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Vu du côté alsacien

Elle n'est ni la cause première de la guerre ni même celle qui l'a déclenchera : l'alsace n'en demeure pas moins l'arrière-pensée de la guerre de 14 qui définitivement à la fois oppose et réunit la France et l'empire allemand. Et dans cette arrière-pensée, il y a des images fortes, celles du siège de Strasbourg en 1870, que les prussiens n'ont pas épargné, dont celle de la flèche brisée de la cathédrale de Strasbourg n'est pas la moindre non plus que la destruction totale de la bibliothèque de l'Université qui comprenait des merveilles à jamais perdues. Mais dans cette arrière-pensée, l'Alsace que l'on entremêle allègrement à la Lorraine, est un objet, mais pas un sujet - encore moins un acteur. Province perdue que l'on se représente aisément comme inconsolable du côté français, province logiquement rendue à sa germanité que l'on se représente comme naturelle et donc irréfragable, du côté allemand.

L'alsacien, que l'on imagine d'ailleurs plutôt sous l'égide de l'alsacienne, éplorée endeuillée et inconsolable, reste néanmoins celui dont on parle mais qui reste muet. Pourtant ces quarante et quelques années, vécues sous l'égide germanique n'ont pas été une parenthèse vide faite d'attente impatiente mais bien au contraire une histoire complexe où, après les premières années où la protestation déposée à la chambre de Bordeaux le fut ensuite au Reichstag, et fut suivie de longues années où il fallut bien accepter la nouvelle donne et où la vie politique alsacienne consista surtout dans l'effort porté pour obtenir de Berlin un statut de Land à part entière, avec la même autonomie que les autres Länder constituant l'Empire - qui était une fédération - au lieu de cette administration particulière qui faisait des territoires annexés un Reichsland directement administré par Berlin, par le Kaiser.

Cette exigence sans cesse portée, mais systématiquement récusée, ne fut pas entendue et on lui opposa plutôt une germanisation forcée en même temps qu'une méfiance permanente à l'égard de ces populations que l'on soupçonna de saisir tout éventuel geste de conciliation comme prétexte pour réaffirmer son attachement à la France. Tout juste entreprit-on, tardivement - en 1911 - une réforme constitutionnelle qui devait répondre au problème du statut juridique provisoire de l'alsace allemande mais qui, comme souvent dans ces cas-là, déboucha surtout sur le mécontentement de tout le monde. Mais l'affaire de Saverne en 13 montra vite que la confiance n'était pas pour autant établie entre Berlin et Strasbourg.

Ce qui est certain en tout cas c'est que les débats ouverts à l'occasion de cette réforme réveillèrent la vie politique alsacienne et furent l'occasion pour les différentes sensibilités politiques de se manifester. Superposée aux traditionnelles et logiques oppositions entre gauche et droite, - il y eut à Strasbourg notamment une constante représentation socialiste (A Bebel notamment représenta Strasbourg au Reichstag) - dont rendait compte assez bien l'opposition entre l'Alsace encore très rurale, très religieuse aussi, et la ville, on trouve en plus l'opposition entre un courant germaniste réel plaidant pour une intégration forte à l'Empire, un courant pragmatique et un ilot minoritaire mais agissant de francophiles déterminés à quoi on ajoutera un courant qui germe à ce moment-là, plaidant pour une autonomie franche, et qui donnera lieu à un courant indépendantiste après 18. Enfin et ce ne compta pas pour rien, il faut y ajouter les frontières linguistiques, invisibles mais déterminantes et ce ne saurait être tout à fait un hasard si la vallée de la Bruche, notamment, fut un foyer francophile fort, étant par ailleurs une vallée francophone, mais encore les différences religieuses en ces terres où le protestantisme a de fortes assises et le judaïsme une présence ancienne.

Région plus complexe qu'il n'y paraît donc ; période enfin bien plus contrastée que ce que les propagandes tant allemande que française voudront bien laisser accroire.

