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De la guerre
Approche allemande | Approche française | Théorie de la guerre juste |
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Deux conceptions opposées
Il n'est sans doute rien de plus intéressant, ni de plus rédhibitoire, que la guerre à la fois parce que c'est un phénomène universel et universellement détestable, qu'il engage à peu près tout ce qui peut se penser en terme de sciences, humaines et sociales autant que sciences dures.
Ce serait un projet bien trop ample que de vouloir ici dresser une théorie de la guerre - et donc de la paix - et suis à peu près certain de n'y pouvoir venir à bout, ajouté au fait que ce n'est pas vraiment l'objet de ces pages. En revanche, il n'est pas anodin qu'en 1914, France et Allemagne ne partirent assurément pas avec la même conception de la guerre et c'est bien de ceci dont je voudrais ici esquisser quelque approche.
Arrimée au siècle des Lumières, la France, en dépit de son passé napoléonien, incline progressivement vers le refus de toute guerre agressive d'annexions et se présente, en théorie du moins et compte non tenu évidemment de ses menées coloniales, comme le pays qui ne fait la guerre que pour se défendre. A l'inverse l'Allemagne, la Prusse devrait-on ici écrire, nourrie de culture militaire et organisée autour de son armée, conçoit la guerre comme un phénomène normal, incontournable et, au reste, plutôt salutaire. En tout cas, comme un fait légal, qui organise les relations entre les Nations.
C'est de ces deux conceptions dont nous chercherons les fondements théoriques et les principes philosophiques.
Une vraie question : y a-t-il des guerres justes ?
Derrière celle-ci, s'en pose une autre, déjà évoquée : celle de la guerre juste. Car autant la guerre de 1870 paraît s'être déclenchée sur des motifs de susceptibilités diplomatiques (la dépêche d'Ems) autant celle de 1914, sous le jouet de l'engrenage des alliances, se révèle totalement disproportionnée par rapport aux enjeux initiaux et put très vite apparaître comme le prototype même de la guerre absurde, autant, en revanche, celle de 39-45, parce qu'il s'y fut agi de combattre une tyrannie implacable et le crime absolu du génocide, se présente à nous comme celle qu'il fallait mener - et donc comme une guerre juste.
De ce lieux et de ce jour date une nouvelle époque dans l'histoire du monde
Goethe
Phrase, on le sait qui orne le monument de Valmy, célébrant la première des victoires de la jeune révolution en guerre et qui allait précipiter la proclamation de la République. Victoire encore qui donnant quelque perspective allait en même temps amener l'assemblée à proclamer ne vouloir mener que des guerres libératrices, contre les absolutismes européens, et se refuser à toute guerre de conquête ou d'annexions.
Plus tard, on le sait, Bonaparte fera fi de ces louables intentions mais ce qu'il ne pouvait biffer pour autant ce fut bien cette approche sinon généreuse en tout cas idéologique, à défaut d'être toujours morale, de la guerre : il y aurait donc des guerres justes.
Et, assurément, la Patrie en danger, le peuple en armes, contribueront bien à inventer des guerres qui ne se réduisirent plus jamais à celles, élégantes et aristocratiques, de quelque élite mais à devenir celle des peuples - autant que des idéologies.
Ce qui est clair, en tout cas, c'est qu'il faudra attendre le pacte Briand-Kellog de 1928 pour que la guerre, à l'exception de la légitime défense, ne soit plus considérée comme la forme légitime des relations internationales et fût en quelque sorte mise hors la loi.
Signé le 27 août 1928 à Paris et entrant en vigueur en juillet 1929, le traité est signé par 15 puissances dont le Royaume-Uni, l'Italie, l'Allemagne et le Japon, et proclame la renonciation générale à la guerre. De portée limitée puisque nulle sanction n'est envisagée en cas d'infraction hormis une réprobation internationale, le Pacte représente néanmoins une étape importante dans la question de la guerre :
- la guerre cesse d'être considérée, hors le cas de légitime défense demandée par la France, comme une forme légitime de la résolution des différends entre Etats ce qui implique la condamnation de toute guerre d'agression - ce qui est radicalement nouveau puisque, auparavant, même les guerres de conquête étaient perçues comme relevant de la souveraineté nationale et les nations conquérantes légitimes dans leurs menées.
- le début d'un processus de judiciarisation de la guerre et donc les prémisses d'un droit international de la guerre qui pose finalement comme criminelle toute atteinte à la paix. Il n'empêche - et le procès de Nuremberg l'illustrera (2) - c'est le début de la notion de crime contre la paix. La charte des Nations Unies ira plus loin en 1945 en posant une interdiction générale de la violence mais, incontestablement il s'agit ici d'un premier pas.
On peut évidemment ergoter sur la portée de ce traité qui n'a finalement pu être signé que parce que l'on se trouvait alors dans cet interstice si ténu entre la fin de la crise hyperinflationniste allemande qui laissait espérer que la République de Weimar pourrait reprendre sa place dans le concert des Nations et la rechute de 29 qui allait mener l'Allemagne droit dans le mur national-socialiste - même si ce n'est pas l'exclusive raison. On peut néanmoins souligner qu'il s'agissait ici d'une première tentative de donner suite aux projets de Wilson qui, pour généreux qu'ils fussent, manquaient singulièrement de consistance juridique, politique et diplomatique. Etape insuffisante, fragile, assurément trop tardive - mais Briand meurt trop tôt pour voir ses efforts ruinés à la fois par la crise et la montée du nazisme, mais étape quand même dans la manière dont globalement on considérera la guerre après 1945, comme si la première guerre mondiale par son exorbitante absurdité puis la seconde par son implacable monstruosité dussent signer l'impossibilité sinon de faire la guerre, en tout cas de la penser de manière positive.
C'est donc cette préhistoire de la guerre légitime que nous tentons d'explorer
Article I : Les Hautes Parties contractantes déclarent solennellement au nom de leurs peuples respectifs qu'elles condamnent le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et y renoncent en tant qu'instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles.
Article II : Les Hautes Parties contractantes reconnaissent que le règlement de tous les différends ou conflits, de quelque nature ou de quelque origine qu'ils puissent être, qui pourront surgir entre elles, ne devra jamais être recherché que par des moyens pacifiques.
2) lire aussi ce texte d'Arendt