discrédité toute possibilité de  remise en question d'une lecture libérale de la démocratie. Ce n'est certainement pas un hasard si, depuis, aura fini par régner de manière quasi incontestable ce versant du libéralisme idéologique qui est, avant tout, un pragmatisme ! De telle sorte que tout projet politique qui comporte ne serait-ce qu'une once de théorie est invalidée ab ovo ! De telle sorte que tout un courant théorique n'aura eu de cesse de fustiger l'idéologie comme nécessairement totalitaire ! Tout semble se passer désormais comme si les politiques n'avaient d'autres choix que d'être ou des salauds ou des traîtres.

Crise de la morale:

Au moins dans le sens où, ne se pensant que comme une technique, le sophisme se justifierait uniquement par l'efficacité de son discours, sur l'auditoire,, donc sur sa capacité à persuader  en donnant l'illusion d'une neutralité quand en réalité toute technique n'est jamais régie que par sa capacité opératoire que l'on cherchera toujours à développer. Autre manière de dire que le sophisme pose effectivement un problème moral, qui ne peut, in fine, être résolu que de l'extérieur, du côté d'un savoir qui lui conférerait à la fois légitimité et fondement. Sans nécessairement sombrer dans le moralisme d'un Platon qui balaie d'un revers de manche toute rhétorique - et avec elle  toute écriture, d'ailleurs - on est, néanmoins en droit de poser la question  de la valeur morale non point tant de la rhétorique, et donc de la communication, en tant que telle, que de ce qu'elle traduit, transmet.

Se pose ainsi, évidemment, la question de la démagogie sous le spectre de la propagande, de la manipulation voire de la publicité. Mais aussi celle de la fragilité du peuple au moins autant que de la pensée et ceci, à soi seul, semble pouvoir ruiner toute perspective du politique.

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4) cette question sera évoquée plus loin

5) doit-on rappeler que ce n'est pas parce que deux phénomènes ont les mêmes conséquences qu'ils sont identiques ? Réduire nazisme et communisme sous le seul vocable de totalitarisme manquera toujours l'essentiel du problème politique !

6)  C'est bien, dans la première séquence de son mandat, le problème que semble rencontrer Sarkozy dont l'habileté communicationnelle se retourne brutalement contre lui, comme si elle n'avait été qu'un subterfuge pour conquérir le pouvoir, ou que

7) le retour de la morale ?