Les débats qui précédèrent l'adoption de cette constitution à la fois réveillèrent la vie politique alsacienne non tant endormie que recluse dans le pragmatisme économique des notables que la politique impériale avait installés mais révélèrent, sinon des fractures, en tout cas de profondes divergences d'entre ceux qui avaient pris acte de la germanité de la région et demandaient seulement qu'elle obtînt un statut équivalent à celui des autres Länder ou royaumes de l'Empire, ceux qui voyaient dans l'autonomie ainsi offerte, fût-elle encore limitée, la perspective de promouvoir une alsacianité qui marquât ses différences et ses forces - où l'on retrouvera effectivement les futurs autonomistes de l'entre deux guerres - et ceux enfin, moins nombreux mais redevenus actifs à ce moment-là, qui y virent le moyen de réaffirmer leur attachement à la France et d'exacerber une francophilie qu'ils savaient latente.

Un exemple : La vallée de la Bruche

Elle est un des foyers de cette francophilie et on le remarquera notamment par le nombre de proscrits en 14 provenant de cette région. Ce qui peut s'expliquer par trois raisons au moins :

- elle est, à cette époque, une région plus industrielle que rurale

- pas plus historiquement que du point de vue linguistique elle ne faisait partie de l'Alsace historique. Il suffit de regarder les cartes pour le comprendre. Les cantons de Saales et de Schirmeck faisaient partie du département des Vosges. Lors de la création des départements, Schirmeck aura été provisoirement rattaché au Bas-Rhin avant de l'être en 1795 aux Vosges. En dépit de la prétention bismarckienne sur l'Alsace au motif que ce fût une province culturellement germanique, on rattacha alors à l'Empire des terres limitrophes certes, mais qui échappaient aux critères de germanité usuels en Allemagne. En réalité il semble bien que cette annexion-ci fût la contrepartie plus ou moins explicite du renoncement à Belfort et ses environs. On sait que Belfort ayant vaillament résisté l'Empire fit le beau geste d'honneur militaire de ne pas annexer une région qui n'avait pas été vaincue mais, on le voit, ce geste n'alla ni sans un troc implicite ni sans arrière-pensée. On le sait en 18, on renonça à revenir au découpage de 1870 : les départements de la Meurthe-et-Moselle créé dans l'entremise sur les restes de ceux de la Meurthe, disparue, et de la Moselle amputée, d'une part, et des Vosges d'autre part, moins Saales et Schirmeck restèrent inchangés ; les deux cantons furent donc rattachés au Bas-Rhin et le Territoire de Belfort reçut le statut plein de département.

Mais, on le voit, le dialecte parlé à Schirmeck était le welsche, un dialecte lorrain, français - pas du tout allemand. Et, durant toute la période 71-18, on y parla soit le dialecte soit le français, et pas seulement dans les foyers tant et si bien que la politique de germanisation y connut un réel échec que consacre d'ailleurs l'article 26 de la constitution de 1911 qui pour la première fois reconnaissait le statut de minorité linguistique.

- une figure en domine l'histoire et la culture : le père Jean-Frédéric Oberlin. Pasteur protestant, profondément humaniste, tolérant et plutôt ouvert aux idées de la Révolution qu'il accueille favorablement il aura contribué par son exemple et sa démarche philanthropique au développement tant économique que culturel de la région. Il n'est pas rare, aujourd'hui encore, que l'on en évoque la mémoire tant cet homme aura forgé la légende d'une vallée qui se flattait à la fois de la profonde tolérance régnant entre les trois confessions (juive, protestante et catholique) et du culte vertueux du travail qui avait su développer tant l'agriculture de montagne si difficile que l'industrie.

Ma famille

C'est à Schirmeck, précisément, que s'installèrent mes ancêtres probablement dans les années 1860 en tout cas avant 1865 date à laquelle naquit mon arrière-grand-père. La famille venait de Thann et Joseph Simonin y créa une entreprise de textile qui existe toujours. La récente fondation de cette dernière explique sans doute pourquoi ils n'optèrent pas pour la nationalité française ainsi que le prévoyait le traité de Francfort ; mais l'attache à la France n'est pas seulement attestée par la mémoire familiale, elle l'est aussi par la création d'une seconde entreprise, de l'autre côté de la nouvelle frontière, à St Dié. Famille en grande partie demeurée en Alsace ; on retrouve néanmoins certains des frères de Joseph en France, notamment à Reims et les deux frères de Camille s'installeront l'un à Paris (Marx) l'autre à Nancy (Gaston).

