Bloc-Notes 2016
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Recréer l’Etat social face à la mondialisation
Editorial du « Monde »

 

Au-delà de la personnalité pour le moins exotique du candidat républicain, Donald Trump, la campagne électorale américaine a le mérite de pointer une question de fond : comment gérer les dommages sociaux provoqués par la mondialisation économique ? Chacun avec des réponses différentes, Trump et les démocrates Bernie Sanders et Hillary Clinton ont pris la défense des laissés-pour-compte de la globalisation des échanges. Ce débat intéresse tout autant les Européens et notamment les Français.


Les trois candidats américains à l’investiture de leurs partis pour le scrutin présidentiel de novembre ont dit leur opposition à une nouvelle poussée libre-échangiste. En l’état, ils sont contre le traité de libéralisation commerciale que Barack Obama entend promouvoir entre la zone Pacifique et les Etats-Unis. Ils sont sceptiques sur celui qui, toujours à l’initiative du président, est actuellement discuté entre l’Amérique et l’Europe.

Ravages de la concurrence chinoise

Personne n’imagine qu’on peut « arrêter » la mondialisation, comme si cela dépendait d’une décision politique. Elle est d’abord portée par la technologie – qui permet la délocalisation du travail. Elle est à l’origine du décollage économique du Sud – dont le Nord a besoin des marchés. De 1945 à aujourd’hui, elle est la source d’un enrichissement général. Mais la campagne américaine marque une prise de conscience et un quasi-consensus chez les économistes, y compris dans les milieux les plus libéraux : la mondialisation a provoqué aux Etats-Unis bien plus de dégâts sociaux qu’on ne l’a dit.

En gros, dans les bastions industriels traditionnels du pays, la concurrence chinoise a fait des ravages. La destruction d’emplois a été immédiate. Les licenciés mettent dix, voire douze ans avant de retrouver un travail fixe. Longtemps promise, la création d’emplois dans le secteur des services n’a pas compensé pour eux le travail disparu dans les vieilles filières industrielles. L’enquête que Le Monde publie aujourd’hui – « Luttes sociales, la vie d’après » –raconte la galère des « ex »-employés de sites industriels fermés ces dernières années en France. Bien sûr, il y a les indemnités à la française, les reclassements à l’intérieur des groupes concernés, les dispositifs de retraite anticipée, bref des amortisseurs qui n’existent pas forcément aux Etats-Unis.

Les fragilités sociales ne sont plus les mêmes que dans les années 1930. Il y a des choix à faire

Mais « la vie d’après » le licenciement – la plupart du temps provoqué par un univers concurrentiel exacerbé du fait de la mondialisation – n’en relève pas moins de la « casse sociale » : petits boulots, remplacements, travail à domicile, bref le sous-emploi avec un revenu en baisse – et, souvent, un vote Front national en hausse.
Si la mondialisation doit continuer à être notre horizon économique, elle impose un changement dans les priorités de l’Etat-providence. Les fragilités sociales ne sont plus les mêmes que dans les années 1930, quand naissent les systèmes de protection sociale en Europe et aux Etats-Unis. Il y a des choix à faire. Les perdants de la mondialisation doivent bénéficier de mécanismes d’assurance-revenu et de formation professionnelle bien plus performants qu’aujourd’hui.

Il en va de la sauvegarde de la démocratie. En Europe comme aux Etats-Unis, les effets négatifs de la globalisation nourrissent la montée d’une droite ultranationaliste dangereuse. Cela oblige une social-démocratie conséquente à imaginer ce que doit être l’Etat social au temps de la mondialisation.