Ce qui est certain c'est que dans cette famille où l'on n'était pas très religieux, on ne cessa néanmoins pas de maintenir des liens très forts avec la communauté : on retrouve ainsi Camille présider la communauté israélite de Schirmeck avant-guerre et s'affairer à trouver le financement pour la construction de la synagogue en 1905 pour laquelle on retiendra un don personnel de Guillaume II. Je retrouve sa trace après-guerre à plusieurs reprises dans la Tribune Juive, le journal de la Communauté de Strasbourg, notamment pour des dons à l'occasion de la réfection de la synagogue. Que la famille fût francophile et farouchement francophone ne fait aucun doute, ce que confirment d'ailleurs les récits qui m'en furent faits : dans le cercle intime on ne parlait ni allemand ni patois. C'est d'ailleurs au titre de sa judéité qu'on viendra le chercher en 1911 pour rejoindre l'Union Nationale mais aussi en 19 pour figurer sur la liste législative du Bloc National. L'homme, assurément n'avait pas la vocation politique chevillée au corps - ce que confirme sa volonté de ne pas se représenter en 24 alors même que ses trois mandats, à la fois de maire, de conseiller général et de député durent pourtant lui assurer une certaine influence dans la région. Pour autant il résistait mal aux sollicitations.

Or, en 1911, celles de l'Union nationale avaient de quoi le séduire : mouvement parti de la bourgeoisie alsacienne qui avait perdu la main au profit du Centre qui pratiqua plutôt une politique d'accomodement réaliste avec le pouvoir prussien. La stratégie de protestation systématique allait bientôt finir en impasse dès 1890, dès lors qu'arrivèrent à maturité les hommes de la seconde génération qui n'avaient connu l'Alsace qu'allemande. En appeler à l'union était une stratégie visant opportunément à redonner la main à cette bourgeoisie qui l'avait perdue au profit d'une ruralité très catholique : l'Union Nationale, sans contours politiques toujours très clairs, visait à réunir au profit d'une affirmation résolue de la spécificité française, par quoi elle ne se distinguait que peu des autres courants, d'une part le refus d'une autonomie en trompe l'oeil qui n'était jamais que le fait du prince et d'autre part les différents courants de la vie politique et culturelle alsacienne, dont notamment les trois églises. Au fond sans le dire explicitement, on cherchait à rompre le lien trop fort avec le Zentrum allemand et à affirmer un particularisme alsacien dont la reventication à l'autonomie réelle était une des cordes, mais la francophilie l'autre - pas toujours explicitement affirmée.

L'opération politique s'avérera un échec : seul Wetterlé sera élu ; le scrutin couronnera les centristes de Haegy. Mais l'attention aura été attirée sur lui et sa famille et ce, pour longtemps : il n'est pas étonnant de le voir figurer dans la liste des proscrits et ce dès 14 - au reste le rapport fait par le commissaire spécial Rupprecht le confirme - au nom même de ses prises de positions anti-allemandes. On cherchera son fils, mon grand-père, en 1940, pour la même raison - et non comme on eût pu le croire parce qu'il était juif - ... miracle de l'efficacité administrative allemande !

Deux figures remuantes : Wetterlé et Hansi

Sur des registres très différents, ces deux-là auront marqué durablement la conscience que l'Alsace se forgea d'elle-même.

Wetterlé, que l'on voit ici après la guerre à côté de Hansi, est un de ces prêtres comme on n'en voit plus, en tout cas plus depuis que Rome leur interdit toute charge politique : mondain assurément, lui qui fréquentait les salons bourgeois de Mulhouse et Colmar ; journaliste ce qui lui donna une influence plus grande qu'on ne l'imagine, député au Reichstag pendant seize ans, où il défendit les thèses autonomistes à côté de Blumenthal et J Preiss - mais on le retrouvera au Palais Bourbon en 19 élu sur les listes du Bloc National, il semble en réalité avoir été bien peu homme d'Eglise. Il est à l'origine de cette Union Nationale des Alsaciens Lorrains dont le programme politique ne différait pas tellement des autres partis centristes en terme d'autonomie et de particularisme sinon qu'il refusait de rejoindre le Zentrum allemand et revendiquait une nationalité alsacienne de plein droit et s'attachait à s'ouvrir aux milieux protestants et juifs. C'est d'ailleurs à ce titre qu'on alla chercher Camille Simonin, notable industriel et juif. Wetterlé était prêt à aler très loin jusqu'à la reconnaissance d'une forme laïque de l'enseignement ce qui lui valut quelques ennuis avec sa hiérarchie.

Ami de Hansi qui l'aura rejoint très tôt, ils se retrouvent dans un antigermanisme viscéral, suggéré avant 14 mais explicite après la déclaration de guerre.

Hansi, qu'on ne présente pas tant il a su représenter tout l'imaginaire alsacien à travers ses dessins a pu connaître certes quelques reflus de sa popularité après 18 tant sa francophilie viscérale l'éloigna un moment des franches déceptions que suscita le refus fran!ais de reconnaître la spécificité alsacienne, il n'en demeure pas moins l'icône d'une Alsace imaginaire et idylique dont on a du mal à se défaire. Lui aussi rejoignit la France très vite et s'engagea dans l'armée française où il servit comme officier interprète. Jouant les avant-gardes d'une population qui n'eût rien demandé d'autre que de rejoindre la Patrie, ils furent ensemble la bonne conscience de la France qui n'imagina jamais l'Alsace autrement que comme une terre attendant patiemment qu'on se souvînt d'elle.

A eux deux, ils résument tout le contre-sens alsacien et notamment les déceptions et les dérives de l'après 19 : l'Alsace n'était plus celle de 1870 et rassemblait une population qui n'admettait pas plus d'être des allemands de seconde zone qu'elle ne supportera plus tard d'être, sans ménagement, sans nuance ni sans compréhension, administrée directement par Paris, par des fonctionnaires de l'intérieur. Fier, l'alsacien mais qui ne l'est pas ? il n'admet en tout cas pas d'être humilié encore moins d'être un paquet qu'on déplace et dont on dispose à sa guise.

L'affaire de Saverne

Très vite relayée par la presse tant allemande que française, elle est révélatrice des tensions qui précédèrent la déclaration de guerre mais aussi des limites de la loi de 1911 qui ne put empêcher que l'opinion publique allemande continuât à se représenter l'alsacien comme un citoyen de seconde zone dont il importait de se méfier. L'histoire en elle-même est anodine comme souvent dans ces cas-là.

1913 : Un jeune sous-lieutenant von Forstner avait l'habitude d'humiler les recrues alsaciennes en les traitant de vauriens (Wackes) et en appliquant à leur encontre des mesures vexatoires systématiques. La population manifeste pour protester et se moque allègrement de ce sous-lieutenant contraint de faire ses emplettes escorté par quatre soldats. La situation dégénérera un peu plus tard lorsque l'officier frappera un cordonnier qui s'était moqué de lui.

Que la hiérarchie militaire eût d'abord tentance à défendre l'un des siens n'a rien d'étonnant ; que l'affaire remontât à Berlin et débouchât sur la première motion de censure au Reichstag montre en revanche combien l'affaire fut prise au sérieux par les autorités qui mesurèrent à cette occasion les limites de la politique alsacienne de germanisation forcée et combien, à l'approche d'une guerre que l'on devinait probable, il ne fallait pas compter sur les alsaciens comme sur une population sûre et fidèle. Elle révélera en outre, dans l'Empire, les limites de la libéralisation du régime : Guillaume II refusa de tirer les conséquences de cette motion de censure en refusant la démission du chancelier Bethmann-Hollweg montrant par là qu'il se refusait à toute parlementarisation du régime et à toute réduction de ses propres pouvoirs.

Inutile de dire que la presse française s'en fit des gorges chaudes et ne joua pas pour peu dans l'image détériorée de l'Empire mais l'effet à court terme de l'affaire sera quand même la méfiance dès lors entretenue des allemands à l'égard des alsaciens perçus comme des traitres potentiels ce qu'illustreront dès Septembre 14 la loi martiale appliquée sur le territoire qui suspendait donc l'application de la constitution de 1911 mais aussi la politique visant à arrêter tous les suspects potentiels - d'où ce nombre si important de proscrits, emprisonnés ou assignés à résidence au centre de l'Empire, d'où enfin dès la mobilisation, la démarche consistant à envoyer tous les appelés alsaciens-lorrains sur le front Est tant on craignait qu'ils ne trahissent et franchissent les lignes pour rejoindre l'armée française.

Où ma famille sera directement touchée : Camille sera interné puis assigné à résidence dans la région de Stuttgart ; son fils quant à lui sera enrôlé immédiatement et envoyé sur le front Est, malgré ses dix-sept ans.

C'est ici peut-être la grande leçon de cette période, surprenante à plus d'un égard : la méfiance que l'on entretint à l'égard des populations. Même si c'est dans un contexte très différent, et dans un registre politique bien plus ample, on observe ici, à l'instar de la crainte française d'une rebellion contre la guerre que l'usage éventuel du carnet B illustra, rebellion ourdie par un socialisme en pleine progression, une crainte des autorités allemandes à l'égard de la population. Tout a l'air de se passer comme si les gouvernements de ce début de siècle étaient assis sur une pourdrière qu'ils n'étaient pas certains de pouvoir maîtriser.

Cette guerre qui sera effectivement une affaire entre Etats, entre intérêts de bourgeoisies dominantes, allait se dérouler contre les peuples, mais avec eux qui en paieraient le prix le plus fort.

La désillusion de 1919

Mais, dans la perception française, il y eut bien autant d'ambiguité : l'image d'une Alsace qui n'attendait qu'une chose, de voir le drapeau français flotter à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg ; d'une alsace naturellement française et qui ne demandait rien d'autre que de reprendre où elle l'avait laissée, une histoire interrompue brutalement en 1870. Pourtant l'Alsace de 19 n'est vraiment plus celle de 70 et les alsaciens après un demi-siècle de vie allemande avaient, sans pour autant renier leur passé français, pris des habitudes et des dispositions qu'il était illusoire de croire pouvoir rayer d'un simple trait de plume.

Il y aura dans l'entre-deux-guerres un véritable malaise alsacien : en redevenant française, l'Alsace va redécouvrir le jacobinisme tatillon : les lois successives consacrées aux provinces retrouvées, un secrétariat d'Etat rattaché à la présidence du conseil donnèrent à l'Alsace l'impression d'être purement et simplement colonisée sans qu'on prenne seulement la peine de s'enquérir de ce qu'elle voulait : les difficultés économiques succédant à la relative prospérité d'avant guerre, la maladresse des fonctionnaires souvent zélés mais ignorants des spécificités locales qui prirent la place des allemands dans l'administration locale mais qui furent tous choisis non parmi la population locale mais chez les français de l'intérieur, la volonté d'en finir avec le droit local alors même qu'il offrait les marges d'une décentralisation et d'une protection sociale bien en avance sur le droit français ; la tentative bientôt avortée du gouvernement Herriot d'introduire la loi de séparation - ces territoires vivaient encore sous le Concordat napoléonien, la loi de 1905 ayant été votée à un moment où l'Alsace était allemande -, la tendance à considérer l'alsacien comme un vulgaire patois tout juste bon au folklore local qu'il fallait donc combattre en imposant avec vigueur l'usage du français, tout ceci fit un mélange non pas explosif mais suffisamment fort pour éteindre les feux d'enthousiasme de novembre 18. L'empire les prenait pour des sous-hommes ; la république pour une simple colonie. Ce n'était pas beaucoup mieux ! ce fut en tout cas très mal vécu.

Cette imbrication du religieux, du social, du linguistique et du scolaire alliée à la maladresse de la politique française, allait bientôt donner quelque vigueur à l'autonomisme. Pour longtemps, jusqu'en 40, on trouvera en alsace, d'un côté des séparatistes estimant qu'il n'y avait rien à attendre des allemands non plus que des français ; des régionalistes plaidant pour une décentralisation donnant à l'Alsace les moyens d'exprimer ses particularités ; enfin des autonomistes réclamant en plus une véritable autonomie politique.

 

Schirmeck : Août 14

Dans la guerre des frontières, l'offensive française en Alsace connaîtra d'abord un semblant de victoire et, effectivement, pour quelques jours, les troupes allemandes se replient et Schirmeck est "libéré" : entrés le 14 Août 14, les français en repartiront vers le 20. Entre temps, avec toute l'impétuosité et l'imprudence de ces dix-sept ans, mon grand-père Roger Simonin avait salué avec un peu trop d'ostentation sa joie de voir les Allemands quitter la ville et les aura copieusement arrosé de sales boches et autres amabilités du genre ... Quand ils revinrent quelques jours plus tard, il fut immédiatement arrêté et, après quelques jours passés dans la prison de la ville, enrôlé dans l'armée et envoyé sur le front de l'Est, dans les Carpathes.

En quelques jours, cette famille de notables aisés, sera éparpillée aux quatre vents : Camille, emprisonné, on l'a dit, sera placé en résidence surveillée pour toute la durée de la guerre. Son fils ainé, Roger, mon grand-père, fera toute la guerre sous l'uniforme allemand, d'abord sur le font Est, puis à Verdun ; son cadet Edgar que l'on voit ici debout à gauche de son père, prudemment envoyé en Suisse pour terminer ses études, s'enrôlera dans l'armée française dès que son jeune âge le lui permettra. Les deux frères en se retrouvant, après guerre, découvriront avec effroi qu'ils furent en même temps à Verdun ... mais chacun dans le camp opposé de cette absurde boucherie.

Cette chronique rapide, où la petite histoire d'une famille rejoint la grande, raconte à sa façon le destin déchiré de cette Alsace qui n'en aura pas fini pour autant de son écartèlement.

Si l'affaire est aujourd'hui entendue de sa francité, si même la question de son autonomie semble apaisée et ne prend en tout cas plus les apres dimensions qui furent les siennes entre les deux guerres ; si les controverses sont désormais épuisées des malgré nous de la période nazie, il en reste au moins cette conscience politique européenne si puissante - et qui le demeure - pour ce que, ici, aux frontières, l'on aura compris, parce que vécu violemment, les affres d'un nationalisme exacerbé.

L'alsace cultive encore aimablement sa différence et s'accroche à son droit local mais, au même titre que les autres provinces françaises essuie les effets de la mondialisation. Région plus cosmopolite qu'elle ne le fut jamais, où le dialecte est de moins en moins parlé par les jeunes, elle doit à sa situation géographique et à son histoire d'inventer les formes nouvelles de l'entente allemande par toute une série de dispositifs économiques et sociaux qui contribuent à faire de l'Alsace et du Bade Wurtemberg voisin une seule et même aire.

 

 

 

 

 


1)

Artikel im "Frankfurter Israelitischen Familienblatt" vom 13. August 1909: "Schirmeck im Unter-Elsass. Ein herzerfreuendes Bild der Eintracht zwischen den hiesigen Juden und Christen zeigten die Feierlichkeiten zur Einweihung unserer neuen Synagoge. Das Programm nahm folgenden Verlauf: Mittwoch fand eine Abendvorstellung mit einem sehr gewählten und reichhaltigen Programm statt, welche Vorstellung in den Gesangsdarbietungen des Opernsängers L. Loeb, eines geborenen Straßburgers - seit kurzem für das Mülhauser Stadttheater verpflichtet -, ihren Clou fand. Donnerstag früh nahm die Feier mit dem feierlichen Zug von dem alten nach dem neuen Gotteshaus ihren Anfang. Bürgermeister Vogt vollzog sodann die Zeremonie der Aufschließung der Synagoge, und nachdem das Publikum Platz genommen hatte, begann eine würdige und eindrucksvolle gottesdienstliche Feier, bei der Rabbiner Dr. Goldstein - Mutzig die Festrede hielt. Festessen und Ball machten des Nachmittags und Abends den Beschluss des Festes. Aus den Reden beim Festmahl sei die des Konsistorialrates Aron Durlach - Strassburg hervorgehoben. Er schilderte die Schwierigkeiten, die der Ausführung des Baues entgegenstanden, lobte das stets entgegenkommende Verhalten der Regierung und würdigte die hervorragenden Verdienste des Kultusgemeinde-Präsidenten Camille Simonin um den Bau, dem in Anerkennung seiner Tätigkeit der Kronenorden 4. Klasse verliehen worden sei. "